Lorsque, il y a dix jours, j’ai pratiquement terminé la rédaction du texte sur Le synode sur la synodalité, je l’ai par inadvertance supprimé définitivement (pas de rémission ni rédemption possible, parole de l’intelligence artificielle). Ni clouds, ni poubelles n’en portent trace, c’est alors en le cherchant en vain, que j’en ai trouvé un autre, commencé en 2021.

D’où l’idée suivante : intégrer ce texte dans le podcast reconstitué de mémoire, la longueur de ce dont on se souvient est sans nul doute moindre que celle du texte original, pas de risque donc de débordement de ce point de vue-là. 

 

Première partie de 2021, aménagée dans le but de préserver la cohérence de l’ensemble.

 

Le synode sur la synodalité pose avant tout la question de la méthode. Comment se servir des instruments qui permettent de travailler efficacement dans les cadres de l’Église catholique. Je vous propose de voir de plus près.

 

Dans un discours aux fidèles du diocèse de Rome, expliquant comment la synodalité exprime la nature de l’Eglise, le pape François décrit le processus synodal qui doit débuter en octobre 2021 et souligne l’importance du diocèse de Rome comme exemple à donner, alors que l’Église universelle travaille ensemble pour se sentir partie prenante « d’un seul grand peuple ».

(Francesca Merlo – Cité du Vatican)

 

L’objectif est avoué, il vise le sentiment d’appartenance, ce qui, en sachant la diversité de cultures dont est composée le peuple de Dieu appelé Église, n’est pas une mince affaire. Ce qui signifie aussi que l’uniformité bien hiérarchisée n’est plus le modèle de vivre en Église. Son fonctionnement institutionnel hiérarchique, (ne pas confondre avec la hiérarchie spirituelle : Dieu le Père, Christ Jésus fils, successeurs des apôtres avec successeur de Pierre comme le garant de l’unité), est remise en cause sous la poussée de la nouvelle prise de conscience de participation de tous à la vie commune. Et l’uniformité dans certains des aspects de la vie de l’Église (liturgie, formation, prières…) est remise en cause sous la poussée de la diversité culturelle reconnue dans sa valeur propre par la société et l’Église elle-même parfois (certaines décisions comme la manière de célébrer les sacrements sont confiées à la discrétion des conférences des Églises nationales, depuis Vat II). Il est temps d’ausculter le modèle présent et se rendre compte qu’il était temps de revenir aux origines. 

 

S’adressant aux fidèles du diocèse de Rome, le Pape François a décrit le prochain synode -dont le thème est « Pour une Église synodale : communion, participation, mission » – comme un voyage dans lequel toute l’Église est engagée. 

 

On peut prolonger l’expression du pape, “comme un voyage”, en y voyant plus exactement une marche, un pèlerinage même, pour aller au cœur de la foi chrétienne dans son expression d’un vivre ensemble et en vue d’un témoignage commun à rendre. L’unité n’est pas uniformité, on le sait déjà depuis bien longtemps, comment alors la préserver dans la diversité, c’est l’enjeu de ce synode, pas l’unique mais le plus sensible surtout si l’on veut avancer ensemble. 

 

Le synode se déroule entre octobre 2021 et octobre 2024, une durée inhabituelle pour ce genre d’exercice de la gouvernance. Son itinéraire a été conçu comme «un dynamisme d’écoute mutuelle, mené à tous les niveaux de l’Église, impliquant l’ensemble du peuple de Dieu», a noté le Saint-Père.

 

La première étape du processus (octobre 2021-avril 2022) est celle qui concerne les différentes Églises diocésaines. « C’est pourquoi je suis ici, en tant que votre évêque, pour partager, car il est très important que le diocèse de Rome s’engage avec conviction dans ce parcours », a déclaré le Pape. On y perçoit nettement l’importance que le pape accorde à cette première étape, en effet si la base ne réagit pas ou mollement, sans conviction, le projet est voué à l’échec. L’avantage d’un chef spirituel est de pouvoir mobiliser, non seulement spirituellement via les canaux traditionnels de transmission de son désir, mais aussi en secouant les consciences de ses collaborateurs évêques, tout comme il essaye de le faire avec les catholiques de Rome. 

 

Il est donc frappant de constater l’engagement personnel du souverain pontife, au demeurant pas moins évêque de Rome, un diocèse parmi tant d’autres. 

 

Le pape a expliqué que « la synodalité exprime la nature de l’Église, sa forme, son style, sa mission ». Le mot « synode », en effet, contient tout ce que nous devons comprendre : « marcher ensemble ».

