Les différentes langues ont ceci en commun : des mots, des expressions difficilement traduisibles, qui se glissent tels quels dans d’autres langues, ainsi Ecclesia grecque deviendra ecclesia latine pour se transformer en Église “à la française”. Même dans l’incorporation du mot tel que traduire rime avec trahir, tout au moins un peu. Aux nouveaux contextes des nouvelles nuances de signification…  

 

Empruntés comme mercenaires, ou en ouvriers clandestins d’abord, puis naturalisées et parfois décorées en reconnaissance des actes de bravoure en montrant l’amour, sinon au moins l’intérêt pour cette nouvelle parcelle d’humanité qui est présente dans leur patrie d’accueil, et qui grâce à leur présence est ainsi éveillée, mise en valeur, revigorée, rendue vivante, ces mots ou expressions participent à la vie des autres.

 

Adoptés (finalement en adoption plénière !) par d’autres langues qui ainsi reconnaissent leurs propres manques, qui désormais se laissent découvrir comme une pauvreté, de tels mots ou expressions finissent par y vivre leur propre vie en nageant dans le bonheur sémantique de la langue qui les accueille. Un parmi d’innombrables exemples d’une telle translation actuelle est celui de churchgoers, qui petit à petit se laisse adopter par la langue française qui le lui préfère aux “messaliens” ou messalisants.

 

L’anglais a l’avantage sur le français d’être une langue plus imagée pour décrire le monde extérieur de l’homme, alors que le français excelle dans la description de l’intérieur de ce que peut vivre et donc ressentir un être humain (finesse et nuances, comme l’art de vivre japonais).

 

Au-delà de ses caractéristiques seulement prépondérantes, churchgoers entre dans la catégorie de classification sémantique sans équivoque, ce qui n’est pas le cas de son équivalent français. 

 

Celui-ci pour exprimer la même idée, celle de messalisants (pratiquant la religion par le fait de venir le dimanche à la messe) a besoin d’une hyperbole pour se rendre audible avant d’être visible. Et c’est encore plus difficile pour les pratiquants occasionnels. 

 

Pour les churchgoers on voit très facilement le chemin que ceux-ci empruntent régulièrement le dimanche pour se rendre à la messe ou au culte, même s’ils sont occasionnels. Or, pour les pratiquants, il faut d’abord définir l’objet de l’action, (que pratiquent-ils ?) puis essayer de visualiser le chemin (tracer un itinéraire menant d’un point A à un point B), plus ou moins facilement praticable, et cette ambiguïté fait l’objet de ce podcast

 

Pratiquement n’étant plus praticable, le chemin qui mène à l’église car pas pratiquée, comme son usager potentiel qu’est le non churchgoer, tous deux, le chemin et celui qui l’emprunte, disparaissent dans les maquis de la broussaille géographique et sociale pour éventuellement garder des clairières de foi, de charité et d’espérance, clairières garanties dans leur existence et leur fonction directement par la relation verticale qu’un non church goer entretient avec l’au-delà. Travailler pour le royaume des cieux plutôt que d’être membre visible d’une institution religieuse. Et c’est l’institution qui est touchée, mais la sanction défensive tombe aussitôt : A-t-on besoin d’aller à la messe le dimanche pour bien faire!? Et de l’autre côté, l’hostilité est nourrie d’une interrogation sur leur foi : sont-ils encore des chrétiens ?

 

Sur le plan cognitif, pratiquer la messe du dimanche en comparaison avec les churchgoers suppose plus d’efforts à parcourir le chemin qui mène à l’église. Étant d’ordre du symbole, un tel chemin, mis en pratique par le croyant, est bien “plus long”, et surtout plus complexe pour arriver, pas tant à l’identification de ce dont on parle (participer à la vie de la communauté), mais à sa mise en pratique. Peut- on encore être membre de la communauté avec un si faible lien avec celle rassemblée le dimanche ?

 

Cette ambiguïté vient de l’incapacité, de l’impossibilité même de se dire simplement : je prends le chemin de l’Église ; même si ceci a aussi un autre sens lourdement chargé d’un engagement. Or pratiquer la religion est un englobant contenant la pratique cultuelle et la pratique de la charité (sans ou avec celle de l’espérance). 

