En rentrant en avril dernier de ma tournée des CCF d’Asie à Kuala Lumpur et Singapour je trouve un colis, un livre, rien d’étonnant, malgré l’usage prépondérant de kindle et autres supports électroniques pour lire et s’informer, le livre en papier avec une couverture en carton rigide, en prime, génère toujours en moi la même émotion, celle de l’accueil d’un cadeau qui contient plein de mystères dans lesquels on a envie de plonger.

 

Building Catholic Churches in Hong Kong, le titre du livre contient une information plutôt technique qui en principe n’intéresse que des architectes professionnels ou passionnément amoureux de l’organisation du vide délimité par l’assemblage de la pierre, du bois, du métal, soutenu par le béton et le verre.

 

Mais heureusement qu’il y a des sous-titres qui parfois font dépasser le premier découragement, bien respectueux du travail de recherche des années durant mené par un spécialiste.

 

Story of the laity and living faith, le sous-titre du livre, donne de la chair aux édifices, qui telles des lettres mortes d’un soupir céleste, qui reviennent à la vie, mieux, en sont habillées, la peau des bâtiments destinés au culte qui habille de vie et de lumière, communique comme toute membrane entre l’intérieur et l’extérieur vers l’intérieur et vers l’extérieur. 

 

Vivante et habillée de lumière, une telle construction est parfois translucide et permet de voir à l’intérieur ce que l’on ne peut pas voir de l’extérieur.

 

Même si l’on est attiré, si l’on n’y entre pas, on reste dehors (que l’on me pardonne ce pléonasme) et on est aussi dehors même si l’on y entre seulement dans le but d’admirer les vieilles pierres, comme si, voulant les encourager à persister dans leur dignité par notre bienveillance bien intéressée, on cherchait à glaner des grains à moudre pour nourrir notre curiosité et en déposer les effets dans la mémoire.

 

Les édifices sans rassemblements, sans services religieux restent muets et ceci en dépit de la parole de Jésus lui-même qui prévenait que si nous restons muets, les pierres crieront. 

 

La matière animée sous le coup de burin des tailleurs de pierre et le souffle des souffleurs de verre, n’a pas besoin de visiteurs pour communiquer sa nouvelle vie et sa nouvelle destinée.

 

Elle y demeure immuable, a-temporelle, elle affiche fièrement sa grandeur, même malmenée par le temps, même par terre, même dépecée voire dépiécée, concassée, transformée en miettes, détournée de sa destination première, réduite en esclavage pour servir servilement d’autres dieux et leurs destins, chacune de ses parties, même méconnaissables pour les yeux des visiteurs, gardera sa grandeur et sa dignité d’origine. 

 

Si les vivants se taisent, ce sont ces pierres qui crieront. Elles crieront la vie qui n’est plus, alors qu’elle y était encore naguère.

 

Ces pierres sous quelque forme que ce soit ne proviennent pas que des édifices religieux, elles proviennent de toutes les carrières d’où on extrait de la matière pour la transformer et en faire un allié, un fidèle compagnon du travail de l’esprit humain et de l’esprit divin qui ensemble, d’un accord tacite et re-conduisible à l’infini du temps qui passe, sont de mèche, à l’œuvre.

 

Faire un livre pour relater l’aventure de la foi au travers de la construction et la conservation, jusqu’à parfois la destruction, rien d’étonnant en soi. 

 

Après tout, les confréries maçonniques et d’autres sont nées comme produits dérivés sous forme d’arcs-boutants pour maintenir la construction grâce au soutien entre les humains.

 

Story of the laity entre un peu en résonance avec les constructeurs d’autrefois. Elle s’en démarque pourtant par le fait d’être placée non pas en appoint spécialisé pour s’en occuper en spécialiste heureux de partager le savoir pour soutenir une si noble cause, mais de l’intérieur de leur foi.

