Connaissez-vous ce mot ?

Moi pas avant de le rencontrer sur internet.

L’holacratie veut dire l’organisation où la prise de décision s’opère au travers d’une autorité distribuée et d’équipes auto-organisées.

 

Le nouvel économiste du 8 octobre dans sa newsletter s’y attarde. Je reprends ses formulations marquées en italique.

 

La question est de savoir pourquoi les entreprises ont besoin de cadres intermédiaires ? Et si la question se pose c’est parce qu’il y en a qui la posent. Et poser la question c’est questionner le bien-fondé d’une pratique en cours. 

 

Or, comme le constate le journal, les organigrammes horizontaux et l’aplatissement hiérarchique ont leurs limites. Il y a de quoi en effet s’y attarder pour nourrir toute une réflexion à appliquer partout. Car c’est par là que semble vouloir se frayer le chemin l’avenir de l’humanité.

 

Cette question se pose aussi en politique et en religion. Pourquoi avons-nous besoin des corps intermédiaires entre nous, les individus agissant pour notre propre compte et l’ensemble social dans lequel nous nous mouvons. Et peu importe si nous sommes conscients d’appartenir à un tel ensemble ou pas, peu importe aussi si nous le prenons en compte et de quelque manière que ce soit.

 

Chaque grande entreprise a un patron et des subordonnés, qui font l’essentiel du travail. Tout ce qui se trouve entre le bureau et l’atelier est une question de préférence managériale. Les organigrammes de certaines entreprises sont de véritables mille-feuilles, avec des employés empilés dans des hiérarchies rigides remplies de superviseurs divers et variés. 

 

C’est ainsi que l’on s’imagine aussi le fonctionnement traditionnel de l’Église catholique : une pyramide avec la pointe vers le haut sur l’espace symbolique plutôt vide bien que mystérieux avec lequel communiquer. 

 

Et tout en haut de la pyramide, il y a très peu de place, juste pour un seul, le chef suprême, le pape qui règne à sa guise, tel un ayatollah chez les autres. Ça c’est pour l’imaginaire populaire hérité d’une histoire bimillénaire marquée par des signaux envoyés dans ce sens. 

 

Pour être de mille feuilles, une pyramide doit être franchement bien solide. Or celle que l’on connaît dans le cas de l’Église porte visiblement des stigmates des aplatissements qui en font une pyramide de plus en plus aplatie, de plus en plus horizontale.

 

C’est tout au moins l’impression que donne le regard que l’on peut y poser sous l’effet d’une pression extérieure et n’y voir alors qu’une institution platement humaine (et les preuves ne manquent pas) et de l’intérieur aussi, le pape actuel y œuvrant à sa manière.

 

C’est comme dans le tassement de vertèbres ou encore dans le cas d’une scoliose. L’organisme alerté d’un état défaillant de l’ossature se tourne alors vers le rempart supplémentaire, celui constitué de la musculature autour d’une telle charpente qui, peut-être, elle non plus, ne soutient pas assez. A moins que ce soit voulu, délibérément recherché.

 

La dimension horizontale est privilégiée comme le dernier concile l’a voulu. Horizontale comme le pape actuel veut le promouvoir au travers entre autres le lancement d’un synode sur la synodalité. 

 

Pas de mal à tout cela, du point de vue de la théologie de l’Église, c’est même une situation favorisant l’apparition, la mise en évidence de sa véritable nature, celle d’être servante, donc au service de la mission de salut aux dimensions universelles.

 

Le problème commence ou plutôt continue, car il existait déjà bien avant, mais sous une forme différente, lorsque l’on devait vérifier si, en se mettant dans la posture d’une telle horizontalité, l’on était oui ou non en train de poursuivre la trajectoire indiquée par l’initiateur du christianisme. 

 

Et en dévier, c’est si facile, et peu importe le modèle appliqué : dans le modèle pyramidal imposant par sa solidité, tout au moins apparente, ou dans le modèle horizontal seul, imposant de son efficacité immédiate apparente tout aussi.

 

Or, l’évolution du mode de l’organisation du travail dans le monde de l’entreprise obéit à la recherche d’efficacité immédiate, sans corps intermédiaires, et cela interroge l’organisation d’Église où toute autre religion.

 

Si par analogie avec le monde de travail, l’on applique le principe d’efficacité à la vie de l’Église catholique par exemple, au nom de celle-ci, on devrait pouvoir se passer de bien des corps intermédiaires.

 

L’idée a déjà bien traversé les esprits il y a bien des siècles et nos amis protestants s’accommodent d’une relation directe avec l’Éternel comme ils le souhaitent et comme ils le peuvent. 

 

Seulement, en contrepartie ils insistent sur l’appartenance communautaire, alors que chez les catholiques, la relation directe avec l’Éternel, tout étant aussi bien envisagée en soulignant l’intimité de la rencontre (et c’est très juste du point de vue de la vision chrétienne en général) n’est cependant pas bien intégrée. 

