1. Plantons le décor 

Si Noël est une parenthèse dans l’année, une année est un segment composé des 365 jours, alors comment qualifier la durée d’une vie ? Ni parenthèse ni segment, mais un temps d’espérance que Noël rappelle et que le reste des segments qui contiennent les années d’une vie remplissent. 

Nous y voilà embarqués dans une réflexion sur le sens chrétien de Noël. À la surface c’est tout beau et gentil. Comme les anges et les bergers qui annoncent la Bonne Nouvelle. Aujourd’hui un Sauveur vous est né. Ou alors une fable pour enfants qui ne peut faire de mal, pas même aux adultes, si toutefois ceux-ci acceptent d’y prendre part. 

À la surface, c’est toujours tout beau et tout gentil. Comme l’est l’iconique Vierge-Mère, qui fait sourire les experts de la vie et de la procréation. Le plus à plaindre dans l’histoire est Joseph. Le bon bougre n’a rien demandé pour se trouver dans cette situation. Aux yeux de beaucoups, en se faisant passer pour un pigeon qui n’avait rien vu venir, il assume la situation.

Deux possibilités se présentent alors devant ceux qui y sont mis en contact. D’y aller de plus en plus en profondeur pour voir de quoi ça retourne. Ou alors solder l’affaire en retournant le regard avec componction et sourire narquois en souvenir de la compassion furtive pour les misérables humains qui s’y attardent. 

Mais les premiers ne sont pas à l’abri de donner raison aux seconds. Est-ce aussi envisageable que les seconds puissent également être soumis aux charme “nocif et nauséabond” des sortilèges des premiers ? 

 

2. Le marché de Noël

Sans rien en conclure, je propose cette promenade sur le marché de Noël, dont l’insolite beauté remplit nos imaginaires. Les imaginaires sont nourris des marchés de Noël de Lille, de Strasbourg et d’ailleurs, eux bien réels. 

Une sorte de brocante des objets présentés au concours de Lépine et qui trouvent leur seconde vie dans les regards des collectionneurs de l’insolite, qui les trouvent beaux et même utiles.

Comme chaque année en France, et sans doute d’une autre façon dans d’autres pays, à l’approche de Noël se relance (comme un perpetuum mobile qui a oublié de faire son travail durant le reste de l’année) la machine de productions des bulles de savons contenants de messages, tout sauf subliminaux. 

Les messages contiennent des recettes et prescriptions pour savoir comment montrer ce qu’est Noël, ou au contraire comment contenir le phénomène. La revendication du droit à la place publique des crèches est au cœur de la discussion en France et pas seulement. Et ça dure.

Tous les services secrets de la vigilance sécuritaire chargés de veiller sur la paix sociale sont en alerte. Aucune bulle nocive ne doit passer inaperçue. Si des bulles nocives malgré tout persistent, il faut les rendre toutes invisibles, et ce le plus tôt possible. Il s’agit de contenir les problèmes que les premiers semblent vouloir créer et enveniment la situation d’un vivre ensemble, déjà si fragile pour d’autres raisons. 

Se pose alors le problème d’étiquetage, qui va le faire et à quel prix ? Qui se présentera volontaire pour aller au charbon. En d’autres termes, Noël se présente cette année encore, une de plus, comme prétexte pour fabriquer des foudres divines que les uns envoient sur les autres pour que ça cesse. 

“Ça” c’est ce que l’on trouve de déplorable chez l’autre. L’exemple de Béziers donné vers la fin de ce podcast illustre la confrontation. Si je mets dos à dos les uns pour et les autres contre, c’est en espérant pouvoir en échapper. Mes illusions à part, avançons donc. 

 

3. L’arbre de Noël au Vatican

C’est une vieille tradition qui a commencé l’année 1982, précédant mon ordination comme prêtre. Elle fut introduite par le pape Jean-Paul II. Un grand sapin offert par une ville en Italie ou ailleurs en Europe, désormais illuminait de ses guirlandes la place Saint-Pierre. Pour l’instant on se limite à l’Europe, même la toundra sibérienne n’a pas encore eu la chance de figurer parmi les heureux donateurs. 

Vatican City, Dec 14, 2025 / 07:00 am, annonce les origines des arbres de Noël de cette année, tout comme des scènes de Nativité sous forme de crèches pour orner la place et la salle d’audience Paul VI. Les décorations encore une fois auront une touche italienne. C’est tout naturel, car déjà les papes depuis un certain temps ne sont plus italiens, qu’au moins le décor le soit.