Faisant référence au livre des Actes des Apôtres comme « le premier et le plus important “manuel” d’ecclésiologie » (la théologie de l’Église), le Pape a noté que ce livre raconte l’histoire d’une route qui commence à Jérusalem et qui, après un long voyage, se termine à Rome. On peut constater que c’est un voyage modèle pour d’autres voyages missionnaires auxquels sont conviés les chrétiens par la suite. Sans pour autant omettre l’importance de Rome comme lieu symbolique, une sorte de nouvelle Jérusalem, comme Constantinople sera une seconde Rome.

 

Cette route, a-t-il dit, raconte l’histoire dans laquelle la Parole de Dieu et les personnes qui tournent leur attention et leur foi vers cette Parole, marchent ensemble. « Tout le monde est un protagoniste », a relevé le Pape, « personne ne peut être considéré comme un simple figurant ». « Parfois, il peut être nécessaire de partir, de changer de direction, de surmonter les convictions qui nous retiennent et nous empêchent de bouger et de marcher ensemble ».

 

À ce stade de la préparation on peut légitimement poser la question de savoir à quoi pense-il en pointant la nécessité de surmonter les convictions qui nous retiennent et nous empêchent de bouger. Qui sont ceux qui les provoquent et les maintiennent ? 

 

C’est suffisamment délicat pour devoir considérer leur identification avec précaution. Ceci n’est pas à faire dans le souci de ne contrarier personne, au sens de ne pas faire de vagues dans l’esprit du politiquement poli et donc correct. Mais, c’est dans le souci de ne blesser personne. Or, des blessures, il va y en avoir, espérant qu’elles seront limitées au strict nécessaire pour guérir, quitte à s’attaquer aux nœuds gordiens. Ce qui peut se faire seulement avec le consentement mutuel.

 

Peut-il réussir un tel pari ? Vu l’ampleur de la tâche, ce n’est pas sûr, pas sûr du tout. C’est plutôt le contraire, des blessures il y en aura et beaucoup. Sont-elles inscrites dans le registre répertoriant les dommages collatéraux ? Et avec quelles conséquences, peut-être même ils seront considérés par certains comme des “crimes” contre la pureté de la foi chrétienne. Quelle sera l’épaisseur de ce registre qui ressemblera davantage à un cahier de doléances qu’à un simple registre contenant des informations ? L’avenir le montrera et chacun des protagonistes fera son bilan. A moins qu’ils ne le fassent ensemble, ce qui malgré de telles divergences douloureuses sera le signe d’un « marcher ensemble ». 

 

Le Pape a aussi noté que la raison pour laquelle il lance cette opération sur la synodalité, c’est à cause des problèmes qui se posent pour organiser le nombre croissant de chrétiens, et « surtout pour subvenir aux besoins des pauvres ». La façon de trouver une solution, a dit le Pape, citant le livre des Actes, « est de réunir l’assemblée des disciples et de prendre la décision de nommer ces sept hommes qui s’engagent à plein temps dans la diaconie, le service des tables ». Nous y voilà, les Sept hommes (et femmes) seront soigneusement choisis et approuvés par le pape lui-même, les opposants à un tel projet y fleurent déjà une manipulation.

 

En attendant, qui sont ces pauvres, la suite de la démarche synodale va permettre l’identification : pauvres, car privés de parole, chrétiens sans voix, qui font partie de tant d’autres pauvres jusqu’à constater que nous en faisons tous partie, car pauvres de nous… 

 

Revenant sur le processus synodal, le Pape François a déclaré que la phase diocésaine est très importante car elle implique l’écoute de la totalité des baptisés. Il a souligné qu’il y a beaucoup de résistance à montrer l’image d’une Église rigidement divisée entre chefs et subordonnés, entre ceux qui enseignent et ceux qui doivent apprendre, oubliant que Dieu aime renverser les positions. “Marcher ensemble” fait découvrir comme mode de communication l’horizontalité plutôt que la verticalité. A y trop insister on prend le chemin bien risqué, celui qui pourra mener à la rupture avec le principe vertical de la révélation.

 

Certes, comme l’affirme le pape, Dieu aime renverser les positions. Il y en a dans lesquelles certains se reconnaissent plus facilement que dans d’autres… Peut-on assumer toutes les inversions que Dieu propose : heureux les pauvres en est la clef, principale, passe-partout, mais tout le monde ne peut ni ne veut ouvrir toutes les portes existantes à une telle pauvreté qu’il pourrait trouver chez lui. En attendant, on va se contenter de ce que l’on a déjà.

 

Tout ce raisonnement sur le caractère synodal de l’Église repose sur un principe, depuis toujours tenu pour vrai, selon lequel chaque croyant porte en lui la totalité de la foi qui lui permet d’être actif, ce qui a un impact y compris sur la manière de la gouverner. « Le sensus fidei (latin : “sens de la foi”) qualifie chacun dans la dignité de la fonction prophétique de Jésus-Christ », a ajouté François, «afin que nous puissions discerner quelles sont les voies de l’Évangile dans le présent».

