Ce texte, écrit il y a tout juste un an, et augmenté depuis, fait écho de l’expérience de l’hôpital dont le destin m’a gratifié pour pouvoir méditer sur la grandeur de la futilité de la vie et les réseaux d’amitié qui la traverse.

 

“Courtney Mares is a Rome Correspondent for Catholic News Agency. A graduate of Harvard University, she has reported from news bureaus on three continents and was awarded the Gardner Fellowship for her work with North Korean refugees.”

 

Des présentations de ce type, on peut en trouver partout ou presque, surtout dans le cas des annonces, dont le prestige repose essentiellement sur les diplômes. Et les exploits de la charité ne gâchent rien, embellissent même un tel tableau. C’est si important, indispensable, constructif d’une image à laquelle on pourrait se référer. L’exemple par le témoignage de vie est toujours porteur. 

 

Mais, si l’on ne peut pas réaliser un objectif semblable, soit on reste envieux, soit on abandonne parfois un peu lâchement sans s’avouer avoir échoué, être vaincu, tout au moins dans la réalisation de ses rêves. 

 

Esprit de la Pentecôte, où es-tu? Toi qui donnes la liberté de se réaliser sans dommage ni pour soi ni pour les autres, au contraire au bénéfice de tous et de tout, y compris d’une cause divinement fondée.

 

Qui n’a jamais rêvé d’avoir quelqu’un comme Courtney Mares, dans son comité de direction, ou de courir écouter un conférencier qui lui, très en vogue, déplace les foules et les foules le suivent. Parfois pour un moment, tant que la nourriture ainsi offerte fait du bien aux boyaux de l’intelligence que l’on met en avant pour faire avancer sinon le monde, tout au moins nous dans le monde.

 

Cela fait du bien, cela fait classe, même si on en entend parler de la part de nos connaissances plus ou moins proches, les sentiments ainsi générés sont gratifiants, même par ricochet. Mais parfois il faut savoir se contenter de ce que l’on a.

 

Et on a beaucoup, on est connecté à une des plus prestigieuses universités du monde dont les anciens élèves en bons alumnus n’oublient pas de soutenir financièrement le prestige, et nous arrosent de leurs connaissances et nouveautés.

 

Car ils ne sont pas seulement reconnaissants de la sorte à la filiation de leur origines (diplômantes), ni dotés d’une mémoire souvent phénoménale, mais doués d’une créativité que leur imaginaire, souvent tatillon et vagabond, leur permet de repousser les frontières du réel connu ou à inventer.

 

Esprit de Pentecôte, où es-tu pour repousser les frontières du réel de l’univers aux dimensions de ton réel?

 

C’est ainsi qu’un des collaborateurs de mon ami (j’ai aussi mes filiations!) est doué d’une mémoire et surtout d’un imaginaire impressionnant pour imaginer de nouvelles manières de stocker l’énergie. Avant de la canaliser comme bon leur semble, pour le bien de la société, bien entendu, et le bien de la boite qui les gère, sans aucun doute.

 

Esprit de Pentecôte, où es-tu pour gérer les affaires de ce monde, toi qui est capable de faire des choses étonnantes, de créer des énergies à partir de rien?

 

Au commencement était le Verbe, puissance créatrice, ex nihilo? Pas tout-à-fait!, d’autant plus que dans le cas de la source citée, elle est située dans la puissance divine.

 

Pour revenir à l’exemple du collaborateur de mon ami, si l’on précise qu’il est ukrainien, cela automatiquement met en évidence l’existence d’une toile, d’une connexion, que l’actualité met en exergue, et pour certains ceci constitue une valeur supplémentaire, référencée sur les actes héroïques indéniables de ses compatriotes.

 

Nous sommes environnés de réseaux de relations plus ou moins choisis, plus ou moins édifiants, mais qui, tous, nous conditionnent. Et nous faisons ce que nous voulons, surtout ce que nous pouvons, ce que les autres nous permettent. Les réseaux sociaux et autres moteurs de recherche d’informations et leur propagation en sont des exemples parmi les plus éclatants.

 

Et la soumission est bien visible, je l’expérimente moi-même en me soumettant aux suggestions de youtube d’écouter tel morceau de musique ou podcast; je n’ai pas encore trouvé les miens, mais je suis certain, si quelqu’un capable de le faire, trouve du temps pour le faire, le réseau sera ainsi enrichi (sérieusement c’est juste la page pub, sans aucune prétention à majorer mes causeries, même si certains le suggèrent).

 

Et les autres nous intègrent dans des réseaux. Qui n’aurait pas voulu voir sa progéniture être affublée de titres estampillés en rouge impérial des prestigieuses universités. Qui?