Si Jean-Paul II a initié cette tradition, cela n’était pas sans doute seulement pour égayer l’austérité de la cité de Vatican par de telles décorations attendrissantes. Ce fut aussi pour lui donner l’occasion de se retrouver dans l’ambiance aux parfums et couleurs de sa Pologne natale, le pays, si fortement marqué dans la région de Cracovie surtout d’une tradition ou le folklore se laisse constamment irriguer par les infusions chrétiennes opérées par des prédicateurs et plus généralement par toute une tradition remise au goût du jour pour la circonstance à Rome. 

Durant le pontificat de Jean-Paul II, les sapins de Noël venaient essentiellement d’Allemagne et d’Alsace perpétuant une tradition pluriséculaire. C’est une reprise chrétienne d’une tradition celte et germanique. Ces peuples utilisaient des arbres toujours verts pour célébrer le solstice d’hiver. Dans les climats ou les cognaçais ne perdent jamais leurs aiguilles toujours vertes, cette tradition peut paraître dénuée de sens. 

Mais dans le climat nordique cela peut s’expliquer. Le sapin ramené à la maison, n’est pas fait pour le mettre à l’abri de l’hiver. C’est fait pour intégrer à l’intérieur de la demeure familiale l’espoir de voir la nature revivre au printemps. 

Dans la symbolique chrétienne s’ajoute l’espérance d’une renaissance apportée par l’Enfant de la crèche, qui concentre sur lui les espoirs du monde dans le froid cherchant où s’abriter. Une tradition qui depuis Jean-Paul II a reçu des gallons de la reconnaissance officielle comme vecteur d’évangélisation.

 

4. Au chat et à la souris.

En plus des sapins postés sur la place Saint-Pierre et dans la salle de Paul VI, Jean-Paul II recevait aussi son sapin de Noël privé qui, lui, venait en principe de sa chère montagne polonaise. Disposé dans ses appartements privés, il contribuait à créer l’ambiance de fête. 

C‘est là qu’il avait l’habitude de recevoir des amis polonais venus du pays ou de l’étranger pour chanter avec eux les colęda. Ces chants de Noël remplissaient les oreilles et les cœurs de convives qui s’y donnaient à cœur joie. 

Les sapins de Noël sont communément acceptés dans beaucoup de pays, même ceux qui n’ont pas de tradition chrétienne. Ils sont arrivés sur les chariots d’échanges économiques et culturels, pour être exposés sur les étals du commerce bien transactionnel et consensuel, qui de toute chose fait une occasion de proposer ses marchandises.

Ce qui est autrement moins consensuel, c’est la présence de la crèche. Difficile de la séparer de l’arbre de Noël. Mais les gardiens de la paix sociale veillent à ce que cette séparation s’effectue réellement, conformément aux règles bien définies. 

D’un côté rendre à César ce qui est à César; il s’agit du commerce et de l’autosatisfaction, car le bien-être social prime. De l’autre côté rendre à Dieu ce qui est à Dieu, tout en soulignant que cela regarde exclusivement ceux qui s’y reconnaissent; qu’ils le fassent donc dans les espaces privés, à la maison ou dans les églises. Sans déborder sur l’espace public dont la gestion est exclusivement réservée aux gardiens du temple de la République laïque.

Donc, de grâce, on entend supplier, pas sur les places publiques. De fait, cela trouble les yeux des uns et heurtent leurs oreilles des uns et des autres. Alors que cela intrigue et interroge encore d’autres. Est surtout redouté le danger de la propagation d’une fausse idée sur la vie. Il faut que les lumières de la raison, consolidées par les algorithmes des AI, viennent au secours d’une telle faiblesse pour être capable d’éradiquer ces vieilles croyances, les faire disparaître une fois pour toutes. 

En d’autres termes, public c’est chez nous, privé, c’est chez vous. Estimez-vous heureux de pouvoir le faire dans votre espace privé, ce qui n’est pas forcément respecté partout. Et d’ailleurs chez nous aussi, il va falloir prendre des mesures plus strictes pour ériger des barrages plus solides contre de telles déviations qui menacent la tranquillité de la société qui n’en a pas besoin, nous le savons fort bien. 

 

5. Quand les extrêmes se touchent

Je ne vois pas forcément ces deux extrêmes sur le plan horizontal, une concurrence qui touche le même espace. Même si cela peut évidemment avoir lieu avec des effets mécaniques comme dans un “jouet à l’action et la réaction”. Ce qui produit des situations extrêmes, que personne ne désire, mais dont la résonance avec laquelle tout le monde semble s’accommoder, traverse toutes les couches de l’être humain. 

