Quand l’engagement résulte d’un consensus, le consentement n’a pas la même valeur que lorsqu’il résulte d’un engagement de fidélité. Dans le monde chrétien, le cas médian est celui du mariage, érigé au rang de sacrement, il relève du second cas, mais plongé dans les affaires de ce monde, relève aussi du premier.

 

Le consentement par consensus est temporaire et ne concerne que les aspects contractuels, rien ne lui empêche d’être scellé par amour au sens de l’union des deux corps, même si celle-ci n’est pas durable.

 

Seulement le consentement par fidélité engagée et engageant les deux parties est d’une durée déterminée par la durée de la vie terrestre, pas moins.

 

Consentement divin et social régissent les sociétés traditionnelles, l’accession de l’individu à la reconnaissance de son statut comme partenaire immergeant de la vie sociale, s’est imposée (parce qu’on le lui a permis, résultats et force de la faiblesse, mais qui va s’en plaindre ?). Cette troisième force qui peu à peu va déplacer le centre de gravité de l’aspect communautaire (religions) et collectif (sociétés dans la mesure où elles se distinguent des précédentes) vers son caractère unique qui réclame de la considération d’abord, ensuite le droit de participer aux décisions sur le cours de la vie qui, comme il le croit, le concerne.

 

Le premier consentement est fait uniquement par fidélité (contre la nature), le second par consensus (social, mariage arrangé par intérêts ou par convenances), le troisième par choix personnel (amour, tant qu’il dure !).

 

Les deux premiers sont d’une durée déterminée par la durée d’une vie, même si cela peut varier dans le second cas (divorce autorisé). 

 

Le dernier, prenant en compte uniquement l’intérêt des concernés, échappe à cette obligation d’éternité d’une durée indéterminée, dont il va se libérer grâce à un consensus social obtenu par l’intermédiaire de l’engagement politique dont résulte la décision contraignante, juridiquement garantie.

 

Le démariage, au sens de la déconstruction de ces deux niveaux supérieurs, divin et social, est donc accompli en lui enlevant dans l’ordre chronologique d’abord la valeur de sacrement :

 

-déconstruction entamée par Luther et la Réforme qui n’ont pas eu trop de mal à le faire, d’autant plus que la sacra mentalisation du mariage reposait et repose toujours sur des bases spirituelles jugées du point de vue purement humain, même celui des croyants, inatteignables, à moins qu’elles n’aient une valeur symbolique au sens chrétien du terme (cf. interprétation des sacrements à l’aune du symbole chez Louis Marie Chauvet) 

 

-en lui conférant seulement la fonction sociétale, comme cela était vu par les chrétiens du premier millénaire en écho lointain mais réel des dispositions juridiques de l’Empire Romain régulant l’institution du mariage de façon socialement codifiée.

 

Le code de Napoléon, sans se référer explicitement, mais sans l’abolir totalement non plus (est-ce l’effet de la quasi-divinisation de l’Empereur par lui-même surtout ?) régit le mariage dans le cadre de la régulation de toute la vie sociale pour laquelle il jette des bases nouvelles, sans qu’elles ne soient révolutionnaires, mais leur force est surtout dans le fait qu’elles se soient imposées dans toute l’Europe et au-delà.

 

La société a besoin de l’institution mariage pour assurer la prospérité (mariage des biens, hérités et à adjoindre, à l’aide du mariage des personnes) et la stabilité sociale en vue d’assurer l’éducation “nationale” -et chrétienne- des enfants.

 

Les enfants illégitimes bâtards “jouissaient” d’une reconnaissance sociale bien inférieure à celle des enfants légitimes, les trente glorieuses sont témoin d’un basculement de comportements et de valeurs :

 

-avec la libération des mœurs possibles grâce à l’émancipation par le travail des femmes d’abord (à entendre le travail dans les nouveaux secteurs que la révolution industrielle a ouverts, donc désolidarisé du foyer familial, ferme, atelier, services domestiques); puis par la contraception qui a ouvert une nouvelle voie pour transformer l’amour d’obligation en amour de plaisir;

 

-le terrain mental y était déjà prêt dès avant la deuxième guerre mondiale à Paris au moins (ce que les troupes d’occupation ont pu constater ; des femmes coquettes maquillés et joliment habillés, libres, mais pas nécessairement libertines, à la différence d’une morale généralement bien plus stricte en Allemagne);

 

-mais il manquait encore des moyens réels, et cela passe par le juridique, pour parachever l’émancipation.

 

La déconstruction du mariage comme marqueur d’une évolution de mentalité soutenue par l’individualisation d’approche de toute réalité constatée, conduit à la refonte du lien social a minima, celui de duos qui se forment dans des configurations d’orientation sexuelle diverses, les mésalliances, où les enfants illégitimes ne sont plus des catégories opératoires, devenant sous la poussée d’une évolution, obsolètes et ipso facto disqualifiées.

