Au Habemus papam succède In illo uno unum.
Depuis le décès du pape François, l’histoire de l’Église catholique semble prendre une tournure nouvelle. Nouveau pape, nouvelle manière de gouverner. Succéder au précédent pape c’est rester fidèle à la tradition apostolique incarnée de façon bien personnelle. La particularité propre à chaque pape s’exprime dans des actes symboliques dont les codes sont bien connus.
Le premier acte symbolique est le choix du nom.
C’est une question adressée à l’intéressé, pour lui et par lui pour l’Eglise dont il prend la charge. Et là, contrairement aux parents qui ont le temps nécessaire pour se mettre d’accord sur un choix du nom pour leur enfant, pas de temps à traîner pour le faire. Une heure sépare l’annonce du résultat final du conclave qui résonne à l’intérieur de la chapelle Sixtine de la publication Urbi et Orbi depuis le balcon du Vatican donnant sur la place Saint Pierre. Le nouveau pape qui vient d’être élu, ayant accepté la nouvelle charge, (il peut la refuser, auquel cas le conclave continue), n’a pas beaucoup de temps pour décider du nom qu’il va porter. Il devait y avoir pensé déjà un peu avant, pensé et surtout prié.
Le film Conclave que j’ai vu dans l’avion entre Hong Kong et Dubaï en allant à Rome pour le jubilé (d’après les connaisseurs 10 % y est vrai) se plaît à mettre en scène un cardinal venu de la périphérie de l’Église pris de cours par son élection. Il y en a sans doute qui n’étaient absolument pas préparés à cette éventualité, apparemment ce n’est pas le cas de l’actuel.
Quel nom choisissez-vous?, demande le cardinal chargé de l’organisation du conclave.
Mon nom sera Léon, on peut imaginer le tourbillon qui agite les cardinaux, ce sera pareil à l’extérieur. Pourquoi, que veut-il dire par là? Ah, d’accord, comme chez son lointain prédécesseur Léon XIII. C’est pour signifier l’Église présente au cœur du monde du travail. Mais, c’est trop unilatéral, un pape américain qui ne s’occuperait que des affaires matérielles, même soutenues spirituellement, cela ne suffit pas et serait légèrement suspect. Le pape en aucun cas, ne peut se substituer à un homme d’affaires, même le plus habilement déguisé en Saint Père. Sinon il n’est plus pape dans la totalité de sa fonction, même s’il exerce la fonction, ce qui malheureusement était parfois le cas dans le passé.
Le recours à la symbolique sert à poser des jalons, il faut agir vite et viser juste, le plus juste possible, pour le moment concentration toute sur les signes à envoyer. Après le nom déclaré, suit tout naturellement la salutation « La paix soit avec vous ». Pas de risque d’être pris en défaut, faire une fausse route, la paix n’est pas un sujet de polémique. Le Maître Ressuscité l’a dit plusieurs fois, en spécifiant tout de même que la paix qu’il donne est différente de celle du monde; la paix céleste vient au secours de l’inconsistance et de la fragilité de la paix terrestre. Mais ce n’est pas le moment de pinailler, tout en se posant la question de savoir si dans cette salutation il y a quelques visées concrètes.
La paix dans les cœurs, la paix entre les cœurs, ceux des catholiques, des chrétiens, de tout le monde. Justement, la paix entre les catholiques est sans doute une préoccupation majeure du nouveau pontificat. D’où la devise « In illo uno unum » que l’on peut traduire par « En celui qui est Un, soyons un ». Si « la paix soit avec vous » est chrétiennement universel, dans « In illo uno unum » on trouve une marque de fabrique d’une spiritualité particulière. Celle inspirée par saint Augustin à qui se réfère l’ordre des Augustiniens, congrégation religieuse dont le nouveau pape est issu.
La devise exprime un appel profond à l’unité entre les chrétiens fondée dans le Christ. Saint Augustin en son temps à du faire face, lui aussi au danger de schisme apparu dans la crise Donatienne lors des persécutions des chrétiens en Afrique du Nord, crise provoquée par la question de savoir si on peut accueillir dans l’Église les faibles dans la foi, ceux qui sous la menace de la mort ont renié formellement la foi et que l’on appelle des collapse, ceux qui ont failli.
L’accueil ou pas, et si oui, la réintégration, mais sous quelles conditions ?
La position de saint Augustin est un cas d’école qui fait jurisprudence: si vous n’avez pas en vous la charité du Christ vous n’êtes pas l’Eglise (universelle). Le Christ, on pourrait spécifier, ce Christ-là est le fondement de l’unité ecclésiale. Les cartes sont sur table. Et avec elles le blason qui contient les clefs pour savoir comment les distribuer. Ils y dévoile en continuité avec ces symboles semblables au titre d’évêque.
