Fallait pas le dire et il ne fallait pas le dire sont deux titres (pièce de théâtre et chanson).
Commençons par la chanson.
Il ne fallait pas le dire.
“Tous les mots qui viennent sont dérisoires,
je sais bien que je t l’ai trop dit mais,
jte l’dis quand même, je t’aime.”
On connait tous cette magnifique chanson de Patrick Bruel, chanson qui célèbre la nostalgie et le désir de communiquer malgré la séparation douloureuse comme une panne de cœur peut l’être.
Les paroles de cette chanson me sont venues à l’esprit en regardant le spectacle « orchestré » par Marion et Patrick (un autre, mais pas moins remarquable). La chanson française fait partie de mon environnement culturel de vie parisienne durant les années avant et après le changement de millénaire. Celle-ci me sert d’arrière-fond pour la réflexion que je vous livre à l’état brut, brut comme le cidre peut l’être, servi dans un bol stylisé à la fausse vintage, car terriblement actuel, sur le thème :
Il ne fallait pas le dire, mais je le dis quand même.
“FALLAIT PAS LE DIRE”, de Salomé Lelouch, la nouvelle production CHORUS (Marion) avec les élèves de la troupe adulte de CHORUS.
Encore une pièce inspirante qui résonne, qui parle et laisse des traces dans la mémoire, qui dépose des amendements de la conscience pour réviser certains avis et convictions déjà bien installées et établies. Merci à Marion pour le choix judicieux de la pièce, comme toutes les autres, qui résonnent, qui parlent. Ça me parle!
Plusieurs couples sont mis en scène dans des configurations diverses : Lui-Elle, Elle-Elle, Lui-Lui.
Même, si parfois on s’y « perd » un peu dans les identifications de savoir qui est qui. Et ce n’est pas la faute à l’inattention ou parce que ce serait mal écrit ou encore pas bien articulé. C’est délibéré, la pièce est écrite pour faire réfléchir sur la manière dont fonctionne le monde moderne.
C’est le cas du plombier qui se présente comme une femme. Rien d’étonnant, puisque tout est possible. Dans la pièce, ceci devient un sujet d’échange entre deux femmes qui, croyant voir un homme, sont invitées à s’interroger sur l’exactitude de leur perception.
Je suis madame… une telle. Je suis plombier pour réparer…. Une telle déclaration d’état civil à l’usage public provoque un savoureux échange au sein du couple lesbien. Un plombier est généralement représenté comme un homme viril.
On se souvient de Jacques Chirac, président de la France et des Français (1997-2007); on se souvient de sa sortie « amusante » sur le plombier polonais. Le marché de travail ouvert à l’intérieur de l’Union Européenne que la Pologne a rejoint en 2004 selon le président menaçait l’équilibre économique du pays, dont le plombier polonais devenait la figure emblématique de cette menace. La seule raison pour « excuser », justifier sa présence pouvait uniquement être justement son côté viril.
L’approche désinvolte du chef de l’Etat a fait beaucoup rire à l’époque et peut faire sourire aujourd’hui. Alors que le sérieux qui se cachait derrière n’a échappé à personne. Mais n’étant pas capable d’y faire face autrement on a usé d’un stratagème de tourner en dérision ce qui était tout sauf dérisoire. Le désinvolte et le sérieux sont les deux ingrédients d’un mélange qui tel un pétard mouillé laisse un souvenir d’un raté pas grave du tout, mais qui fournit un mode d’emploi pour aborder d’autres situations amusantes et gênantes à la fois.
Toute la pièce de Salomé Lelouch qui s’inscrit dans une antique tradition théâtrale, traite légèrement des questions graves. Instruire en s’amusant, on n’a toujours pas trouvé mieux (!?) pour passer utilement le temps à l’école… de la vie.
Revenons dans la classe du plombier, dont nous avons d’ailleurs l’intérêt d’oublier qu’il aurait pu être polonais, (on peut s’imaginer la charge supplémentaire du comique…). Le plombier est confronté à son double statut personnel et professionnel. Curieusement dans le sens d’inattendu, ce ne sont pas ses compétences qui sont au centre, on n’en est pas encore là, mais son identité civil, ce qui habituellement est mis au second plan, visible seulement lors de la signature apposée sur le document attestant le travail, on l’espère, bien fait.
