« Les croyances ont toujours été le moteur des solutions ».

 

Si l’on fait les offrandes et accomplit comme il le faut les rites, on est assuré d’une bienveillance des divinités pour cette vie sur terre et éventuellement pour celle d’après. Si les Israélites vivaient des malheurs, c’est parce qu’ils cessaient d’être fidèles à la loi de Moïse. Cela concerne aussi les chrétiens en dignes héritiers de la foi des pères. Vouloir tout expliquer par une seule cause est tentant, mais cela ne marche pas, on le sait surtout maintenant que l’on a réussi à un peu mieux aborder la complexité de l’être humain et du monde.

 

Puis, sont venus les temps modernes avec de nouvelles manières de faire de l’argent à la faveur des découvertes des continents et des mondes nouveaux, suivis de ceux de l’industrialisation, si on devenait et ou était riche, c’est parce que l’on était béni de Dieu, une manière élégante de signifier la bonne entente entre les affaires de ce monde et les affaires d’ordre spirituel. Mais pas pour longtemps.

 

Est apparue une faille dans les consciences que les croyances (chrétiennes) en vigueur ne suffisaient plus à satisfaire les esprits de plus en plus rebelles (en France et pas seulement). On trouvait de moins en moins excusable l’exploitation de l’homme par l’homme (les Indiens ont-ils une âme et les esclaves sont-ils encore des humains ?). 

Une nouvelle croyance est apparue, encore une, celle de solutions à tous les problèmes sociaux parce qu’avant tout personnels ou familiaux, surtout les problèmes que certains posaient en donnant des solutions auxquels d’autres adhèrent. 

 

C’est la naissance des idéologies modernes et de leurs croyances. Puisque l’éducation finalement rime avec prise de conscience, pour canaliser cette dernière, il fallait l’éduquer à son tour, c’est-à-dire la formater, en la faisant purifier de tout soupçon d’influence obscurantiste provenant des croyances (surtout chrétiennes). Dans cette dernière période, sans rien perdre de la vigoureuse lutte contre les autres, ceux qui n’abordent pas leur existence selon les critères préconisés, apparaît une éducation par la pédagogie positive. Cette croyance a aussi ses limites.

 

Très récemment sont apparus d’autres messies : l’un sous forme de la nourriture végane, l’autre sous forme d’une fée qui, des fonds des mers de nos subconscients, nous abreuve et inonde même d’un écologiquement correct : sauvons la planète pour nous sauver nous-mêmes, ce qui veut dire que ce sont nos assises qui sont menacées. Et personne ne peut le nier en toute objectivité.

 

La dernière nouveauté est celle de tout expliquer par la communication. Ce qui suppose agir sur la mémoire surtout émotionnelle pour la déminer, ou au contraire pour la faire valoir afin de parvenir à connecter les savoirs ainsi transvasés entre eux. Mais ce dernier avatar a un sacré concurrent dans le « wokisme » qui pour sauver l’humain ne voit que le chemin d’immédiateté ce qui suppose la réfutation de toute mise en perspective historique. Décidément l’horizon humain n’a jamais été aussi plat, il manque les dinosaures, les mammouths et… Tarzan, ce dernier est facile à faire revivre.

 

Nous voici au cœur du sujet.

 

Si le besoin de communiquer est une nécessité vitale, rien que pour partager les émotions, nouer des alliances, faire avancer des projets…, on n’est jamais à la hauteur de l’attente des autres, pas plus qu’à la hauteur d’une attente à l’égard de nous-même. Communiquer c’est connecter, rendre fluide le circuit d’information et il y a mille façons de communiquer, je laisse les détails aux spécialistes de la chose. 

 

Mon propos est ailleurs, il est sur le fond de l’auscultation de la fonction auxiliaire de toute communication, celle d’un remède, d’un facilitateur de la vie. Mais il n’y a pas que cela.

 

A partir du moment où on voudrait prendre la communication comme solution à tout, apparaît comme logique la communication (qui n’en est pas une), qui en est simplement une illusion. C’est lorsqu’on succombe à la tentation de communiquer en soliloque, tentation qui ne concerne pas que les sujets totalement enfermés sur eux-mêmes, elle est présente chez chacun de nous. L’obstination aidant, faire comprendre à l’autre ce que je suis en train de dire pour m’exprimer est une telle forme de soliloque. 

 

Et ce n’est pas de la communication (la publicité chasse sur ce terrain avec un charme bien suggestif), même si elle peut y conduire, si toutefois elle exprime le mal-être et la volonté de s’en sortir (totalement contre productif dans la pub, sauf pour attendrir les portefeuilles pour une cause qui parlent). Cette communication en soliloque abondamment présente via la publicité etc dans l’économie de marché (j’y reviendrai plus loin) peut devenir un lieu de comparaison pour indiquer comment par contraste, pas toujours très net, communiquer dans l’Eglise.