 

Il a expliqué que « l’exercice du sensus fidei ne peut pas être réduit à la communication et à la comparaison des opinions que nous pouvons avoir sur tel ou tel thème, tel ou tel aspect de la doctrine, ou telle ou telle règle de discipline », ajoutant : « L’idée de distinguer des majorités et des minorités ne saurait non plus prévaloir ». On le sait, la fonction prophétique du croyant l’ouvre aux deux autres, sacerdotale et royale, respectivement célébrer et gouverner. 

 

C’est donc une remise à zéro où on solde le passé pas toujours très glorieux dans la gouvernance de l’Église, pour arriver à reconstruire selon des bases anciennes oubliées. Est-ce possible de le faire, se demandent toujours les mêmes, sans mettre en danger la structure voulue par le fondateur et surtout sans endommager les dogmes dont la vérité est immuable. Mais le pape insiste sur le besoin de repenser tout cela à partir de la base, des fondations sur lesquelles reposent les structures et les formulations dogmatiques qui sont au service de la foi, telle qu’elle est contenue dans la tradition et vécue au présent. Ceux qui y fleurent un danger en ont pour leur compte, il est indispensable de s’accrocher à la tradition et aux dogmes, telles qu’on les a toujours compris, la frontière entre ce qui constitue le noyau dur d’un dogme par exemple celui sur la résurrection du Christ (le fait même) et ce qui est de l’habillage (les circonstances des apparitions du Ressuscité) est sans doute moins nette que l’on pense.

 

Pour le pape, le problème est avant tout dans le sentiment d’appartenance. «Il est nécessaire de se sentir membre d’un seul grand peuple qui est le destinataire des promesses divines», a poursuivi le Pape François, «ouvert à un avenir qui attend tout le monde pour participer au banquet préparé par Dieu pour tous les peuples». Ici, a dit le Pape, “je voudrais souligner que même sur le concept de “peuple de Dieu”, il peut y avoir des herméneutiques rigides et antagonistes, restant enfermées dans l’idée d’une exclusivité, d’un privilège, comme cela s’est produit avec l’interprétation du concept d'”élection”, que les prophètes ont corrigé, indiquant comment il doit être correctement compris.” Ce n’est pas un privilège, a-t-il souligné, mais un don que quelqu’un reçoit pour tous, que nous avons reçu pour les autres, une responsabilité.

 

Ne laisser personne dehors ou derrière, fidèle à son souci pour ceux de la périphérie, le pape poursuit son raisonnement. Dans le parcours synodal, en effet, l’écoute doit tenir compte du sensus fidei, mais elle ne doit pas négliger toutes ces « intuitions » incarnées là où on ne les attend pas : il peut y avoir une « intuition sans citoyenneté », mais elle n’en est pas moins efficace. Des intuitions sans citoyenneté, le pape réclame le droit du sol et du sang pour elles, Toujours fidèle à sa ligne de conduite, celle de l’attention à ce qui se passe à la périphérie, le pape réclame le droit du sol et du sang pour toutes les intuitions sans citoyenneté, apatrides, on pourrait dire. 

 

« Je suis venu ici pour vous encourager à prendre au sérieux ce processus synodal et pour vous dire que l’Esprit Saint a besoin de vous », a conclu le Pape. « Écoutez-le en vous écoutant vous-même et ne laissez personne en dehors ou en arrière. Ceci ne vaut pas seulement pour les personnes présentes, mais pour toute l’Église, qui ne se fortifie pas seulement en réformant les structures, en donnant des instructions, en proposant des conférences, ou à force de directives et de programmes, mais si elle redécouvre qu’elle est un peuple qui veut marcher ensemble, entre ces membres et avec l’humanité entière. Un peuple, celui de Rome, qui contient la variété de tous les peuples et de toutes les conditions : quelle richesse extraordinaire, dans sa complexité ! »

 

C’est une cellule souche en quelque sorte que le pape voit dans le diocèse de Rome, d’où peut venir l’impulsion de changement tant espéré par lui et par bien d’autres. 

 

Deuxième partie octobre 2023

 

Marcher ensemble suppose un effort commun de tout le monde. Seuls, les bons marcheurs avancent plus vite et arrivent à destination avant les autres. L’expérience synodale de tous les marcheurs est celle de garder la même vitesse. Adapter le rythme à ceux qui sont les plus lents, car moins équipés physiquement et mentalement, et ainsi garantir l’unité du groupe en marche, cela peut cependant avoir des inconvénients. 

 

Dépêche-toi, ponctue les passages difficiles ou ni envie ni forces, parfois tellement pas d’envie que les forces réellement n’y sont plus, rien ne fait avancer la marche. 

