Avez-vous entendu parler de The chosen, qui est une série cinématographique qui fait fureur sur les réseaux sociaux ? M’interroge une amie. Non, j’avais vaguement en tête le titre, mais pas plus. Vous devriez regarder, dit-elle, mais j’objecte que je ne suis pas abonné à la chaîne privée Netflix. Pas grave, vous pouvez le trouver sur YouTube. Ce que j’ai fait !
The chosen qui présente les grands thèmes sur les origines du christianisme, est une mise en scène moderne, au sens d’une adaptation à la mentalité des jeunes générations, donc modernisée par rapport à ce que l’on pouvait connaître par le passé (de Pasolini en passant par Scorsese à Mel Gibson).
Mais là, il s’agit délibérément comme chez Mel Gibson et d’une autre manière chez Pasolini d’annoncer la foi chrétienne. Et cela passe par le fait de faire comprendre le message chrétien et comprendre son contexte, ce qui n’est pas négligeable non plus.
Cette adaptation est nécessaire, même et peut-être surtout quand il s’agit des similitudes avec l’époque actuelle. Et les similitudes sont fondées sur des repères de vie qui ne changent pas, car ils sont intimement liés à l’expression même de la présence de celle-ci. On peut énumérer les plus basiques : amour, liberté, vérité, rêves etc. La vie relationnelle se trouve au cœur même d’un tel constat.
Une des raisons pour lesquelles j’ai été invité à regarder au moins quelques épisodes, c’était pour donner mon avis au sujet de la place des femmes dans l’entourage de Jésus.
Je me suis vite lancé à la recherche des indices de la place des femmes dans l’entourage immédiat de Jésus et de l’évolution de la manière dont elles ont été comprises tout au long du cours de l’histoire de l’ère chrétienne.
Je me suis donc penché sur une des questions attenantes à cette série qui touche justement à la relation avec les femmes, sur la place des femmes dans l’entourage de Jésus. Et surtout la place d’une d’entre elles, la fameuse Marie-Madeleine.
La question de mon amie portait précisément sur elle : est-on sûr qu’elle est cette femme libérée de sept démons et non pas la pécheresse attrapée en flagrant délit, une prostituée. Identifier Marie Madeleine peut aider à identifier la nature de sa relation avec Jésus. Le développement que je propose obéit à cette logique.
Tour à tour présentée comme une prostituée, un apôtre, un témoin de la résurrection, voire comme la disciple préférée de Jésus ou celle qu’il embrassait volontiers sur la bouche, Marie Madeleine n’a laissé personne indifférent. Mais qui était-elle vraiment ?
Sont précieuses les précisions apportées par des spécialistes, je convoque deux, les professeurs de l’UNIL Jean-Daniel Kaestli et Daniel Marguerat. Le premier est spécialiste des apocryphes, ces écrits portant sur la vie de Jésus et son entourage et non retenus par la tradition chrétienne, car jugés pas ou pas suffisamment conformes avec les critères d’authenticité de la foi. Le second est un éminent bibliste.
D’abord deux événements relatés par les Évangiles c’est chez Luc 7,37-50 et Luc 8, 2.
Pour le premier, cela se passe chez Simon, le pharisien, Jésus est un invité de marque, c’est pour lui-même que ce banquet est organisé. Soudain, une femme fait irruption, par derrière se jette aux pieds de Jésus (qui est allongé selon la coutume de l’époque), y pleure, elle essuie les pieds de Jésus à l’aide de ses cheveux. Et verse de l’huile d’une grande valeur.
« C’est à cause de l’intimité de ce geste et des revenus de cette femme – elle utilise un parfum précieux en grande quantité – que les Pères de l’Église ont très vite pensé à une prostituée », explique Daniel Marguerat.
On a tout aussi prestement associé la pécheresse inconnue à Marie Madeleine, qui avait été guérie de sept démons par Jésus (Luc 8, 2).
Le nom de Marie Madeleine est donné dans l’Évangile à cette femme libérée d’un mal, dont on connaît pas très bien la nature. A l’époque on ne faisait pas la distinction entre les maladies psychiques et les possessions par les esprits impurs. Ces derniers agissent pour venir prendre les commandes de l’intérieur de la volonté libre d’une personne, normalement saine d’esprit.