Déclenché par le plombier qui décline son identité au féminin, l’échange entre les deux femmes porte sur le rapport entre les mots et la réalité. En effet, madame le plombier interroge! Ce qui est intéressant dans la pièce, ce n’est pas tant de savoir qui est réellement le plombier, mais ce qu’en pensent les gens à son sujet.
C’est un vieux thème qui au Moyen-Âge agitait déjà les cervelles des philosophes désireux de voir plus clair dans les rapports entre les mots et les objets qui les désignent. Le courant philosophique qui en est né est désigné par le terme de nominalisme.
Le raisonnement découle de l’hypothèse que l’on peut formuler de façon suivante : Je suis une chaise, mais je m’appelle une table, ou l’inverse, ce qui objectivement est possible, sauf que ni la table ni la chaise n’ont aucune capacité à s’autodéterminer, et de plus est, en user du langage humain. Alors que les humains ont cette possibilité; et puisque c’est possible, c’est donc réalisable.
Certes! c’est tout de même plus sérieux que cela. La pièce traite la question d’autodétermination sur le ton léger, dont je tente de rendre compte à ma façon. Elle traite des questions qui, comme ce que nous avons pu constater chez le plombier polonais, sont extrêmement importantes. Il s’agit d’une harmonie entre ce que l’on ressent au plus profond de soi-même et ce que l’on donne à voir et à comprendre.
Cette gravité est juste effleurée, émoussée, comme si on ne voulait pas vraiment en parler, pas plus que cela.
Juste pour faire comprendre que, venant au théâtre pour se distraire, on prend le risque d’avoir à affronter autre chose. Ce qui n’est pas au programme des attentes, ni celles affichées au programme de la pièce ni celles qui pourraient se nicher au plus profond de soi. C’est le risque, pas celui de se faire instruire, à son corps défendant sans doute parfois qui est encouru, mais celui d’éveiller la conscience. Ce qui sans le renier dépasse le cadre formel d’une représentation théâtrale.
A l’exemple du plombier, la pièce contient une magistrale présentation de grands sujets de société actuelle qui y sont mis en débat. Mais ces grands sujets ne sont pas toujours traités sérieusement dans la société, les derniers votes sur comment finir avec sa vie, n’en sont que le dernier en date. Chacun pourra continuer l’énumération. Je sais qu’il ne fallait pas le dire, mais je le dis quand même. L’interdit de remettre en doute les “lois votées à la majorité démocratique” sert la stabilité à court terme.
Ces grands sujets de société sont présentés sous forme d’une succession de petites saynètes, comme on en fait dans les veillées scouts ou dans les colonies de vacances.
Ce rapprochement est d’autant plus plausible que les acteurs qui incarnent les différents personnages, de leur présence corporelle et vocale parolière et animent des scènes de ménages, sont tous des amateurs. Ils sont des amateurs du goût d’effort pour apprendre par cœur les textes, et apprendre comment se mouvoir sur la scène. Parce que sur la scène sans doute aussi comme dans la vie, ils sont des amateurs du goût de dépassement de soi qui dans une action entreprise conduit à la réalisation de soi. Les amateurs de bons vins peuvent parfois être rangés dans la même catégorie.
Avec un vocabulaire assez restreint (pas plus riche que celui du président américain actuel?), on peut dire autant de choses. Les dialogues de la pièce (il n’y a que cela) le prouvent. La grandeur de la langue est là. Le français s’y prête particulièrement!? Je le suppose. Il ne fallait pas le dire, car cela peut faire rire les promoteurs d’autres langues, je le dis quand même.
Tous les mots qui viennent sont dérisoires, j’ sais bien que je t l’ai trop dit mais, jte ldis quand même, je t’aime.