 

Il y a deux ans déjà, le pape François a lancé cette initiative que beaucoup espéraient et que d’autres redoutent. Deux sessions, deux préparations, la seconde sous forme d’un questionnaire envoyé aux diocèses et paroisses, communautés religieuses, etc du monde entier. Et tout couronné d’une troisième session en 2024 suivi d’un document final signé par le pape lui-même. 

 

La consultation sous forme du questionnaire avait pour objectif de prendre la température au sujet de la gouvernance dans l’Église en visant évidemment des changements structurels et même plus loin, certaines règles touchant à son fonctionnement (célibat des prêtres, ordination des femmes, parmi les plus emblématiques). Des réponses en nombre suffisant, sans pour autant être massives, ont permis de nourrir le programme de la deuxième session qui vient de se dérouler en octobre dernier.

 

Les marcheurs ont besoin de s’asseoir pour continuer dans l’esprit synodal. Et c’est sous forme de tables rondes (au sens matériel et de méthode) qu’ils vont poursuivre les échanges. 400 membres pour débattre et voter, y compris les laïcs, de surcroît des femmes, en prenant part aux décisions, car entre mêlés à la même table et dans les discussions sur le même niveau avec les évêques et d’autres hiérarques et dignitaires, tous professionnels de la chose de l’Église. Une nouveauté absolue qui contraste avec le style habituel de voir les pères synodaux ou conciliaires être en rang, chacun a sa place, suivant la place dans la hiérarchie, l’ancienneté etc. De fait, il a fallu des participants qui acceptent de s’asseoir à la même table et de débattre d’égale à égale (dans la dignité d’enfants de Dieu). C’est une sorte d’œcuménisme à l’intérieur de l’Église catholique, qui est possible seulement entre ceux qui le veulent bien.

 

Les résultats de ces échanges viennent d’être publiés.

Parmi les résultats qui ont retenu mon attention, j’indique de mémoire quelques-uns.

 

En premier se trouve la recommandation à l’égard des évêques, les premiers concernés et à ce titre souvent les premiers indisposés, déjà d’élargir le cercle de consultations en vue de leur nomination, puis les obliger à rendre compte de leurs décisions devant une sorte de contre-pouvoir pour vérifier, justifier, une sorte de conseil constitutionnel. En somme, de les faire sortir d’un modèle de gouvernance solitaire et princière, et c’est pour leur propre salut, le bien de l’Église et le salut du monde.

 

La seconde est celle concernant la réflexion sur la participation des femmes à la vie de la communauté aux delà des frontières actuellement en vigueur (loin de l’autel sauf pour le ménage et les fleurs, pour ne pas polluer l’espace sacré, y compris par les enfants, jeunes ou futures femmes), donner la possibilité de prédication, de participation au conseil épiscopal (ce qui se pratique assez amplement dans bien de diocèses tout au moins en Europe, mais pas uniquement), y compris accomplir des fonctions de gardienne de sceaux (ce qui se pratiquait déjà aussi dans certains endroits). La nouveauté absolue est dans le fait de donner aux femmes le droit à la prédication, y compris lors de la messe dominicale. Pour l’ordination des femmes comme prêtre, le pape François a coupé court dans son interview récente. 

 

Enfin les médias, sevrés durant la session (comme les ados à qui on retire les téléphones pour leur permettre d’être disponible à la retraite), peuvent à leur tour, en se référant aux documents officiels et plus largement, participer à la communication et même au débat. Ce n’est pas le pape François qui va s’en offusquer, lui qui il y a deux ans auparavant insistait sur les intuitions sans citoyenneté chrétienne bien définies ou même cherchées, les a remises en valeur.

 

Une immense opération de marketing pour les uns, l’espoir de véritable changement, surtout aux contours qu’on lui donne, chez les autres. Comme toujours dans ce genre d’initiative, ce sera décevant pour les uns comme pour les autres. Même si le pape, cet affreux gauchiste, qui veut faire sortir les catholiques du catholicisme, en commençant par sortir sa fonction du Vatican pour la confier au monde catholique entier et même au-delà, fournit des arguments dans ce sens. N’empêche, qu’il a bien compris que sans solide réforme, l’Église se trouvera enfoncée dans une impasse ligotant tout action missionnaire. Pas à pas, il fait avancer la barque de saint Pierre sur les eaux parfois troubles, sans peur ni résignation, cela ressemble à une œuvre de toute une vie d’un pape qui s’apprête à rendre tablier, une fois certain que la marche de l’Église dans cette direction est irréversible. Suite au prochain chapitre. 

 

Les tables rondes sont entreposées en attendant qu’on les sorte pour la prochaine session. Ainsi tourne l’Église.