 

Certes, c’est ce qui se faisait dans le passé glorieux des bâtisseurs de cathédrales, qui étaient tous plus ou moins croyants. L’approche proposée par Ayako Fukushima de l’université de Kyushu est intéressante pour le monde contemporain, qui dans sa course à la modernité -qui est toujours à dépasser-, se met en retrait de ses aspirations spirituelles et qui ainsi réussi à séparer ce qui seulement dans la philosophie occidentale était possible de séparer, le corps de l’esprit.

 

Son livre est un témoignage d’un laïcat hongkongais actif, désireux de s’occuper de son Eglise en s’occupant des églises. En bon connaisseur de l’histoire religieuse de son pays, Ayako commence son livre par évoquer ces “Hidden Christians” des 17 et 18 siècles qui fuyant les persécutions sur Kyushu se sont réfugiés sur Goto Islands.

 

C’est à la faveur d’une levée des persécutions en 1873 sortant de la clandestinité qu’ils se sont construits des églises. La roue de la fortune tourne et dans leur cas, ce qui semblait définitif est devenu une, certes douloureuse, parenthèse dans leur histoire.

 

Quand, en région parisienne dans les années 60-70 du siècle passé, après la création des villes nouvelles, satellites autour de Paris, -alors que soviétiques et américains étaient déjà sur orbite de la terre et de la lune, sans exclure dompter un jour Mars et Vénus-, on s’est mis alors à créer des communautés chrétiennes d’abord, bâtiments en suite.

 

Malheur à ceux qui commençaient par les structures métalliques et charpentes pour abriter le saint sacrement, et pis encore pour abriter eux-mêmes, le souvenir des premiers chrétiens et de ceux du Japon était alors assez prégnant pour s’y conformer.

 

En visitant les communautés de Kuala Lumpur et de Singapour, j’ai pu voir aussi des églises bâtiments, et à force d’en absorber les images, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas que cela, dans le pays pourtant ayant l’islam pour religion d’état (Malaisie), ou veillant très précisément sur l’équilibre et la bonne entente entre les religions reconnues et donc autorisées à exister (Singapour).

 

Les peuples d’Asie sont généralement considérés par les autres comme spirituels, voire religieux. Si à Hong Kong le nombre de catholiques s’élève à plus de 600.000 et presque autant d’autres chrétiens, ce qui fait environ 15 %, au Japon ils ne sont que 434.000 ce qui fait 0,3% de la population.

 

Comme pour les communautés, pour les églises aussi l’influence des membres laïcs est considérable. C’est une influence à la fois inspirée par la foi elle-même et sa manière culturelle de l’incarner. 

 

C’est dans la culture ambiante qu’on prélève des éléments pour les agglomérer dans un package de la religion étayée par les convictions enracinées quelque part dans la foi.

 

Les spécialistes en architecture des lieux sacrés parlent alors de “pieux vandal”, terme par lequel ils décrivent la manière dont les laïcs s’occupent de leurs églises. Et ce n’est pas forcément négatif.

 

Je pense personnellement qu’il faudrait y inclure des professionnels de la religion, chefs de communauté qui ne sont pas en reste dans un sens ou l’autre, eux qui sont très souvent des bâtisseurs et considérés comme tels si toutefois ils parviennent à poser et maintenir la charpente pour abriter surtout “le saint sacrement” identifié dans l’existence de leurs ouailles pour les accompagner sur le chemin d’espérance.

 

Toutes les transformations des édifices religieux opérées à l’occasion des travaux de conservation, d’agrandissement ou autres adaptations n’ont pas d’effet négatif.

 

C’est juste une mise en garde par les professionnels de la beauté, comment rester fidèle à la beauté originelle des pierres ?  

 

Par analogie, la question renvoie à la fidélité aux dogmes : comme si on disait que les cahiers des charges définis par les dogmes devraient toujours demeurer dans les mêmes termes, sans aucun avenant contenant des précisions jugées utiles pour le temps donné.

