L’occasion est trop belle pour ne pas la rater. C’était le même jour, en 1940, il y a presque un siècle déjà. L’ombre longiligne du Général, homme au grand cou, se dépose avec conviction sur la France libre au coucher de soleil d’un des plus longs jours de l’année, même à Londres le solstice d’été fait son effet.

 

Pas seulement en temps difficiles, appels, manifestes et autres déclarations solennelles fleurissent partout sur la planète terre, peu importe la zone géographique et sa fertilité nutritionnelle pour maintenir en vie les vivants.

 

La zone des armes déjà engagées ou préparées pour un usage imminent est plus large que la terre qui nourrit, et à sa façon plus nutritionnelle, car plus mortifère, ce qui hélas revient au même du point de vue des effets en termes de moisson. 

 

Et la moisson est en effet plus abondante dans la mort que ce que les climats chauds et pluvieux peuvent offrir pour nourrir physiquement les vivants. Mais on objectera, avec cynisme, que s’il y a des morts c’est parce qu’il y a suffisamment de vivants pour l’étape suivante dans un jeu de roulette russe de la roue de la fortune.  

 

La vente des idées est universellement répandue ; c’est en leur nom que l’on prend position, au départ de façon verbale et plus ou moins pacifique, pour sortir parfois les cros, qui, eux font peur, ce n’est jamais un processus simple.

 

Il ne suffit pas d’avoir de la suite dans les idées, faut-il encore les mettre en musique, les armes servant d’instruments sur lesquels jouent les fantassins, cuirassés et autres bombardiers ; les musiciens de la discorde jouent l’hymne à la joie sous la baguette d’un remarquable chef d’orchestre.

 

On croirait entendre les puissances célestes se faire coucou avec celles de la terre, il n’y a pas mieux que, ne serait-ce qu’un léger coup de pouce de là-haut.

 

Les cros font peur parce que déjà à distance ils font mal, très mal, tellement mal que même le recours à l’anesthésie de la conscience n’est d’aucune efficacité.

 

Si on peut neutraliser la sensibilité intellectuelle, on ne peut pas stopper l’hémorragie de la souffrance qui se déverse dans un corps blessé, meurtri, en perdition, et par anticipation de la sienne, on se met à ressentir ce que les autres peuvent déjà subir.

 

N’est d’aucune efficacité la vision d’un monde sans effusion de sang, signée par le christianisme avec le poinçon de la couronne d’épine sur la tête et le burin de clous sur la croix ; n’est d’aucune utilité la prière des moines bouddhistes favorisant la position de la fleur de lotus avec l’idéologie du zen maquillée en gentillesse lénifiante du panda et autres ours inter polaires ; à plus forte raison le jihad spirituel.

 

Car pour que la posture pacifique soit efficace, il faudrait que tous les habitants de la planète bleue soient convertis à ce genre d’aptitude ou similaire, et ceci s’il-vous-plaît ! au même moment. 

 

C’est possible dans la Bible, et seulement dans des endroits bien précis, lorsque l’homme se met à rêver d’un Dieu doté d’une telle efficacité, qui fait que Ninive se met à sérieusement reconsidérer ses plans d’un bonheur offert à la collectivité de l’époque, par une réglementation contraignante, naturellement partagée dans une euphorie de soumission manifeste.

 

L’indication de la direction pour s’en sortir, pour échapper au danger imminent qui menaçaient les habitants de Ninive, sous l’effet de la prédication pour une fois réussie de Jonas, la légende chargée d’un sens spirituel très fort de la foi en la conversion des coeurs résume les aspirations de l’humanité quand elle saisit l’occasion de se réveiller par le clairon apocalyptique de l’urgence à vite renouveler l’espérance.

 

Quel dieu s’y opposerait, aucun intérêt à punir au-delà du raisonnable, ou alors c’est une vengeance un peu gratuite qui s’apparenterait à la manifestation de la force inverse, ténébreuse. Ce qu’a pourtant tenté Jonas, le prédicateur en furie, se mettant à regretter l’efficacité vengeresse qui aurait dû s’abattre sur un peuple rebelle, tellement il ne croyait pas au miracle.

 

Le cœur perçoit de temps à autre d’autres occasions de se laisser convaincre de la nécessité de changer… 

 

Au cœur de la tempête belliqueuse, le miracle est arrivé d’abord sous forme de l’appel du 18 juin, c’est déjà une belle réussite personnelle pour le général qui se prend pour la France, afin que la France s’identifie à lui, et ainsi soit sauvée.

 

Puis est venu le miracle des compagnons d’Afrique qui, comme 150 ans plus tôt ceux d’Italie pour les Polonais, sont venus s’agréger timidement sous les tropiques de l’empire britannique, dont l’aimable chef de gouvernement a saisi l’occasion pour renforcer la coalition.

