« Si nous permettons aux Chinois de retrouver, comme ils s’efforceront assurément de toujours vouloir le faire, leur vieil air de supériorité, nous serons bientôt forcés de recourir une fois de plus à la force contre eux ». (Voix : Marius Laffont)

Par ces mots cyniques, Lord Palmerston cachait à peine ses intentions. Il était Secrétaire d’État aux Affaires étrangères lorsque le Royaume-Uni écrasait l’empereur Daoguang sur ses terres, raflait l’île de Hong Kong, et imposait le libre-échange dans certains ports de Chine.

Un coup de force pour que s’y perpétue un trafic d’opium menacé par les autorités locales, mais essentiel pour l’économie britannique. Une guerre qui initia 1 traité de paix trop cruel aux yeux des vaincus, trop léger aux yeux des vainqueurs… instable. Un prétexte suffisait pour que reprennent les hostilités.

Chers auditeurs et auditrices c’est maintenant la deuxième phase du conflit qui fonda la Région de Hong Kong que nous vous proposons de redécouvrir. Une deuxième salve d’invasions européennes, une deuxième salve de traités funestes pour l’Empire du milieu… aujourd’hui pour Histoire(s) d’un monde : la seconde guerre de l’opium.

  

En août 1842, l’île stratégique de Hong Kong passe officiellement sous tutelle britannique. La promesse d’une économie fructueuse la rend particulièrement attractive. Jardin et Matheson y établissent leur entrepôt, et une bourgeoise chinoise commence à y prospérer. Hong Kong se développe en un temps record. En une quinzaine d’années, la population chinoise y passe de quelque 28000 personnes à plus de 121000. La petite colonie prend d’ores et déjà les airs de fourmilières qu’on lui connaît aujourd’hui. Et en dépit de l’insécurité déroutante qui y règne, l’île semble être un eldorado pour toute personne voulant fuir une Chine en proie aux révoltes.

Sur le papier, les relations sino-européennes semblent donc s’être tranquillisées. Seulement, les conditions du traité de Nankin, qui mettait fin à la première guerre de l’opium, ne sont que peu respectées, et sa pertinence est de plus en plus conspuée. En outre, les enjeux financiers qui motivèrent l’affrontement sont indemnes … l’opium reste illégal en Chine, et les caisses britanniques tutoient de nouveau le déficit. Pour Lord Palmerston – devenu Premier ministre – seul un conflit peut fixer une bonne fois pour toutes cette situation délicate. Et quelle aubaine, lorsque les Chinois lui apportent eux-mêmes un casus belli.

  

En octobre 1856, un navire chinois baptisé le Arrow est arraisonné au large de Canton pour des soupçons de piraterie. Ayant été enregistré à Hong Kong, ce dernier bat toutefois pavillon britannique. Les autorités chinoises arrêtent donc sciemment un navire aux couleurs victoriennes. Elles font prisonniers ses membres d’équipages et lui refusent l’accès au port, violant ainsi le traité de Nankin. Le gouverneur britannique de Hong Kong s’indigne. Il exige réparation de la part du commissaire impérial à Canton, le renommé Ye Mingchen. Si pour faire bonne figure, ce dernier libère des otages, l’affront a toutefois été commis, et l’impunité ne peut pas être une option : le gouverneur ordonne le bombardement de Canton.

Un incroyable feuilleton politique embrase alors l’Angleterre.

Les Tories, accusent le gouvernement d’une gestion déplorable de l’événement. Aussi convainquent-ils le Parlement d’adopter une motion de censure et de faire tomber Palmerston. En 1857, s’ouvrent alors des élections générales en Angleterre. Un scrutin capital en ce qu’il décidera, ou non, du maintien au pouvoir des va-t’en-guerres. Cas unique dans l’histoire du royaume, le vote se présente comme un simple plébiscite pour Palmerston. Le conflit avec les Qing est au cœur de la bataille électorale. Le Premier ministre déchu ment d’ailleurs éhontément au sujet les Chinois, les présentant comme des barbares sanguinaires pour faire pencher la balance… avec d’ailleurs un succès manifeste : à l’issue de ce que l’on appellera désormais « les élections chinoises », Palmerston est réapprouvé, la guerre est entérinée. Et motivé par des intérêts économiques, Napoléon III profite de l’exécution d’un missionnaire français en Chine pour se joindre à la partie.

