La campagne ressemble à tant d’autres dans la région. A pieds, à vélo, plus tard en mobylette ou en moto, certains même en voiturette jusqu’à utiliser la voiture de service. Être de service pour les autres n’est pas si original, tant de métiers le font. Sans parler du fait que toute la société fonctionne sur le principe de services rendus dans un esprit de mutualisation des moyens. Et que dire du service à l’intérieur d’une famille, d’une communauté de vie….

Mais être un agent de communication au sens le plus traditionnel et concret du terme, c’est plus rare. Et cela se raréfie même de plus en plus de nos jours sous l’effet du changement dans la manière de communiquer qui entraîne la diminution considérable du volume matériel à acheminer. Par conséquent ceci devient de moins en moins intéressant économiquement sous pression des exigences imposées par la rentabilité.

Oui, vous devinez bien, je suis en train de parler d’un métier qui encore naguère permettait de maintenir le lien social.

Et comment !

Ce métier c’est celui de facteur, facteur indiscutable d’un lien social tramant les relations à l’horizontal. Bonjour c’est le facteur, au-revoir, merci, à demain. A qui peut on dire chaque jour à demain, alors que même la femme de ménage ne passe pas tous les jours. Alors que lui qu’il pleuve ou fasse beau, qu’il neige ou qu’il y ait du verglas, il est toujours là.

Parfois il tousse et il est content de pouvoir se réchauffer chez vous dans un coin de cuisine où déjà bout la future bouillabaisse, ou alors on ramasse les épluchures des pommes de terre pour les mettre dehors. Les saletés, on les met dehors ou alors on les lave, mais un facteur même pas très propre sur lui à cause de la météo qui soulève de la boue ou lui pose de la poussière à couper les cordes vocales, on le cajole, on s’en occupe. C’est un hôte passager mais précieux.

Même quand il apporte des mauvaises nouvelles, une contravention à payer, un télégramme annonçant le décès dans la famille, une lettre anonyme qui n’est pas vraiment faite pour vous faire plaisir non plus.

Vous l’aimez, vous l’appréciez, vous l’attendez, épiez même, tiens aujourd’hui il est plus tard que d’habitude, que c’est-il passé, une panne, une fatigue qui fait traîner les pâtes, un chagrin peut être ?

Tous ces souvenirs de mon enfance recombinés pour le compte de cette narration ont surgi dans ma mémoire à la lecture d’un fait du jour. Le 21 août, dans le calendrier catholique, nous commémorons la mémoire d’un saint, d’un pape même. Parmi les saints reconnus par l’Eglise les papes sont un certain nombre à être ainsi mis à l’honneur. Que le soupçon puisse peser sur un conflit d’intérêt c’est normal, que c’est difficilement envisageable c’est normal aussi.

Il était fils de facteur, rare situation d’origine aussi modeste pour un pape, qui d’ordinaire se recrute parmi les candidats provenant d’un rang social bien plus élevé, de l’aristocratie romaine par exemple. Il venait de la campagne italienne pour devenir Pie X. Nous sommes au début du XX siècle.

Son père n’était pas seulement facteur, il portait sur lui une autre marque indélébile. Il était un immigré venu de l’autre bout de l’Europe, de la Pologne. Son nom signifiait tailleur, mais il était facteur, il aurait pu être comme Bourvil, lui venu du pays de soleil, non le “tailleur” venait du Nord.

Devenant facteur, il n’arrêtait pas de bouger pour porter toutes ces nouvelles aux gens. Cette méditation c’est aussi un hommage à un autre facteur et toute sa famille d’amis morbihannais dès les premières années de ma vie française à la parisienne; période où sortir extra muros par delà le périphérique s’apparentait à une expédition dans un autre pays et affronter l’inconnu nécessitait de s’armer de patience sans baisser la garde. Et cette nouvelle découverte comportait un certain facteur de risque à être sous une autre influence d’inculturation.

Les facteurs comme d’autres métiers deviennent des souvenirs d’un passé certes glorieux, mais révolu. Actuellement, nous sommes bien loin de ce type de situations. Qui aujourd’hui parmi les nouvelles générations peut bénéficier d’un tel lien social? Ils en ont d’autres, sans aucun doute. Pour avoir droit aux informations diverses et variées la digitalisation règne en maître avec son côté virtuel, mais pas moins réel dans la transmission d’information.  