 

Ce que l’on omet de prendre en considération dans la pratique catholique, c’est le fait que cette intimité est soutenue de façon théoriquement non optionnelle par les sacrements et le magistère. Les premiers pour nouer le lien spirituel, le second pour laisser éclairer ce lien par l’enseignement, les deux étant censés d’exprimer la dimension communautaire. 

 

Chez les protestants ces deux facteurs communautaires, sacrements et magistère, sont mis purement et simplement de côté, ou alors réduit à une portion congrue. Chez nous, ils souffrent d’un déficit de droit de cité de fait dans la communauté. Combien de fois en moyenne un baptisé vient participer à l’eucharistie, en communion au sacrement de la présence réelle ? Cinq fois par an, moins, me répondent les futurs mariés.

 

La faute à la nature de nos assemblées du point de vue de la conscience des baptisés et cela se reflète même dans nos assemblées. C’est plutôt un ensemble d’individus qu’un groupe soudé, et donc peu ou pas conscient des enjeux de l’appartenance de ses membres à un tel ensemble. Et par conséquent peu ou pas conscients du caractère structurant de cette communauté grâce aux sacrements et le magistère.

 

Et ces derniers temps : moins de couches d’employés rendant compte à un nombre plus restreint de chefs. Aussi séduisantes que l’organigramme horizontal, est plus en vogue ces organisations “plates” puissent paraître, la réduction des couches d’encadrement a un coût élevé.

 

Ce qu’il est vrai pour l’entreprise, est aussi vrai pour la manière dont les religions gèrent cette horizontalité et surtout envisagent une éventuelle diminution du nombre de couches intermédiaires. Cela s’est vu par exemple dans la première phase de confinement, ou les fidèles préféraient souvent se référer directement au pape pour y chercher une consolation spirituelle. 

 

Où encore certains évêques se sont promptement mis en posture de chefs de diocèse agissant à la place des curés (jugés déficients ?) pour porter secours et assistance aux ouailles dans une conscience diocésaine accrue, ce qui par ailleurs peut être bénéfique pour cette conscience.

 

Et pour les entreprises, les spécialistes continuent à nous avertir en constatant que les vice-présidents, les superviseurs et autres chefs de service qui étaient autrefois les rouages centraux de la machine de l’entreprise, aujourd’hui, ces cadres intermédiaires sont considérés comme des chefs bas de gamme, dont le rôle consiste essentiellement à organiser et à assister à des réunions inutiles. 

 

Quelques start-up modernes se vantent même de n’avoir aucun niveau hiérarchique, laissant des employés autonomes passer d’une tâche à l’autre comme bon leur semble.

 

Cela fait écho à notre expérience de la vie organisationnelle d’Église. Déjà à Paris dans les années 1980, mes premières années de vie de prêtre, j’ai pu entendre des gémissements contre la réunionite, cette maladie moderne qui, comme l’arbre qui cache la forêt, empêchait d’aller à l’essentiel. Et aller à l’essentiel voulait dire être missionnaire sans tarder et donc sans perdre du temps à se former, informer, voire réformer…

 

Une bonne intention, mais comme bien d’autres, l’enfer en est pavé, et si bonne organisation veut dire meilleure possible, cela suppose une bonne préparation de toute action missionnaire ad intra ou ad gentes, à l’intérieur de la communauté ou dans le monde.

 

Une telle holacratie, rappelons-le, qui est une organisation où la prise de décision s’opère au travers d’une autorité distribuée et d’équipes auto-organisées, comme on la surnomme, ne conviendra pas à tout le monde. Mais même les grandes entreprises se vantent désormais rituellement de “déstratifier” leurs rangs.

 

Donc poursuivre la destratification là où cela semble nécessaire, doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur le besoin du maintien d’une structure hiérarchique. Top down à remplacer par go forth ou un mixte.

 

Et l’Église catholique n’est pas en reste. La tendance à la réduction voire à la suppression des intermédiaires y est aussi en marche et ce pour le meilleur et pour le moins bon. Déstratifier sous pression extérieure, si tel était le cas, pour beaucoup le faire signifierait surtout devoir approfondir des raisons propres à son existence. 

 

Pour certains, favoriser l’aplatissement pyramidal contre les stratifications hiérarchiques, c’est d’un futur radieux qu’il est question. Un futur à moindre frais, tant qu’à faire, tout le monde cherche des économies, et on les trouve, là où on les trouve. Mais de quelle économie s’agit-il dans le cas de l’Église catholique, sinon celle du salut, et à cet impératif tout doit être subordonné. 

 

C’est comme dans la privatisation des chemins de fer en UK il y a plusieurs décennies à l’époque de la dame de fer. Cette privatisation n’était pas décidée par le goût d’un bien être fulgurant du client, ce fut avant tout par le souci d’économies à trouver dans le budget d’État. 

