Alors que la chaleur est encore estivale à Hong Kong, les hommes d’affaires transpirent à nouveau dans leurs costumes trois-pièces de couleur sombre, dernier héritage de la couronne britannique.

Les femmes, un peu plus libérées, enfilent avec un plaisir non dissimulé des robes légères.

D’un côté, des hommes au cou cramoisi, figé dans un col blanc amidonné ; de l’autre une armée de jambes nues et alertes piétinant les trottoirs toujours encombrés de la ville. Mais la pudeur reste sauve, car si l’on montre allègrement ses jambes jusqu’à des hauteurs parfois vertigineuses, les seins, quant à eux, restaient jusqu’à une période très récente soigneusement dissimulés. Affaire de temps et de mode.

Les critères chinois de la beauté ont, comme partout, varié selon les époques, avec parfois des extrêmes inconciliables.

A l’époque des Tang, quand la cour impériale accueillait largement les influences venues d’Asie centrale, les hommes cultivaient une apparence virile et martiale et portaient barbe épaisse et longue moustache tandis que les femmes étaient robustes et toutes en rondeurs, minces de taille mais lourdes de hanches. La mode était alors au cou nu et à la poitrine bien en chair, largement découverte.

 

Ce n’est que plus tard, sous les Song, qu’apparaîtra le col haut qui est demeuré jusqu’au milieu du XXe siècle le caractère distinctif du vêtement féminin. Le nouvel idéal de beauté qui fleurira sous la dynastie des Qing, la dernière dynastie chinoise, sera celui d’une femme frêle aux épaules tombantes, à la poitrine minuscule et aux hanches étroites, mais aux bras fins comme du jade et aux mains délicatement déliées.

Cette jeune fille au visage ovale et mélancolique, contrairement à la dame Tang, danseuse intrépide et bonne cavalière, est sujette à de grandes exaltations et meurt facilement de simple contrariété. Son compagnon est quant à lui un fin lettré au visage délicat, peu porté sur les arts guerriers.

Aujourd’hui, il est plus difficile de définir les critères de beauté, car dans ce domaine aussi la mondialisation fait son effet. Les concours de beauté sont très prisés ici. Ils ont gagné la Chine communiste, qui élit maintenant une pléthore de “miss” en tous genres. L’on voit apparaître sur les planches des défilés de mode de grandes Chinoises du Nord, longues et filiformes, qui dans le monde hongkongais, où la taille moyenne est très modeste, font figure de grands oiseaux malhabiles. La mode anorexique qui a fait des ravages chez les mannequins occidentaux ces dernières années s’est abattue récemment sur les Chinoises, qui ont décidé de prendre le bambou comme modèle.

 

Toutefois, dans les milieux populaires, les critères traditionnels perdurent. En voici quelques exemples pêchés dans la littérature classique. La chevelure doit avoir l’éclat onctueux d’une laque noire, vaporeuse sur les tempes et brillante comme un miroir. Le front est haut, orné de sourcils arqués comme une feuille de saule. Le nez mince a la blancheur du jade ou l’onctuosité de la graisse d’oie figée. Un nez court étant un signe de vivacité sexuelle. La bouche, petite, est une cerise où les lèvres bien ourlées prennent parfois la forme d’une clochette. Les dents, graines de melon ou de pastèque, doivent être petites et de jade clair. Les joues ont l’onctuosité de la pulpe de litchi frais et les fossettes, le sourire ressemblent à des fleurs de pêcher au printemps. Le visage, enfin, est d’hibiscus, aussi purement ovale qu’un œuf de cane. Le bras est plus blanc que neige, avec des doigts de jade frêles, semblables à la tige de ciboule. La peau doit avoir la pureté de la glace, la délicatesse du givre et la douceur d’un pétale de lys qui s’ouvre à la rosée.

 

Ces descriptions, évidemment, sont écrites par des hommes qui ajoutent aussi que cette demoiselle idéale doit être d’une douceur et d’une docilité pareilles à l’eau qui épouse à merveille le lit qu’on a creusé pour elle.

Mais les féministes se consoleront avec le philosophe Lao Tseu, qui déclare que “le plus tendre en ce monde domine le plus dur”.

Et combien de héros dont l’Histoire, chinoise ou non, a retenu les noms nieraient-ils qu’il est plus aisé de conquérir un empire que de se défendre du regard soutenu d’une beauté toujours imprévisible ?

 

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  • Gérard Henry parcoure Hong Kong en tous sens depuis plus de 30 ans et en connaît l’histoire et les recoins cachés. Entre montagnes et mer un blog illustré de dessins où le paysage, l’humain, le végétal, l’anecdotique, le politique et le social se côtoient sans hiérarchie pour dessiner le portrait de Hong Kong, cité très vivante adossée à de petites montagnes sur le rivage de la Mer de Chine de Sud.