Depuis que cela dure, la covid-19 nous tenaille tant, elle nous presse et nous oppresse, elle ne lâche pas ses mâchoires prêtes à nous mordre pour nous faire tomber et chuter une existence que nous croyions naguère plutôt tranquille, même si nous n’étions pas vraiment dans l’opulence, il nous semblait que la vie était plutôt belle. Nous étions des participants moyens, bien dans la norme de ce que l’on appelle la société de consommation. 

C’était même jouissif de pouvoir se parer de tels signes distinctifs, mais qui, à force de nous conformer à la moyenne, finissaient par ne plus jouer ce rôle d’appât pour être quelqu’un, pas comme les autres. Et lutter contre une morosité ambiante alimentée par un tel constat voulait dire cesser d’être blasé. 

Deux possibilités pour y remédier, aller voir ailleurs et autrement, ou alors continuer sur la même lancée, dans le style d’une compétition à qui mieux mieux par plus plus. S’en sortir par le haut que l’on s’est fixé suivant la leçon bien apprise, résumée par le fameux, “on ne lâche rien”, ce qui est le propre de tous les prédateurs. Eux aussi apprennent parfois à leurs dépens que lâcher par dépit c’est se préparer à mieux mordre la fois suivante. Tel n’est pas le destin de l’homme, ou alors il ne l’est plus.

Consommer sans problème, sans modération ou sans contrepartie. Souvent on le fait pour une des deux raisons suivantes. 

Accoudé au comptoir de la vie on consomme sans modération, sans y voir un quelconque problème et encore moins se poser la question qu’est-ce que cela produit comme effet sur moi-même et mon environnement. Tout semble pouvoir continuer comme avant, parce que comme toujours, tant que les problèmes n’apparaissent pas pour devoir mettre la pédale douce sur la manière de considérer la vie, pour devoir mettre chacun un peu d’eau dans son vin de telles envies.

Les limites qui s’imposent sont d’abord celles de la santé personnelle, puis sociétale. Santé, mens sana in corpore sano, bon équilibre entre les différentes parties de moi-même comme individu, cela produit le sentiment de bien-être auquel nous tenant tant. 

Si on est plus sensible au premier, le second n’est pas moins ravageur, en partie parce que plus étalé dans le temps et moins palpable à la première auscultation, souvent un peu sommaire. Vous avez mal au foie ou aux bronches, cela vous invalide rapidement, il faut réagir.

Or pour la santé publique c’est plus diffus, vous avez mal à l’estomac, on attend le diagnostic au prochain J 20 pour savoir si c’est parce que vous avez faim ou parce que vous avez mangé trop de cerises.

Dans une société moderne on s’est habitué à consommer sans contrepartie. Et si consommer c’est vivre, donc on s’est habitué à vivre sans contrepartie. Ce n’est pas tout à fait exact, car nous sommes persuadés d’avoir le droit de consommer en contrepartie de nos efforts. Stress au travail, tensions en famille, des exigences partout et si peu de récompense. Ça c’est pour notre régulation personnelle, or on nous demande plus et les nouvelles générations y concèdent plus facilement, tout au moins de ce côté-là.

Mais sans contrepartie au sens global des effets que la consommation entraîne n’est pas synonyme de sans conséquences. Celles-ci peuvent aller dans deux directions différentes. 

Soit de telles dettes contractées aux banques, à la nature, à la sueur du front contractées par la progéniture auprès de leurs aïeux sont repoussés sur les autres. Ces autres, un peu impersonnels sont supposés d’être de généreux effaceurs de dettes contractées par des générations précédentes. Par exemple la dette de la Duomo de Florence a été honorée dans sa totalité seulement au XIX siècle, mais les créanciers souvent sont très patients.

Soit de telles dettes sont mises, avec les complicités collectives consentantes, dans les oubliettes de l’histoire. Ces cachots presque douillets de la mémoire où à coup d’anesthésie ciblée on peut continuer à vivre sans, surtout sans remords qui sont mauvais pour la santé au ressenti du corps, santé immédiate.

Mais dans les deux cas la dette est contractée et quelqu’un plus tard devra la payer. On se souvient de ce film japonais sur le fils qui n’avait pas payé les dettes contractées lors du mariage de ses parents. Une situation qui corse le paysage de la justice ainsi exercée, ce qui dans la culture asiatique de relations aux personnes et aux choses (et non seulement en Asie) est fortement marquée par le principe de rétribution. Culture qui souvent est assimilable au principe de sanction, comme dans le permis à points.

Ainsi est nourri notre inconscient qui à coup de surchauffe du corps suivie de la sueur de notre front fait expulser à des occasions propices les plus toxiques de ces produits. 

Consommer sans modération c’est dangereux, mais limité dans le temps à l’échelle d’une vie. Consommer sans contrepartie semble asymptomatique pour longtemps. On peut s’y installer sans réaliser que c’est tout aussi dangereux que consommer sans modération et souvent c’est la même chose.

La pandémie nous met en garde devant les deux. Sur le terrain religieux, cela peut se traduire par deux phénomènes concomitants.

D’un côté on va augmenter le régime de prière, intensifier l’envie de convaincre Dieu de devoir l’arrêter. Cela se traduirait par le rallongement de la durée d’un chapelet par jour où on passe à deux voire trois par jour. Sans pour autant changer notre manière de prier qui se rapproche plus du fait de rabâcher que d’implorer Dieu d’avoir pitié de nous, pauvres pécheurs.

De l’autre pour les gens qui, tout aussi vertueux que les premiers et peut-être étant parfois les mêmes, vont s’habituer à consommer sans modération de la messe à la télé, même après l’autorisation de messes publiques. Ce n’est qu’un exemple dans le domaine d’une vie spirituelle, communautaire. Car l’individualisme est aussi présent dans la sphère religieuse vu comme un bien de consommation massive à laquelle on consent en toute innocence à la faveur de l’inconscience des enjeux pour la foi chrétienne.

 

Dans les deux cas on est dans une zone de confort qui a valeur de refuge contre les dangers sentis et réels. C’est une bulle de plus en plus solide (je sais que je suis dans le vrai!) et opaque (vous ne pouvez pas comprendre!) dans laquelle on s’installe et finit par s’y enfermer. Le réflexe de survie est légitime dans les situations de danger imminent pour l’existence elle même. Mais il n’est pas bon pour l’homme que le danger prenne les commandes de notre vie ordinaire qui une fois sortie de la zone de danger ressenti comme imminent, se prolonge dans une vie de plus en plus ordinaire.

La sortie progressive du confinement s’accompagne d’un retour à la normale, pour ce qui est de la liberté de mouvement, mais en laissant de traces durables sur le comportement appris.

Ne pas se poser la question de savoir comment cela nous a formaté, c’est continuer de vouloir se servir du cerveau reptilien qui n’est pas fait pour cela, l’outil n’étant pas adapté à la situation donnée.

La contrepartie du confort du canapé est la mollesse et l’acédie, mais c’est pour une autre fois.