 

Pratiquer la charité au nom de l’amour (de Dieu?), c’est à ce chemin là que notre rédactrice en chef se réfère (voir l’interview au sujet de son livre sur les pratiquants occasionnels). Dans son livre très clairement elle défend leur statut, en fait même la promotion, jusqu’à accorder peu pour ne pas dire pas du tout, d’importance à la source identifiée et trouvée par une telle démarche dans l’eucharistie dominicale. Et en lisant le livre, on comprend comment elle y parvient. La faute à l’Église qui dans sa vision institutionnalisée a enfermé l’identité de tout baptisé dans son rapport au sacrement et la messe en est la fine fleur. Jésus a formé un petit groupe de disciples, alors que toute une nébuleuse des intéressés longtemps ou momentanément l’entourait sans cesse.

 

Les peu pratiquants sont-ils encore churchgoers, ou déjà non churchgoers, à partir de combien de fois on est l’un ou l’autre? Comme elle, c’est dans cette ambiguïté que s’engouffrent les non-churchgoers, ou les occasionnels auxquels je les assimile pour une raison très simple : les uns et les autres ont les mêmes arguments pour justifier leur quasi absence, non pas dans l’Église, mais dans les églises. 

 

Et ils disposent d’arguments de taille, que résume cette sentence sans appel : pas besoin d’aller à la messe pour être un bon (chrétien) et faire le bien. La question de tout à l’heure mue en constat.

 

C’est la cour suprême de leur conscience qui a ainsi rendu l’ultime verdict, contre lequel l’on ne peut rien, c’est ainsi, et on passe à autre chose. Mais non, Valérie s’y arrête et elle a grandement raison. 

 

Et si l’on n’avait pas bien compris le message, voici son justificatif supplémentaire, lui aussi suprême : les vérités que l’on dit alors que l’on semblait déjà partir, et qui clouent le bec sans pouvoir répondre, seulement écouter, acquiescer et compatir, sur le seuil, là où on prend congé. D’ailleurs ceux qui y vont ne sont pas meilleurs que les autres, pis ils sont si souvent au-dessous du barème de ce qui est humainement acceptable. Et un, et deux et trois.

 

Et les churchgoers sont bien dans la panade, aucun argument tiré de la tradition, ni de la grandeur spirituelle, ni d’un facteur sociologique de convivialité, ni d’apprentissage…. ne tient pas. Tout peut être battu en brèche. Et ils restent sur la défensive, le divorce entre ces deux catégories de chrétiens semble consommé. 

 

Vu le nombre, Il était temps que l’on prenne au sérieux leur situation (et statut), la moitié de la population française se disent catholiques, alors que seulement 5 % se disent pratiquer la messe de dimanche (est-ce tous les dimanches ?), dans son interview, Valérie Le Chevalier se livre de la sorte:  

 

“Les personnes qui pratiquent peu sont donc des fidèles du point de vue juridique. Peut-on dire qu’elles sont « croyantes » ? C’est une mauvaise question, car elle n’est posée que par les pratiquants : ceux qui ne sont pas avec nous ont-ils vraiment la foi ?”

Pour l’auteur du livre Noel et/ou Pâques demeurent les points forts d’une telle pratique occasionnelle. Mise à part cette question de fréquence rarissime comme celle des traces de particules rares dans l’air ce qui devient anecdotique (de ce point de vue), la vraie question que cela pose est celle de savoir comment être missionnaire dans le monde auprès d’eux et leur semblables, le monde où ils ont basculé éjectés de l’orbite de l’Eglise. Et Valérie le fait avec lucidité que l’on oublie parfois. Il est temps que l’on s’occupe d’eux, ce sont ceux que nous retrouvons dans la préparation au mariage, au baptême de leur enfants etc, croisons sur les chemins de randonnées, au spectacle, au restaurant, dans les transports en commun… 

Le fait très frappant, lors d’une réunion de préparation au baptême, les parents, pratiquement tous de non ou alors très sporadiquement churchgoers, étaient invités à écrire sur des postits d’un côté les espoirs et de l’autre les craintes. Ils étaient très clairs sur les craintes qu’ils arrivaient à identifier très facilement. Alors qu’ils étaient en peine de trouver des mots justes pour décrire le côté positif de la chose, de leur vie.

