L’idée de faire un podcast sur les générations Y (1984-1996) et Z (1997-2010) et le wokisme a soudainement surgi en moi lors du congrès des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC) qui s’est tenu au Havre en mars dernier (18-20) sous le thème “D’un monde à l’autre, agir en espérance”. 

 

Réunissant près de deux mille personnes, le congrès est un des évènements majeurs de la vie entrepreneuriale française.

 

Délibérément tournées vers l’avenir que l’on voudrait marqué par l’espérance chrétienne, les assises étaient une bonne occasion de vérifier concrètement sur quoi reposent les fondations du mouvement qui se veut de plus en plus chrétien. 

 

Trouvée sur le site, l’histoire du mouvement permet de comprendre l’inspiration chrétienne dès les origines.

 

1926 :

Création de la Confédération Française des Professions (CFP). Elle regroupe des syndicats d’employeurs chrétiens décidés à “ réintégrer dans le monde des affaires la morale et la conscience “.

 

1931 :

À l’initiative de la CFP, création de la Conférence Internationale des Employeurs Chrétiens, qui donnera naissance en 1949 à l’Uniapac.

 

1936 :

Réflexion sociale au sein de la CFP : ” La production n’a pas pour seul but le profit du capital mais aussi la vie de tous les collaborateurs de la production et la satisfaction des besoins du consommateur. “

 

1948 :

La CFP devient le Centre Français du Patronat Chrétien (CFPC). Il perd son caractère professionnel et syndical au profit d’une pensée et d’une action plus orientées vers la mise en pratique des enseignements de l’Église. Il est associé au Centre National du Patronat Français (CNPF) à titre consultatif, sans droit de vote.

 

1958 :

La « CFPC » s’associe désormais sous le titre « Centre Chrétien des Patrons et Dirigeants d’Entreprise Français » pour marquer que le mouvement est ouvert à tous ceux qui ont la volonté de poursuivre et promouvoir la réflexion chrétienne en matière économique et sociale.

 

1989 :

Le sigle évolue encore pour devenir « CFPC : Patrons et Dirigeants chrétiens », espace d’accueil de patrons et dirigeants chrétiens désireux de faire coïncider leur foi et leur vie professionnelle.

 

2000 :

Le Centre Français du Patronat Chrétien (CFPC) devient les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (les EDC).

 

2011 :

Création de la Fondation des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens qui a pour objet de ” conduire, promouvoir et soutenir toute action d’intérêt général à caractère social et philanthropique permettant d’ordonner la vie économique autour de l’homme et du bien commun.”

 

Les EDC se démarquent du MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, (1998), sa sœur jumelle, mais avec qui ils restent en lien étroit, le président de celui-ci faisait partie des intervenants au congrès.

 

Le thème des assises “D’un monde à l’autre, agir en espérance” prend tout de suite une forme réelle, car exprimée dans de nombreux témoignages qui faisaient apparaître cette dynamique. Quelle concentration d’énergies, quelle source d’idées, d’ouverture à l’avenir et à l’autre, à l’Autre !

 

Le thème oblige, au cours du congrès, il ne manquait pas toute une réflexion sur les relations intergénérationnelles, une des caractéristiques du passage d’un monde à l’autre. Les générations Y et Z marquées par le wokisme s’invitent alors tout naturellement au débat.

 

L’intervention d’une jeune professionnelle, elle-même trentenaire appartenant à la génération Y, était censée exprimer cette double empreinte.

 

Pour la génération Z, comme déjà en partie pour la génération précédente, il n’y a plus de frontières, car il n’y a plus d’autorité pour les imposer.

Dans ce contexte, le Woking est l’expression d’une libéralisation de toute cette dépendance. 

 

Y compris celle à l’égard du marquage historique de mentalité en remettant en cause leur caractère oppressant, le wokisme se veut une dénonciation de toute forme de soumission considéré comme une forme d’esclavage. 