Avant de presenter en detail le blason du pape Léon XIV, je propose un petit détour historique.
“Les armoiries papales consistent traditionnellement en une tiare papale (une mitre depuis Benoît XVI) placée au sommet de l’écu. Les clefs de Saint Pierre[a], posées en sautoir, sous la tiare, au-dessus ou derrière l’écu, sont liées ensemble par un cordon de gueules. Celle en bande est d’or et celle en barre d’argent. Les papes peuvent y ajouter des éléments personnels sur l’écu, soit en utilisant celles de leur famille, soit en en choisissant au moment de leur élection. Ils peuvent notamment y indiquer leurs idéaux de vie, leur programme pontifical ou faire une référence à des faits ou des expériences passées[1].”
L’usage des blasons date du 12 s. La première fois apparut un mot sur le blason de Pie VII 1800-1823, le mot Pax
Puis Pax tibi Marce evangelista meus de Pie X 1903-1914 que Jean XXIII 1958-1963 reprend dans son blason, ainsi que Jean-Paul I. Peut étonner cette prédilection soudaine pour un tel aveu. Je n’ai pas consulté la machine AI pour qu’elle me donne des explications savantes. Cela peut être complété par les recherches personnelles de ceux qui le désirent. Je serai ravi de profiter de vos découvertes.
Le pape François a mis dans son blason la fameuse phrase Miserando atque eligendo, élu parce qu’ayant reçu la miséricorde, la devise figurant en bas du blason, comme chez son successeur.
Chaque pape apporte sa touche personnelle pour signifier son identité,
-celle de Jean-Paul est mariale ce qui est signifiée par la lettre M figurant dans la partie droite de son blason, renforcée par sa devise, totus tuus;
-celle de Benoît XVI est bavaroise, elle est symbolisée par les trois objets (coquille, ours, tête de maure) qui sont des symboles de la Bavière et de l’archidiocèse de Munich et figuraient déjà dans le blason épiscopal de Joseph Ratzinger lorsqu’il était archevêque de Munich,
-celle de François est avant tout jésuite IHS et
-celle de Léon XIII est augustinienne.
Sur le plan du rapport à l’universalité c’est encore Jean-Paul II qui avec son attachement au culte mariale s’en sort le mieux; d’autant plus que la lettre M de son blason peut être aussi interprétée à posteriori comme symbole de la miséricorde dont il était ardent promoteur. Dans leurs blasons, tous les papes signifient leur enracinement local d’où ils viennent, enracinement enrichi et déployé aux dimensions universelles.
Léon XIV blason et devise
Ensemble, la devise et les armoiries expriment l’enracinement théologique et spirituel.
Je retiens plusieurs choses, toutes ont pour dénominateur commun l’unité:
- On y retrouve des éléments traditionnels du Saint-Siège : les clés croisées de saint Pierre, symboles du pouvoir spirituel confié au pontife, ainsi que la mitre pontificale, signe de sa charge pastorale universelle.
- L’inscription en bas du blason In illo uno unum renvoie à l’unité en Christ, “…revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ…” Rm 13:13-14 (la conversion de saint Augustin, maître spirituel du pape Léon est intimement liée à ces versets). L’unité avec le Christ lui-même est conditionnée par son unité avec le Père des cieux dans l’Esprit. L’unité trinitaire devient le modèle, la référence, bien plus, la fondation même à l’unité entre les chrétiens et celle du genre humain.
- Le cœur brûlant sur le livre. À droite figure le Sacré-Cœur de Jésus, transpercé d’une flèche et posé sur une Bible ouverte. Ce motif riche de sens est le blason de l’Ordre de Saint Augustin. Il représente le cœur enflammé d’amour pour Dieu, inspiré par saint Augustin lui-même, qui parle souvent dans ses écrits de l’amour brûlant de Dieu. Il n’y a pas d’unité vécue si elle n’est pas nourrie de la Parole de Dieu qui tel un brasier enflamme le cœur de ceux qui s’en nourrissent.
- En haut à gauche, un lys blanc sur fond bleu évoque la Vierge Marie, symbole de pureté, de foi et de fidélité. La présence de la fleur mariale rappelle la place de Marie dans la vie spirituelle du pape.
Être pape expose à bien des dangers, le premier étant celui de solitude. Dans le primus inter pares, mais avec les autres, compte avant tout le fait d’être le premier. Apparemment la solitude due à l’exercice d’une responsabilité personnelle est adoucie par le lien avec les autres évêques, ceux qui lui sont égaux, les pares. Mais dans l’expérience spirituelle personnelle, le pape est surtout celui qui est pour les autres, c’est à l’intérieure de sa vie intime de foi qu’il assume et porte la responsabilité de l’Eglise représentée par les évêques.