Était-ce une véritable possession qui demandait un exorcisme, c’est que l’évangéliste suggère. Jésus a libéré cette femme de sept démons. Était-ce en lien avec un trouble psychique ou sans, on ne le sait pas. La lecture spirituelle suggère une libération spirituelle qui au passage libère le corps.
C’est cette femme qui suivra Jésus, elle sera son disciple jusqu’à la croix et le premier témoin de sa résurrection. Ce n’est pas très excitant pour un regard purement terrien qui a besoin de se comprendre à partir de la grille de lecture que sa nature humaine lui suggère.
Sans aucun doute, il est important d’intégrer la dimension corporelle et affective dans toutes sortes de considérations qui impliquent une relation interhumaine, le langage du corps y étant la grammaire de base d’une telle relation.
Il est aussi important de ne pas tout mélanger, or c’est ce qui marque la postérité historique, intellectuelle et affective, de Marie Madeleine. Postérité avec son coefficient de quasi-certitude en termes de progéniture que l’on lui attribue si prestement.
La foi déplace les montagnes et cela s’applique aussi à la foi naturelle, toujours bien humaine, qui, nourrie par l’imaginaire, (dont seulement les poètes, et encore, savent en faire bon usage), est plus forte que les évidences historiques et donc scientifiques.
Cette nouvelle figure de la prostituée repentie fut ainsi promise à un grand succès, notamment au Moyen Age. Mais elle n’est pas la seule : l’autre figure celle de Marie Madeleine spirituelle, celle qui représente une veine spirituelle pure sans conteste, ce qui fait qu’on lui attribue être fondatrice de monastères, cette veine-là connaîtra, elle aussi, un succès médiéval, notamment dans le sud de la France.
D’après les Évangiles, Marie Madeleine est cette femme que Jésus a libéré de l’emprise de sept démons qui l’avaient tourmentée (Luc 8, 2). Ce n’est pas elle la pécheresse qui vient de faire une onction des pieds de Jésus qui est chez Simon. Et encore moins la femme attrapée en flagrant délit que l’on est sur le point de lapider et que Jésus sauve in extremis.
Mais l’intimité que se permet la femme chez Simon en dit long sur la nature du lien. Faut-il y voir ce que notre imaginaire purement humain suggère et si la réponse est négative, sur quoi s’appuie-t-elle alors ?
Certes, le pharisien Simon qui a invité Jésus a de quoi être choqué, même si les banquets de l’époque ne se déroulaient pas comme maintenant à huis clos garanti par des gardiens musclés de la paix à l’intérieur. A l’époque chacun pouvait venir en bon pique-assiette pour surtout admirer la générosité de l’hôte qui ne manquait pas de montrer sa puissance, y compris relationnelle.
Par ailleurs, vu les circonstances, on peut se poser la question de savoir qui était Jésus aux yeux de Simon. De quel type de personnages pouvait-il avoir affaire ? Alors que justement, il ne lui a même pas offert d’ablution réglementaire dans le cadre de l’accueil d’un hôte.
La femme est pécheresse, mais Jésus ne suggère-t-il pas que lui, Simon est aussi un pécheur. Ce que Jésus n’a pas manqué de relever, en la défendant, en expliquant le geste de la femme. Le coût très élevé de ce parfum suggère qu’elle ne pouvait qu’être riche et appartenir à la classe aisée de la société au côté de Simon, voire davantage.
Mais contrairement à lui, Simon, qui manquait aux respects de règles de politesse de base, la femme savait payer le prix de sa conversion en reconnaissance de ses dettes ainsi annulées. Une sacrée claque et une sévère incitation à suivre le geste de la pécheresse, non pas pour dépenser des sommes exorbitantes, mais pour offrir chacun sa vie, la payer, payer de sa propre vie. Toute conversion est à ce prix-là.
Quelle importance dans cette précision à distinguer entre la femme pécheresse de chez Simon et la femme libérée de sept démons, ces esprits impurs ?