 

Si la communication était une solution à tout, on n’aurait pas besoin de la bonne volonté qu’elle nécessite. Mais même cela ne suffit pas. L’omniprésence de la communication dans certains couples ne les a pas protégés de la désagrégation, alors qu’elle manque cruellement dans la majorité des cas à des périodes différentes et cruciales pour y échapper. La communication n’est pas seulement la question du droit de savoir, c’est avant tout le droit à être en relation. La relation fait appelle à bien d’autres résonateurs que ceux qui peuvent être verbalisés. 

 

Dans cette perspective est légitime la question de savoir si c’est seulement à cause de la mauvaise communication et de la mauvaise volonté que la révélation judéo-chrétienne n’a que très difficilement percé les esprits des humains pour se laisser féconder d’une telle “bonne nouvelle” ? Il n’y a pas de communication qui fait changer sans l’acceptation d’y être exposé. La volonté y étant engagée, il faut chercher ailleurs.

 

La communication, aussi noble qu’elle soit, tout en faisant partie de l’objectif d’une vie, en partie s’en distingue par ses aspects fonctionnels, ceux de l’ordre des moyens. La confusion vient d’une complexité polymorphe du mot lui-même, comme pour d’autres mots passe-partout qui servent à ouvrir des espaces multiples où chacun trouvera ce qu’il cherche : amour, liberté, etc. C’est notre subconscient qui détermine la qualité de la communication.

 

L’exemple qui me paraît le plus éclairant ce propos est celui de Jésus qui promet que « dans la maison de son père il y a beaucoup de demeures » (Jean 14,2). Ce que l’on accueille avec une sorte de nonchalance spirituelle, en laissant suggérer comme si Dieu accueillait tout le monde sans aucun tri, ni préalable (purgatoire), ni définitif ?

 

La toute puissance de la communication est un mythe qui est particulièrement utilisé dans la publicité où, combinés ensemble, l’image et les paroles sont porteurs d’un message simple et efficace, efficace parce que suggestif, ce qui veut dire suggérant d’aller là où l’on indique le chemin, et la docilité est garantie par le fait qu’est activé le désir profond d’être beau, gentil, bon et puissant sans devoir écraser les autres. 

 

La première étape cruciale de toute stratégie de communication réussie est une analyse approfondie du marché, peut-on lire dans de nombreux posts sur Internet. De fait, si la stratégie de communication réussie consistait à laisser libre non pas en apparence, mais avec une réelle volonté derrière le message publicitaire communiqué, ce serait contre-productif de la part des investisseurs et la raison même de le faire serait remise en cause. 

 

Si Jésus avait eu une stratégie réussie de communication, il s’y serait pris bien différemment. Certes, il a si bien commencé, mais si mal terminé. Sa communication était parfaitement réussie dans la première phase de son activité, les guérisons (gratuites) étaient le meilleur moyen pour attirer les foules et même attacher à lui ses plus proches collaborateurs. 

 

S’il a dévié de cette trajectoire, c’est sûrement parce que l’objectif final était ailleurs, mais tout comme dans les paraboles, il fallait commencer par les gestes et les paroles qui étaient lisibles et audibles pour son entourage et son auditoire, puis se lancer à la poursuite, ou plutôt passer à une autre phase de sa visée principale : révéler l’amour de Dieu qu’il porte en lui jusqu’au bout, d’où la croix. Aucune publicité digne d’un tel objectif ne pouvait avoir lieu avant, elle sera faite à la lumière de la résurrection, selon le principe que tout est bien qui finit bien. La communication chrétienne se distingue de la communication publicitaire, ou de la stratégie d’entreprise, qui sont soumises aux exigences de rendement (combien cela va nous rapporter, d’où le besoin de bien cibler au risque de perdre la place et le marché). 

 

La poursuite de ce raisonnement s’appuie sur le constat selon lequel le mythe de sa toute puissance est un danger pour la démocratie. Je me réfère au livre collectif, Marketing remède ou poison, chap II Marketing politique : le mythe de sa toute puissance est un danger pour la démocratie, (EMES éditions 2013).

 

Appliquer le marketing, comme mode de communication, au monde politique, est aussi tentant que de l’appliquer aux religions. Communication n’est pas la com qui est le propre du marketing, le processus de communication ne se réduit pas à sa seule finalité, celle de la persuasion. La démocratie, encore moins la religion chrétienne, n’a pas à vendre des produits finis ou à les améliorer ultérieurement. Si dans la communication est visée la construction identitaire et la convivialité (la démocratie et le christianisme ont cela en commun), le caractère grégaire de l’homme, cet animal social, le prouve. L’omniprésence de la publicité n’est pas synonyme de son omnipotence, bien que réellement efficace dans bien des cas (coca cola etc), elle se heurte à la résistance du consommateur qui cherche à s’en défaire, par ailleurs persuadé qu’il est le seul à ne pas être manipulé ; ce paradoxe fait partie de la communication. 