Les non Churchgoers sont dans la même routine dans laquelle pouvaient être autrefois des Churchgoers, routine inconsciente, mécanique, donc machinale, elle ne se justifie par rien d’autre que l’impact qu’elle exerce sur ceux qui s’y soumettent. Et elle finit par faire tuer la raison qui la motive. Les uns ont copié les travers “routineux”, des autres, pour leur emboîter le pas dans… la non-action. Et ils revendiquent un statut à part.

La culture ambiante a prévalu sur la foi, où est alors le chemin pour passer de l’un vers l’autre ? Comment purifier la culture par les données de la foi et éclairer celle-ci en l’interrogeant par les défis de la société qui de la sorte deviennent également les défis de l’Église. Est-ce à en faire des pratiquants, peine perdue.

Avec un double dérapage que l’interview laisse percevoir, celui d’enfermer la question sur la croyance seulement posée par les pratiquants, ce qui est réducteur et pour le moins incomplet, car les non pratiquants soupçonnent à leur tour les autres d’être de mauvais chrétiens qui accomplissent mécaniquement de rites sans que cela ait l’effet sur eux, et celui d’une opposition radicale entre churchgoers et non churchgoers ou ceux qui pratiquent sporadiquement, l’interview laisse sur sa faim. Heureusement que le livre est bien plus complet ou l’auteur interpelle les non-churchgoers sur le fait que leur absence est une blessure pour ceux qui y sont, alors qu’eux ne se sentent pas en manque des autres et de leur présence. 

Dans l’interview, Valérie va dérouler toute une batterie d’arguments pour défendre les catholiques non pratiquants, pardon no churchgoers, comme s’ils avaient besoin que l’on les défende, ce qui n’est pas la même chose que d’interroger la manière dont ils sont perçus par les autres. Le droit canon et la sociologie sont convoqués à la rescousse pour défendre la reconnaissance de plein droit aux catholiques, que d’aucuns voudraient, qu’ils, telles les brebis galeuses, attrapées dans les filets de la miséricorde, soient ramenés au Christ et sa nourriture. 

Elles n’ont pas besoin d’autres, la vie communautaire n’est pas à l’horizon, à partir de l’approche individualiste, si on a besoin de la religion, les autres et surtout les prêtres (des parfaits intermédiaires pour obtenir ce que l’on désire sans frais), suffisent pour les nourrir par procuration. 

Il est possible que Valérie n’ait jamais ressentie la solitude du prêtre qui célèbre tout seul dans son coin et qui se donne des bonnes raisons (tel un Charles de Foucauld ou un prêtre à Bénarès) pour continuer à offrir une telle présence au monde. 

Si je le dis, ce n’est nullement pour attirer de la pitié et donc de la sympathie, c’est par acquis d’expérience où creuse sa soif la terre aride du croire sans comprendre, où finalement la vie apparaît, et pour cela il faut qu’elle soit capable de se dire et de le dire à Dieu dans l’assemblée des frères (et sœurs), on y échappera pas.  

C’est aussi pour pousser la logique jusqu’au bout, car c’est alors qu’apparaît une Église avec les clercs, religieux et religieuses à l’intérieur et les fidèles baptisés à l’extérieur. Cette distribution des rôles et tâches bien traditionnelle, tout en gardant un peu de sa pertinence, au XXe siècle a été remise en cause ou plutôt, pour utiliser le langage consensuel, enrichie, à partir de l’égale dignité de tout baptisé par le fait d’accorder à celui-ci une place active dedans comme dehors. De la même manière, le prêtre ou l’évêque n’est pas condamné aux actions cultuelles et à la formation doctrinale seuls, il a aussi à porter une ouverture au monde dans son cœur de pasteur.

Comme souvent, l’expression parcellaire qu’une interview occasionne peut laisser enfermer la vision de non churchgoers dans la situation statique, condamnée à y demeurer à jamais. Tel n’est pas la tonalité du livre.