 

Sauf ceux qui se l’interdisent en tant que rêve jugé inaccessible, d’ailleurs pour la plupart ils ont raison, vu le nombre d’élus, les chances pour tout le monde sont minimes. C’est comme une loterie qui fait le bonheur de quelques-uns grâce à l’apport de tous. Être dans les réseaux de captage de l’énergie conduisant à la réussite désirée, est comparable aux réseaux de captage des eaux de pluie qui les acheminent sur les champs d’irrigation.

 

Sans parler de tous ceux qui purement et simplement ignorent, tout bonnement ignorent qu’un tel référentiel existe et qu’il peut quelque chose dans la vie de qui que ce soit. Mais, compte tenu de la circulation d’informations, ils sont de moins en moins nombreux. Et ça fait tout de même augmenter le nombre d’envieux potentiels.

 

La comparaison avec la loterie ouvre un autre pan de réflexion, celui de la participation de tous au bonheur de quelques-uns. D’ailleurs, peut-on parler d’un bonheur, est-ce automatiquement lié au fait d’être un diplômé de…. Et être heureux? On le sait très bien, même si ce n’est pas automatique, cela y contribue, non sans raison.

 

Esprit Saint, où es-tu pour irriguer nos intelligences en vue de bien irriguer la planète Terre avec ses habitants?

 

Les rêves sont faits pour rêver, y compris pour repousser les limites du réel, comme dans le cas du scientifique ukrainien. Mais la vie rêvée des anges n’a aucun sens en soi, car les anges n’ont pas besoin d’une vie rêvée, car leur vie est la meilleure possible.

 

Et nous ne sommes pas des anges, ne rêvons pas, tout au moins là.

 

La réflexion sur la condition des anges nous conduit à constater que si les filiations nous environnent et celles des anges nous font de façon principielle du bien, elles résultent de notre participation plus ou moins volontaire à leur vie, à leur destin.

 

Et le désir de s’y brancher par-ci par-là constitue la partie visible de l’iceberg dans nos relations avec un tel méga réseau.

 

Il y a des réseaux dont on est fier, et d’autres moins.

 

Un ami, déjà sorti de l’orbite sur laquelle se déplacent les vivants sur terre, aimait beaucoup montrer Paris à sa vieille maman venue du fond de la Galicie polonaise.

 

Contrairement à tant d’autres, fier de l’avoir à ses côtés, en guise de rappel d’une bonne tenue qu’il voulait obtenir d’elle, pas seulement à Paris, il lui lançait de temps à autre : maman, tiens toi droit, comme un évêque avec sa crosse (mamo! Biskup, pastorał).

 

La crosse, même courbée en haut pour ramener la brebis égarée, ne pouvait être que droite comme la règle, comme tout ce qui est estimé comme juste. Et se référer à une crosse fut nécessaire pour tenir droit le dos d’habitude courbé, déjà tellement habitué à regarder vers le ciel, sans donner la possibilité aux yeux de le faire.

 

Il fallait trouver un moyen de redressement, tant que possible, et Paris a été une bonne occasion pour le faire.

 

Appartenir au réseau des gens qui peuvent bénéficier d’un tel environnement et le faire partager, est une chance et un devoir.

 

Et appartenir au réseau constitué des gens qui allient la souplesse avec la droiture, comme savait le faire ce fils, c’est aussi reconnaître le besoin de se nourrir de la sorte d’un tel mélange que l’on appelle amour.

 

Et au moment de l’écriture initiale de ce podcast, appartenir au réseau des gens qui partagent le séjour au même endroit, en l’occurrence à l’hôpital, c’est remplir le réservoir de vie, et d’envies de ce qui manquait à la vie ainsi perturbée et qui sûrement manquait depuis si longtemps, depuis toujours.

 

Comment ne pas être fier d’appartenir, comment ne pas être fier d’avoir survécu, avant tant d’autres et de goûter aux tristesses remplissant le réservoir de l’absurde d’une telle finitude de la grandeur humaine.

 

Et le réseau des Douze disciples avec Marie la mère de Jésus et d’autres femmes, hommes… à qui le maître a montré le chemin, ils sont fiers d’appartenir à un tel réseau, plus qu’aux réseaux de filiation à Harvard, Columbia et autres Cambridge, comme autrefois la Sorbonne, ce dont forcément ils n’avaient jamais entendu parler.

 

Tout se déclasse, tout se reclasse, l’expérience de l’hôpital le prouve en accéléré.

 

Esprit saint, où es-tu pour souffler sur les braises de l’espérance?

 

Alors que je m’apprêtais à partir pour une semaine à Rome, je me suis trouvé exactement durant la même période et ce à partir de l’anniversaire de mon ordination (un an de moins que cette année) dans un lieu que l’on ne connaît jamais assez. Non pas à cause des prouesses techniques dont la médecine moderne est capable pour faire revenir à la vie des moribonds.