 

La communication dans le domaine électoral, comme dans le domaine financier de l’Église catholique par exemple pour financer le denier de l’Église, se fait par l’intermédiaire de sociétés spécialisées en marketing. 

 

Vu par les spécialistes qui s’expriment dans le livre cité, les dangers symboliques du marketing politique sont présents dans l’espace publicitaire qui appauvrit les relations humaines et finalement provoque le renforcement de l’émergence d’une société anti democratique. Et que dire alors d’une religion qui irait dans une direction similaire avec des objectifs similaires. Ce qui est déjà malheureusement bien présent dans les religions du monde anglo-saxon et qui, à la faveur d’une société saturée par le marketing dans l’espace symbolique d’un imaginaire collectif, cherchent leur place avec leurs chaînes de télés propres et leurs journaux, puis internet y venant au secours pour fournir un nouveau moyen de communiquer. Si le danger pour la démocratie est évident, il l’est encore davantage pour la religion. Refuser tout soupçon de marketing dans les affaires de Éà l’image du refus de toute modernité des Amiches (sans électricité ni voiture), n’est pas envisageable, car à son tour contre productif, d’un point de vue de la communication au sens plénier du terme, celle qui vise à créer et renforcer les liens sociaux relationnels. 

 

Une personne que je connais bien vient de lancer une chaîne de prière du Rosaire sur 24 heures, sept jours sur sept. Occuper l’espace aux côtés des autres n’est pas se faire reconnaître auprès des autres, c’est surtout permettre aux catholiques de plus en plus isolés de sortir de leur anonymat, de leurs catacombes pour se reconnaître frères et sœurs en Jésus. En quoi la soumission aux moyens modernes de communication est-elle l’abandon de la souveraineté politique, religieuse, universitaire ? Certes payeur décideur, mais avec de plus en plus la configuration qui ressemble à la fonction d’un conseil d’administration, ou contrairement aux membres qui sont des généreux investisseurs, dans le cas de marketing politique ou religieux, en prime ce sont les payeurs qui sont démis de leur fonction de décideur au profit des agences spécialisées en marketing. Cela peut paraître exagéré, dans la mesure où l’image de marque de l’institution grâce au marketing est rehaussée, mais elle risque d’y être enfermée. Or, le rôle d’une telle institution est de faire valoir et préserver la communauté relationnelle. C’est toutes proportions gardées, comme dans une messe où chacun lit l’évangile dans son téléphone pour être sûr de bien comprendre au lieu d’entendre la même voix qui proclame (à condition qu’effectivement elle soit audible).

 

La communication n’est pas une solution à tous les problèmes, elle en engendre de nouveaux. Et en attendant, le fond du problème reste le même, comment s’en servir pour bien vivre en société (famille, paroisse, quartier etc) et que le dictat d’un caractère utilitaire de la présence des uns à côté des autres ne soit pas le seul vecteur de l’humanité, qui alors ne serait plus. S’il est normal (jusqu’à certain point) de voir des chasseurs de têtes toujours à l’affût de nouveaux cerveaux à embaucher, soit, mais si toute la vie ne tourne qu’autour de cela, cela risque durement d’appauvrir l’humanité qui est faite de ces paradoxes: communiquer gratuitement n’est jamais possible, le caractère utilitaire ne peut qu’être une partie visible d’un Iceberg qui en immersion quasi totale dans le subconscient fait valoir non pas cette velléité utilitariste, mais une relation gratuite. Même là où l’on pense qu’il n’a plus rien à prendre, même à apprendre, cependant il a toujours quelque chose à vivre. Et cela s’appelle Amour, salut par l’amour, avec les moyens comme la communication pour se le dire, OUI!

 

Et l’auteur de l’ouvrage cité, constate et préconise :

 

“Ce n’est pas la puissance persuasive du marketing politique qui est à combattre, mais sa rationalité déterministe qui légitime la vision, déterministe et réductionniste, de la société de marché. …si l’on veut préserver une alternative symbolique autre que repli religieux, (il faut) mener une bataille intellectuelle visant à définir la démocratie”.

 

Si l’expression « repli religieux » montre l’incapacité à communiquer de façon la plus objective, il est certain que le combat pour l’espace symbolique ouvert et non contraint à toute sorte d’emprise d’efficacité, est le même pour le christianisme et la démocratie. Il est peut-être temps que ces deux réalités se parlent et communiquent plus librement pour le futur de l’humanité libre et responsable.  

 

Le salut (peu importe le sens que l’on lui donne) ne vient jamais des mauvaises alliances, il vient d’une communication en vérité, libre de tout soupçon de récupération pour des raisons partisanes.