Pour le commun de mortels que nous sommes, porter un masque évoque le carnaval de Venise et un bal masqué dans un de ses palais de Dodja. Depuis la pandémie nous sommes tous coutumiers des masques hygiéniques portés d’abord de façon un peu gauche, puis de façon plus en plus ‘professionnelle’. 

Au point que c’est devenu notre pain quotidien, mais que l’on digère toutefois avec quelques difficultés qui provoquent des constipations et/ ou des flatulences, le transit de notre vie est perturbé. Nombreux sont ceux qui continuent à s’en passer volontairement ou pour raison économique, ce qui n’est pas la même chose. L’air humide et chaud rend la respiration difficile, et vouloir escalader la montagne, même monter à pieds au Peak avec le masque sur le visage c’est déjà un exploit.

Le masque couvre une majeure partie de visage qui ainsi voilé rend perceptible le trouble que l’on a lorsqu’on croise quelqu’un avec un masque ou pas. Un contact souvent éphémère, furtif, source d’éventuels prémices d’une relation à ce stade vulnérable. Nous sommes en Occident tellement marqués par le besoin d’un contact visuel. Montre-moi ton visage et je te dirai qui tu es. 

Voir le visage est synonyme d’une piste d’atterrissage pour une relation, durable ou pas. Et de décollage aussi, car on n’est jamais censé passer tout le temps ensemble. Nous sommes des passants les uns à l’égard des autres, les masques nous rendent plus anonymes, plus uniformes car nous présentant dans un aussi simple appareil.

Dans la Bible on dit que l’on ne peut pas voir Dieu, tellement puissante est la lumière qui émane de lui. Moïse seul a vu Dieu face à face, et son visage rayonnait tellement fort qu’il a été obligé de le couvrir en se retrouvant face aux autres. C’est le cas exceptionnel d’overdose de relation en quelque sorte et pour s’en protéger il faut une sorte de mise à distance que le masque permet. 

Dans les situations ordinaires, sourire sous le masque n’est pas communicatif et les yeux ne suffisent pas pour le dire. C’est alors que se met en place tout un système de substitution pour pallier à un tel défaut de communication. Ce système est alimenté de tous les fantasmes qui passent par la tête au sujet de soi-même et au sujet de l’autre. La communication est biaisée, voire même tronquée, elle est en panne teintée d’une méfiance de l’autre, qui pour toutes ces raisons-là, est un danger potentiel pour ma survie, pour la vie.

Une fois démasqués nous nous déchargeons de tout ce que le filtre mental consciemment ou pas retient. Le masque de notre vie ainsi filtrant le contact est à laver et relaver comme un t-shirt. Quels sont les détergents utilisés que nous considérons comme étant les plus efficaces? Quels sont les assouplissants pour dérider notre visage interne et quels sont les parfums que nous ajoutons pour répandre une bonne odeur dans nos masques auxquels nous tenons tant?

Des masques nous en avons plusieurs couches. Certains sont utilisés pour filtrer tout émotion d’une efficacité redoutable laissant perplexe au sujet de ceux qui se montrent ainsi de marbre. D’autres masques ne sont pas vraiment efficaces, ni pour celui qui le portent ni pour son entourage. Car jamais lavés, jamais nettoyés et tellement peu filtrants que l’on suffoque sans le savoir jusqu’au moment où cela devient grave pour la santé dans l’ensemble de notre existence. D’autres masques sont troués et donc d’une efficacité douteuse, la ventilation ne remplit pas son rôle attendu. Et quoi dire de ceux qui comme moi portent des lunettes et qui sont si facilement gênés par la buée dans le climat humide de Hong Kong.

Tous ces masques ont chacun une fonction complémentaire. On en a besoin pour mener une vie bonne. Combien nous en avons? C’est comme avec le corps astral, ou encore l’oignon est ses couches dénudées qui font mal aux yeux jusqu’à faire pleurer. Chacun appréciera à sa juste valeur le nombre qu’il considère comme indispensable et comment il les considère. Chacune de nos couches de protection contient une part de vérité au sujet de ce que nous sommes et comment nous voulons préserver notre intimité. Ou alors comment la partager dans certaines circonstances, car le filtrage est régulé de façon variable suivant les circonstances. 

Tout cela se fait en fonction de ce qui semble être un bon compromis entre être avec les autres, s’en protéger et garder le regard lucide sur la bonne relation. C’est au sujet de la bonne relation que je suis en train de parler. Cette bonne relation suppose distance et proximité sans ignorer l’autre. Pas plus que d’être confondus dans une identification empathique de mauvais aloi qui, au lieu de protéger, infecte nos zones sensibles et en paralysant, contrairement à ce que l’on voudrait, rend notre présence nuisible.

La vie n’est pas le carnaval de Venise, la pandémie nous le rappelle à souhait et pour bien longtemps. On peut se mettre des filtres supplémentaires pour ne pas respirer cette nouvelle réalité. On peut aussi se protéger efficacement de tout ce qui est nuisible tout en restant attentifs ensemble. L’instinct grégaire fera beaucoup mais pas tout. A nous de décider quel masque et quel filtre utiliser pour que la vie ensemble se poursuive, pourvue que…. 

Bas les masques, non pas pour que cela nous démasque, mais pour que chacun puisse se dévisager dans la glace. Car les masques sont porteurs de la vérité qui nous est propre. D’aucuns cherchent dans les reflets sur le fond de l’âme des traces de la ressemblance avec l’image de Dieu. Ils cherchent à être comme Moïse, rayonnant d’une lumière qui lui venait d’ailleurs et qu’aucun masque finalement ne retint. 

Dieu seul sait à quel point nous sommes mystère pour nous-même, dans notre relation à nos semblables et surtout à Lui. Tellement de filtres sont apposés à notre conscience pour notre survie. Certains de ces filtres sont dus à notre instinct primaire de survie, d’autres sont fournis dans le package culturel, éducatif. D’autres encore sont délivrés par la spiritualité qui donne à voir quelque chose de l’invisible. 

Comme Moïse qui se voilait la face quand il descendit de la montagne où il avait vu la face de Dieu. Nous, nous allons nous laisser dévoiler totalement lorsque nous nous montrerons à Lui face à face, une fois pour toutes.

Bas les masques, plus mask to mask, vive face to face! 

Bon dimanche, bonne semaine et à la fois prochaine.