Depuis le covid, dans plusieurs pays d’Europe tout au moins, on constate un regain d’intérêt pour la religion catholique. Si celle-ci se confirme à la hausse, on pourra alors parler non seulement d’une nouvelle tendance, mais d’un phénomène de masse. Pour l’instant, on n’est pas là.
Certes, l’augmentation du nombre d’adolescents et de jeunes adultes qui demandent le baptême et la confirmation de ces dernières années en France attire l’attention et remplit d’optimisme des catholiques qui sans cela se sentent un peu esseulés par un si petit nombre des croyants dont ils font partie surtout lors des assemblées dominicales. L’augmentation du nombre des catéchumènes fait réagir les évêques de la région parisienne qui convoquent pour 2027 un synode régional consacré.
Je propose de nous attarder sur un des aspects de ce regain, celui qui s’exprime dans une approche d’Eglise qualifiée de thérapeutique. Nous l’observons sur le terrain de l’Église catholique en Pologne. L’article paru en mars dernier dans le quotidien Rzeczpospolita me sert de base pour cette présentation.
Rzeczpospolita/Plus Minus: Kościół terapeutyczny. Nowe oblicze polskiego katolicyzmu? [Konstanty Pilawa] (Église catholique, nouveau visage du catholicisme polonais).
Le premier constat que l’auteur fait est celui d’un changement de l’Eglise en Pologne qui s’opère à partir de la base. La tendance imprime une nouvelle vision de l’Eglise, celle d’une Église sensible, qui intègre les émotions comme moyens de communication et de reconnaissance de l’individu. Qui en même temps exprime une peur devant toute sorte de hiérarchie. Car on désire, poursuit l’auteur, une Eglise qui ne moralise pas et ne considère le catéchisme comme rempart contre la sexualité débridée sous le signe de la révolution culturelle de 1968.
Pour le moment, j’interromps la présentation de l’analyse fournie par l’article, en me permettant un commentaire de circonstance. La référence à la révolution culturelle de 1968 qui a secoué l’Occident et surtout la France est porteuse d’un désir de gagner davantage de liberté individuelle. Elle coïncide avec une révolution culturelle en Chine marquée par le besoin inverse. Aux historiens de faire le travail pour savoir le lien entre les deux et les effets sur le cours du monde.
Toujours est-il que faire référence à cela 60 ans plus tard peut étonner, mais c’est sans prendre en compte le fait que chaque pays a ses lenteurs dans l’absorption de nouvelles vagues qui de leurs ondes de chocs ou de mouvement très longs enveloppent le globe terrestre. Depuis l’invention des routes commerciales pour l’échange des biens et des idées, dont les routes de la soie sont une autre référence concrète et symbolique à la fois, on prend peu à peu conscience de la globalisation et de l’universalité dans on ne pourra se passer à long terme sous aucun prétexte.
A quel rythme et avec quels bilans de profits et de pertes ces vagues agissent, c’est une autre histoire.
Pour ce qui est du passé, 1789, 1815, 1918, 1968, 2001, 2020 sont quelques dates indispensables pour former la combinaison dont est composé le code donnant accès à la boîte de l’histoire et celle de notre avenir, boîte de pandore parfois et qui une fois ouverte, il va falloir en assumer les conséquences.
Je reviens à l’article qui parle de la communauté qui ne veut plus être définie par la prière quotidienne répétant les mêmes formules, par des homélies ennuyeuses ou encore le patriotisme et la politique. C’est une manière, bien à la polonaise, de vouloir régler les comptes avec le passé.
Je me souviens des séquences de sommeil auxquelles le corps d’un enfant de cœur que j’ai été s’adonnait avec délice en face de l’autel lors des homélies du curé, aucune conclusion à en tirer pour la suite de ma vocation. En revanche, depuis le plus jeune âge j’ai été alerté du danger de mélanger la politique avec la religion. César et Dieu n’ont jamais cessé de se chamailler, mais c’était leur problème.