 

La libéralisation de toute forme de dépendance pose problème aux entrepreneurs et dirigeants, pas tant celui de management en général, mais un de ses aspects qu’est celui de la fidélisation. Le nomadisme professionnel de la génération Y ne semble pas s’atténuer avec la génération Z.

 

Combien de fois on pouvait entendre dans les coulisses et partout ailleurs : “on les forment et ils nous quittent pour un ailleurs supposé meilleur”. Dans l’Eglise c’est pareil, faut-il pour autant s’en lamenter, même si les enjeux financiers sont aussi à prendre en compte.

 

Il est sans doute plus facile pour l’Eglise d’accepter cette situation comme service au profit de la société humaine en général que dans le cas d’une entreprise. De nombreux pays des missions chrétiennes et pas seulement sont pleins d’exemples d’une telle participation à l’effort commun.

 

L’entreprise, souvent aidée dans l’accueil des jeunes en vue de leur formation par des instances gouvernementales ou autres, est aussi invitée à reconsidérer la question de la fidélité en termes de service de la société humaine dans son ensemble.

 

La fameuse distinction entre l’intérêt particulier ou l’intérêt général d’un côté et le bien commun de l’autre prend alors tout son sens. Le bien commun peut aisément intégrer la dynamique d’une telle volatilité, et ce malgré les intentions de la part des entreprises.

 

Au cœur de cette tendance marquant la nouvelle génération se trouve non seulement un nouveau rapport à l’entreprise, mais également un nouveau rapport au travail qui n’est plus au centre de la vie, mais comme un simple moyen pour réaliser le rêve d’occuper agréablement le temps par les loisirs au sein d’une relation choisie, familiale ou pas.

 

La génération Z, comme toutes les générations montantes, est confrontée à la question de l’autorité et donc celle de la soumission. Comme les autres, elle cherche aussi à échapper à l’emprise de celle-ci en la jugeant oppressante, car empêchant l’expression de sa liberté.

 

Comme toutes les autres, pourrait-on dire, sauf que celle-ci, encore plus aisément que la précédente, a les moyens d’ériger cette résistance en termes d’éclosion à la maturité par le maintien d’une posture de refus. Comme le constate la jeune conférencière, après tout, c’est la génération de nos parents qui nous a préparés à cela. Un joli pied de nez pour dire à la fois le statu quo et l’incapacité de l’assumer.

 

Mais puisque l’on ne peut pas vivre sans autorité, sans cette instance qui autorise, on est dans l’auto confinement de l’autorité pour ne pas dire dans l’auto confiscation.

 

Deux manières de voir le phénomène de refus de l’autorité de façon durable sont possibles. Soit il est l’expression d’une réelle libéralisation du joug ressenti comme tel subi de la part des générations précédentes. 

 

Soit il est l’expression d’une régression, résultat d’une incapacité à muer en adulte responsable dont la caractéristique première est celle d’assumer le statut d’autorité qui implique les droits et les devoirs. Dans les deux cas, il faudrait voir en quoi c’est une nouveauté et quelles en sont les conséquences.

 

Les deux hypothèses sont plausibles dans la mesure où la génération Z avec Woking comme moyen de s’exprimer est une génération qu’en France l’on peut identifier comme étant issue d’un état d’esprit plus que d’un milieu, celui de bobos parisiens.

 

La bobotisation de la nouvelle génération résulterait alors d’une réponse de la génération précédente donnée à la qualité de vie désirée pour sa progéniture. C’est alors que l’on peut considérer le phénomène en termes de prolongement de l’adolescence que permettent l’éducation avec souvent les études longues et le travail fournissant les moyens de subsistance pour faire plutôt le tour du monde que fonder un foyer et une famille. 

 

Les deux générations précédentes X et Y en sont les premières à bénéficier d’un tel environnement favorisant à adopter une telle posture. Ce que la génération de leurs parents pouvait se permettre à la retraite, eux le peuvent tout en début de la vie professionnelle quand ce n’est pas déjà lors des études avec tous les échanges universitaires possibles. 