Fondamentale, à mes yeux, car avec la femme libérée des démons nous sommes face à une démarche qui se situe non seulement dans la dynamique impulsée par le pardon des péchés, mais dans une démarche spirituelle marquée par la fidélité d’un disciple qui suivra son maître.
Dans le cas de la femme libérée, la vraie Marie Madeleine, il s’agit donc d’une dynamique qui se traduit par l’action symbolique visant à faire comprendre que Jésus, sauveur est venu libérer d’une emprise du mal à sa source. Et que le bénéficiaire ne peut qu’en être reconnaissant, car tout son être, de fond en comble, est bouleversé de la sorte.
Il est un être totalement renouvelé par le Christ. Or le nom de la pécheresse reconnaissant la divinité de Jésus par le geste d’onction n’est plus mentionné. On ne sait rien d’elle après, était-elle devenue une discipline fidèle. Même si, cela semblait sans importance, puisque tû.
La libération de Marie Madeleine fut attendue, désirée, mais à force de souffrir durant des années, qui pourrait encore y mettre même une lueur d’espoir ? Donc la guérison inattendue de la femme appelée Marie Madeleine tranche avec le geste délibéré, public, de la pécheresse convertie que les interprétations et commentaires vont un peu vite identifier avec une prostituée.
Or, la prostituée convertie colle mieux à nos aspirations bien humaines, son histoire correspond mieux avec ce que nous sommes dans notre manière d’imaginer une vraie conversion. Et ce n’est pas faux. Dans le langage biblique de l’ancien testament, pour signifier l’infidélité du peuple hébreu, on recourait aux termes liés à la prostitution. Ainsi les idolâtres, ceux qui honorent d’autres dieux que Dieu, par les péchés qu’ainsi ils commettent, ils se prostituent.
Mais dans la fascination pour Marie-Madeleine et sa place auprès de Jésus, ce n’est pas tant la conversion qui retient l’attention, mais sa vie affective, voire sensuelle exprimée à l’égard de Jésus. Et cela correspond à notre manière bien humaine de vouloir traiter tous les sujets d’ordre spirituel.
Certes il faut faire très attention à ne pas vouloir tout spiritualiser. Le rapport sur la pédophilie dans l’Église de France constitue un dossier suffisamment à charge pour ne pas où ne plus se cacher derrière un tel paravent.
Mais naturellement nous sommes des êtres soucieux de prolonger l’espèce et à cette occasion, ou indépendamment, nous sommes soucieux d’en tirer bon profit par la jouissance et le bien être que cela procure. Et le souhaiter à tous. Rien de mauvais en soi non plus, même si l’on sait que le chemin du bonheur chrétien passe par là aussi, mais surtout il ne s’y arrête pas. Les deux femmes, chacune pour sa part, ont compris cela.
Et si l’on se lamente sur le célibat des prêtres, en lien, car choisi et assumé plus ou moins fidèlement à la suite de Jésus, c’est pour dénoncer la solitude affective qu’une telle situation procure. Or à la lecture attentive des Évangiles on se rend compte que les textes ne montrent jamais Jésus en situation d’un tel manque.
Oui, il se sentait fatigué, abandonné, mais en termes d’affection, rien de tel. Est-ce par pudeur de l’époque, voire une retenue prudente voire prude des évangélistes. Où tout simplement, plutôt pour laisser juste quelques indices d’une vie affective bien équilibrée, sans jamais entrer dans les détails. Un bon indice à chercher dans l’environnement de tout prêtre célibataire.
Évidemment, il était difficile d’imaginer une vie de célibataire dans la société d’alors. Sauf pour des “illuminés” comme Jean Baptiste, membres d’un groupe spirituel formé par des célibataires, groupe auquel Jésus a dû sans doute aussi appartenir. Mais une fois ayant d’ailleurs plus ou moins normalement intégré la société, aurait-il gardé les vieux réflexes acquis au désert ?
Pourquoi pas, d’autant plus que sa mission et l’annonce de la venue (imminente ?) du règne de Dieu lors de sa vie dite publique ne le prédisposaient pas vraiment à vouloir vivre comme tout le monde.