“Le 10 mai 2025, au Grand théâtre de Provence, Siobhàn Gardeur, une adolescente, a atteint la 3ème place sur le podium de la 11e édition de la Grande finale d’éloquence ! Découvrez son discours sur le sujet : “L’égalité est la plus horrible des injustices””.
Et le discours finit par le constat sans appel : pour être en paix il faut se rencontrer… et se parler. Et j’ajouterai, il faut aussi savoir écouter, mais c’est chrono et surtout ergono-phage.
Cette information trouvée sur Youtube m’a inspirée, pas tant par son non conformisme, mais par la fraîcheur d’un regard lucide d’une jeune femme qui ne fait pas l’éloge de l’inégalité, mais dénonce la dogmatisation d’un si noble principe qui ne demande qu’à être déployé dans sa richesse y compris au travers les contradictions constatées.
Je sais, tout le monde le sait, mais il ne fallait pas le dire !
Pourquoi insister sur les évidences, surtout si celles-ci ne dérangent personne, ou presque. Vous là-bas, vous, cette petite voix discordante, taisez-vous! C’est mieux pour tout le monde.
Tout comme pour le gâteau qui était trop sec (la première scène de ménage de la piece), alors que mamie le prépare avec tout son amour chaque semaine depuis plus trente ans et dont personne n’a jamais contesté la qualité, par amour aussi. Il ne fallait pas le dire ! reproche le mari à sa femme à la suite d’un déjeuner ainsi raté. Elle, la belle fille, l’a osé, brisant ainsi le tabou grâce auquel on protégeait l’amour qui pouvait circuler sans encombre. A quoi bon dire des choses pareilles, c’est vexant, puis pourquoi le dire maintenant, alors que depuis si longtemps l’on était si bien sans le dire !?
Tout comme le doute sur le bien fondé du droit à l’avortement qu’émet la partenaire de vie à sa moitié, l’autre femme. Toutes les deux (les mêmes que celles qui font appel au plombier) sont féministes, donc progressistes, donc en lutte ouverte contre le machisme et les autres reliquats du patriarcat, ce système d’oppression et d’aliénation avec lequel il est temps de finir. Tu émets un doute, s’étonne l’une face à l’autre, sur une si évidente victoire des femmes obtenue grâce au droit à l’avortement? La victoire sur le destin fatal qui frappe les femmes de plein fouet depuis qu’Eve fut chargée d’un péché irrémédiable serait-elle retardée par des doutes intolérables? Où va-t’on? C’est incroyable, comme les gens peuvent être influençables!
Et en plus, elle est aussi réservée sur le bien fondé de la GPA. Ça, alors! Quel manque de courage et surtout de lucidité. Il va falloir la soigner. Le dialogue dans la pièce se déroule de façon bien plus adouci que ce que peuvent laisser apparaître mes descriptions. Le sweet power d’une ambiance cosy se laisse parfois ternir par le soft power, sans pour autant que celui-ci ne se laisse déborder par le strong power. On connaît quand même la ligne rouge, que les discussions semblables ne nécessitent pas de s’en approcher dangereusement. Au théâtre, c’est comme dans la vie, et parfois au théâtre c’est mieux, plus vrai que dans la vie.
Et que faire de cet homme qui s’oppose à ce que sa femme devienne mère de son petit fils. Je vous laisse le loisir de conduire soigneusement le raisonnement pour arriver à une équation pareille. C’est dire à quel point les nouveautés techniques nous poussent dans les retranchements de nos raisonnements. Et comment nous nous laissons emporter par les vagues successives de la modernité qui fait soigneusement éviter d’user de notre propre discernement.
Mais, je crois que cela aussi, il ne fallait pas le dire! Ce quoi ce mot un peu barbare discerner, cerner avec raison, tourner autour, autour de quoi et avec quelle raison? Non, c’est trop, pourquoi troubler une tranquillité que la pensée ambiante rassurante et faisant du bien procure. Pourvu que cela dure!
