Aujourd’hui le Père Rémy Kurowski nous parle d’un sujet qui pourrait sembler avoir déjà été épuisé depuis des années à travers les nombreux débats, écrits, documentaires ou encore, commentaires…

Il se trouve parmi les sujets les plus sensibles de l’humanité du 20ème siècle.

Celui de la persécution et du génocide des juifs durant la seconde guerre mondiale. Une épuration sous le nom d’holocauste ou celui de Shoa suivant qui décrit le phénomène et pourquoi.

14-18 c’était il y a plus de cent ans, et 39-45 juste vingt ans plus tard. Pourquoi revenir à de tels faits et leurs implications, aussi anciennes? Les nouvelles générations en sont si loin. Les anciens peuvent se contenter d’en garder leurs souvenirs. Et éventuellement, si cela leur fait plaisir, de communiquer dans des livres autobiographiques pour le compte de leur famille et amis.

Le sujet dépasse largement le cadre strict d’une investigation purement historique. Investigation au sens le plus objectif et universel du terme qui touche l’homme, qui le touche dans sa dimension subjective intime. Ce sujet concerne à la fois l’avenir de l’humanité et en même temps réclame une prise en compte de tous ses aspects réels. 

Dans le cadre de l’histoire de l’humanité, ce sujet est comparable à des métaux rares dont les gisements sont recherchés et les mines d’exploitation convoitées. Traiter une telle question c’est toucher à la notion du peuple élu par le biais de sa destinée purement historique. 

C’est aussi toucher à la nature même de la révélation divine avec son message d’amour en confrontation directe avec l’injustice, la souffrance et la mort. Par surcroît une confrontation menée, comme lors de la seconde guerre mondiale, de façon aussi infâme.

C’est en effet sur le terrain de l’histoire humaine si douloureuse parfois, souvent, que de telles explorations s’opèrent. Elles concernent la rareté unique d’un peuple décidément pas comme les autres, ce qui, à cet égard requiert une attestation particulière. Ces explorations sont nécessaires pour comprendre et prévenir.

Cependant, prendre part à de telles explorations c’est courir le risque d’être compris de travers. C’est risquer d’être mal interprété. Encore une fois, comme souvent. Et au lieu de clarifier, participer à l’embrouille général. En espérant y échapper, je me lance en toute simplicité.

Deux raisons me poussent à traiter ce sujet, hyper exploré et pas moins hyper exploité. Est-ce qu’il y a encore dans ce domaine des nouveautés à découvrir? Oui et ceci doublement, par deux biais. Par les faits bruts et par la résonance que cela éveille dans l’histoire humaine qui se déroule devant nos yeux, qui nous imprègne et nous conditionne.

La première raison est la publication d’un article* dans une revue italienne. La seconde est la situation actuelle, de nouveau si conflictuelle entre l’État d’Israël et les diverses factions de l’autorité palestinienne. Si je choisis de développer le premier point au détriment du second c’est pour une question de méthode. 

Je tiens à prendre en compte seulement le contenu de l’article qui jette une lumière nouvelle sur la situation réelle, bien historique. L’article qui éclaire sur la manière dont les populations d’un pays particulier ont réagi aux lois antijuives durant la seconde guerre mondiale. 

Pour ce qui est du contexte actuel, je le mentionne uniquement pour donner du relief réel dans les débats actuels sur l’avenir de l’humanité. Mais je ne pense pas ni nécessaire ni même à propos de le développer, tout au moins dans les cadres de ces podcasts.

Pour les faits visés, il s’agit du rapport à l’extermination massive des juifs en Europe durant la seconde guerre mondiale, en particulier en France. Sur 80 évêques français de l’époque, 57 d’entre eux aidèrent les juifs à échapper au désastre. C’est ce qui résulte d’une étude réalisée par une historienne franco-israélienne, Limore Yagil, chercheur enseignant à la Sorbonne. 

