Le dernier jour de l’année 2022 le pape émérite Benoît XVI vient de rendre l’âme à Dieu. C’est une manière parmi d’autres pour dire qu’il est mort. Le pape est mort, vive le pape ! Sauf que cette fois-ci le suivant est déjà là et bien là, depuis bien des années. 

 

Depuis le renoncement du pape Benoit a la charge du pontife suprême de l’Église catholique et par la même en tant qu’évêque de Rome, l’histoire de l’Église catholique s’est enrichie d’une situation inédite depuis 6 siècles, et même les autres abdications n’avaient rien à voir avec la situation provoquée par la décision de Benoît XVI. 

 

Alors que je me préparais à la messe de ce samedi 31 décembre pour célébrer en présence de quelques dizaines de rescapés des vacances de Noël et de Nouvel An, c’est alors que le prêtre qui venait pour concélébrer avec moi m’a annoncé la nouvelle. 

 

Dans l’introduction de la messe je l’ai fait savoir, mais j’avais l’impression que pratiquement tout le monde était déjà au courant. Souligner que nous sommes en train de vivre un moment historique, m’a fait alors penser, et ce que je partage immédiatement avec les fidèles, à l’annonce de la mort de Jean XXIII en juin 1963.

 

Nous étions en train de processionner autour de l’église, comme il est de coutume de le faire en Pologne durant l’Octave de la Pentecôte. La sœur du curé qui habitait au presbytère avec une autre sœur et un frère handicapé, tous célibataires, était accouru devant l’entrée de l’église pour partager la triste nouvelle.

 

Du haut de mes huit ans, j’ai été frappé par cette nouvelle prenant subitement conscience que quelque chose d’important pour la paroisse avait lieu. A cette occasion, j’ai aussi pris conscience du lien entre ce que nous vivions en Pologne dans la paroisse et une réalité en dehors du pays dont je devinais l’existence. 

 

Rome était très loin et le rideau de fer, telle une immense porte blindée, ne laissait apparaître rien du dehors. La mort de Jean XXIII était un élément déclencheur d’une conscience qu’en dehors de la Pologne il y avait de la vie qui pouvait me concerner.

 

La vie à travers l’annonce de la mort, donc avec ses limites. Il m’a fallu du temps pour mettre des mots justes sur cette équation qui se dessinait entre la vie, la mort, la résurrection et l’Église comme l’institution qui a quelque chose de pertinent à dire, et à ce titre à célébrer.  

 

Combien de papes avons-nous “connus” depuis notre naissance ? Cela sonne un peu comme la question de Staline sur combien de divisions le pape dispose-t-il ? Si je fais ce rapprochement bien limité, c’est pour souligner que tout comme d’autres engrangent de la puissance pour “épater” le monde (quel monde et à quel prix ?!), que notre vie s’enrichit et la rend de plus en plus forte par tant d’événements qui de près nous concernent.  

 

Même la mort d’un pape, ce qui ne comporte pas de charge émotionnelle particulière pour l’enfant que j’étais, juste une participation à l’événement qui sans aucun doute ne concerne pas seulement les adultes. 

 

Le pape Benoît laisse un héritage tout aussi impressionnant que Jean-Paul II, son prédécesseur et ami, mais pas forcément sur le même terrain. Le plus grand théologien de notre temps, sans doute, et Jean-Paul II, plutôt philosophe que théologien, j’en suis certain, ne le contredirait pas. 

 

Deux âmes mystiques plongées dans la prière, ils pouvaient y rivaliser, mais l’expérience spirituelle ne se mesure pas à la longueur du temps passé en prière et surtout ne se compare pas. L’humilité de Benoît ainsi que sa discrétion n’avait rien à voir avec l’humilité et la discrétion de Jean-Paul II. Un courageux réformateur qui ne réussit que difficilement, tout comme son prédécesseur, lui aussi. 

 

Lors du chemin de croix de ce Vendredi Saint 2005 en remplacement de Jean-Paul II malade (il décédera 10 jours plus tard) qu’il mène sur le Colisée, alors qu’il n’est que préfet de la Congrégation pour la foi, cardinal Ratzinger méditera sur tant de péchés dans l’Église.  

 

Élu pape lui-même, il entra dans cette réalité de l’Église par une autre porte, celle de la responsabilité suprême. Vite, il sentira non seulement la charge habituelle pour une telle responsabilité, mais aussi le poids aussi bien spirituel que moral et psychosomatique à la porter. 

 

Dès le départ, il devait sans doute ressentir la nécessité d’un attelage avec le Christ pour porter ce fardeau qualifié de léger, parce que le joug qui les relie est facile à porter. En attendant, il a fallu assumer. 

 

Entre les abus sexuels et Vatican Leak, et bien d’autres, qu’il aura à traiter comme urgences absolues et y faire face, il n’y a aucune comparaison possible, c’est juste pour dire que le péché dont il parlait avant de devenir pape concerne tous les domaines. C’est une tâche difficile dans tous les cas, d’autant plus que la loi du secret pèse comme une chape de plomb sur la vie de l’Église. 

 

Lors de mon séjour à Rome en août dernier, j’ai eu la chance de visiter les jardins du Vatican. Le palais de la gouvernance qui occupe la partie centrale est entouré d’arbres et la verdure résiste comme elle peut à la chaleur estivale de Rome. 

 

En compagnie de mon guide nous sommes montés vers la grotte de Lourdes. C’est alors, à notre grande surprise -car un dimanche après-midi même au Vatican les chats dorment et le pape François est parti quelque part en visite-, qu’une voiture passe et le chauffeur d’une voix bien amicale, mais qui ne tolère pas la contradiction, nous prévient que le pape Benoît va passer sur ce chemin depuis son monastère où il s’était retiré pour prier le chapelet devant la grotte, comme il avait l’habitude de le faire tous les jours en fin d’après-midi. 

 

Désormais son monastère reste vacant, son secrétaire et les deux religieuses terminent leur service auprès d’un pape émérite. Sans aucun doute, ils ne vont pas rester là-bas. Mais alors, n’est-ce pas une place disponible pour un pape émérite suivant ? L’avenir sans doute assez proche nous le dira. 

 

Pour le moment pas de fumée blanche à l’horizon, chaque chose en son temps, aux spéculations est toujours meilleure une bonne dose de gratitude pour Joseph Ratzinger qui a osé prendre le nom de Benoît XVI a la suite de son homonyme de la première guerre mondiale, dont la mémoire était entachée par les calomnies politiquement correctes de l’époque. 

 

Que Dieu nous préserve d’une situation semblable, c’est à chacun d’y veiller, pour que la vérité, mais dans l’amour, prime. Caritas in veritate, une de ses encycliques, nous donne de la matière à méditer sur ce qu’est la vie avec ses hauts et ses bas, sur ce qu’est un croyant, sur ce qu’est un pape et sur notre place dans l’Église et dans la société. 

 

L’Épiphanie que nous célébrons aujourd’hui est une fête de la manifestation divine dans un nouveau-né. Le pape Benoît nous aide à lever tant soit peu ce voile qui recouvre le mystère de Dieu qui nous a été révélé grâce à l’intelligence de sa foi et tout autant grâce à sa foi en l’intelligence.  

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(Photo “Le pape François et le pape émérite benoit XVI” @Vatican Media)

(Source illustration rois mages : famillechrétienne.fr)