Le domaine de Dieu concernait la prière à répétition pour accueillir des bons réflexes, comme les soldats qui apprennent à marcher au pas harmonieusement cadencé. Les références traditionnelles à la religion et leur mode d’emploi pratiquée depuis des lustres peuvent toujours être mises en cause, modifiées, remplacées par d’autres. Cela touche de façon corollaire le patriotisme et la politique. Le catholicisme polonais est traditionnellement référencé sur l’identité polonaise et l’orientation politique qui en découle.
Et on en ressent des effets sous formes de crispations qui apparaissent lors des changements politiques qui menacent le paysage bucolique de la plaine polonaise, pays adossé sur les montagnes au sud et ouvert face à la mer et ses possibilités de naviguer au loin au nord. Pour ce qui est de l’Est et de l’Ouest, la Pologne fait ce qu’elle peut, ce bien d’être un lieu de passage et de transit pour accueillir et digérer bien des aliments ingurgités au profit de chacun, mais un peu de stabilité n’est pas de luxe. Or celle-ci n’est jamais garantie. Comme nulle part ailleurs, sauf en Suisse ou au Vatican et encore.
Comme pour la France, mais pour des raisons légèrement divergentes, l’identité polonaise est construite autour de l’identité catholique en rempart contre l’identité orthodoxe et protestante de ses voisins toujours considérés comme menaçants. Alors que l’identité française qui s’enracine dans l’héritage de l’empire romain a été fondamentalement remodelée par la Révolution française. Ce qui a eu pour effet immédiat la mise à l’écart de la religion catholique dominante sous les régimes monarchiques d’alliance de l’autel avec le trône, dont restent des vestiges sous forme de trône républicain, quant à l’autel, il fut jeté au milieu de la modernité.
Et chacun doit se retrouver dans des configurations nouvellement impulsées voire imposées par l’évolution du monde soumis aux vagues modernes aux milieux desquelles à chaque navire étatique, équipé de ses canaux et bouées de sauvetage utilisées de façon souvent désordonnée, de savoir comment quitter le vieux navire pour s’établir sur des archipels des eaux tranquilles émoussées par le bien être des tropiques où il est bon de vivre, alors que d’autres vont s’en servir pour défendre le navire en le quittant momentanément avant un nouvel embarquement. Chacun son destin. C’est dans ce contexte que se joue le rapporte à l’Église, à la barque de saint Pierre qui bat pavillon de Vatican entouré d’une armada d’Églises locales géographiquement réparties sur une bonne partie du globe terrestre.
La globalisation de la tendance d’autoprotection (chacun pour soi et qui n’est pas avec nous est contre nous) influe sur la manière de considérer le catholicisme en Pologne. Tiraillé entre le règlement de compte avec sa propre histoire et la volonté d’emboîter le pas à la modernité, les bruits de guerre chez les voisins de l’Est et les bruits politiques des voisins de l’Ouest n’aident pas à la sérénité, car les premiers sont réellement menaçants alors que les seconds ressemblent davantage à des bruitages qu’à des messages clairs.
C’est dans ce contexte que les jeunes catholiques, ceux pour qui la religion a une place importante dans leur vie, cherchent à s’y retrouver, sans que l’on leur fournisse le mode d’emploi unique, lu et approuvé, bon à mettre en place tel quel. Ils n’attendent pas les bras croisés et la bouche ouverte pour que la satisfaction du corps obtenue grâce aux bons plaisirs soient honorées à l’instantané, sinon on menacerait d’une nouvelle révolution. Ils ressemblent tout naturellement (pas du tout étrangement) aux catholiques français qui 60 ans plutôt essaient de se réinventer sous pression de 68 et dont les vestiges sont encore constatables dans certains idéaux et générosités.