 

Mais de l’existence de réseaux d’amitiés anciennes, actives, toujours présentes ou toutes nouvelles. Même s’il fallait dire aux cloches de saint Pierre de Rome hasta manana (ce qui pu se réaliser trois mois plus tard en lien avec un autre réseau), des réseaux multiples de maintien en vie apparaissent là où on ne les attendait pas, mais que les circonstances ont exigés. Passer une semaine dans la chambre avec trois, quatre ou cinq malades, cela provoque une drôle de communauté de vie; et avec le personnel soignant; une communauté éphémère, où tout est essentiel.

 

Esprit saint, où es-tu quand pour marcher il faut de l’aide, et pour se coucher il faut de la persévérance, qui en apparence ne coûte rien.

 

C’était la période de la fin de la pandémie, marquée par des reconfigurations multiples de réseaux de soutien, qui parfois s’apparentaient aux réseaux d’isolement, au point qu’il était préférable d’être dehors que dedans.

 

Comme les filiations, les réseaux qui en résultent sont à résonance multiple et il y en a qui sont plus enviables que d’autres. Plutôt que traficoter par l’intermédiaire de réseaux, nous tricotons des réseaux pour nous envelopper d’une douce couverture sociale qui suppose un effort pour l’entretien et qui ne nous gratifie que lorsque nous avons réussi à trouver un bon équilibre entre le flux des intérêts et des influences.

 

Vous n’êtes pas en vie si vous n’êtes pas dans au moins un réseau; leur caractère vital se mesure à l’aune de leur portance, que nous chargeons de nos rires et pleurs, avec les larmes toujours, pour signifier que la note sera toujours salée, celle d’une amitié qui coûte la gamelle de redevance à taux zéro.

 

Si les réseaux sont horizontaux ou de biais, en diagonal, incliné, les filiations sont toujours verticales. Et c’est de ces dernières que dépend la bonne qualité vitale des réseaux. 

 

Il y a une semaine, à la faveur d’une invitation à la maison après le sacrement de confirmation, j’ai pu me connecter aux réseaux polonais de Hong Kong. Sur deux groupes de whatsapp que j’ai intégrés, il y avait seulement un numéro qui était identifié par mon téléphone.

 

Est-ce à cause du manque d’intérêt de ma part, sans doute un peu, surtout au début de mon séjour à Hong Kong, où j’avais à cœur d’assumer ma fonction d’aumônier de la communauté francophone. Mais malgré tous les efforts pour tenter d’y entrer, j’avais seulement reussi à entrer dans les reseaux de prêtres polonais travaillant à HK. C’était déjà cela, sans que cela ne me satisfasse pleinement et ceci pour deux raisons, dont une découle de l’autre, ne pas me faire enfermer dans le réseau clérical seul, et puis pour goûter à la joie des rencontres plus variées.

 

L’Esprit saint est à la fois l’agent de filiation travaillant pour le compte de Dieu le Père, et aussi l’agent qui irrigue les réseaux bien horizontaux; il se laisse même porter par les ondes qu’il provoque… sans que l’on s’en aperçoive.

 

Entre les réseaux et les filiations, il y a de l’air qui circule. Il porte des germes de champignons qui prolifèrent à la faveur de l’inattention de la matière naguère animée, mais qui lorsqu’elle n’a plus de force pour se maintenir en bon équilibre vital, subit ainsi la putréfaction lente mais inexorable. Il y a aussi des virus et autres bactéries qui font leur bonheur de vivre comme bon leur semble. Les réseaux les plus efficaces sont ceux qui ne sont pas faciles à identifier, mais les services de la santé publique les traquent avec technicité et vigueur.

 

Tous ces aériens sont en réseaux, surtout les champignons qui, connectés sur parfois des milliers des kilomètres, recouvrent la croûte terrestre d’un vaste réseau de communications bénéfique pas seulement à eux, mais au service de la nature dans son ensemble. Les autres aériens sont dans une conspiration associée, même si c’est chacun pour soi, leur densité franchit parfois le seuil de ce que l’on appellera endémie, voire pandémie. 

 

Esprit saint, où es-tu pour distinguer à bon escient les bons réseaux des mauvais?

 

Quel est le seuil de tolérance de la nocivité déjà constatée et pourtant encore sous son influence? 

Les réseaux chrétiens au sens de la communion ont la même espérance; au sens de la vie de la communauté rassemblée pour célébrer la filiation, ils sont soumis comme tous les autres à cette double influence nocive et curative.

Quelle est la dose de courage nécessaire pour reconnaître l’un et refuser l’autre?

Quelle est la différence entre les réseaux raisonnables et les réseaux qui font du bien?

 

Esprit saint où es-tu?

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Photo d’illustration : ©freepik