 

En résultait la baisse de niveau de service avec la ponctualité et la sécurité qui laissaient à désirer. Enfant j’ai connu les magasins d’état ou le personnel étant payé au mois avec la stabilité de l’emploi assurée, et qui du coup n’avait aucune appétence pour la qualité de l’accueil et du service à soigner, à assurer.

 

Et sur le plan de méga structures, actuellement deux dans le monde semblent vouées à perdre de leur importance, de leur légitimité même. 

 

Ces sont les ensembles structurant la présence des idéologies dont sont alimentés les parties politiques et les ensembles structurant la présence des croyances. 

 

Même si les idéologies sont présentes dans les religions et les croyances dans les idéologies, la politique sous sa forme actuelle et la religion sous sa forme actuelle, chacune pour sa part est soumise à la pression de cette nouvelle tendance. 

 

Tendance qui gagne du terrain dans les esprits des jeunes générations, car déjà la trajectoire est indiquée par des générations précédentes. Si pour les religions surtout en Occident, malgré le fait que la religion garde toujours sa force d’attirance, la pertinence de ses structures et de la présence elle-même est remise en cause depuis bien longtemps, le crépuscule des formations politiques par l’alimentation des idéologies constitue un phénomène plus récent. 

 

Ce déclin est lié aux grandes désillusions apportées à l’occasion des grands conflits du XX siècle, siècle marqué aussi par des sanglantes accessions au pouvoir. Est-ce avant l’émergence de nouvelles illusions, c’est à craindre !

 

Et les soubresauts convulsifs qui traversent l’Église catholique dans son ensemble et en France actuellement en particulier, sont l’occasion pour certains d’appeler à la dissolution pure et simple de l’institution. Là aussi on peut se poser la question non pas celle de savoir à qui profite le crime, mais celle de savoir quelle forme nouvelle cela pourrait prendre.

 

Comme à Hong-Kong où des mouvements pas conformes dans leurs objectifs avec la nouvelle loi sur la sécurité se sabordent eux-mêmes pour couler au fond de la mémoire collective d’une ancienne, d’heureuse mémoire. Et pour quel avenir ? 

 

Et toujours sur le plan idéologique, les déplacements des différentes lignes des partis politiques démontrent la pression, pas forcément tendant à supprimer l’idéologie politique – au profit d’ailleurs de quoi et c’est la même question à se poser pour les religions- mais à transformer leur nature à cause de l’utilité que les nouvelles générations leur assignent.

 

L’usage des réseaux sociaux dans l’expression de l’opinion sur tout et au profit de tout ou presque favorise une telle évolution marquée par une simplification. Avec comme effet l’émergence des nouvelles formes d’idéologies et nouvelles formes de religions. Le virage civilisationnel semble se situer quelque part là.

 

Par conséquent, l’épuration des certaines structures bien ancrées dans certains pays peut être considérée comme indispensable. Les structures ainsi visées sont jugées non pas seulement non essentielles, mais purement et simplement inutiles. 

 

Holacratie, rappelons-le, n’est pas qu’un phénomène qui touche à l’organisation du travail pour améliorer les gains de productivité. Cela touche tous les aspects et tous les niveaux de la vie sociale ; ni idéologie ni religion n’y échappent.

 

Cela a déjà poussé les acteurs politiques occidentaux à développer le concept de démocratie directe et participative. La prise de conscience des enjeux environnementaux est pour beaucoup dans le développement de cette tendance. 

 

Les verts, comme tendance qui exprime cette prise de conscience, ont le vent en poupe, alors que les formations politiques qui en sont issues ont du mal à savoir sur quel pied danser. 

 

C’est la première fois que je viens d’assister à une pratique dans une entreprise des travaux de tunneliers ou pour signifier qu’il n’y a pas différence entre les cadres et les employés, ceux-ci viennent découper dans les cravates de ceux-là les cœurs. J’en garde précieusement le souvenir.

 

La holacratie nous tente, elle nous rappelle que nous sommes tous égaux en droit, pas seulement droit positif, mais déjà en droit divin, et peut être que ceci explique cela. Elle nous rappelle aussi qu’à plusieurs nous sommes plus intelligents, comme nous le montrent les dernières recherches sur les causes de la diminution du volume du cerveau humain.

 

La question n’est pas de savoir si oui ou non et combien de strates, couches intermédiaires, il faut supprimer dans la course à l’appât du gain. Mais celle de savoir dans quel type de collaborations et partages des responsabilités à assumer plus que des tâches à accomplir, l’on serait en meilleure posture pour rendre visible la vraie fraternité. 

 

Fraternité où à partir des frères on va pouvoir susciter des pères, selon le rêve du pape François exprimé dans Fratelli Tutti. Il n’emploie pas le terme holacratie, mais y met sa part pour la soutenir sans tomber dans ce qui peut être nuisible à la fraternité. Fraternité dans l’espérance. Et elle, elle tire toujours vers le haut, car elle exprime une économie bien particulière, essentielle même, celle du salut.