Lorsqu’il a lancé l’idée, Saint François voulait rendre la réalité de la crèche plus proche du peuple et de ce qu’elle revêt comme signification. C’était une réponse à la trop massive splendeur, trop facilement identifiée avec le lustre des puissants, ainsi présentant les symboles de la foi chrétienne. La pauvreté du saint Poverello, prônée comme valeur principale de la vie chrétienne, s’inscrit alors dans cette perspective. 

Dès le départ, la grandeur de la religion chrétienne était consignée dans les sacrements, le tabernacle, les saintes images, les icônes et les croix. La sublimation pouvait prendre le pas sur la réalité chrétienne enracinée dans le humus bien humain. 

Et depuis, on s’est tous accommodé à y voir ce que l’on voulait y voir. Les uns y voyaient le fils de Dieu dans son dénuement extrême, celui d’un enfant né sur la route de l’exil aux contours surtout symboliques; exil momentané pour le relier avec l’autre, purement théologique, celui de la venue du Fils de Dieu qui a accepté de quitter son ciel pour partager le côté misérable de la grandeur humaine à revaloriser. Les autres vont élargir le regard humain aux dimensions de la fête de tous les enfants, ce dont les premiers ne sont nullement exclus, bien au contraire ils y sont même conviés par la lumière de la foi. 

Les chrétiens ne vont pas montrer de résistance à un tel élargissement du regard. Tellement cela les arrange dans leur désir de voir se propager leur vision du monde. Si ce n’est pas encore de façon aboutie de la foi en le messie, tout au moins sous forme déjà reconnue dans une phase de sa manifestation, celle d’un bébé promis à une carrière fulgurante et hélas! un happy end tristement attendu, car déjà connu. Sans pour autant que tout cela se termine sur le Golgotha.

 

6. Une compétition infantile

Les santons de Provences et d’autres portent les traces de cette volonté de mettre au cœur de la foi et de la religion les scènes de la vie quotidienne encore d’une autre façon que initialement connue. Leur tradition remonte au XVIII siècles, lorsque la Révolution Française a interdit les crèches dans les lieux publics et donc les églises (la notion du privé et publique pouvant varier). Alors les crèches domestiques se sont multipliées avec les petits personnages en argiles, appelés les santouns, les petits saints. 

L’interdiction des crèches publiques actuelles remonte donc à la Révolution et constitue un marqueur toujours vivant de sa présence. Ce qui veut dire que la révolution n’est pas encore totalement terminée, car pas totalement réussie. Comment on appelle la révolution qui dure plusieurs siècles de façon ininterrompue? 

En effet, il faut une sacrée dose d’obstination pour la prolonger autant. Car si depuis tant, on n’a toujours pas compris comment ça marche, les interdits qui durent, on peut se poser la question de savoir si la méthode appliquée est la bonne? L’Église a un problème similaire avec la confession. 

 

7. La crèche sur les roulettes

Depuis plus de dix ans dure la compétition au sujet de la crèche publique à Béziers. Les médias étrangers en raffolent. La compétition se poursuit entre les mouvements républicains, laïcs, farouchement opposés à la présence d’une “abomination chrétienne” dans des lieux publics et le maire. Ce dernier se plaît à challenger les nerfs de la justice qui ne lui donne jamais raison. Mais après chaque condamnation, il enlève la crèche, en la déplaçant, car elle est maintenant installée sur des roulettes. 

Les roulottes, ces maisons qui roulent pour se déplacer, font penser aux nomades qui cherchent où s’installer temporairement pour y établir le camp. Un site consulté à ce sujet en fait la pub touristique : “laissez-vous emporter par le confort et le charme exceptionnel de nos roulottes foraines, circassiennes et gitanes pour une escapade inoubliable”.

Nous y voilà. En Pologne est très connue l’histoire d’un paysan qui au XIX siècle, à l’époque de la kulturkampf de Bismarck, a essayé de contourner la loi contraignante la population polonaise. L’administration prussienne lui avait refusé l’autorisation de construire la maison sur le terrain qu’il avait acheté, le refus était conforme à la loi prussienne limitant ainsi (entre autres) la liberté de Polonais. 