 

L’organisation fondée pour la conservation de l’héritage culturel des églises construites au début du XXe siècle sur les Nouveaux Territoires et depuis abandonnées à cause de l’émigration massive à l’étranger ou l’émigration dans les villes de fraîchement convertis est un bon exemple de la belle collaboration entre les laïcs, la hiérarchie et les historiens universitaires de la Chinese New University. 

 

Les initiatives visant à récolter des fonds sont accompagnées d’évènements à caractère religieux. 

 

Plusieurs prêtres organisent des pèlerinages sur les traces des missionnaires, comme celles de saint Joseph Freinademetz (1852-1908) patron des missions qui a vécu à Hong Kong et qui a écrit un livre sur l’amour de Dieu, de la famille et de la patrie. Ces pèlerinages sont organisés pour revitaliser ces lieux de prière en action de grâce pour le passé et demandant protection pour l’avenir. 

 

Dans la CCFHK, à l’initiative d’une française depuis plusieurs années, je me joins au projet et à la réalisation du pèlerinage dans une de ces chapelles organisés à l’occasion de la fête patronale de la cathédrale de Hong Kong Immaculée Conception durant le weekend le plus proche du 8 décembre. 

 

Parfois la météo nous gratifie d’un temps clément, parfois un peu moins, le vent et le froid n’arrête pas un tel pèlerinage, même si la pluie peut gravement perturber son déroulement, voire remettre en cause son existence.

 

Mais quelle joie de vivre une expérience de mixité entre les catholiques hongkongais et étrangers. 

 

Quelle joie de voir certains vivre pour la première fois de leur vie une veillée sur la plage autour d’un feu 🔥 avec un prestidigitateur qui jongle avec les torches enflammées, puis chanter en attirant des curieux, comme l’autre fois le groupe de jeunes allemands que la bière n’avait pas épargné de ses effets, mais qui a rendu ardent le désir de chanter ensemble. 

 

Ou passer la nuit sous la tente et se réveiller avec le soleil qui dans la journée nous gratifie lui aussi, de sa générosité. 

 

Comme les Hébreux au désert, le peuple chrétien faisant l’expérience d’une précarité liée à la vie nomade, se rend solidaire de toute humanité qui, tout en voulant s’établir définitivement sur la terre, se rend compte que la sédentarisation n’est que très temporaire et fragile dans ses fondations. 

 

D’une fragilité à l’autre, toute expérience de l’amour de la vie au nom de la terre et pour certains aussi au nom du ciel est recueillie sous les voûtes des églises qui contiennent plus qu’elles n’abritent la joie de vivre alimentée par l’espérance dont ses membres ne sont jamais déçus. 

 

La récente visite à Pékin de l’évêque de Hong Kong s’inscrit sans doute dans cette ligne de conduite pour savoir comment les édifices religieux bien visibles sont l’expression de la vitalité des communautés qui s’y rassemblent pour célébrer l’espérance chrétienne.

 

Pas pour se mettre à l’abri des nuisances sonores extérieures que toute société moderne produit. Mais pour être utile à la société et en toute chose plaire à Dieu. La conscience de chaque membre concourt à la densité et à la solidité de la communauté identifiée sous le toit d’une église. 

 

Invité par l’évêque de Pékin, reconnue par le Vatican, qui est aussi président de l’association patriotique, laquelle n’est pas reconnue par le Vatican, (et sa fonction non plus), le nouvel évêque de Hong Kong s’engage sur la voie de la réconciliation, si le mot est trop fort, il faudrait employer le terme de reprise de contacts. 

 

En effet, la dernière visite d’un évêque de Hong Kong à Pékin a eu lieu en 1985 effectuée par le cardinal Wu, qui s’y rend aussi en 1986 et en 1996 le troisième évêque chinois de l’ancienne colonie britannique, fondateur du centre de Saint esprit pour venir en aide à l’église en Chine. 

