D’abord la citation sous forme de motto.

 

“…C’est logique dans l’univers religieux de l’ancien régime” Irène Théry P. 41 citation de Vigarello

 

Logique mais pas normal, car assimiler le viol à la luxure et donc au péché procède d’une simplification à laquelle la morale chrétienne trop complaisante avec les règles qu’elle-même a en grande partie générées et promues, n’a pas pu échapper à la requalification du consentement, pas plus qu’elle ne l’a fait, en distribuant les absolutions aux fautifs, et aux victimes le droit de participer aux souffrances qui manquaient au Christ (cf. St Paul)

 

Voici la troisième et dernière étape de la réflexion sur Me too et sur cette nouveauté tant attendue. Le terme de civilité sexuelle tranche avec celui d’identité communément utilisée jusqu’alors est porteur d’un sens nouveau pour décrire la place de la sexualité à l’intérieur d’un corps social. 

 

Au lieu de décrire de façon statique l’identité qui enferme dans les catégorisations fournies par d’autres, Irène Théry propose de parler de la civilité pour donner au pouvoir politique par le biais de la citoyenneté le droit de regard sur la manière dont la sexualité est exercée, mettant en jeu les partenaires, qui sous forme de duos ou autrement telle des (nouvelles) cellules de bases d’une structuration sociale engagent la citoyenneté sous forme d’une civilité qui est une manière respectueuse des normes et structures qui en découlent et qui en contrepartie d’une telle soumission pacifique, protègent. 

 

L’accent mis sur la nouveauté suppose un démarquage de l’ancienne qui se reconnaîtrait plus facilement dans la notion d’identité que celle de civilité.  

 

Cette nouveauté s’inscrit dans le désir de nouvelles générations de moderniser le monde et la société ; le monde par un rapport plus respectueux de la nature, la société par le désir de la doter des moyens de régulation de la vie sociale qui correspondent davantage aux besoins immédiats. 

 

L’éternité, on n’est lassés de l’attendre, et entre-temps il faut vivre. 

 

Pour suivre la présentation, comme l’auteur de Moi aussi l’avoue pour elle-même, nous allons essayer de poser le regard éloigné sur ce qui est construit par les données historiques et anthropologiques pour préciser le concept de normes à l’aide de celui de civilité sexuelle.

 

La civilité est un produit conventionnel, propre uniquement à l’espèce humaine, elle n’est pas à confondre avec politesse mais un “esprit des mœurs” (p. 231 qui cite Littré, et suivantes), ainsi que l’homme sauvage se distingue de l’homme civil (Rousseau)

 

Civilité sexuelle, versus le naturalisme, sous sa forme individualiste que l’auteur de Moi aussi dénonce comme une dérive dangereuse pour la société, est un moyen d’échapper à la réinterprétation de la notion de nature remise par elle-même en cause ? 

 

La relation hétérosexuelle n’est pas plus naturelle que la relation homosexuelle, héritage des mythes d’origine, affirment les spécialistes. 

 

Du point de vue de l’individu, pour reprendre l’expression de Heidegger “jeté dans le monde”, dans la modernité, tout se vaut.

 

La nouvelle citoyenneté, -tout en se démarquant de la loi naturelle avec laquelle coïncident les normes (christianisme) et de la vision de la “nature humaine” (Les Lumières), tout en plaidant par conséquent en faveur du démantèlement du système de valeurs- constate (elle, ou plutôt son auteur) son accueil avec circonspection, étonnement, amusement, soulagement jusqu’à devenir le motif d’action.

 

Le véritable changement suppose bien plus qu’une simple libération sexuelle qui peut d’ailleurs empêcher le changement en profondeur.

 

Contrairement aux idées reçues de “philosophes” de l’époque coloniale, les sociétés dites primitives loin de la promiscuité, régulent la civilité sexuelle de façon encadrée ; dans les sociétés qui ignore la prostitution, l’acte sexuel est rarement réduit à lui-même, il revêt une dimension symbolique, la civilité sexuelle fait partie d’un tout, en régulant le rapport entre ordre et désordre, entre ce qui doit être uni et ce qui doit être séparé. C’est pour cette inscription sociale de la sexualité que Irène Théry plaide, en mettant au cœur même de son argumentation la place de la sexualité dans la vie sociale.