Le paysan s’est alors installé dans une maison sur roulettes, dans une roulotte qui était initialement destinée aux activités du cirque. Il se déplaçait tous les jours pour échapper à une autre loi, celle qui stipulait que si l’on était installé sur un terrain plus de 24 heures, cela signifiait aux yeux du législateur que c’était une habitation stable. 

Même s’il a perdu le procès, son histoire est devenue emblématique de la résistance contre une loi qui avait pour objectif de limiter les droits des minorités. Or, 79% de la population française (pas seulement à Béziers) est pour ce genre de décorations. Chaque année, plus de 20 milles inscriptions se trouvent dans le cahier de visiteurs de la crèche à Béziers, qui visiblement apprécient.

Ce parallèle n’a rien d’idéologique (c’est la troisième fois que mon correcteur automatique veut transformer le mot en écologique). Il est fait pour mettre en lumière le débat sur le caractère important, mais éphémère des lois, dont l’utilité se justifie par les aspirations de la population d’aller dans une direction ou dans une autre. Et surtout dans le respect de ceux qui sont à la marge d’une visée principale. Si cela ne trouble pas l’ordre public. À moins que cela ne devienne une excellente occasion pour montrer que le trouble provoqué par les opposants est causé par la présence des symboles visant la paix et la joie de vivre.

 

8. Le fond commun

Si la lumière de Bethléem, et de Pâques par la suite, gêne autant les lumières de Aufklarung, cela signifie qu’il y a une concurrence. Elle est du côté de ceux qui nient la lumière dans laquelle ils ne veulent pas se reconnaître. C’est leur problème. Pas tant que cela, c’est aussi le nôtre, à ceux qui dans la lumière prétendent voir la lumière.  

Quelle n’était-elle la réaction d’un jeune avec qui j’ai discuté ces jours-ci sur la lumière de la raison qui a jailli aux siècles des Lumières. Comme si la lumière de la raison n’avait-elle pas existé avant? Ce à quoi il ne pouvait donner une réponse affirmée. 

Consentir à être victime d’une exagération des données de l’histoire pour soutenir la thèse (en l’occurrence républicaine) d’une nouveauté absolue et essentielle pour son identité, suppose prendre suffisamment de la distance, ce dont le jeune homme s’est montré capable.

Après tant des siècles personne ne peut raisonnablement soutenir que chez les chrétiens la lumière de la raison n’a pas de valeur en soi. Sans pour autant la séparer de la lumière de la foi. 

C’est ce refus qui provoque une culture d’anxiété, car mettant à nue une modernité creuse portée par des dormants spirituels. Qui se trouvent partout et surtout dans les majorités dormantes. 

Les retours au rite et à la symbolique spirituelle dans laquelle on renoue avec la transcendance, tout au moins chez certains, s’expriment dans la beauté des chants de Carrolls. Ces chants de Noël ont façonné tant de générations en Europe et ailleurs. Ceci est fait avec le soutien de ceux qui montrent comment maintenir quelques vieilles traditions structurantes. 

Le temps de l’Avent fut naguère marqué par la fréquentation très matinale de la messe Rorate caeli. Encore célébrée aux Philippines ou en Pologne, dont l’envie est passée à d’autres en contact avec, notamment via les émigrés de ces deux pays. Pour y puiser, timidement d’abord, souvent en réaction, mais de façon de plus en plus décomplexée la sève vivifiante aux saveurs de la joie partagée. 

Surtout sans aucune volonté de revanche. Car le chrétien ne peut jamais se le permettre sous peine d’être déconsidéré par l’Éternel.

 

9. Des Santons aux senteurs de l’arbre de Noël.

Les sapins du Vatican vont être utilisés par une société qui produit des senteurs. Une seconde vie les attend déjà dans les ateliers où l’alchimie céleste rejoint la chimie terrestre. Une alliance entre le ciel et la terre, entre le haut et le bas.

Pour que ça tienne, il y a toujours à faire le ménage en bas. Avec raison éclairée par ce qui lui manque et avec la foi éclairée par ce qui la complète. 

Le souci écologique du pape Léon y est pour quelque chose. Offrir une seconde vie, transformée, mais bien identifiée dans le prolongement de la précédente. 

Que Noël soit une seconde chance pour chacun d’entre nous. Les senteurs de la résine du sapin de Noël peuvent enchanter les narines, nettoyer les yeux, solidifier les faiblesses et raffermir les pas pour ne pas tomber dans des trappes tout bas. 

Noël, Noël, se mêlant aux flocons de neige, les chants virevoltent au-dessus de ma tête comme les rondelles. De printemps.

 

Joyeux Noël