Comment alors assume-t-il cette situation.
Sans doute quelque part de façon un peu semblable à la nôtre. Nous aussi, nous nous sentons si souvent isolés, seuls, mais nous avons la possibilité de nous en affranchir. Non pas à coups de quelques grandes messes bien entraînantes pour plus de foi, plus d’espérance et plus de charité. Mais par le mystère de la communion des saints, nous pouvons accéder à une multitude dont la présence chasse plus ou moins efficacement le sentiment de solitude. Le chrétien est un solitaire solidaire, pas d’hésitation comme dans la nouvelle d’Albert Camus (à vérifier la référence).
Et comme dit René Char “A quelques uns on est déjà si nombreux”
À quelques-uns nous sommes déjà si nombreux.
A condition d’être In illo uno unum, unis dans celui qui est UN (Christ) nous sommes un. J’ai pris conscience à nouveaux frais de cette nécessité d’être unis et de la multitude de ceux qui nous entourent lors de deux dernières retraites, de première communion et de confirmation.
Vendredi soir de l’autre semaine, nous étions dans la chapelle à Cheung Chau. Lors de la veillée avec adoration du Saint Sacrement, j’ai invité les enfants autour de l’autel pour qu’ils sentent la proximité de cette réalité bien étrange et mystérieuse. Le lendemain lors de la messe pédagogique (expliquée pas à pas) durant la prière eucharistique de nouveau ils étaient tous autour de l’autel, les yeux sur la patène ou est déposée la grande hostie et le nez dans le calice. Peut-être espéraient-il y voir un miracle, comme cela m’arrive parfois, tout en m’en défendant, pris de panique devant le possible. Le but était de leur permettre de ressentir un amour plus grand que notre amour bien humain, noble en soit, à reconnaître et respecter dans toutes ces expressions qui conduisent aux yeux de Dieu lui-même à plus de vie bonne.
Pour se laisser conduire par Dieu à plus de vie bonne, cela passe par l’unicité de chacun à l’intérieur de lui-même. J’ai pu remarquer chez certains enfants une véritable transformation entre l’approche extérieure lors de l’arrivée et une intériorisation dont l’enfant est capable pour être bien dedans durant la retraite et on espère bien après. Et le lendemain, pour la réconciliation ils entraient par une porte et sortaient par une autre, tout un symbole et aussi pour des raisons pragmatiques c’était pour éviter de croiser ceux qui attendaient leur tour. Pour être unifié grâce au pardon, il faut se donner les moyens. Si facile d’être perturbé immédiatement après un moment de vérité.
A quelques-uns on est déjà si nombreux,
à condition d’être unis à celui qui est au centre de la foi chrétienne. C’est dans la confirmation que m’est apparue avec évidence la présence de la multitude. Est-ce uniquement à cause d’un petit nombre des confirmands de cette année, est-ce pour d’autres raisons aussi, je n’ai pas de réponse claire à ce sujet. Toujours est-il que l’évidence de la multitude était là et elle demeure. Elle est nourrie par les lectures de ce dimanche-là.
A quelques-uns on est déjà si nombreux,
à condition d’être In illo uno unum (en celui qui est un nous sommes un.)
Avec tous ceux de la terre nouvelle et du ciel nouveau (l’Apocalypse, la première lecture),
Avec ceux déjà présents à nos côtés aujourd’hui (certains venus de loin),
Avec ceux qui sont unis avec nous par la pensées et la prière (qui restent au loin géographiquement),
Avec tous les confirmés de ce temps de Pâques (un lien plus spirituel uniquement),
Avec tous les baptisés qui sont dans le désir missionnaire (un lien avec ceux dont la foi est une action),
pour aller et de toutes les nations faire des disciples en leur portant le commandement d’amour à la manière de Jésus (un lien spirituel par anticipation),
Avec tous ceux qui sont dans l’espérance de la terre nouvelle et des cieux nouveaux (peu importe la religion et conviction politique).
Avec ceux qui ont déjà terminés leur course terrestre dans l’attente de la résurrection et qui
Avec tous les saints intercèdent pour nous, (le culte des ancêtres si cher aux cultures et les religions d’Asie englobé dans la communion des saints)
Avec tous les êtres spirituels qui constamment louent la grandeur de Dieu (le ciel plein de vie qui se communique aux terriens).
À quelques-uns nous sommes déjà si nombreux.
A condition d’être In illo uno unum.
Pour se sentir appartenir à une grande famille où chacun a son rôle, sa mission.
Pour y parvenir, il faut faire face aux obstacles d’isolement, de rejet, de découragement. Aux dangers extérieurs s’ajoutent des dangers intérieurs liés à la fragilité, à la faiblesse d’esprit et de corps.