 

Pour tenter de définir la nouvelle civilité sexuelle, Irène Théry propose de parler d'”ordre sexuel matrimonial” pour la civilité sexuelle héritée du passé et de “nouvelle civilité du consentement” pour la métamorphose en cours aujourd’hui (p. 243)

 

Et ça passe par le postulat de l’égalité des sexes qui est bien plus qu’un rééquilibrage pour satisfaire la justice, c’est une métamorphose de la règle du jeu social qui désormais repose sur le consentement individuel qui réserve à la notion de fidélité une place ainsi reléguée dans la sphère privée.

 

La variété des situations de couples ainsi constituée exprime la recherche du bien être au travers “d’une bonne sexualité”, celle qui fait du bien. Mais que l’on le veuille ou non, le culte de la performance ainsi engagée pour y parvenir, renvoie à la fatigue de soi, ceci est vrai dans tous les secteurs des activités humaines, mais est le plus visible dans les domaines qui renvoient au moi profond, ce qui est le cas de la sexualité. 

 

La mixité généralisée des espaces sociaux est un autre marqueur de l’avènement de la nouvelle civilité sexuelle (un des rares endroits qui y résistent sont les toilettes publiques ! RK) qui semble intégrer sans résistance la formation de couples qui se projette dans un attachement stable comme horizon. 

 

Mais dans cette émergence de nouvelle civilité, il n’y pas que des éléments positifs, le cercle tragique de trois sexismes se dessinent comme frein pour la progression de la nouvelle civilité

 

-le sexisme hérité du passé,

-le sexisme mafieux,

-le nouveau sexisme islamiste, individualiste et intégriste de haine de l’Occident (une nouveauté en France tout au moins)

 

Le point d’ancrage de l’action visant à changer la structure même de la société se trouve dans l’articulation des normes sexuelles avec les normes sociales. A partir de cette base, le raisonnement sur la sexualité qui suit est tout à fait logique :

 

“C’est une relation sociale qui, bien qu’elle appartienne à la sphère de l’intime, n’en est pas moins informée par une civilité ayant une dimension de sens et de valeur, donc une dimension normative et en incluant en particulier une forme spécifiquement sexuelle du consentement ” p. 265

 

Dans cette vision, l’égalité des sexes conduit inévitablement à récuser l’asymétrie du consentement et la règle de complémentarité.

 

A mon avis, c’est un postulat qui relève inconsciemment davantage de la volonté d’exagérer, l’urgence oblige ! que de nuancer, car si les deux n’apportent pas de différence autre que celle qui différencie deux individus, cela effectivement ouvre la voie à la reconnaissance de l’adoption par des couples homosexuels… Il fallait l’un pour obtenir l’autre.

 

Si tous naissent libres et égaux est en écho de la dignité égale des enfants de Dieu, les enfants de la nouvelle civilité endossent cet impératif comme valant pour tout. 

 

Pourtant cette complémentarité persiste dans le discours même d’Irène qui, au lieu de protéger les filles, invite à éduquer les fils, on s’en doute, pour rendre justice à l’histoire de la rivalité sexuelle. C’est dans l’éducation des fils que se concentre la garantie de l’émergence de la nouvelle civilité sexuelle, même si un peu plus loin elle admet finalement à mi mot la nécessité de l’éducation de filles en vue de la nouvelle citoyenneté, ce qui veut dire que celle-ci ne va de soi pour personne. 

 

Comme si les filles y accédaient tout naturellement, une force d’auto-persuasion peut pallier bien des inégalités. Comme si les filles n’avaient pas besoin d’une éducation à être… filles ?

 

Le passage du consentement-contrat au consentement-conversation indique l’originalité et le lieu de naissance de la nouvelle civilité. 

 

La Conversation est porteuse d’une valeur de rencontre fortuite ou prévue, mais pacifique et bénéfique pour les deux parties, elle est presque divine, tellement rien ne lui manque de ce que les humains cherchent pour passer leur temps ensemble à construire, grandir, s’épanouir et jouir, l’unité du lieu entre l’avènement et la consommation est garantie pour le plus grand bonheur des acteurs qui jouent dans la même pièce (théâtre ou chambre) une scène de leur vie.