 

La loi n’avait qu’à sanctionner un état de fait, c’est la volonté du peuple qui prime. Est-ce synonyme de la victoire des anarchistes, trotskistes et tous les autres maoïstes à la française ?

 

D’aucuns s’en laissent persuader, pour la plupart on met ces changements sur le compte d’une évolution toute naturelle sans s’émouvoir des conséquences dont il va falloir assumer l’héritage en plein comme en creux, par ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.

 

Certes, cette évolution est soutenue, même accélérée par l’idée du progrès qui a eu un peu de mal à légitimer sa place dans la société française tout au moins vers la fin du XXe siècle, le sida et le sang contaminé ont plombé le moral de beaucoup d’adeptes du court expansionniste positif de l’histoire. Mais à la satisfaction de tous (ou presque, les grincheux regrettant la vieille morale fondée sur la fidélité frimaient plus avec la coquetterie désuète mais amusante qu’une réelle mise en garde) le secours de la science si attendu était au rendez-vous, finalement même les grincheux ne vont pas s’en plaindre.

 

La trithérapie et la prévention ont réussi tout au moins en Europe à redonner de l’espoir en marche inévitable du progrès scientifique et donc du progrès humain.

 

Quand la déconstruction intervient quelque part, ce n’est jamais sans, en contrepartie, d’une nouvelle construction sous un autre mode, au même endroit où ailleurs.

 

La symbolique du mariage pour l’éternité (alors que celle chrétienne catholique est juste pour cette vie sur terre, pour le reste c’est du mariage divin qu’il faudrait parler et donc des noces mystiques dont nuptialité échappe au commun de mortels) est remplacée par la symbolique de carpe diem qui régit désormais les comportements. Mais carpe diem, pour le faire, il faut pouvoir se le permettre, et pour pouvoir se le permettre, il faut avoir les moyens (y compris, si ce n’est pas surtout matériels) qui permettront d’échapper à l’obligation de soumission aux contingences de la vie quotidienne.

 

Mais c’est justement cette fragilité sociale qui est visé dans la refonte judiciaire pour défendre les plus faibles dans ce qu’ils ont de plus précieux, consentir à la cocréation d’eux-mêmes, ce n’est pas en ce terme que Irène Théry en parle, mais dans le sens de bien-être en duo ce qui peut sous-tendre une cocréation.

 

Pour résister aux mauvaises contingences, car la menace d’une telle obligation pèse (il faut bien gagner sa vie, la rente à vie n’est un privilège que de quelques-uns), on va composer avec les autres, potentiels duos, par consensus, comme le font les commerçants qui se mettent d’accord sur les termes des transactions.

 

Comme tout naturellement pour quelques-uns, qui vont se marier dans cette dimension symbolique de façade plus que spirituelle d’adhésion, tout naturellement aussi les autres vont faire le choix d’une union plus légère, mais toujours à l’amiable.

 

Le naturel évite de se poser la question sur l’engagement de la liberté, d’ailleurs celle-ci n’est qu’une résultante des conditions extérieures dans la gestion des choix. On soupçonne d’avoir engagé la liberté pour rehausser le niveau d’humanisation de la couronne de la création, un peu comme dans cette légende chinoise ou les paysans arrachaient les pieds de riz pour allonger la hauteur afin de prétendre à leur croissance.

 

De la culture de Consentement (titre du livre de Vanessa Springora, cité par Irène Théry) encore tout au moins des années 70, vingt ans plus tard on est passé à la culture de l’emprise pour prolonger celle-ci par celle de Me too, celle d’une dénonciation vigoureuse.

 

L’évolution accélérée par la parole publique dont certaines émissions à la télé et dans les réseaux sociaux ressemblent étrangement aux aveux dans le confessionnal, mais elle rompt avec la culture du secret, qu’on a souvent assimilé, et non sans raison, à la culture de silence pour se situer radicalement à l’opposé de toute omerta.

 

La socio-anthropologie de l’institution régulatrice (Marcel Mauss 1901), qui constate déjà à l’époque que l’objet d’attention et d’étude se déplace des identités vers les relations, est convoquée à la barre de témoins pour attester dans le domaine de l’agression sexuelle des réalités douloureuses, socialement occultées jusqu’alors. L’individualisme comme catégorie de pensée de quelqu’un qui était qualifié encore il n’y a pas bien longtemps de personne, réussit à mettre dans sa singularité un élan relationnel comme un accessoire pour construire sa vie.

 

Et naturellement est interrogée la notion de consentement pour requalifier cet accessoire relationnel, on va le faire à l’aide des connaissances nouvelles fournies par l’attention portée sur ce qui se cache dans les coins ténébreux de la souffrance et qui demande qu’on y mette de la lumière, 

 

-non seulement pour se rassurer de ne pas être complice, même involontaire, mais considéré comme tel par soi-même ou les autres, 

 

-non seulement pour ressentir un soulagement si attendu et libérateur, 

 

-même pas pour une réparation attendue, 

 

-mais pour relier une telle expérience avec un tout de soi et à cette occasion témoigner d’une blessure dont la vitalité et le rayonnement ne sont plus là pour produire le poison, mais une potion curative revigorante. 