Son article est apparu dans la revue italienne „Nuova Storia Contemporanea”. Son titre est emblématique: Pie XII, l’Eglise catholique en France et le sauvetage des Juifs (1940-44)*.

Ce qui est à noter d’emblée, c’est que la situation en France en matière du traitement des juifs était un peu différente. Je suis désolé pour le langage, l’expression “traitement en matière de juifs”, n’est pas beaucoup mieux que “la question juive”. Ne voulant pas reprendre la seconde, j’ai gardé la première. C’est faute de mieux. Et en même temps je n’ai pas vraiment cherché à trouver mieux de peur de donner l’impression de vouloir édulcorer le sujet. 

Oui, la situation en France était à cet égard un peu différente en comparaison avec celle des pays directement conquis par l’Allemagne nazie. Et ce malgré le fait que le gouvernement de Vichy sous l’autorité nazie faisait parfois montre d’un zèle supplémentaire allant plus loin dans les restrictions que ce qui était exigé par l’occupant. 

Rien d’étonnant à cela, c’est un relent que l’on pourrait attribuer au réflexe de Stockholm. On l’observe aussi dans certains ensembles humains, groupes religieux, y compris dans la lutte contre la pandémie en cours.

Dans cette situation du pays sous l’occupation, la communauté juive dans sa majorité a finalement survécu à l’extermination massive. Rien que ce constat génère un sentiment contradictoire. Comme si dire que la majeure partie a survécu était un fait dont on pouvait se vanter. Quelle honte pour l’humanité et quelles leçons en tirer. Vel’Div s’y inscrit avec une tache noire sur les consciences trop zélées du régime de Vichy.

Et qu’il n’y ait finalement eu pas plus de victimes, c’est en partie, je ne connais pas les proportions exactes, grâce aux évêques français et les différentes congrégations religieuses. C’est sur quoi porte l’article auquel je me réfère.

Contrairement à ce que l’on prétend si souvent, et si allégrement, fort de quelques amalgames historiques bétonnés sous forme de convictions indéboulonnables, l’Eglise catholique en tant que structure organisationnelle et ses membres clercs et ou laïcs furent souvent en première ligne d’un tel combat.  

On ne va pas s’en plaindre, bien au contraire, il faut le dire. En effet assez durait, non seulement un silence à ce sujet, mais purement et simplement la désinformation bien organisée. 

On se souvient du film Vicaire de Hochhuth sorti en 1963. Il ne porte pas directement sur l’Église catholique en France, mais sur le rôle du pape Pie XII dans la deuxième guerre mondiale. Et c’est suffisant pour jeter du discrédit sur l’ensemble de l’institution et ceux qui en font partie. Vicaire fut adapté par Costa-Gavras dans son film Amen en 2002 qui explore surtout la question de la culpabilité, ainsi la belle légende du Vicaire prolonge sa vie dans Amen. 

Seule l’ouverture des archives du Vatican permet de mettre une lumière nouvelle sur ce qui s’est réellement passé, en complétant ainsi ce que l’on pouvait savoir à partir des archives en Allemagne et aux Etats Unis essentiellement. La question se pose de savoir comment réinterpréter le matériel ancien à la lumière des données nouvelles. Les historiens se réjouissent, les faiseurs d’opinion soit y abondent, soit se taisent en attendant une bonne occasion pour…. agir.

L’ouverture des archives personnelles du pape gardées au Vatican permet de confronter bien des images plus ou moins préfabriquées avec la réalité qui se dessine souvent autrement, pour ne pas dire franchement à l’opposé. Ici comme partout la méfiance à l’égard d’une vérité préfabriquée est de mise.

L’étude de la chercheuse de la Sorbonne démontre que la fidélité au régime de Vichy n’était pas synonyme de l’impossibilité du sauvetage des juifs. La remarque est importante, si l’on sait que, à l’époque, 80% de la population française était pétainiste.

Pour aller un peu plus en détail et ceci dans le but de montrer la complexité de la situation surtout en termes de communication, il est à noter que parmi 57 évêques qui ont porté secours aux juifs, seulement six ont répondu publiquement à l’appel au secours lancé par le pape Pie XII. 

