Souvent les propos du pape François sont difficiles à comprendre, à interpréter et à apprécier leur valeur. Parfois c’est son style journalistique d’interviews qui pose problème. Si les questions sont claires, les réponses le sont moins, tout au moins au premier abord.

Ce que reconnaît le pape lui-même, car comme il le dit “j’aurais dû dire”, mais c’est post factum. Souvent, si ce n’est systématiquement, ceci est pris non pas pour une clarification, mais plutôt pour une reculade. Comme un gouvernement face aux manifestants plutôt déterminés à s’opposer aux différents projets de loi.

C’est ainsi pour la question de l’homosexualité, la question de la clarification de ses propos tenus lors d’une interview publiée par Associated Press le 24 janvier dernier. Le pape y affirme que l’homosexualité n’est pas un crime et que les lois pénalisant l’homosexualité sont injustes. Ainsi il s’est attiré l’attention (la sympathie pourrait être un qualificatif trop fort) de la part des défenseurs des LGBT qui ont qualifié les propos du pape comme étape importante (Milestone), ce qui pourrait, espère-t-on, mettre fin aux persécutions et à la violence dont sont victimes les personnes se reconnaissant concernées. 

Mais la joie était de courte durée. La faute à la clarification qui précise les termes et jette une lumière nouvelle sur la réalité décrite, d’abord de façon simple pour ne pas dire simpliste, car unilatérale, sans tenir compte de sa complexité. On ne va tout de même pas reprocher au pape d’avoir un langage simple et donc accessible. En bon jésuite, il construit son discours en tenant compte de son auditoire. 

Visant d’abord celui qui est le plus éloigné du centre des préoccupations qui sont celles de tout pape en tant que responsable de la bonne santé, avant tout spirituelle, de ses fidèles. Puis il va se rapprocher de ceux qui sont dans un cercle plus proche de la foi chrétienne et de ses préoccupations doctrinales, pour les amener à reconsidérer leur point de vue, trop étroit à son goût, sur les questions qui fâchent. Ce faisant, il ouvre comme par inadvertance les portes vers de nouveaux espaces qui pourraient être habités par l’esprit chrétien. C’est à quoi servent les expressions qui interrogent et les précisions qui suivent, qui comme dans ce cas, lui ôtent une bonne partie de crédit d’un côté, tout en rassurant un peu de l’autre.

Mais finalement personne n’est satisfait.

Comment en effet le croire sur parole, alors qu’un jour il ouvre des portes si longtemps fermées, voire jamais ouvertes, puis semble les refermer.

Comment le croire sur parole alors qu’il a ouvert les portes subrepticement, feignant l’avoir fait par inadvertance, et même s’il les referme, le mal est fait.

D’ailleurs on le soupçonne de les avoir laissées entrouvertes pour laisser une lumière nouvelle s’immiscer dans les affaires bien établies. Ce n’est pas que les uns et les autres, les défenseurs de la doctrine et les partisans de l’ouverture de celle-ci à ce type de situations, vont constituer le front commun, trop polarisantes sont les attitudes adoptées avec lesquelles on aborde ce type de problèmes. 

Et cette situation rend le pape encore plus isolé que d’accoutumée. Mais il ne peut qu’aller son chemin et peu importe la recherche de consensus par la synodalité ou l’attention écologique portée à l’environnement physique ou spirituel. C’est à la jointure entre ces deux modes d’existence envisagés par la foi chrétienne, à la fois doctrinale et en même temps proche des gens concrets, que le pape se situe constamment dans ses propos. À cet égard il n’est ni d’un bord ni de l’autre, ou plutôt des deux conjointement comme âme et corps physique peuvent l’être.