 

Il s’agit d’une conversation à caractère érotique (une succession asymétrique de la créativité mettant en jeu l’alternance entre sujet et objet) on pouvait s’en douter, car c’est d’une Conversation des sexes qu’il est question (cf. Livre de Manon Garcia). 

 

Cette conversation-là serait donc la dernière étape de la réflexion sur l’égalité des sexes comme préalable à l’avènement de la nouvelle civilité sexuelle épanouie. 

 

On ne voit pas très bien comment l’asymétrie mettant en jeu l’alternance entre le sujet et l’objet participe à l’égalité, sinon admettant que le fait de se rendre ou rendre l’autre objet est indispensable pour son épanouissement personnel ; en régime chrétien on préfère parler d’une complémentarité différenciée où il n’y a pas d’objet mais seulement deux sujets investis d’une participation à la vie de l’autre. 

 

Dans la religion chrétienne et sans doute ailleurs, toute chosification étant suspecte, on a bien réussi à le signifier dans la théorie, sans pour autant avoir échappé à ce mode relationnel chosifiant en pratique. 

 

C’est une révolution culturelle majeure dans l’histoire de l’Occident qui se déroule devant nos yeux pour opérer le changement sans un coup de feu, dans un temps de paix et de tous les possibles.

 

Le consentement sexuel n’est pas un contractualisme, mais se confondant avec l’attitude psychologisante de chaque partenaire, repose sur la liberté de cesser à tout moment de consentir, de vouloir, de désirer, unilatéralement.

 

On peut aisément conclure le raisonnement de l’auteur de Moi aussi, que la nouvelle civilité sexuelle pour être bien prise en compte dans toutes ses dimensions psychologisantes nécessite protection de l’Institution (contre les trois dangers énumérés, mais sans doute il peut y en avoir d’autres) qui organise et oriente la vie sociale, c’est le service de la collectivité à l’égard de l’individu qui se présente avec ses prérogatives présumées d’un duo.

 

Une telle conception du couple moderne en duo pour un temps, temps que dure la magie de la conversation érotique, semble bien loin du modèle paradisiaque que la Bible propose, et si la Bible propose aussi d’accompagner le duo de premiers parents sur leur chemin d’errance, qui peut interdire de le faire dans la situation du passage vers la nouvelle civilité sexuelle.

 

La seule différence réside dans le rapport à la norme à laquelle la Bible semble bien attachée, or la norme de la nouvelle civilité, car elle en a une, est fondée sur le terrain qui semble étranger à celui de la Bible, tout au moins l’interroge sur ses interprétations.

 

Si la visée de la conversation érotique est de construire, car construction il y a aussi, c’est de le faire dans l’éphémère qui ne s’oppose pas au durable, mais ne le nécessite pas.

 

La lecture de Moi aussi suscite une réflexion sur le rapport à la durée ce à quoi on n’échappera pas. 

 

La durée est prévue pour l’éducation des enfants, s’il faut bien se résoudre à en avoir au moins par-ci par-là, même par le besoin qui est bien plus qu’un pur plaisir personnel et parfois partagé en duo, sinon la reproduction ne sera plus assurée.

 

Cela nécessite une durée, il faut doter les tuteurs des outils fournis par les responsables politiques (étatiques ou autres) qui ne se présenteront plus comme tuteur des tuteurs, comme c’est le cas des sociétés de-passées par la modernité car trop “matrimoniales” au sens d’une protection jugée contraignante.

 

Même envisager de leur faire jouer le rôle de béquilles, par leur caractère d’auxiliaire de vie, semble sonner faux dans les oreilles des duos qui dans cette vision ont seulement besoin qu’on les protège même pas des aléas de la vie (séparation de couple, mais continuation de la responsabilité tutorielle, ou alors l’abandon pur et simple à la société, au profit de la liberté des bénéficiaires), mais d’un de trois dangers cités plus haut.

 

Sinon à quoi sert l’instance juridique, si ce n’est pour accompagner les évolutions et régler les litiges, la nouvelle civilité sexuelle avec ses avancées sur le terrain de la prise de conscience de la dépendance des procédés structurant les sociétés, ne se présente pas comme une alternative au modèle passé, mais une radicale nouveauté qui ne peut souffrir de contradiction, sinon celle de lui opposer un autre modèle encore plus performant, mais allant dans la même direction.