Cela fait deux mille ans que le thème de cette relation est discuté. Tout s’y mêle : les faits historiques attestés dans certains documents dont la valeur est prouvée, les indices trouvés dans d’autres documents, les interprétations que l’on peut en faire avec les projections poussées par les intérêts propres aux protagonistes.
Tout y va vers la question finale que tout le monde se pose et qui a été relancée par le Da Vinci Code. La question est simple : Jésus et Marie Madeleine, jusqu’où est allée leur relation.
On n’est plus dans la relation entre Jésus et la femme libérée de sept démons, mais dans la relation de Jésus avec la pécheresse publique, une prostituée convertie à qui on donne le nom de Marie Madeleine, empruntée à l’autre, femme libérée de sept démons.
On n’est plus dans les évangiles, mais puisque l’on nous cache une vérité trouvée ailleurs, dans les apocryphes, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique. La posture ainsi trouvée est accréditée par le fait que les femmes, qui avaient beaucoup d’importance dans la vie et la mission de Jésus lui-même, dès la génération suivante de la vie des communautés chrétiennes, peu à peu disparaissent du devant de la scène.
En effet le modèle masculin va s’imposer très rapidement, en continuité quasi identique à celui connu dans le judaïsme et presque partout dans les sociétés d’alors. Mais les sources sont incontestables pour témoigner de la nouveauté absolue dans l’approche du fondateur du christianisme à l’égard des femmes.
Daniel Brown s’y engouffre à sa façon, mais à cœur joie, pour le plus grand bonheur, le sien, de son éditeur, tout ceci parce que pour le plus grand bonheur des lecteurs. Le client étant roi, le roi était bien servi, et dans cette histoire comme dans bien de semblables, il n’y a que des gagnants. Tout au moins dans un tel circuit restreint, car déclarer le bénéfice net, pur de toute effet négatif c’est ne pas tenir compte des effets néfastes collatéraux quelque part ailleurs, juste à côté.
Dans son livre, Daniel Brown s’est basé sur des apocryphes de l’Évangile de Marie qui parle des baisers sur la bouche entre Jésus et Marie Madeleine.
La conclusion de l’auteur du Da Vinci code et bien entendu du lecteur est immédiate. Ils s’aimèrent et eurent beaucoup d’enfants. Puisque Marie Madeleine était venue en Provence, le sang de leurs descendants s’est mêlé à du sang du peuple local.
Si la dynamique romanesque tient, car tout y est bien ficelé, les présupposés que l’on tire restent sujets à caution. Baiser, même si oui, mais de quelle nature ? Nous sommes tellement éloignés d’une approche spiritualiste, mystique du corps qu’immédiatement nous nous engouffrons dans une interprétation purement érotique. Nous peinons alors à admettre et donc à croire qu’une autre interprétation qu’érotique soit possible.
Du baiser, alors parlons-en. Dans la culture biblique et dans la civilisation qui l’a vue naître, les dieux donnent des baisers aux créatures pour leur transmettre leur vitalité. Dans la Genèse Yahvé qui souffle sur Adam lui fait un baiser, de la bouche à bouche.
Et encore actuellement il n’est pas rare que des hommes dans la culture musulmane arabe s’embrassent sur la bouche. Et moi-même, enfant, je recevais de tels baisers sur la bouche de la part de mes tantes et oncles et leurs enfants.
Marie-Madeleine oui, mais laquelle et comment ? Ne pas tenir compte des données historiques, c’est entrer là où la confusion règne. Et personne n’y gagne. Sauf ceux qui veulent pêcher dans les eaux troubles. Comme quoi, il est important de faire une saine distinction entre la fiction et les faits.
Jésus et les femmes, sujet inépuisable à bien de niveaux de considérations. La manière dont Jésus laisse les femmes s’approcher de lui pour en faire, en composer le premier groupe des disciples dévouées et fidèles est un modèle pour une vie affective saine. La fraternité est possible lorsque la sororité y est présente.
Ainsi soit-il, et à la prochaine fois pour un autre sujet visant, espérons-le, une vie épanouie grâce à un environnement affectif sain, bien équilibré.