Et pourtant, ça change tout.

 

Père Matthieu, pas celui de mon récent podcast (quoique ?) a écrit un livre publié sous ce titre (Flammarion 2022). Le livre est très instructif sur la situation actuelle de la foi chrétienne chez les jeunes générations en France. Il puise des indications de son compte YouTube (plus d’un million d’abonnés) intitulé Parlons peu, parlons Dieu.

 

Le livre aborde la foi chrétienne et son utilité par le biais du bonheur auquel on aspire tous.

Aimer mieux, souffrir moins, en quoi l’exemple de Jésus peut-il être une source où puiser une réponse satisfaisante ?

 

Parlons peu, parlons Dieu et de son inutilité apparente. Et si tout est pris par le biais de l’utilité, celle-ci peut effectivement paraître bien maigre. D’où le jeûne voire l’abstinence pratiquement totale de la nourriture fournie par la religion, dont on ne veut plus se nourrir, situation dans laquelle se mettent tant de chrétiens pour en devenir au mieux des post-chrétiens …

 

Un tel carême toute l’année, et parfois un Vendredi Saint lorsque la célébration de la passion du Christ, -seul jour de l’année sans messe et normalement sans communion, signe de l’abstinence volontaire de la nourriture sacrée-, carême en termes d’abstinence de la nourriture qui maintiendrait en vie la foi, ne fait pas échapper à une expérience douloureuse dans la vie, où l’amour n’arrive pas à épargner la souffrance, pas plus que l’abandon ne fait échapper à la solitude. 

 

Jésus n’est pas ressuscité au milieu de la passion ni une fois sur la croix, aucune accélération du processus d’espérance en vue.

Malgré tant de suggestions de la part de ses contemporains jusqu’aux malheureux qui partagent son sort et qui en désespoir de cause y croient sans y croire mais lancent “sauve toi toi-même et nous avec”, tellement la plainte se confond avec le désespoir. 

 

Pour ce qui est de croire, c’est l’efficacité (immédiate) qui nous fait nous perdre dans le maquis des obligations quotidiennes, où il faut tout faire vite et bien pour exister (l’appréciation finale n’est pas forcément évidente), pour faire valoir notre droit au soleil, sur la couche et sur le compte bancaire. 

 

On le sait, tout de même on ne va pas se prendre la tête, on verra plus tard, quand j’aurai le temps, s’il m’en reste, sinon pas grave, la vie peut être belle sans, la preuve, on va plus facilement à une soirée de divertissement qu’à une cérémonie religieuse, dont les odeurs d’encens et la clarté douteuse des bougies font plonger dans une mélancolie qui ne semble pas à sa place; si c’est pourtant le lieu, ce n’est certainement pas le temps pour vivre une telle mélancolie dérangeante, ce n’est pas le bon moment, trop de choses sont contrariées, et s’il le faut vraiment, que l’on ne s’attarde pas trop sur les paroles édifiantes et lénifiantes.

 

Du côté des meneurs religieux, on va donc s’évertuer à faire en sorte que les cérémonies religieuses ressemblent tout au moins un peu à des spectacles divertissants, la peur d’être soporifique et repoussant en est le moteur, tellement le décalage entre l’offre et la demande devient criant.

 

L’exigence de l’efficacité immédiate y est aussi inscrite dans le cahier des charges, personne n’y échappe, pourvoyeurs du religieux y compris, bien malin celui qui critique ses compères, parfois avec l’effet de miroir, tout au moins cela lui sert à améliorer son efficacité. 

 

Le temps de souffler et se sentir bien, de détendre les nerfs et les muscles, se vider la tête et la laisser se remplir de quelque chose qui évitera que la machine tourne à vide, ce que l’on n’aime pas, pas du tout, la tête doit toujours être remplie le mieux possible, de tout et n’importe quoi, à la limite, peu importe, pourvu qu’elle ne souffre pas des maux, et nous avec. Et l’efficacité est préservée.

 

Et il n’y a pas de mal à cela, il n’y a pas de mal à ce que nous tirions quelque chose de positif de toute rencontre, si le but est de nous laisser transformer. Mais c’est un présupposé bien louable dont l’efficacité, -au moins ici légitimement attendue, car la progression même à reculons et même en reculant-, est le propre de la destinée humaine sertie et certifiée par la foi.

 

Ce que les remplissages à ras bord ne permettent pas, faute d’espace pour effectuer de libres échanges entre les informations de quelque nature que ce soit ; la créativité est étouffée, la récréation n’est qu’une mise en sécurité de ce qui est acquis par le salaire déjà obtenu ou celui prochainement espéré. 

 

Et le problème continue avec l’emprise exclusive du dictat d’efficacité, quand on ne voit pas plus loin que le bout de son nez et qui nous mène sur de tels déserts. On ne voit plus les déserts des autres, pas plus que les nôtres. Même s’ils ne sont pas de même nature, les déserts du manque, ou du trop plein, finalement se rejoignent.

 

C’est ce qu’expérimentent aussi ceux qui se considèrent victimes du gavage religieux pour faire grandir leur foi, ce qui a causé la maldigestion et finalement conduit à la cirrhose de cet autre organe dont le fonctionnement obéit à une physiologie céleste.