Pour des raisons théologiques et donc spirituelles, il défend la traditionnelle doctrine, mais attentif aux cris des malheureux de toute sorte que les LGBT ou autres adressent à qui veut l’entendre, avant même que cela ne parvienne au Tout Puissant Éternel, il se fait le chantre de la proximité et de la compréhension de telles situations qui sont toutes des réalités qui par la souffrance ainsi générée, touchent souvent très profondément les personnes hors cadre. Et on ne peut lui reprocher d’avoir un regard posé sur le hors cadre, là où habituellement ne va pas l’objectif de la caméra pour prendre en mouvement les images, là où cependant se déroulent tant de drames humains qui ne sont pas prêts de disparaître.

Que fait l’Église ?

Même si l’on sait ce que fait la police dans certains pays, dans 67 pays l’homosexualité pratiquée même avec consentement est considérée comme un crime et 11 pays prévoient la peine capitale. 

Pour ce podcast je me réfère aux deux communiqués concernant ce thème.

Dans la version polonaise, l’agence catholique ajoute, sous forme d’un rappel, que la doctrine catholique enseigne l’interdiction des mariages homosexuels, considérant que le sacrement de mariage est le seul à signifier un lien stable entre un homme et une femme. Alors que le communiqué en anglais ne le mentionne pas, se contentant de relater les faits concernant ce petit incident aux allures médiatiques pour dire que le pape revient souvent sur ce thème, et il le souligne lui-même.

The pope also noted that the AP interview was “not the first time that I speak of homosexuality and of homosexual persons.”

Ad rem donc.

Dans l’explication sous forme d’une lettre du 27 janvier dernier, le pape précise sa pensée, la lettre écrite trois jours après la publication de l’interview est adressée au père James Martin sj, qui a demandé des éclaircissements. Le jésuite est l’éditeur qui se décrit lui-même comme étant une ressource catholique agissant (en faveur ?) des LGBT sous les auspices de America Media. Le pape y réitère ses propos en dénonçant la pénalisation de l’homosexualité, mais apporte une double précision : dans la distinction qu’il fait entre le crime et le péché, et dans la prise en compte des circonstances (liberté de conscience et volonté d’action).

“Qui a péché, lui ou ses parents, ni lui ni ses parents, mais pour que la gloire de Dieu se manifeste”.

En répondant ainsi à la question des disciples, Jésus, pour que se manifeste la gloire de Dieu, va guérir l’aveugle de naissance (Jn 9).

Le pape François va-t-il réussir autant ?

Pas sûr, car il n’exprime même pas la volonté, il est seulement saisi d’un sentiment de miséricorde, légitime, mais est-ce suffisant ?

Cela pose la question d’une acceptation d’état de fait et/ou le désir d’accompagner vers un mieux (si toutefois on l’envisage), voire un changement d’attitude ?

Ceci se pratique sur le terrain nord-américain dans le cas de divorcés remariés que l’on accompagne sur le chemin vers l’abstinence sexuelle totale, pensant que c’est la meilleure voie pour redevenir le membre digne de la communauté d’Église.

À chacun d’apprécier. 

Pourquoi ne pas envisager la même “thérapie” dans le cas de l’homosexualité active. Ceux qui sont concernés pour la grande majorité y vivent avec un sentiment d’identité construite sur cette attraction pour le même sexe, ou plus précisément les attractions non hétérosexuelles exclusives.

En ne se considérant pas comme malades d’aucune façon, juste différents, de guérison ils n’en veulent pas. Ils attendent seulement qu’on les écoute et éventuellement les bénisse.

Le pape serait-il complice des situations moralement inacceptables ?

Il donnerait une bénédiction, même si certains parmi les visés ne l’attendent même pas ?

Qu’est-ce qu’il y a de Dieu dans cette bénédiction-là ?

En effet, dire qu’on les comprend, sans les condamner, car on a bien réussi à distinguer entre le crime et le péché, c’est les disculper et rendre vierge le casier judiciaire du Saint Office, si lourdement chargé naguère. L’envie de les charger est tout de même restée attachée à la conscience de ceux qui y voient un outrage spirituel. 