 

Si les trentenaires sont des adolescents attardés, ils évolueront vers l’attitude de responsabilité qui intègre l’autorité, pas seulement la leur qu’ils exercent de facto, mais également celle des autres. Ce qui se passe généralement en prenant de réelles responsabilités dans le monde professionnel et social avec le fait de fonder une famille.

 

La véritable accession à la responsabilité vient alors avec l’acquisition de la stature parentale qui de façon la plus évidente les propulsera dans la zone d’autorité reconnue parce que partagée.

 

L’horizontalisation des relations structurant la vie professionnelle ou sociale propre à ces générations, renforcée par le wokisme n’y changera rien, le besoin de la dimension verticalisante dans la succession des générations est plus fort que toute velléité de la gommer.

 

Dans le futur, à la faveur d’une évolution sociale dont on commence à entrevoir la direction, cette dimension verticalisante pourrait s’exprimer avec plus de force et nuances sous une forme nouvelle.

 

Certes, le modèle purement vertical d’autorité exprimé dans le top down appartient au passé. La transmission des savoirs n’a plus besoin d’une autorité de ceux qui savent et dispensent leurs savoirs du haut de la chair. Leur rôle se limite à celui de facilitateurs d’accès à la bonne information. Et tout l’enjeu éducatif est là dans cette capacité à accompagner dans la conduite à l’information.

 

L’école, la famille et la paroisse, tous les trois sont challengés non seulement dans leur rôle de transmetteurs des savoirs et de l’autorité qui va avec, mais dans la raison d’être de leurs structures mêmes.

 

Si le wokisme par exemple est une étape indispensable pour asseoir la légitimité de la nouvelle manière de se situer face à toute structure sociale et ce qui la fonde, il faudrait voir comment la comprendre et l’intégrer dans le dispositif social.

 

Dans tous les deux cas, il faudrait intégrer cette tendance et même l’accompagner, mais ceci serait déjà l’expression de la présence de l’autorité que l’on est justement en train de rejeter. La revendication de la non ingérence est un des pare-feu puissant, empêchant les autres de s’immiscer dans les affaires internes aux générations Y et Z.

 

La génération Y a grandi dans un contexte d’automatisation globale et pousse les entreprises à repenser et reconstruire en profondeur la gestion et le management des ressources humaines générant des innovations organisationnelles et structurelles nécessaires à leur adaptation au monde du virtuel.

 

La génération Z est marquée encore plus profondément par la présence du numérique qui l’accompagne depuis la naissance. Le wokisme comme réceptacle d’idées et d’actions est sa deuxième composante.

 

Apparu en français en 2015, le mot wokisme désigne de manière péjorative un courant de pensée, une idéologie, qui se veut progressiste, qui lutte pour une certaine conception de la justice sociale, à travers la défense de diverses causes.

 

Pour approcher de plus près le terme de wokisme, voici l’explication trouvée sur un site.

 

“D’où vient le mot wokisme ?

Le mot wokisme est formé à partir du mot woke et du suffixe -isme, qui sert dans certains cas à former des mots péjoratifs. Woke, mot emprunté à l’anglais au milieu des années 2010, désigne une personne ayant conscience des inégalités sociales et luttant pour un monde plus juste. Ce mot, qui sert toujours d’étendard pour les personnes qui se reconnaissent dedans, acquiert progressivement une connotation péjorative depuis la fin des années 2010.

 

En anglais, le mot woke, participe passé du verbe to wake (« (s’)éveiller »), veut dire littéralement « éveillé » et par extension « conscient ». Dans l’argot des Africains-Américains, il a pris le sens spécifique de « lucide face aux problèmes sociaux que rencontrent les Noirs ».

 

La formule stay woke, qui signifie littéralement « reste(r) éveillé », a été popularisée en 2013 lors du mouvement Black Lives Matter, mais aussi via une chanson de Erykah Badu sortie en 2008, dans laquelle elle répète « I stay woke » (« je reste vigilante, je reste lucide »).