 

Si nous comptons parmi ceux-ci, nous resterons tout de même attachés à ce quelque chose de Tennessee que nous avons tous en commun (“Nous avons tous quelque chose de Tennessee” comme le chante si bien Johnny). 

 

Nous y resterons sans y croire vraiment, mais consommer la rupture par le divorce entre ceux qui sont devenus irréconciliables, se profile à l’horizon, sans savoir que l’organe qui est chargé de la digestion de l’espérance de l’ambition chrétienne ne fonctionne plus très bien ou pas du tout. Nous y restons mais pas pour bien longtemps. Et parfois nous y revenons portés sur le lit moribond pour quémander la paix et le rebond. 

 

Renoncer à l’ambition chrétienne d’espérance, sans le savoir, sans plus savoir de quoi il était question, c’est souvent le signe précurseur de la rupture définitive. Certes, on va encore soutenir des activités caritatives au sein desquelles la récompense est immédiate : action/émotion/satisfaction, ou à défaut de cette dernière tout au moins le soulagement, car accomplies dans l’esprit de gratuité chrétienne, certes sans trop s’y référer, tellement la vraie humanité fécondée par la rencontre persiste et signe le meilleur d’elle-même. Il y a une gratitude pour ce que l’on peut encore faire et donc pour exister.

 

Et dans le passager plus ou moins clandestin d’un tel voyage terrestre, grandit alors la conviction selon laquelle la religion ne sert à rien. La preuve (grandissante) en est la désertification des églises, physique, corporelle, et pécuniaire. 

 

Il vaut mieux soutenir des activités de bienfaisance qu’un culte dont les contours occultes ne sont pas une belle publicité pour une institution qui réclame des moyens pour faire tourner la boutique, cela ne génère pas le sentiment d’efficacité attendue par les promoteurs et donc investisseurs, cela génère même une sorte de répulsion, la boutique produisant des malfaçons et au mieux des gadgets. Qu’ils amusent d’autres, chacun sa naïveté, mais pas moi !

 

Les bénéficiaires financiers que sont les évêques, les prêtres et le personnel rémunéré, jusqu’à récemment, se tenaient à distance en observant la futilité de l’argent que les autres gagnaient et partageaient, en attendant que celui-ci en sonnant et en trébuchant, tombe dans leurs escarcelles.

 

Actuellement, l’étau financier se resserre de plus en plus autour d’eux, cela les somme à prendre une part active dans les restrictions, et surtout d’avoir une nouvelle approche (plus responsable) de l’utilisation et de l’utilité matérielle. 

 

Et par cette nouvelle intimité avec laquelle ils sont désormais obligés de composer, ils se rapprochent de l’efficacité, qu’ils ne voyaient encore naguère que dans le domaine spirituel, ou alors ils la constataient chez leur cousins prêcheurs évangéliques, que Dieu les éclaire enfin que la religion ne doit pas servir à quelque chose d’immédiat, pas toujours et pas partout, et surtout pas à être la pompe à fric pour faire propulser des jets privés de la bonne parole, dont on ne sait plus très bien si elle élève ou plombe à terre.  

 

Loin de douter d’une telle évolution, leurs prédécesseurs jouissaient d’un statut de fonctionnaires, à vie! Oh! la douce tranquillité de l’emploi, même si cela n’attire pas plus que ça. Visiblement dans les critères de recrutement, ce facteur ne semble pas le premier sur la liste des désidératas de la part des futurs serviteurs de la cause religieuse.

 

Cette tranquillité, les successeurs actuels l’ont peu à peu perdue au gré des vicissitudes de l’histoire des relations entre l’Église et l’État, en France tout au moins. Ils se transforment en quémandeurs, comme les moines bouddhistes qui sortent tous les matins pour chercher de la nourriture pour la journée et louer la générosité dont ils sont redevables sous forme de méditation adossée à la maîtrise de soi, jusqu’à s’oublier au profit du néant. 

 

Tels des ouvriers journaliers embauchés aux taux incertains, suivant les fluctuations de la valeur de la monnaie de change, les employés à la vigne du Seigneur, à leur tour deviennent des rouages d’un système marginal mais significatif dans la transmission de la dynamique d’efficacité.

 

Et même la quête électronique qu’ils vont accepter de pratiquer sous la pression des régulations des donations qui n’échappent pas à l’identification de généreux donateurs, cela malgré eux les obligera à tenir de plus en plus compte des personnes devenant ainsi influentes, à moins qu’ils se tiennent volontairement, plutôt, qu’ils soient tenus à l’écart de tels registres.

 

Si les abus de pouvoir par l’argent chez les bénéficiaires peuvent avoir lieu, à ceci s’ajoutent ceux des donateurs. Heureusement en France tout au moins, cette mécanique d’efficacité (payeur décideur) n’est pas mise en place, pas encore !? 