Mais il y a encore plus « comique » que cela. Et cela se passe dans la salle. Incognito, suis-je au travail ou en repos? Chaque fois que je croise quelqu’un de la maison où j’habite, étant habillé pas très chic, on me souhaite un bon repos, en acquiesçant qu’un peu de sport fait du bien. La plupart du temps je corrige leur appréciation, en disant que je vais travailler, en tant que prêtre. La perplexité est toujours au rdv de l’étonnement.
C’est pour incognito. Je cherche une place pas trop mal pour bien suivre la pièce. Il y en a une au second rang côté couloir. Le bon sourire en guise de réponse m’autorisant à m’y mettre. Je m’installe et savoure le contenu de la pièce. Que c’est inspirant! Je soupire d’envie d’arrêter le temps et rester encore et encore sur ce sujet.
Ce n’est pas parce qu’il ne fallait rien dire (de déplaisant) au sujet du gâteau, qu’il y a rien à en dire. S’il ne faut rien dire, qu’est-ce que l’on a à dire? Le sketch de Raymond Devos illustre cela à merveille. Lui, qui était payé pour ne rien dire, pouvait-il se taire pour en dire quelque chose sans rien dire, même pas un mot? Le silence est éloquent pas seulement parce qu’il rend la bouche baie d’étonnement, de stupéfaction. Souvent, il rend bouche baie d’embarras et de lâcheté, ces deux derniers n’épargnent personne.
La pièce est terminée, noyée dans les applaudissements nourris, tout le monde bouge, parle, on échange des signes de reconnaissance. Bonjour, ah! oui, vous ici? C’est embarrassant, non je ne le crois pas. Sur une centaine de personnes surtout moyennement jeunes, je ne connais pratiquement personne. Quelques sourires un peu timides. Les sourires chargés d’un doute de savoir si une telle familiarité est convenable. Une familiarité avec un parfait inconnu? Après tout, cela ne coûte rien, pas de risque majeur pour l’autonomie, pour l’autodétermination et la (l’auto)liberté. Les sourires expriment peut-être le doute de savoir si l‘on me reconnaît, et alors se pose la question de savoir si moi-même je les reconnais. Un vrai problème d’appréciation. Mais puisque dans le doute l’on ne s’exprime pas pour statuer, laissons le doute planer sur les eaux de nos existences comme autrefois planait sur les eaux primordiales l’Esprit, sous forme d’un oiseau.
Puis je reconnais quelques personnes déjà croisées lors d’autres pièces de théâtre de Chorus. Pour eux, pas de doute, je commence à devenir familier, mais pas plus. Je suis presque seul à être seul, juste mon voisin de l’autre côté de l’allée, mais bien occupé par la lecture. Donc, dans l’ensemble, c’est bien de ne pas trop m’embarrasser d’une présence, d’une très vague présence de ceux qui m’entourent, à peine une ébauche, d’une brumeuse connaissance qui germe dans le cœur avide de l’humain.
Sans trop d’espoir d’accrocher un semblant de contact, au milieu des inconnus je fonce dans la direction des connus. Ils sont avec d’autres inconnus, et à la fin, ils me lancent : à demain mon père à la messe! Il fallait voir la tête des autres. C’est à ce point-là que je suis méconnaissable? Me disais-je, encore plus étonné par l’incrédulité à l’égard de mon identité que par l’aveu des autres de “faiblesse » de la part des churchgoers. Ou probablement les deux à la fois.
Décryptage:
Les chrétiens ont besoin des juifs pour se comprendre dans leur foi au Christ…
Les catholiques ont besoin des autres chrétiens pour se comprendre dans leur foi catholique.
Les humains ont besoin d’autres humains pour comprendre comment être humain.
Chacun de nous, croyant en ceci ou en cela (l’athéisme et d’autres formes connexes sont une croyance, parole d’Éternel!?) vit tout cela. Les semblables cherchent des semblables et les dissemblables cherchent des dissemblables. Ceux qui se ressemblent s’assemblent. Tous en ont pour leur argent, surtout lorsqu’ils le font de manière (dés)intéressée, par (pur) plaisir de la rencontre (sans) le lendemain.
Fallait pas le dire, jte ldis quand même, je t’aime.