À quelques-uns nous sommes déjà si nombreux, à condition d’être In illo uno unum.
Dans son homélie le dimanche 18 mai, en présence des représentants de pratiquement tous les pays du monde, prononcée lors de sa première messe officielle (l’équivalent de l’investiture), le pape Léon insiste sur l’unité de l’Eglise catholique. Le mot unité, unis, apparaît 7 fois et le mot harmonie y apparaît 4 fois.
Pape Léon a dit :
« Pierre doit conduire le troupeau sans succomber à la tentation d’être un autocrate qui exerce son pouvoir sur ceux qui lui font confiance. Au contraire, il est appelé à servir la foi de ses frères et sœurs, marcher à leurs côtés. »
Pour terminer je propose un extrait du journal de Monseigneur Mounir, évêque Maronite de Batroun au Liban, relatant cette messe et surtout l’homélie du pape Léon (la veille il a participé à l’audience du pape qui désirait s’adresser aux représentants des églises de rites orientaux!).
Dimanche 18 mai 2025
10h00 : Il [le pape] commence [l’homélie] par saluer tout le monde puis il propose une idée spirituelle tirée de Saint Augustin disant que « Dieu nous aime tous d’un amour infini et inconditionnel » et que « notre cœur n’a pas de repos tant qu’il ne repose pas en toi ». Il est revenu sur la mort du Pape François et le collège des cardinaux « réuni pour le Conclave avec le désir d’élire le nouveau successeur de Pierre, l’évêque de Rome, un pasteur capable de garder le riche héritage de la foi chrétienne et, en même temps, de porter son regard au loin, pour répondre aux questions, aux inquiétudes et aux défis d’aujourd’hui ». Il a ajouté : « J’ai été choisi sans aucun mérite et, avec crainte et tremblement, je viens à vous comme un frère qui veut être le serviteur de votre foi et de votre joie, en marchant avec vous sur le chemin de l’amour de Dieu, qui nous veut tous unis en une seule famille ».
Il a ensuite fixé les lignes de son pontificat, reprenant des idées principales du Synode sur la synodalité, et se positionnant en continuité aux Papes Léon XIII et François : « Amour et unité : ce sont les deux dimensions de la mission confiée à Pierre par Jésus ». « Comment Pierre peut-il s’acquitter de cette tâche ? L’Évangile nous dit que cela n’est possible que parce qu’il a expérimenté dans sa propre vie l’amour infini et inconditionnel de Dieu, même à l’heure de l’échec et du renoncement ». « Le ministère de Pierre est précisément marqué par cet amour oblatif, parce que l’Église de Rome préside dans la charité et que sa véritable autorité est la charité du Christ. Il ne s’agit jamais de capturer les autres par l’oppression, la propagande religieuse ou les moyens du pouvoir, mais il s’agit toujours et uniquement d’aimer comme Jésus l’a fait » ; « il doit servir la foi de ses frères, en marchant avec eux : nous sommes tous, en effet, constitués en « pierres vivantes » (1P 2,5), appelés par notre Baptême à construire l’édifice de Dieu dans la communion fraternelle, dans l’harmonie de l’Esprit, dans la coexistence des diversités, comme l’affirme saint Augustin ».
Il porte le souci de l’unité de l’Église, mais en même temps son ouverture au monde :
« Frères et sœurs, je voudrais que ce soit notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devient le levain d’un monde réconcilié ». « En ces temps qui sont les nôtres, nous voyons encore trop de discordes, trop de blessures causées par la haine, la violence, les préjugés, la peur de l’autre, un paradigme économique qui exploite les ressources de la Terre et marginalise les plus pauvres. Et nous voulons être, dans cette pâte, un petit levain d’unité, de communion, de fraternité ». « Avec la lumière et la force de l’Esprit Saint, construisons une Église fondée sur l’amour de Dieu et sur le signe de l’unité, une Église missionnaire, qui ouvre les bras au monde, qui annonce la Parole, qui se laisse troubler par l’histoire et qui devient un ferment de concorde pour l’humanité ».
+ Père Mounir Khairallah, évêque de Batroun
Comme une miche de pain tout fraîchement sortie du four, le nouveau pape est pris de vertige devant sa destinée, être une bonne nourriture pour ceux qui attendent tant de lui. La présence des représentants politiques du monde entier en dit long sur la place de la papauté et les attentes qui sont autant des défis que des signes d’espoir d’un monde meilleur, et surtout pour les chrétiens ce sont des signes d’espérance d’un monde nouveau composé de la terre nouvelle et des cieux nouveaux.
Pas de temps à perdre, pour ne plus annoncer Habemus papam, c’est déjà fait, mais pour crier In illo uno unum. Urbi et Orbi qui accueille cela comme chacun le peut. Fin