 

Est-ce pour longtemps ? Ce qui permet d’en douter c’est le fait que quand la société française s’enrichissait durant les trente glorieuses et plus tard aussi, l’Église s’appauvrissait. Par son choix pour survivre avec le strict minimum. Et cela n’émeut plus personne, ni jadis, ni probablement demain, et encore moins aujourd’hui. 

 

En France aucun prêtre ne vit dans la précarité, loin s’en faut, les revenus directs sont référencés sur le SMIC, sans oublier certains avantages en termes d’habitat par exemple. 

 

Une douce amnésie dans laquelle sombrent ceux qui, hier encore, mettaient un point d’honneur à rappeler les excès dans l’usage des biens terrestres de la part des clercs d’avant la Révolution, les professionnels à plein temps. 

 

Cette belle innocence est parfois quelque peu titillée lorsque, au postulat de certains en faveur du mariage des prêtres, s’ajoute la question de la prise en charge de l’épouse et des enfants. Finalement on préfère ne pas trop s’y attarder, comme St Paul à Athènes, on s’entendra dire: nous t’écouterons une autre fois. 

 

Si croire ne sert à rien, ne sert plus à rien, c’est aussi à cause de la gestion moralisatrice taillée à la serpe. Il est assez impressionnant de voir que la gestion de la société par l’Église, avec sa prétention à l’exclusivité de ses lois dont on désirait qu’elles lient tout le monde, faisait peu de cas de certaines exceptions à la norme, ce dont il est question particulièrement à notre époque.

 

Pourquoi pas des exceptions, puisque Dieu aime (de la sorte) toutes ses créatures, l’évolution de la société va dans le sens de la libération du marquage chrétien, y compris sur le terrain des exceptions qui deviennent ainsi la norme. Se soumettre aux lois générales normatives n’est plus du goût de tout le monde, peut-être un jour ? 

 

Ce qui n’est pas du goût de tout le monde, c’est que l’Eglise s’immisce dans leurs affaires, et pourtant, piètre consolation, c’est encore une manière de reconnaître par opposition l’existence institutionnelle d’une telle vénérable organisation. 

 

Si Dieu aime tout le monde, pourquoi sa loi considère que les uns sont plus aimables et finalement plus justes que d’autres ? La réponse de la part de l’Eglise est qu’ils ne sont pas utiles à la société. 

 

Que ça plaise ou non, la loi de Moïse dans sa partie régulatrice de la société visait uniquement l’efficacité, la survie d’un peuple étant en jeu. La haute valeur attachée à la loi divine sanctionnant positivement de telles exceptions inacceptables fermait définitivement non pas le débat, mais la possibilité de s’interroger et d’interroger. 

 

Tous ces comportements moraux qui ne cadrent pas, dans le domaine sexuel surtout, étaient purement et simplement considérés comme déviants et passibles de la peine capitale.

 

Curieusement, cette insistance était un peu moindre dans le domaine de la justice sociale et ce malgré des appels répétés inlassablement par les prophètes. 

 

Si Dieu aime tous les mondes y compris les irrécupérables et condamnés par leur nature à demeurer dans cet état, la question du pape François : qui suis-je pour condamner, prend toute sa valeur, celle d’une interpellation du rapport entre la norme avec son efficacité et les situations qui ne cadrent pas. 

 

En me glissant dans une telle faille, je ne suis pas en train de faire l’apologie des tendances débridées pour remplacer la norme par des exceptions.  

 

La Bible montre le chemin naturel par lequel la grande majorité est concernée : homme et femme il les créa, et on sait pourquoi, pour qu’ils s’aiment et aiment les enfants et ainsi de suite.

 

J’attire seulement l’attention sur le fait que le droit à l’exception n’a finalement jamais été refusé de façon globale, mais admis comme un plus par lequel on saupoudre la dureté de la soumission à la norme.  

 

L’étranger, l’orphelin et la veuve pouvaient jouir en effet d’un tel privilège dans le peuple d’Israël, ce que les chrétiens ont intégré de façon plus précise en y ajoutant la défense de toute vie. 

 

Si on acceptait les différentes imperfections ou faiblesses dont la nature gratifie certains plus que d’autres, la différence normal-handicap, était réservée à des catégories bien définies. 

 

Même si l’on sait qu’il y a des handicaps qui sont plus invalidants que d’autres, et on le reconnaît, pourquoi on ne reconnaîtrait pas les différentes attractions sexuelles ?

 

Voilà à quoi sert de croire, voir ce que les autres ne voient pas, la dignité humaine qui dans son principe est un énorme progrès dans l’histoire de l’humanité. Et aussi ouvrir les yeux sur ce que les autres ont vu en premier et sur quoi ils attirent l’attention du croyant. Et le reconnaître humblement, j’ai été aveugle et maintenant je vois. Et je le dis en toute humilité.

 

Mais il ne suffit pas de voir, faut-il encore savoir nommer ce que l’on voit et comment Dieu s’y reconnaît ou pas.

 

Et nécessairement cela coûte non seulement en termes d’efforts accomplis pour vivre une telle metanoia, mais aussi en argent à dépenser pour soutenir institutionnellement de tels efforts.

 

Et en conviction à améliorer. La foi n’est pas loin, et l’amour aussi.