 

Ça c’est pour les témoignages qui portent sur les victoires obtenues grâce aux circonstances favorisant la rémission, mais comment sont formulées et reçues les témoignages d’échecs, (Moi aussi n’en dit mot), pas ceux présumés dans une conscience déprimée, ou enfermés dans le silence culpabilisant, mais ceux que les faits le plus objectivement confirment et que l’on admet.  

 

Les témoignages d’échec, souvent se produisent lors des confessions y compris sacramentelles et particulièrement à l’approche d’une épreuve majeure, celle de la mort. Bien plus qu’une consolation divinement garantie, la vérité d’une vie est assortie des mots qui, sous le coup de l’émotion, porteurs des sentiments et révélateurs d’une prise de conscience soudaine accompagnée d’un raisonnement intense, prennent la valeur d’un témoin authentique, ce qui surprend en premier son auteur.

 

Intuitivement, l’engouement pour le témoignage fournit la réponse à la recherche d’authenticité, mais paradoxalement il s’inscrit dans la dynamique qui fait basculer l’attention de l’identité vers la relation.

 

Le plus intime de cette relation est dans la sexualité, le plus riche en termes de sens relationnel est celui d’autodétermination, le premier sans doute plus difficile à décrire.

 

En témoigne le consentement par le démariage, où l’ethos singulariste, soutenu par l’égalité des sexes, devient le levier de la transformation sociale, tout au moins occidentale pour une nouvelle civilité sexuelle.

 

A cet égard le rapport de la Ciase n’est pas seulement un témoin riche en événements relatés, il est aussi unique dans ses recommandations, et par ce fait témoigne d’une volonté de l’Église de se mettre à la page, enfin ! diront certains, en emboîtant le pas à tous les mécontents et déçus d’une institution.

 

Est significatif le fait que cela puisse se produire dans une institution religieuse si lourdement grevée, ce qui suppose une volonté d’accompagner l’évolution sociétale par une institution fondée juridiquement sur les identités statutaires qui en même temps est supposée être traversée de l’élan spirituel qui légitime ces identités statutaires et les déborde par la profusion d’élan et les révèlent comme relationnelle. De ce fait, l’institution d’Église n’accompagne pas l’évolution sociale en “expert en humanité” mais mue par celle-ci adopte la posture d’évaluation attendue.

 

Les témoignages extérieurs à l’institution de l’Église viennent l’éclairer sur son propre terrain, même si, comme d’habitude, elle va faire montre d’une lenteur suggérée par la prudence qui surtout, vue de l’extérieur, est synonyme de témérité.

 

#Me too mue par l’idée du progrès, témoigne d’une volonté de faire avancer la reconnaissance des minorités souffrantes, d’abus sexuels en l’occurrence, et force à se mobiliser les institutions en charge de la structuration de la société. 

 

Comme en témoigne l’auteur de Moi aussi, les éléments biographiques conditionnent l’orientation de la vie. La valeur du témoignage authentique reste-t-elle pour autant intacte, témoignage qui non seulement puise dans les souvenirs, nécessairement sensibles, mais qui prétend à une valeur universalisante, sinon le Me too n’aurait qu’une audience bien limitée.  

 

Le droit positif ne fonctionne que sur cette base universalisante, mais limitée par la géographie d’influence interne au pays qui le produit ou à l’extérieur par l’influence qu’elle exerce ailleurs, il serait urgent d’en prendre acte dans la gestion des aspects temporels par les institutions (pas uniquement religieuses) fondés sur le “droit divin” de quelque nature que ce soit, eux aussi sont, dans leur transposition concrète, des expressions locales propres à la capacité qu’une culture locale et contexte sociopolitique lui permettent.

 

Depuis le schisme d’Orient en 1054 on sait que la diversité d’approches est liée à la culture ambiante plus qu’à la compréhension éventuellement divergente de ce qu’est la foi en l’occurrence. 

 

Faut-il avoir une expérience personnelle pour en parler de façon “autorisée”, pas seulement dans une fiction littéraire, mais dans un échange sur la vie du point de vue existentiel, anthropologique, politique, philosophique, théologique, etc ?

 

Oui, à condition de l’acquérir en étant intensément à l’écoute de ce qui se dit au sujet de l’expérience personnelle vécue. Ce n’est pas la même chose que l’expérience elle-même, les récits rejoignent l’interlocuteur dans les profondeurs de son être propre, profondeurs dont il partage l’appétence pour plus de soi. Et voir comment cela peut éclairer le témoignage de foi dans ses implications concrètes. S’y atteler, c’est consentir à un travail d’approche de la vérité fournissant ainsi des éclairages nouveaux. 

 

Mais sur les consentements auxquels on consent et comment, en d’autres termes, de voir de plus près ce qu’est une nouvelle civilité sexuelle, c’est la fois prochaine, dans la troisième et dernière partie de l’ensemble consacré aux changements radicaux du paysage social.