Ce qui est aussi à noter, c’est que la plupart d’évêques connaissaient personnellement le pape qui dans les années trente était secrétaire d’État du Saint-Siège. Durant la guerre, le Vatican envoya d’importantes sommes destinées à permettre aux juifs d’échapper au désastre, tout comme à d’autres réfugiés internés en France. 

Les prises de parole du pape en faveur des secours à porter aux juifs largement relayées en France encourageaient les catholiques à agir. 

Je ne sais pas si les paysans polonais d’un village de la région de ma naissance qui ont caché deux femmes juives dans une cave, mère et fille, fille devenue mon professeur de littérature polonaise au lycée, étaient au courant de cet appel. Fortement improbable, mais ils l’ont fait au risque de leur vie et celle de tout le village, car le prix à payer n’était pas le même suivant le pays.

Toujours est-il que Pie XII, très proche des catholiques français, soutenait leurs initiatives dans ce sens, sans la moindre hésitation.

Le maître de mon noviciat que j’ai passé en France était un ancien collaborateur du pape. Il agissait en son nom pour sauver des milliers des juifs de Rome, où il séjournait durant la seconde guerre mondiale.

Pour bien comprendre un tel déploiement d’activités de la part du pape et des hiérarques catholiques français (sans oublier les catholiques laïques, mais c’est sans doute pour une autre fois), il faut avoir à l’esprit le fait qu’ils étaient en contact régulier avec le Vatican et le bureau spécialement chargé de porter le secours aux juifs durant le pontificat de Pie XII, la où travaillait mon maître du noviciat.

Et la rencontre heureuse avec l’ancien archevêque de Marseille, cardinal Coffy, m’a donné l’occasion d’apprendre sur les activités de ce genre à la frontière suisse, où il s’est trouvé chez son oncle prêtre, dont le presbytère était devenu un lieu de refuge et de transfuge.

D’après les travaux historiques menés dans ce domaine et relatés par l’article, un quart des Juifs français furent déportés dans les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale. Ce qui veut dire 76 milles parmi 320 milles juifs français. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte du sort ô combien plus cruel réservé aux juifs réfugiés d’Allemagne, des Pays-Bas ou d’ailleurs et coincés en France avec leur statut de réfugiés qui les rendaient bien plus vulnérables encore. La famille du cardinal Lustiger était de ceux-là.

Parmi les hiérarques français à qui on a décerné le titre de Juste parmi les Nations se trouvent deux cardinaux, Pierre Fermier de Lyon et Jules Saliège de Toulouse. Mais aussi cinq évêques : de Montauban, de Nice, de Clermont, de Toulouse et de Marseille, tous de la zone libre. Mais je n’ai pas le temps de vérifier en quoi cela pourrait être intéressant. 

Mais aussi deux prêtres qui sont devenus évêques, Pierre-Marie Puech d’Albi et Daniel Pézeril de Paris que j’ai eu la chance de croiser étant jeune prêtre, vicaire dans une paroisse parisienne. 

Au lendemain de la guerre, le général De Gaulle a demandé la démission de quatre évêques français, qui, eux, s’étaient compromis de façon active avec le gouvernement de Vichy. Ce n’est pas le sujet de l’article auquel je me réfère, mais c’est le sujet de l’histoire de l’Eglise catholique dans son rapport au pouvoir politique et ses velléités d’allégeance que celui-ci engendre en sa faveur. 

Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette sentence de Jésus pleine de sagesse n’a jamais perdu de sa pertinence. Pas plus que l’obligation chrétienne de chercher à être juste devant Dieu. Ce qui ne contredit pas l’identification des justes devant les nations. Souvent ils étaient reconnus conjointement. Ce qui passe par la justification que Dieu seul rend possible. Dans son pardon, et donc dans sa vérité plénière.

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*(KAI/msn.com/ilmessaggero.it