 

Que la société a toujours été conduite par les trois forces (l’argent, le pouvoir, le sexe) et que les religions inféodées de force, ou en se situant souvent par consentement complaisant de façon ambiguë, ont joué et jouent toujours le rôle de régulateur plus ou moins performant, ce sont des évidences.

 

Cela ne peut en aucun cas faire fermer les yeux sur les contingences ni rejeter en bloc des avancées sur le terrain de la prise de conscience des souffrances individuelles, cachées et tues de façon naturelle dans les sociétés traditionnelles.

 

La régulation par omerta et sacrifice pour une belle cause, celle de la société qui prime sur l’individu, change de point d’appui en se faisant le défenseur des faibles bafoués dans leur dignité en tant que sujet à respecter.

 

De là, à croire que la nouvelle civilité sexuelle est un modèle universel de vie future en société moderne, c’est parier sur la bonne météo de la vie de nos sociétés, car aux trois dangers déjà bien identifiés, on peut ajouter celui de l’incertitude au sujet de la stabilité politique et sociale (qui est déjà induit dans le troisième, mais de façon non substantielle) pourtant indispensable pour mettre en place un tel projet, pour qu’il ne soit pas qu’une utopie.

 

C’est une étape bien réelle dans l’évolution de l’humanité à l’accession de son auto-conscience à un Je responsable. Long est le chemin pour y parvenir, c’est aussi le chemin de ceux qui voudront bien de près ou de loin l’accompagner.

 

Si le consentement sexuel est une modalité de l’action et de la relation, c’est une question que le livre pose inconsciemment, quelles sont les régularisations sociales que nécessite une nouvelle civilité, -car tout en voulant échapper à une contractualisation non pas de l’intime qui de fait était trop souvent sous l’emprise du contrat, – mais qui cherche les moyens pour les garantir. 

 

L’union libre éphémère est un possible que beaucoup préfèrent, on verra ce que choisira le législateur d’un pays à l’autre, sous l’impulsion de la population et de ses traditions. 

 

En attendant, on n’oubliera pas de reconnaître l’immense avantage de Moi aussi comme de #MeToo qui est de faire avancer la réflexion sur la manière d’accompagner l’évolution des mentalités et de l’évolution de comportements impulsée par les nouveaux possibles. 

 

Aurait-il été possible d’obtenir le même résultat -dénoncer efficacement les violences à caractère sexuel- sans pour autant désolidariser le consentement de troisième type des assises sociales, s’en prendre aux structures sociales en les remplaçant par des nouvelles dont on jette les bases. 

 

Sans doute pas, l’évolution des mœurs en Occident opère de toutes ses forces une mue par la liberté d’aimer comme on l’entend (qui, sans une obligation imposée par la loi extérieure, serait contre ?) et cherche à gagner les terrains encore non conquis. 

 

Sur le terrain de la théologie morale, le catholicisme participait à sa façon à escorter et au besoin contenir le mouvement, et peu nombreux étaient ceux qui regardaient avec lucidité ce que les présupposées pouvaient donner à voir, sans pour autant avoir le droit d’atterrir sur le navire de la nouveauté, sans non plus l’aval véritable des autorités d’Église.

 

On ne peut pas changer le cours des choses surtout quand les moyens tactiques manquent de conviction et d’alliés (ailleurs que chez des prostrés ou cabrés) capables de creuser le sillon de la vérité là où ça fait mal, y compris chez ceux qui luttent contre le mal qu’ils dénoncent. 

 

A supposer une véritable collaboration entre les gardiens du dogme et les pourvoyeurs des nouveaux, ce qui n’aurait pas changé radicalement le cours de choses, mais sans doute à l’Église d’anticiper un peu mieux, tout au moins au profit de la clarification de sa position. 

 

Il n’est jamais trop tard pour bien faire, faut-il encore le faire bien, et bien malin est celui qui peut donner des recettes pour bien réussir le repas de noces auquel rêvent tous les amoureux de la vérité, là où ils la trouvent.