La nouvelle tendance du catholicisme polonais change de point d’appui pour passer d’une religiosité marquée par la reproduction des réflexes acquis à la manière de ceux de Pavlov en misant davantage sur le développement spirituel personnel au travers la méditation et l’empathie « déclinée de façon la plus variée possible ». Comme le remarque l’auteur de l’article, cette vision s’adresse aux trentenaires si souvent blessés psychiquement, travaillant dans des corporations aliénantes.
Partout dans le monde les trentenaires sont confrontés à des problèmes similaires, même si la similitude bien souvent est contredite par des divergences flagrantes, car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Toujours est-il, que prenant en compte uniquement la comparaison entre la Pologne et la France, parions sur la similitude, cependant pour tirer des conclusions divergentes. En France on parlera plus facilement de la quête de sens, plutôt que d’un besoin ouvertement spirituel.
Cela peut s’expliquer par le fait que le nihilisme a fait plus de ravages en France qu’en Pologne et c’est sans doute aussi à cause de la différence de niveau de vie d’une part et de niveau de vie spirituelle imbibée par le christianisme dans la version catholique, d’autre part. Mais aussi à cause du rapport à l’histoire. Le sens trouvé dans la Révolution française nourrit directement à bien des égards les jeunes générations, l’influence de l’école dans la vision de l’histoire française est plus marquée en France qu’en Pologne.
Cela ne veut pas dire que les trentenaires français sont même spirituels.
On n’aura jamais suffisamment souligné le rayonnement de la communauté de Taizé sur les jeunes polonais catholiques qui en France et ailleurs apprennent dans les rassemblements annuels en fin de l’année civile, comme dernièrement en Estonie la spiritualité du silence, de la contemplation et de la joie de la rencontre.
Mais c’est dans une configuration inversée entre les aspirations des jeunes catholiques polonais (une certaine partie, il ne faut pas l’oublier) et les jeunes catholiques français, que nous assistons à un développement du catholicisme. Le catholicisme français insiste sur le retour aux valeurs sûres pour sauver l’Eglise et la France. Alors qu’en Pologne on observe un besoin d’approfondissement de la foi par l’intériorisation du message qui fait du bien. C’est en cherchant ce qui fait du bien, que les trentenaires polonais se retrouvent en phase avec ceux de la France. Mais qui ne désire pas ce qui fait du bien, c’est un moteur de toute relation aux personnes et aux objets dont on s’entoure, c’est aussi la fonction de tout médicament.
Cependant la correction apportée à ce besoin vital de se faire du bien est enrichie par son corollaire qui lui est opposé. Je suis capable de me réfréner dans ce désir de me faire du bien à cause d’un bien qui est plus grand que mon bien à moi. Tout expérience d’amour tôt ou tard conduit à cette découverte. Je vous ai fait un gâteau que vous aimez tant, dit sainte Claire à saint François mourant. C’est lors des situations similaires que l’empathie prend forme proprement humaine et proprement chrétienne, dont sont capables théoriquement tous les humains et à quoi sont appelés tous les chrétiens.
Nos trentenaires polonais, ceux qui le font, font le choix d’un christianisme qu’ils désirent éclairant leur vie en restant en lien avec les autres grâce à leur vie chrétienne approfondie. Nos trentenaires français, ceux qui le font, ont un chemin plus long à faire pour y arriver, ils doivent d’abord se retrouver en eux-mêmes dans une conscience chrétienne assumée communautairement sans que la communauté ne les écrase de son communautarisme ou ne les dégoûte par la tyrannie des conflits entre ses membres préoccupés à se faire du bien pour le bien de quelques-uns.
Nos trentenaires polonais auraient pu être tentés par l’apostasie comme le font beaucoup de leurs compatriotes.
Cependant, ils décident de rester pour s’y retrouver dans leur vie, dans leur foi, dans leur Église, dans leur société. Comme le note l’auteur de l’article, pour une partie de ces jeunes catholiques qui décident de rester dans l’Église, le catholicisme traditionnel est considéré comme névrosé et la découverte de l’Église sensible qui comprend ce que l’on vit est une libération qui procure le sentiment de sécurité.