Le pape est clair, dans l’explication, le péché reste un péché, mais il faut encore aller plus loin pour voir de quel péché il s’agit, car il y a péché et péché, et les péchés les plus lourdement assortis de condamnation traditionnelle sont ceux contre la morale et les mœurs. La vision paulinienne de la morale et des mœurs, grâce aux apports de la culture ambiante, qui dans le stoïcisme fournit des remèdes aux maux qui touchent la société d’alors, et en vertu de la traditionnelle gestion de ces problèmes par la loi de Moïse, répond plus aux besoins sociaux qu’à la manière dont Jésus lui-même aborde ce type de réalité humaine, bien discret en termes de récriminations proférées à l’égard de tel déviants.

Dans ce rapport à l’homosexualité, on est un peu loin du péché contre l’Esprit Saint, synonyme du refus de la grâce de Dieu.

Qu’en est-il des homosexuels par exemple ? 

C’est dire la difficulté réelle à gérer une société, surtout quand on en a la responsabilité dans l’ensemble, comme c’était le cas de l’Église il n’y a encore pas si longtemps. Et même, quand on n’a pas cette responsabilité en direct, bien qu’on l’a du point de vue spirituel qui n’en est pas moins concret, puisque l’évêque est responsable de tout le peuple de Dieu sur son territoire et ainsi uni avec tous par les liens de charité. Pour dire autrement, c’est compliqué à cause de la lourdeur de l’héritage ajouté à l’ambiguïté de la relation entre ces deux corps que sont, l’Église d’un côté et la société civile de l’autre.

Qui va statuer et comment ?

Dissocier le péché du crime, c’est déjà aller contre la tradition biblique de l’Ancien Testament (cf Michée 7, 14-15, 18-20) qui associe les deux, mais en les considérant interchangeables, les soumet au traitement tout de même magnanime du Dieu de Moïse. La miséricorde (cœur de Dieu attristé, mais plein de tendresse) du Messie va se déployer en don de la vie pour la multitude. Tous les crimes seront alors ôtés, car les péchés seront effacés. 

Jésus va aller encore plus loin, qui a péché, lui ou ses parents, ni lui ni ses parents mais pour que la gloire de Dieu se manifeste (Jn 9). Ce n’est pas un crime d’être aveugle de naissance, mais pas moins lourde est la charge symbolique qui pèse sur un handicap quel qu’il soit. Son porteur le contractant sans son gré, au lieu d’être utile à la société, en est à la charge, incapable de subvenir à ses besoins. 

Quel est donc le rapport entre ce qui est considéré comme étant la norme (mariage entre un homme et une femme dans le cadre du sacrement du mariage) et ce qui ne l’est pas (homosexualité, mais pas seulement). La criminalisation des comportements jugés déviants est un moyen de réguler la vie en société ; comment la religion y participera à charge ou au contraire allégera le poids. Le pape François visiblement ne cherche qu’à alléger, en desserrant le carcan qui étouffait la vie normale à laquelle tous ont droit.

Qu’est-ce que la vie normale ? 

Le crime et le châtiment (Dostoïevski) étant remplacés par le péché et la miséricorde, pourquoi ne pas aller jusqu’à bénir les couples homosexuels ?

Quels sont les motifs de refus ? Est-ce le fait qu’ils ne peuvent pas procréer par les voies naturelles, traditionnellement (bibliquement y compris) ? 

L’immoralité dont ils sont chargés si souvent par la société civile et religieuse vise avant tout à dénoncer leur caractère inutile pour la société. Ça change avec les sociétés modernes qui ne s’attachent pas en premier à la question de la procréation comme service rendu à la société, mais au besoin des individus d’être heureux, y compris par le fait d’avoir des enfants, quitte à le faire par l’adoption ou l’insémination artificielle ou encore par la gestation pour autrui. Refuser de bénir de tels couples reviendrait, aux dires des défenseurs de la cause, à ne pas respecter la vie pleine d’amour qu’un tel couple exprime entre eux et pour leur progéniture.