Et c’est là qu’il y a un problème, à aucun moment de l’interview la dynamique de la conversion menant à la découverte de la fraternité communautaire n’est envisagée. 

Ce n’est pas que ces personnes fidèles non churchgoers n’ont pas besoin de cette convivialité, mais ils la trouvent ailleurs. On peut s’en offusquer, le fait est là, et cela interroge l’Église comme institution qui doit humblement reconnaître (ce que je prends pour acquis) qu’elle est dans la situation similaire à celle des couples où l’un ne satisfait pas (en tout bien et en tout honneur) tous les besoins de l’autre. Mais entre tout et rien ou est la ligne qu’il conviendrait de dessiner ? Sans doute cela tient à la capacité d’accueil et d’ouverture mutuelle. Mais on ne peut pas rester là, c’est contraire à tout dynamisme missionnaire.

Car entériner l’état de fait, et par conséquent justifier une non-action d’un côté, et le besoin dynamique de la reconnaissance de l’autre, fait apparaître une faille dans le raisonnement et dans les présupposés qui le sous-tendent. 

Il est temps que l’on s’occupe de cette majorité silencieuse qui, à coup de semonces répétées de la part des autorités d’Église pour rappeler comment être un bon catholique (venir à la messe + la pratique éthique de la vie) ont pris la tangente à l’aide de l’absolution donnée par la société soutenue par l’acédie anesthésiante, qui sans pouvoir compter jusqu’à dix, plonge dans le doux sommeil de la bienveillance interhumaine. Pour absoudre définitivement les péchés qui, comme on apprend dans l’interview, n’en sont pas, et désormais dans cette logique, l’absolution est octroyée par l’autorité dans l’Église (pas encore de l’Église) qui fait preuve de clairvoyance en s’occupant de nos frères chrétiens. Et les arguments justifiant leur éloignement vont aussi être apportés sur le terrain théologique, on se référant à la tradition christique. De fait, si parmi ceux qui ont suivi Jésus on reste si peu, est-ce une référence pour y fonder un statut de no-churchgoers? En partie et en partie seulement. Car les déçus de l’enseignement de Jésus et donc de sa personne n’avaient pas le temps d’être déçu de l’institution d’Église. Cela demande des précisions, mais l’intuition est là.

Ces fidèles qui ne pratiquent pas, c’est un des sujets que j’aurais aimé traiter sous forme d’un livre, l’urgence de regarder sur la marge qui devient d’une largeur dix fois plus grande que la largeur prévue pour écrire, les proportions se sont inversées, et c’est embarrassant.

Quand on est embarrassé, en croyant bien faire pour résoudre vite le problème, on va aller dans les zones des à-peu-près pour s’en débarrasser. 

Tel n’est pas l’objectif de l’interview accordée par Valérie, et de son livre non plus, son positionnement et sa compréhension de la pratique, plutôt de la non pratique, en tant que phénomène, sonnent justes, elle présente les enjeux majeurs pour l’Église.

Cependant en s’attardant sur la non pratique, elle ne tire pas toutes les conclusions sur ce phénomène ; l’accueil des non pratiquants la messe de dimanche dans d’autres lieux que celui de la messe de dimanche, apparaît comme une nécessité, comme un défi que l’Église doit relever si elle veut rester missionnaire. 

En effet l’Église a trop longtemps considéré cela comme un épiphénomène, une sorte de produit dérivé, involontaire mais s’avérant pas moins réel de sa conduite des affaires religieuses, faisant la sourde oreille. Se lamentant à l’occasion, surtout auprès des ouailles qui parfois excédées de venir à l’église pour l’entendre ont préféré rejoindre l’immense foule de déçus. 

Comme depuis naguère et toujours pour les divorcés qui ne déchirent pas seulement l’union sacrée du couple marié à l’Église, mais portent atteinte à l’intégrité de l’engagement de corps à corps et celui de la progéniture, c’est seulement quand le phénomène ainsi décrit devient tellement gros en chiffre de statistiques comparées que l’on ne peut plus l’ignorer, que l’on s’en aperçoit.