Évidemment une Église névrosée aura d’autant plus de mal à accompagner ses membres eux-mêmes blessés visibles dans bien de névroses ou autres faiblesses. Vouloir se réinventer grâce à la religion, devenir une meilleure version de soi-même n’est peut qu’être positivement accueillie par l’Eglise. Purifiée elle-même à cause des exigences exprimées à son égard de la part des blessés de la vie ne peut faire que du bien à tout le monde. Ce n’est sans doute pas le ciel qui s’en offusquera.
Je ne sais pas si existent des estimations fiables concernant le pourcentage de ces trentenaires polonais en quête d’une Eglise thérapeutique. On peut toujours se méfier des effets de loupe produits par l’attention y portée. Il est sans doute signifiant pour faire l’objet d’une analyse à laquelle l’article est consacré. L’auteur désigne cette tendance dans la recherche d’une Église thérapeutique.
Pour preuve, il montre les activités de trois influenceurs, d’un dominicain et des deux jésuites dont un ex-jésuite mais qui reste missionnaire au sein de l’Eglise. Tous les trois promoteurs du catholicisme, tous les trois suscitent un catholicisme d’en bas. Ils construisent des communautés virtuelles non moins réelles (sorte de méga church-comparaison est de RK) composées de centaines des milliers des followers désireux « d’un soutien spirituel et psychologique”. Chacun d’eux fait beaucoup de bien, les attentes semblent honorées, l’accompagnement est possible, la croissance sous l’autorité de tels influenceurs aussi. Faut-il encore que ces attentes soient prises en compte par l’autorité chargée de la croissance dans la foi et dans la vie. L’un d’entre eux, dont le site s’appelle Pogłebiarka, que l’on peut traduire par Pelleteuse le fait à travers les propositions de méditations et de partage.
L’auteur du site publie des méditations bibliques, constituant une communauté dynamique composée des catholiques engagés. Il propose une application dont se servent environ 5 mille personnes, mais également des formations sur comment prier, des ateliers et des webinaires. Dans 12 villes existent des groupes de méditation et 100 groupes de partage sur les expériences spirituelles. La communauté méditative dans son ensemble comprend déjà un million de membres. Comme le commente l’auteur de l’article, même si c’est un effet de marketing, c’est impressionnant.
Je me permets de remarquer que dans le soutien offert par les trois influenceurs, contrairement à mes attentes, la priorité n’est pas donnée aux blessures mais à la foi. Soutien spirituel d’abord, le soutien psychologique par la suite, c’est tout au moins déclaratif, car dans les faits parfois il est indispensable de recourir au soutien psychologique d’abord. Mais c’est important de se tenir à la priorité spirituelle comme étant la visée principale car la plus profonde du point de vue de la foi chrétienne. Ainsi on évite la psychologisation de la foi, tout au moins dans le principe. La lumière de la foi prime sur le besoin de se faire du bien pour se faire du bien.
C’est encore plus profond que de faire du yoga pratiqué pour se faire du bien avant de pouvoir faire du bien aux autres. Ici nous sommes face à la démarche de se faire du bien grâce à l’aide de l’Église convoquée dans sa fonction thérapeutique. Rien d’étonnant puisque Jésus n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades. Ce qui est à comprendre en sous-entendu, que ceux qui se croient très bien portant, de fait tout naturellement rejettent l’offre de guérison puisque pour eux ce n’est par le sujet.
La boucle semble bouclée. Se reconnaître vulnérable, fragile fait déjà du bien avant même d’aller plus loin.
C’est l’orgueil qui empêche de reconnaître la réalité telle qu’elle. Mais, la grâce agit en vue de la guérison spirituelle. Le reste c’est-à-dire le psyché et le corps comme l’intendance suivront. Il faut seulement veiller à assurer la bonne chaîne d’approvisionnement. Ce que les jeunes polonais cherchent auprès de l’Eglise thérapeutique. Et sans doute pas qu’eux !