En quoi Dieu a vu que cela fusse bon au point de devoir les bénir, ce qui revient à dire qu’ainsi Dieu reconnaît son œuvre comme bonne, certes à parfaire, mais dès le départ bonne ?

Bien entendu, la situation où Dieu bénit la création date de l’avant le paradis perdu, est-ce cependant l’argument suffisent pour statuer le refus ? Que les spécialistes se prononcent car le débat est ouvert.

Quand le pape insiste sur le fait que toute relation hors mariage est un péché, il désigne la matière du péché, mais il poursuit, l’enseignement dans ce domaine demande aussi à évaluer le degré de liberté et l’intention. Et c’est pareil pour tout péché. Jésus lorsqu’il pardonne à la pécheresse, il lui dit vas (liberté dans le pardon) et ne pèche plus (conséquences durables ?). 

Le pape peut-il dire la même chose aux couples qui expriment leur amour de cette manière-là ?

Comment voit-il le lien entre la vision traditionnelle et l’ouverture qu’il veut signifier ?

Sous pression des faits que la société civile n’étouffe plus, il prend le risque de s’y situer.

Va-t-il uniquement dire anathème ?

Ce n’est pas parce que ses propos sont parfois ambigus, qu’il n’y a pas à s’y arrêter, et les prenant au sérieux, prendre finalement au sérieux ceux qui sont concernés. L’ampleur d’une telle nouveauté et la manière de la considérer, comme dans d’autres cas similaires (les divorcés remariés, les questions bioéthiques, etc), demandent du temps et du sérieux. 

La question “Qui suis-je pour condamner ?” du pape François à l’égard de telles situations reflète ce besoin et ouvre les portes à de nouvelles manières d’envisager la foi chrétienne, et tout au moins invite au débat. 

Bon dimanche de la Miséricorde.

 

 

 

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In an interview with journalist Elisabetta Piqué for the Argentine daily newspaper La Nación, Pope Francis explained the reasoning behind his strong statement.

“Gender ideology, today, is one of the most dangerous ideological colonizations,” Francis said in the interview published on the evening of March 10.

“Why is it dangerous? Because it blurs differences and the value of men and women,” he added.

By Hannah Brockhaus

Rome Newsroom, Jan 28, 2023 / 05:00 am

Pope Francis has written a letter to clarify his comments on sin and homosexuality from a recent interview with the Associated Press.

  • “When I said it is a sin, I was simply referring to Catholic moral teaching, which says that every sexual act outside of marriage is a sin,” the pope wrote to Jesuit Father James Martin in response to a request for clarification.

Francis said he was trying to say in the interview that criminalization of homosexuality “is neither good nor just.”

“As you can see, I was repeating something in general,” he wrote. “I should have said ‘It is a sin, as is any sexual act outside of marriage.’ This is to speak of ‘the matter’ of sin, but we know well that Catholic morality not only takes into consideration the matter but also evaluates freedom and intention; and this, for every kind of sin.”

Martin published the pope’s Spanish-language letter and an English translation on the website of Outreach on Jan. 27. Martin is the editor of Outreach, which describes itself as “an LGBT Catholic resource” operating under the auspices of America Media.

In an interview published Jan. 25 by AP, Pope Francis said: “Being homosexual is not a crime. It’s not a crime. Yes, but it’s a sin. Fine, but first let’s distinguish between a sin and a crime.”

The Outreach article posited that the pope’s comment that “yes, but it’s a sin” was intended to be from a hypothetical interlocutor to whom Pope Francis was responding.

In his Jan. 27 letter, Pope Francis ascribed the confusing statement to the conversational tone of the interview.

“It is understandable that there would not be such precise definitions,” he said.

The pope also noted that the AP interview was “not the first time that I speak of homosexuality and of homosexual persons.”