Et quand la quantité provoque le changement de qualité, c’est la réponse positive que semble porter non sans raison l’écrivaine.

Reconnaître leur spécificité et trouver des solutions pour leur offrir une place dans l’Église dont la légitimité ne serait plus à remettre en cause, est en effet un impératif si l’on veut chercher ceux qui se laissent trouver. Le faire au plus vite et le plus simplement, c’est tentant, mais, mise à part son efficacité immédiate, acceptation de la part de ceux que l’on a un peu trop caressé dans le sens du poil, n’arrangeait pas les choses. Oui d’abord l’accueil avec l’acceptation de leur situation, c’est indispensable, montrer un chemin (éventuel) de progression, cela dépendra d’eux-mêmes. Jamais peine perdue.

La directrice du cycle croire et comprendre au Centre Sèvres (faculté jésuite de Paris, que j’ai fréquenté et apprécié, car ils m’ont permis d’ouvrir les yeux sur l’existence de tant d’angles morts de la théologie et de la vie en somme) fait une présentation de la situation de pratiquants occasionnels que j’assimile au non churchgoers en appliquant la technique d’arrêt sur image.

C’est sûrement la seule technique fiable pour bien voir ce qu’il y a en détails, car rien de plus dérangeant que l’image qui bouge sans cesse, ce qui trouble le bon usage du référentiel.

Durant des études en sociologie (des religions) on m’a appris que pour observer un phénomène, il faut d’abord l’arrêter, du point de vue méthodologique bien entendu, car le phénomène vit sa vie observée, modélisation et analyse ne change rien à sa vie, tout au moins dans l’immédiat car à long terme elle peut se laisser influencer. 

C’est louable de leur conférer une valeur en soi et personne ne peut le nier, si l’on prend au sérieux la réalité telle quelle, mais entre décrire et alerter, c’est une chose, contextualiser en est une autre. 

Et si contextualisation il y a, elle est toujours faite pour mettre en valeur par contrastes les uns en leur donnant le droit à la parole, et donc demander de se taire aux autres qui, eux sont des loyaux serviteurs non seulement de leur foi, mais surtout de l’institution qui a besoin des intentions de messes pour survivre, car le denier de l’Église ne suffit pas.  

 

Dans cette approche, les uns comme les autres sont condamnés à l’immobilisme, les uns pour être bon, car du bon côté et les autres sur le versant inverse. 

Et constater que les fidèles se réfèrent exclusivement au baptême, (est-ce le baptême au nom du Christ et de son évangile, ou au nom de la Trinité comme on le revendique dans le catholicisme ?), c’est à la fois insuffisant, car cela ne prend pas en compte comment on participe à la croissance de ce corps du Christ qu’est l’Église. Et plus grave encore, cela ne donne aucune perspective d’évolution mentionnée à la nature et situation de non churchgoers.

Certes on peut participer à une telle croissance à distance et cela se pratique de plus en plus à l’heure de moyens de communications permettant le télétravail et à l’aide de l’intelligence artificielle qui accélère le processus de la transformation de la matière, et à l’aide de la matière grise, ou on transforme des idées et visions, inexistantes ou obscures en celles que l’on va revendiquer au nom de l’utilité et à qui on rend le droit de cité. Venir à Noël, à Pâques (pour honorer quel besoin, il faudrait des études détaillées sur ce sujet qui existent sans doute, mais dont je n’ai pas connaissance), c’est venir comme le 15 août (aussi) en pèlerinage pour se ressourcer, surtout si l’on n’est pas parti en vacances ou visiter la famille et que là, il n’y a pas de messe, ou on n’a pas cherché…

C’est un besoin très louable et tous les sanctuaires diffusent les odeurs de bougies et de soupirs de soulagement venant des confessionnaux.

Le vrai enjeu de churchgoers, ou pas, c’est comment se sentir en communion, comment être ce corps du Christ qui se donne à voir par les yeux de la foi et qui se donne à apprécier au goût bien particulier de ce vin consacré. 

