“Le « Poon Choi », plat emblématique des Hakkas de Hong Kong”

Article écrit par Gérard Henry*

 

A Hong Kong, le Nouvel An chinois est l’occasion, dans les villages hakkas, de grands rassemblements autour du “poon choi”, un plat traditionnel partagé par toute la communauté.

 

Hong Kong ne s’est pas créé seulement à la suite de la colonisation britannique et des immigrations venues de Chine après la révolution communiste. Les Hakkas, les Hokklos et les Tankas les avaient précédées bien des siècles auparavant. Population ancienne, les Hakkas ont migré de la plaine centrale chinoise vers les provinces du Sud durant les dynasties des Song du Sud, des Yuan et des Ming, fuyant les guerres et les invasions dans le Nord. Ces agriculteurs ont fondé des villages dans la partie nord des Nouveaux Territoires bien avant la colonisation britannique et la révolution communiste. Loin de l’urbanisation intense de Hong Kong, ils ont su conserver vivants leur style de vie et leurs traditions, notamment culinaires. La société traditionnelle est fondée sur une culture clanique qui se perpétue de générations en générations. Leur patrimoine architectural et culturel a été protégé dans les anciens villages, qui peuvent facilement se visiter. Ce patrimoine reste très vivant et se perpétue dans toutes les grandes fêtes du calendrier chinois.

 

Pendant plusieurs années, je suis allé à Ping Shan, dans les Nouveaux Territoires de Hong Kong, le troisième jour du Nouvel An pour le grand poon choi du clan des Tang.

 

Le clan des Tang à Ping Shan est l’un des plus anciens et des plus originaux, s’étant installé à Yuen Long sous les Song du Sud, il y a environ huit cents ans. Le clan Tang de Ping Shan consiste en quatre-vingts villages dans la région. Son temple ancestral construit il y sept cents ans, sous la dynastie Ming, est l’un des plus anciens et des plus vastes de Hong Kong. C’est un bâtiment magnifique fait de trois halls et deux cours intérieures, le temple des ancêtres lui-même est surélevé dans le fond du hall où reposent sur un autel les tablettes funéraires de plusieurs générations du clan.

 

Chaque année, les Tang fêtent le Nouvel An par un grand poon choi qui a lieu à l’intérieur du temple de leurs ancêtres, fait de deux halls successifs à larges travées. Il s’agit d’un évènement privé qui regroupe les familles du village mais qui comporte aussi quelques tables d’invités, tels que notables locaux ou artistes, écrivains ou journalistes. Actuellement, le chef du clan, fils ainé de la famille Tang, est d’ailleurs William Tang, grand couturier très médiatisé à Hong Kong.

 

C’est un exemple du charme et des extrêmes contrastes de la cité de Hong Kong où se côtoient la modernité la plus extrême et les traditions les plus anciennes. Les Tang forment une vieille famille très respectée dans ce vieux village rural aux ruelles très étroites et autrefois fortifié. On ressent leur ancienneté, la force de leur position, un peu comme la reconnaissance de la noblesse ancienne en Europe.

 

William Tang est ici l’enfant du village, le fils ainé, mais quand il quitte ce village aux traditions ancestrales il devient “l’enfant terrible” ou, dit la presse, le bad boy de la mode hongkongaise, vivant entre Hong Kong, Canton, Londres, New York, Berlin et Paris dans une sorte de jet set où il est connu pour ses extravagances.

 

Son arrivée à Londres a coïncidé avec la mode rétro des nouveaux romantiques, qu’il a adoptée avec flamboyance. Il a réinterprété les vêtements portés sur les modèles de Man Ray pour accompagner une rétrospective photographique du célèbre artiste. Sa connaissance de l’histoire ancienne chinoise et, simultanément, de la mode contemporaine occidentale inspire ses créations, qui puisent parfois dans le Shanghai des années 1930, avec une célèbre et choquante robe traditionnelle cheongsam rose, ou plus simplement dans la mode vestimentaire paysanne et les tissus archaïques. Il a dessiné les uniformes de Cathay Pacific et de Dragon air et a même ouvert une boutique à Paris (Presence II). Artistes de rue ou danseurs contemporains participent souvent à ses défilés de mode, qui parfois créent de petits scandales.

 

Le voir ainsi aller de l’un à l’autre rôle est fascinant mais marque un côté de la société hongkongaise peu connu des touristes et très loin de la culture communiste du continent, qui ne parvient pas à séduire les jeunes Hongkongais. Entre la culture ancienne du poon choi, la mode contemporaine, et l’art de la rue, William Tang semble nager comme un poisson dans son élément.

 

Le poon choi est un plat unique où l’on empile tous les aliments : les viandes – poulet, canard, porc –, les fruits de mer, les légumes-racines telles que carottes et navets, des champignons dans une marmite posée sur un réchaud au milieu de grandes tables rondes et où les convives viennent piocher avec leurs baguettes.

 

La dernière fois que je suis allé à suis allé à Ping Shan, il y avait là plusieurs dizaines de tables serrées dans le temple et ses cours où se côtoyaient villageois, parents et amis des Tang, un grand nombre d’artistes, danseurs, chanteurs, comédiens et intellectuels invités. La matriarche du clan Tang, 82 ans, aujourd’hui disparue, présidait comme de coutume le repas communautaire : une grande femme à l’allure noble, vénérée de tous ses fils, vêtue d’une veste de fourrure ornée d’une boucle d’argent et de diamants.

 

Le menu unique présentait cette année-là en entrée un délicieux bouillon chaud de canard, du poulet au citron, des huîtres, des champignons noirs suivis par le fameux poon choi à proprement parler, un empilement de navets, champignons, de peau de tofu, de bœuf, de porc, de crevettes et pieuvres. Disposer les différentes couches est tout un art.

 

Le repas terminé, le maître d’arts martiaux, un grand Chinois droit et carré aux cheveux coupés en brosse, ceint de sa traditionnelle veste de soie jaune d’or, a mené des danses du Lion et du Dragon particulièrement sensuelles, les animaux semblant frissonner de désir, et une extraordinaire danse de la Licorne chinoise que toute la foule a applaudie et encouragée en lançant aux danseurs des enveloppes rouges fourrées d’argent pour la nouvelle année.

 

Cette fête a été initiée par les paysans pour nourrir les troupes d’un jeune empereur des Song du Sud qui fuyait vers le sud l’invasion des Mongols, on peut être certain qu’elle réapparaîtra sitôt la pandémie évaporée…

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  • Gérard Henry parcoure Hong Kong en tous sens depuis plus de 30 ans et en connaît l’histoire et les recoins cachés. Entre montagnes et mer un blog illustré de dessins où le paysage, l’humain, le végétal, l’anecdotique, le politique et le social se côtoient sans hiérarchie pour dessiner le portrait de Hong Kong, cité très vivante adossée à de petites montagnes sur le rivage de la Mer de Chine su Sud.

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Photo©GérardHenry