 

Quand en février 2022 les Ukrainiens ont montré leur désaccord avec le “projet pacifique” du voisin qui voulait leur offrir une place dans un ensemble plus large de l’Empire russe, combien de fois le recours à l’histoire, pas seulement celle d’humiliation subie et de dignité à leurs yeux à trouver, mais le recours à l’histoire a lieu pour invalider l’indépendance octroyée sur les décombres de l’Empire en ruines.

Et d’autres cas si nombreux existent partout dans le monde où les peuples ou ethnies étaient divisés ou intégrés, de force toujours. La loi du plus fort n’a jamais rien perdu de son efficacité et aucun supplice expiatoire sur une croix aux carrefours des routes commerciales n’y changera la cruauté.

 

Si l’appel a eu son effet, c’est par la volonté d’un seul, combien sont-ils ceux qui sont capables de mettre leur vie en jeu pour le pari d’une réussite, toujours passagère, intermédiaire, parcellaire, jamais certaine, jamais totale.

 

Voici les extraits de cet appel,

 

Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !

 

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.”

 

Un homme qui a cru, pourquoi faut-il croire en quelqu’un pour avancer, en qui croyait De Gaulle en plus de lui-même? 

 

Quel est le lien entre la réalité et son dépassement dans le futur?

Mobiliser les énergies, mobiliser les moyens humains et militaires, puis aller se battre pour récupérer ce que la puissance étrangère a imposé sous ses lois, faut-il chaque fois mettre en jeu la vie, la sienne et celle des autres?

 

Pourquoi ne parvient-on pas à maintenir un niveau raisonnable de convivialité pacifique ?

Pourquoi la bestialité s’habille de cynisme, ou la vérité s’habille de justification pour cacher sa nudité?

 

C’est une belle chose que d’être honnête, mais c’est encore plus beau d’être raisonnable, et c’est Churchill qui parle pour essayer de retenir la fougue du général, quelques heures avant l’appel. 

 

Pour ne pas s’encombrer de sophismes pernicieux, mieux vaut apporter sur des sujets utiles, une opinion raisonnable…que sur les futilités, des connaissances exactes… La question est de définir ce qui est raisonnable. Pour définir la raison on peut se perdre dans les sophismes” (citation d’un livre, pas le mien, en cours de publication)

 

C’est la vérité qui devrait dire à la place des premiers humains au paradis: je me suis cachée, car j’étais nue! As-tu mangé de cet arbre, qui est celui qui l’a caché efficacement tant que tu ne l’as pas touché ? 

 

Oui, la vérité, honnête par excellence, a honte d’avoir mangé le fruit qui la rend vulnérable, elle a besoin d’être habillée, car toute nue elle est effroyable.

 

Loin de l’esthétisme morbide ou teinté d’une autre excitation, la vérité de la guerre est toujours la même et toujours nouvelle, car habillée de circonstances qui parfois la rendent même plutôt sympathique.

 

L’appel du 18 juin n’est pas un appel à une telle complaisance, c’est une bravoure qui coûtera cher en vies humaines.

 

On peut se poser la question de savoir pourquoi de Gaulle et d’autres avec lui, comme lui ou autrement n’ont-ils pas accepté les conditions de soumission, n’est-ce pas, suggérerait la soumission pacificatrice, qu’il vaut mieux avoir le ventre plein que n’en avoir pas du tout !

 

C’est un peu kafkaïen et surtout surréaliste, mais pourquoi on ne se soumet pas là où la soumission est requise aux yeux de ceux qui ont le pouvoir de soumettre souvent au moyen d’un jeu subtil entre l’élégance de la négociation présumée qui n’en est pas une, puisque de toutes les façons elle se soldera par des diktats à subir et la tristesse des vaincus de ne pas pouvoir s’avouer “la victoire de la soumission”, d’être vaincu par elle, la soumission, qui, insaisissable tel un fantôme, renvoie à sa source ténébreuse tout en se parant d’une si belle incarnation.

 

C’est l’opposition présumée qui irrite les belligérants, les rendant méfiants, agressifs jusqu’à tuer. Je les écraserai et mon peuple me suivra, disait le Führer, tout Hitler ou autre Staline n’est jamais seul.

 

L’habit guerrier de la vérité l’a transformée en sacrifice conditionné sous forme de boucherie pour nourrir de chair à canon et de leurs abats morts la vie de ceux qui en face sont encore vivants; c’est encore une lueur d’espoir pour ne pas, à leur tour, s’y perdre totalement.