 

Mgr Stephen Chow, avant sa nomination Provincial des jésuites en Chine, diplômé de psychologie aux États-Unis, fin connaisseur de l’accompagnement spirituel (la marque de fabrique de la compagnie de Jésus) se veut être un pont entre Hong Kong et Mainland. 

 

Tout en précisant, comme il le fera lors de la messe à la cathédrale de Pékin, que l’unité ne veut pas dire l’uniformité, ce qui dans le langage diplomatique pourrait s’apparenter à une précision à toutes fins utiles.

 

Bien que réel, ce pont demeure fragile, non pas par le manque de solidarité qui serait dû à une faible caution d’amour pour la patrie ou pour le Dieu des chrétiens, ni à cause d’un éventuel conflit entre les deux.

 

On peut faire confiance à l’évêque, tout comme à ses interlocuteurs, de savoir comment s’inscrit dans le dessein divin l’amour de ces deux patries ; comme une double nationalité qui est autorisée sous certaines conditions même dans les pays qui exigent de renoncer à l’une ou l’autre, ce qui est le cas de la Chine, où certains sportifs de haut niveau peuvent jouir d’une telle exemption, même quand l’autre passeport est américain.

 

La fragilité de ce pont est due à la météo ambiante et l’utilité toute relative, la religion chrétienne étant considérée comme un vestige d’un passé colonial et de la mainmise étrangère par des velléités à caractère impérial, dont on fait ce que l’on peut, ce que l’on veut. 

 

Derrière cette fragilité du pont se profile la question de la sinisation de la religion étrangère à la culture locale, ce qui s’est passé avec le bouddhisme qui a finalement été accueilli en adoption plénière pour faire partie intégrale d’un passé glorieux et d’un présent dont dépend l’avenir. 

 

C’est plutôt d’un ponton dont il est question que d’un pont définitif. Les récentes difficultés relationnelles entre le Vatican et la République populaire de Chine provoquées par une annonce de la nomination d’un nouvel évêque de Shanghai, alertent. 

 

L’annonce de la décision quelques jours avant son installation, peu appréciée par le Vatican, n’aurait pas provoqué un tel tollé, si les termes secrets de l’accord provisoire signé en septembre 2018 et reconduits depuis ne prévoyaient une telle manière de procéder. 

 

C’est une pure spéculation qui n’a pas d’autres intérêts que de faire écho à ce que les médias occidentaux ont relaté pour compléter le tableau dont est composé l’arrière-fond de ces relations, mais entre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas, la pauvre vérité attend son tour. C’est un jeu bien normal dans la mesure où on ne voit pas comment procéder autrement.

 

Mais ces choses-là nous échappent, nous ne disposons pas de tous les éléments pour en acquérir des compétences en la matière, chacun son travail. 

 

Le nouvel évêque de Hong Kong, soucieux du pont entre son diocèse et celui de Pékin a déjà fort à faire pour construire des ponts entre les fractions de son clergé et ses ouailles divisées sur la manière d’envisager ces deux amours. 

 

Rien n’est évident pour une barque de saint Pierre qui vogue sur les magnifiques cascades de l’Empire du milieu. 

 

Chacun son centre et l’image d’une ellipse peut aider à envisager, comme l’a fait le Concile Vatican 2 pour la relation entre l’Église et le monde, l’autonomie de chaque centre et leur coexistence pacifique et bénéfique pour faire croître le bonheur sur la base des aspirations humaines et celle du bien commun.

 

Vouloir faire totalement coïncider les deux points au même endroit, comme sur un Google Map, c’est toujours possible, et c’est même utile et efficace seulement pour le rendez-vous de l’histoire qui porte des germes d’une unité solide, durable, respectueuse. 

 

Mais comme le dit un proverbe chinois : « Un moment de patience peut préserver de grands malheurs, un accès d’impatience peut détruire toute une vie. »

Photo : ©TVB via AP