 

En anglais, l’emploi du terme s’est ensuite étendu à d’autres thématiques que les questions raciales, comme le harcèlement sexuel, l’immigration, l’identité de genre. Ce mot a acquis en anglais une teinte péjorative lorsqu’il a été repris par les militants de Donald Trump, pour dénigrer le camp d’en face.”

 

Il s’agit d’une notion flottante pour désigner plusieurs luttes sociales autour de questions d’égalité, de justice, de défense des minorités : lutte contre le racisme, contre le sexisme, pour les droits des LGBT+ et de diverses minorités.

 

“Certains modes d’action discutables, comme la censure, la réévaluation du passé avec le point de vue d’aujourd’hui (cancel culture), les campagnes de harcèlement en ligne, ont d’abord été mis en lumière pour critiquer ces luttes ; après quoi la critique du wokisme s’est déportée de cela pour devenir une critique des idées progressistes en général, ancrées à gauche.

 

Mais la réalité même de ce courant de pensée est discutable, tant le mot wokisme est employé à tout-va, à la manière d’un épouvantail, pour discréditer des adversaires supposés.”

 

L’enracinement historique des consciences variant, la France semble pouvoir résister plus efficacement à des emportements liés par exemple à la cancel culture, le wokisme est essentiellement portée par la vague émotionnelle et ses effets sont liés à la capacité avec laquelle les émotions l’emportent sur les décisions.

 

Avec le wokisme nous sommes clairement en face d’un mouvement pas clairement identifié, ni dans ses structures, ni dans ses intentions.

 

C’est une tentative de décrire un phénomène, tentative tatillonnante à cause du manque d’outils adéquats pour l’identifier, le décrire ou encore lui imputer des intentions d’actions.

 

Mais il peut et il est de fait un instrument de lutte pour une certaine égalité servant la cause des mouvements religieux et sociétaux (par ex LGBT) ou politiques (par ex. Campagne présidentielle de Donald Trump). La largeur de la palette de causes et d’actions décrites sous ce terme démontre à la fois l’étendu du phénomène et la recomposition du rapport aux valeurs qui les sous-tendent. 

 

Et même un bouleversement de l’ordre mondial, du rapport des forces troublant cette tendance et la contrariant dans les fondements eux-mêmes, comme ce qui se dessine avec la pandémie et la guerre en Ukraine, vraisemblablement tout en gardant un peu le développement de cette tendance, ne pourra pas l’arrêter.

 

Et l’espérance chrétienne dans tout cela ? Elle s’exprime au travers de l’attitude inclusive qui loin d’être une posture intéressée pour le bien de l’entreprise, cherche à faire valoir des atouts de la jeune génération pleine d’idées innovantes.

 

Mettre de l’humain au centre, c’est une manière de lutter contre l’hyper financiarisation du monde du travail, mais où l’accent se déplace de la transformation de la matière, y compris grise, vers la transformation de la personne humaine.

 

Cela concerne aussi la jeune génération, ce que celle-ci ne sait probablement pas encore, mais qu’elle ne pourra pas ignorer.

 

Derrière la question de transition intergénérationnelle se pose la question de la capacité à accueillir ceux qui viennent et ce qui vient. Le monde de demain est déjà un monde d’aujourd’hui, dont on a encore du mal à apprécier les contours, dont on ne peut cependant pas ignorer la présence.

 

“Entre la peur de perdre et la joie de donner” l’expression utilisée dans le mot d’ouverture de Philippe Royer, président sortant, et la globalisation qui n’a pas réussi à maintenir la paix et encore moins l’équilibre du rapport à l’environnement, ces sont des défis majeurs des nouvelles générations. 

 

Elles ne pourront pas les relever sans la présence active et avisée des aînés, pas plus que sans l’espérance chrétienne. Et pour ce faire, ces deux sources sont appelées à donner le meilleur d’elles-mêmes allant à l’essentiel. C’est là, qu’elles sont attendues.