 

Oh ! Toi la vérité qui est belle seulement habillée de mots d’amour, enivrée de parfums de la nature et même de parfums des rêves, reviens nous en très belle forme comme toi seule sais le faire !

 

L’appel pour la libération est toujours un appel contre l’envahisseur. 

 

Après avoir présenté il y a bien des mois les fondamentaux de l’appel de De Gaulle dans le contexte de sa vie, dans ce qui suit, je propose de regarder la facette de l’appel contre l’envahisseur, en me concentrant sur le personnage que représente l’envahisseur. 

 

Comme celle sur de Gaulle, la biographie d’Hitler du même auteur (François Kersaudy) servira de fonds d’archives pour essayer de comprendre quels sont certains enjeux (car aucune prétention d’en présenter la totalité) d’un appel contre. 

 

Ce qui saute aux yeux, c’est la divergence de regards entre ce que donne à voir l’intéressé et ce que l’on peut comprendre dans un travail d’historien qui fouille dans des angles morts. 

 

Adolf se décrit comme un enfant malheureux, d’un père ivrogne et coléreux… ce que l’historien trouve bien excessif.

 

L’historien précise que 

 

“Le jeune Adolf…était un mauvais élève à l’école secondaire, non par manque d’intelligence, mais par excès de paresse – ses maîtres l’ayant en outre décrit comme un enfant indiscipliné, querelleur, entêté, arrogant, irascible et immature… exigeant de ses camarades de classe une soumission absolue”.

 

Sa prétendue boulimie de lecture se résume à quelques lectures d’ados sur le far ouest américain et quelques feuilletons sur la guerre prussienne de 1870 contre la France. Elle va le rattraper plus tard.

 

Un seul ami, puis une fille objet de fantasmes, qu’il n’osera jamais approchée, allergique au travail suivi, flâneur, peintre, poète, habitué d’opéras et de Wagner en particulier ; orphelin en 1907, deux ans plus tard dans la rue, connaissant l’asile de nuit pour survivre l’hiver avec la soupe populaire des sœurs de la Charité ; sans travail ni quelques projets, cyclothymique, coléreux, “J’avais l’impression qu’Hitler était devenu déséquilibré” constate son ami.  

 

Un bon sens de perspective lui permet de vendre des aquarelles (cf. Musée des offices de Florence), il se montre particulièrement accessible au discours pangermaniste, contre pratiquement tout, révolté par la Babel ethnique des rues de Vienne. 

 

Et pour terminer ce tableau de futur envahisseur, lui qui n’avait jamais voyagé au-delà des frontières imposées par les exploits belliqueux, cependant, il aime les cartes pour préparer sa future guerre.

 

Mais pour l’instant il n’est pas là, la preuve, à l’époque, il n’a aucune animosité contre les juifs philanthropes dont il profite.

 

Il ne se vantera pas d’avoir précipitamment quitté Vienne en 1913 pour échapper au… service militaire ; finalement réformé au moment où les nuages noirs s’amoncellent sur l’Europe. 

 

Et alors qu’il prend une décision qui changera sa vie et la face du monde, pour bien longtemps, jusqu’à ce qu’un autre fasse au moins pareil. 

 

Porté par un enthousiasme bavarois, lui apatride, va se porter volontaire comme soldat prêt à se battre, accepté, cette fois-ci sans tenir compte de sa constitution physique. 

 

Volontaire, courageux, habile pour passer inaperçu comme estafette sur le front, chanceux, qui n’a peur de rien (comme De Gaulle), pour lui la bonne étoile se met à briller au-dessus de sa tête, parce qu’elle est déjà dans son cœur ; avec toute l’affection dont il est capable et qu’il reporte sur Fuchsl, un petit fox-terrier égaré et adopté. Dans chaque ogre il y a un zeste d’affection.

 

Un homme transformé par la guerre, un homme né pour la guerre, et la guerre ne pouvait être que totale. 

 

Mais sa porte d’entrée sur la scène internationale sera celle qui laisse s’immiscer des politiciens, amateurs avides….

 

Et lorsque l’on est doté d’une mémoire infaillible, comme celle d’Hitler ou de De Gaulle, c’est un atout majeur pour se lancer avec un zeste d’audace et un grain de folie pour bâtir un monde nouveau, mais et surtout lorsqu’il s’agit de faire mieux que quiconque pour réparer le toit de la maison qui fuit, ou pire, renouer avec un glorieux passé. 

 

L’Appel contre est un appel pour le bon sens dans la conduite des affaires de ce monde.

 

C’est le devoir qui crée les droits et non pas le droit qui crée les devoirs.

 

Comment définir une vie digne ?

Si j’avais à lancer un appel, quel serait son contenu ? Et vous ?