  

Une coalition de navires britanniques et français navigue alors jusqu’à Canton. La ville est pilonnée. L’offensive lancée, les soldats cueillent ensuite des forts qui s’égrènent sur la côte. Et dans un terrible remake du précédent conflit, le rouleau compresseur britannique, appuyé cette fois par l’armée française, se lance vers Pékin, implacable. Presque systématiquement, les soldats Qing sont défaits, et les désespérées tentatives de paix échouent. En 1860, la coalition atteint la capitale. L’empereur Xianfeng fui. Pour limiter les représailles et sauvegarder le plus possible son pays en débandade, son demi-frère, le prince Gong, fait libérer les otages européens capturés par lors de négociations… Mais ces derniers, torturés, arborent une mine lamentable….

Fou de rage, le commandement britannique se venge en ordonnant l’incendie du somptueux palais d’été. Ce cher d’œuvre de la culture chinoise, qui plus est résidence des empereurs Qing, est alors réduit en tas de cendre.

Victor Hugo écrira : « Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’été […] devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. »

  

À l’issue du conflit, la Chine tient à peine debout. La capitale est sous la botte européenne ; l’empereur a fui ; la guerre civile fait rage et fauche des âmes par millions.

C’est dans ce déplorable contexte que le Prince Gong, signe en 1860 la convention de Pékin, qui ratifie les conditions de paix avec la France et l’Angleterre. Ainsi, ce ne sont plus cinq, mais plus d’une dizaine de ports qui s’ouvrent au libre commerce. Les Européens obtiennent, en outre, le droit de naviguer sur la cruciale rivière Yangtsé, et l’opium est quant à lui légalisé.

 

Enfin, puisqu’un peu de territoire peut toujours être utile, une partie de la péninsule de Kowloon, au nord de l’île Hong Kong est cédée à l’Angleterre de façon perpétuelle. Il faudra toutefois attendre encore quelques années pour que la région n’obtienne sa forme définitive à l’occasion de quelques pourparlers entre deux anciens ennemis.

Mais ce sera l’occasion d’un autre podcast.

Chers auditeurs et auditrices, c’est ainsi que s’achève ce deuxième épisode d’Histoire(s) d’un monde, on espère qu’il vous aura plu. C’était Tom Soriano pour la French Radio Hong Kong et Macao. À très vite, et prenez bien soin de vous.

 

———————————

Photos (Source : Wikipédia) :

  • « Le 8 octobre 1856, des officiels chinois montent à bord de l’Arrow » – Source : Herodote.net
  • Attaque et prise des forts du Peï-Ho, le 20 mai 1858 lors de la première phase de la guerre.

 Crédits pour les musiques du Podcast :

Musique d’intro: “Whispers in the Wind” – Brandon Fiechter – (1434) Whispers in the Wind – YouTube

– Bruitages : https://www.youtube.com/watch?v=j88QuLts6FQ&t=33s

https://www.youtube.com/watch?v=AsD5u6k6dKI&t=4899s

 

– Extraits composant le Jingle :

 

·      Discours du Prince de Galles lors de la rétrocession : « Prince Charles Says Farewell to Hong Kong » – ITN Archive – (1434) 1997: Prince Charles Says Farewell to Hong Kong – YouTube

·      Interview de Tung Chee-hwa : “Does Hong Kong Have Freedom?: A Conversation with Tung Chee Hwa” – China-US Focus CUSEF –(1434) Does Hong Kong Have Freedom?: A Conversation with Tung Chee Hwa – YouTube

·      Cris des protestataires lors des manifestations de 2019 : « Les manifestants demandant la démission de Carrie Lam » – Le Petit Journal – (1434) Les manifestants demandant la démission de Carrie Lam – YouTube 

·      Déclaration de Carrie Lam : “Carrie Lam: ‘One Country, Two Systems’ maintains Hong Kong’s prosperity” – CGTN – (1434) Carrie Lam: ‘One Country, Two Systems’ maintains Hong Kong’s prosperity – YouTube

 

Sources principales 

– François Bougon, Histoire de Hong Kong – De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise, Tallandier, 2023.

– John F. Fairbank & Merle Goldman, Histoire de la Chine – Des origines à nos jours, Tallandier, 2019.

– L’histoire nous le dira, “Opium: la seconde guerre”, YouTube, mars 2022 [https://www.youtube.com/watch?v=8biGlw4B6Cc]

– www.herodote.net 

– Le reste est libre de droits