On identifie des churchgoers dans les réunions familiales ou entre amis, rarement dans les associations y compris à caractère politique, pratiquement jamais (tout au moins en France) sur le lieu de travail. Ce qui résulte des échanges à leur sujet souvent n’est pas très glorieux, l’oreille attentive à l’autre sans l’écraser, pas plus que se laisser faire, ne trouvant pas d’audience, les churchgoers s’écrasent devant le vacarme dont les verbiages assaisonnés de quelques blagues et autres piques bien visées n’ont de fonction que celle de défouloir et d’écran fumigène.

 

Si l’on poussait le raisonnement de Valérie jusqu’au bout, tout en sachant que telle sans doute n’est pas son intention, tôt ou tard on arriverait à la situation absurde, où quelques moines bien formés et surtout bien dévoués seront là pour interpréter les oracles des temples auxquels se rendraient parfois des “fidèles”.

Ce qu’elle ne mentionne pas, je suis certain qu’elle le voit, c’est que l’état de fait qu’elle décrit n’est qu’un arrêt sur image, visualisant la situation passagère, par ailleurs en constante évolution (vers l’éloignement de plus en plus fort !).

L’évolution de décrochage de l’institution et donc de la messe pour se résorber dans le magma parfois un peu boueux de la culture ambiante est bien en marche.

 

L’accueil inconditionnel de tous est la marque chrétienne.

 

Alors que la règle de trois est facilement constatable : les grands parents pratiquants, les enfants Noël Pâques, et les petits enfants le mariage ou les funérailles, avant la sépulture du dernier mohican de l’aventure chrétienne dans le village gaulois aux dimensions planétaires. 

 

Joyeuses fêtes de Pâques !

 

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Valérie Le Chevalier, directrice du cycle Croire et comprendre au Centre Sèvres (Facultés jésuites de Paris), auteur de Ces fidèles qui ne pratiquent pas assez (Lessius) . Propos recueillis par Sophie de Villeneuve dans l’émission Mille questions à la foi sur Radio Notre-Dame., 

Sophie de Villeneuve : Peut-on dire que les personnes que l’on voit rarement à l’église sont des « fidèles » ?

Valérie Le Chevalier : Oui, car selon le droit canonique, un baptisé est un fidèle. C’est le baptême qui confère l’appartenance au corps du Christ. Cette fidélité est à entendre au sens latin de « foi ». Les personnes qui pratiquent peu sont donc des fidèles du point de vue juridique. Peut-on dire qu’elles sont « croyantes » ? C’est une mauvaise question, car elle n’est posée que par les pratiquants : ceux qui ne sont pas avec nous ont-ils vraiment la foi ? Nous nous portons en juges, mais nous aimerions bien savoir ce qu’est la vraie foi. Être pratiquant n’est pas une garantie d’avoir la foi, et quand nous posons la questions à ceux qui viennent peu à la messe, ils ne font pas le lien. Ils ont un rapport à la messe qui peut être très croyant.

 

Que voulez-vous dire ?

V. L. C. : Pour eux, la messe de Noël ou celle des Rameaux vaut pour toutes les autres. Ils ne pèsent pas leur foi au nombre d’hosties consommées dans l’année, ni au nombre d’heures passées à la messe. Quand on leur donne la parole, ils associent leur foi à Dieu, à Jésus ou à Marie. Mais surtout, leur critère pour parler de la foi est leur pratique humaine.

 

En quoi cela consiste-t-il ? En quoi croient-ils au juste ?

V. L. C. : Ils croient en l’amour, ils croient en l’Évangile. Lorsqu’on leur donne la parole, qu’on les écoute, et si l’on est patient car ils n’ont pas le vocabulaire que nous attendons, ils parlent de Jésus, de figures importantes qu’ils ont rencontrées dans leur jeunesse, un prêtre, une grand-mère, et de la cohérence de vie. Ils sont en accord avec les valeurs de l’Évangile.

 

Sont-ils aussi en accord avec ce que dit l’Église ?