Elle s’impose sous forme de toile qui entoure la planète terre, qui rentre dans nos oreilles et nos yeux. Elle est tellement prégnante que parfois provoquant des nausées qui finissent par sortir par le trou du nez. Tellement nous sommes gavés, pour la plupart à notre insu, et si c’est avec notre consentement, c’est sans être conscients du danger, mais un homme averti en vaut deux (cela doit être pareil au féminin). 

Ce que nous perdons au change dans ce qui se dessine comme une nouvelle civilisation, c’est l’innocence d’une information singulière qui vient se poser sur la table de cuisine entre le petit déjeuner et le repas de midi. Et peu importe si c’est une bonne ou mauvaise nouvelle, elle garde son caractère unique. Elle est accueillie comme le facteur lui-même, comme un visiteur du jour et qui va occuper des heures entières de pensée destinées à remémorer le passé que l’information transmise a fait remuer et qui nécessite d’envisager l’avenir. Pour réagir à la nouvelle, il faut prévoir un plan d’action, et cela mobilise soi-même et l’entourage. 

Ce que nous perdons surtout, c’est le contact humain, tout au moins sous cette forme-là, le porteur de la lettre était une lettre lui-même. L’information contenue dans le courrier était indissociable de son porteur.

St Paul le dit à sa manière en s’adressant aux chrétiens de la première heure de Corinthe: “vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos coeurs.” 2 Co 3.

Peut-on aller plus loin dans l’identification entre le support et le message? Nous sommes “le pays” de message, comme chante Goldman, “mon pays c’est toi”. 

Sans quitter la vision de Paul, mais pour revenir à mon facteur afin d’y voir une chose semblable, de tels porteurs ont été d’abord les seuls canaux d’informations destinées à quelqu’un de singulier. Mais à la faveur de l’invention de la radio et du téléphone (télégraphe qui fonctionnait en lien direct avec le facteur qui portait le Télégramme) les canaux d’informations journalières se sont vite différenciés. La radio pouvait transmettre des messages de voeux et de bonheur à l’occasion d’un anniversaire de naissance ou de mariage. 

Mon enfance était aussi nourrie des appels quotidiens destinés aux personnes qui pouvaient se sentir concernées par la recherche des personnes disparues lors de la bourrasque de la deuxième guerre mondiale. C’est dans ce contexte que grandissait en moi le désir de paix pour éviter de tels déchirements des coeurs, ruptures des liens, destructions des toits communs.

Avec le facteur physique, porteur d’informations uniques venaient donc en parallèle des colporteurs d’informations destinée au grand public. L’anonymat, comme le mistral, gagnant, ces colporteurs à la fois feignaient de le respecter, tout en s’y immisçant de plus en plus. C’est surtout pour des raisons commerciales, mais pas seulement, aussi pour notre sécurité et pas seulement, aussi à notre insu et pas seulement, car avec le consentement plus ou moins volontairement obtenu et pas seulement etc… 

Colporteurs de pubs de tout ordre, faisant du porte-à-porte, ils sont déjà un maillon intermédiaire de la chaîne d’évolution dans la transmission d’information tout azimut et de nouveau ciblée de plus en plus.

Nous sommes loin du facteur d’Italie, de Pologne, ou de France où d’ailleurs. Mais pas loin est notre désir de traiter l’information avec égard pour celui qui la transmet, car nous sommes nous mêmes la lettre que Dieu écrit dans notre coeur pour qu’elle soit lue un jour en présence des anges. 

Les bonnes et les mauvaises nouvelles, pêle mêle nous sont destinées dans la mesure qu’elles comportent une parcelle de vérité nous concernant. Avoir le temps de les digérer, c’est se remettre en marche, comme le facteur en Homo Viator (homme en mouvement, en pèlerin).

Inlassable, toujours à la recherche d’un nouvel espace de liberté à conquérir, à l’amour, à la mort, et à la vie toujours. Longue vie à tous les facteurs de paix.