V. L. C. : Ce que dit l’Église leur pose les mêmes problèmes qu’aux pratiquants, notamment sur les questions de discernement affectif. Ils ont les mêmes problèmes et les mêmes compétences que les pratiquants, qui ne sont guère eux-mêmes formés à ces questions. C’est l’Évangile ou les grandes figures qui comptent pour eux, ceux que le pape François appelle les saints de la porte d’à côté, qui sont exemplaires à leurs yeux et qui ressemblent à ceux qui gravitent autour de Jésus. Ils parlent de l’Abbé Pierre ou de Sœur Emmanuelle…Ceux qui sont identifiés comme des pratiquants peuvent aussi être des modèles. La question ne concerne pas uniquement les pasteurs. La responsabilité de la cohérence du christianisme repose sur les épaules de chacun.

 

Faudrait-il donc cesser de se désoler de voir nos églises vides le dimanche matin ?

V. L. C. : Jésus n’a appelé que douze apôtres, et il leur a demandé de faire le geste du partage du pain « pour la multitude ». Il n’a jamais demandé que le dernier repas devienne une multiplication des pains. Il est de la responsabilité de ceux qui pratiquent de célébrer l’eucharistie pour la multitude, et qu’elle devienne un lieu où quelques pratiquants portent le monde, comme l’ont fait les apôtres.

 

Est-ce à dire que nos aïeux, qui pratiquaient beaucoup, n’étaient pas pour autant de vrais fidèles, ou plutôt de vrais disciples ?

V. L. C. : Quand je pense à mes grands-parents, il me semble qu’ils baignaient dans un catholicisme de fait. Mon grand-père ne pouvait pas passer devant une statue de la Vierge sans lever son chapeau. Ni passer devant une église sans entrer allumer un cierge et réciter un Je vous salue Marie. Je pense pourtant qu’il ne connaissait pas son catéchisme. Il allait à la messe tous les dimanches, mais il n’était pas un disciple au sens où on l’entend aujourd’hui, en termes d’engagement ecclésial.

 

Ceux qui continuent à pratiquer ne représentent-ils plus qu’un petit rocher perdu dans la mer ?

V. L. C. : Je pense que c’est une bonne nouvelle d’en prendre conscience, car cela resitue notre responsabilité de disciples ou d’apôtres en nous rappelant que Jésus renvoie la plupart des gens qu’il rencontre chez eux, et qu’il appelle très peu de gens à le suivre dans le groupe des disciples. Nous avons la responsabilité de porter le monde dans l’eucharistie et dans notre prière. Si le nombre avait de l’importance, Jésus aurait appelé tout le monde à le suivre.

 

C’est une idée plutôt consolante. Cela implique-t-il une pastorale nouvelle pour les prêtres ou pour ceux qui accueillent les demandes de mariage, de funérailles ou de baptême venant de personnes qui ne pratiquent pas ?

V. L. C. : Ne pas pratiquer du point de vue cultuel n’est pas une maladie ni un péché. Les laïcs n’ont pas vocation à être pratiquants. Le droit canon est très clair : c’est par le baptême que l’on est participant de la mission du Christ. Il nous faut changer de regard et adopter le point de vue de Jésus de Nazareth, qui considère les personnes telles qu’elles sont là où elles en sont, et qui leur donne mission ou qui les envoie témoigner de la Bonne nouvelle là où elles sont, la plupart du temps dans leur quotidien. Après la multiplication des pains, Jésus renvoie les foules chez elles. La vie quotidienne est le premier lieu de l’annonce de la Bonne nouvelle.

 

Si 53 % des Français se disent catholiques, cela veut-il dire que 53 % des Français sont des « fidèles » catholiques ?

V. L. C. : Oui, ou alors il faudrait les débaptiser ! Encore faudrait-il pouvoir leur donner la parole. Qui dans les familles ose aborder ces questions ? Au cours d’un repas familial, on parle rarement de religion ou de politique. On devrait oser demander, sans préjugé : « Raconte-moi comment tu vis ton baptême ».

 

Écoutons donc davantage les fidèles qui ne pratiquent pas assez, ou qui ne pratiquent même pas du tout !

V. L. C. : L’important n’est pas là. Leur pratique peut être très liturgique, très eucharistique, mais pas forcément là où on le pense.