Cette fois-ci, une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de commencer cette méditation aux allures d’une réflexion personnelle par un texte écrit il y a 8 ans.

Le texte fut écrit à l’occasion de la fête de la miséricorde divine qui s’est déroulée à Hong Kong. 

“7 avril 2013 Miséricorde à HK

Mon premier dimanche de la miséricorde divine à Hong-Kong, je l’ai passé en partie en compagnie du card. Thong venu présider la messe de ce dimanche dans une paroisse sur Kowloon. Le curé, un Oblat de Marie, P. Slawek, un fervent promoteur de la miséricorde divine, est à l’origine de l’implantation officielle de la fête dans le diocèse de Hong Kong.

La paroisse de Notre-Dame est devenue un lieu de pèlerinage. A l’occasion de la fête de la miséricorde sont exposées les reliques de la sainte Faustine et du Bienheureux Jean Paul II. La grandissante dévotion des catholiques hongkongais pour la miséricorde divine se double de celle à l’égard de l’ancien archevêque de Cracovie. 

Cela se voyait au moment de la bénédiction accomplie par le cardinal à la fin de la messe, celle des objets pieux, chapelets, images de la miséricorde mais aussi des portraits de Jean-Paul II.

Après le repas, le P. Slawek m’a aussi invité à la messe en polonais qu’il célèbre une fois par mois, durant laquelle il a baptisé un adulte polonais. 

En revanche, chez la communauté francophone, la veille, la fête est passée inaperçue, mais ceci en raison d’une fête communautaire programmée depuis longtemps.” 

J’ai été très heureux d’y participer en me souvenant de toutes les fêtes de la miséricorde vécues en France à Osny dans le Val-d’Oise qui se déroulaient depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la propriété de la congrégation dont je fais partie, celle de la Société de l’Apostolat Catholique, communément appelé pallottins, du nom du fondateur Vincenzo Pallotti.  

Depuis l’an 2000, à la suite de la décision du pape Jean-Paul Il de rendre obligatoire la fête de la miséricorde divine, celle-ci est célébrée dans l’Église catholique le deuxième dimanche de Pâques. Alors que cette fête de la miséricorde était déjà célébrée depuis des décennies dans certains pays, comme par exemple en France comme on vient de le voir. Mais surtout en Pologne, berceau des révélations dans les années trente du XX siècle accordées à une religieuse, sœur Faustyna Kowalska.

Ce fut ma première année à Hong-Kong, année pleine de découvertes accomplies au contact avec un monde asiatique. Hong Kong est marqué par la rencontre de la culture occidentale et chrétienne avec la culture asiatique, dans sa version chinoise insulaire, à la hongkongaise. “

Cette note personnelle d’il y a huit ans introduit le thème de la miséricorde divine avec un pendant, considéré spontanément comme son rival sémantique, qu’est celui de la justice. 

La justice et la miséricorde en coexistence heureuse, un pari de la théologie chrétienne dans son ensemble.

C’est aussi le pari de ce podcast. 

Et puisque tous les chemins mènent à Rome, je propose un développement que certains trouveront un peu audacieux. C’est la seconde particularité, s’il en est une. En effet je vais m’appuyer sur une analogie avec le monde physique pour parler d’un sujet qui peut s’apparenter dans le traitement de son contenu plutôt à la lisière entre la philosophie et la théologie. 

Spéculer théologiquement ou philosopher théologiquement, ce qui reviendrait au même, sans se référer à un monde tangible et facilement imaginable, c’est à coup sûr risquer de perdre très facilement le fil, c’est aboutir à un non lieu de la pensée. Une illustration c’est toujours mieux, nous y sommes déjà tellement habitués par toutes les BD etc. 

Car en effet, dans cette méditation sur la justice et la miséricorde, la pensée est convoquée à la barre de la vérité. Et elle est appelée à se tenir en éveil. Méditer sur la miséricorde en lien avec la justice, c’est se laisser guider par une dynamique impulsée par la réflexion assistée d’images. Images, telles des poteaux indicateurs avec les pictogrammes accrochés en haut de ceux-ci, qui indiquent la direction pour comprendre d’une étape à l’autre ce qu’est cette miséricorde et son auxiliaire indissociable, la justice. 

Et surtout ce que sont l’une par rapport à l’autre, mieux l’une pour l’autre. Car ce ne sont pas tant deux réalités abstraites, tels des objets conceptuels juxtaposés. Ce sont deux réalités incarnées, qui prennent forme des attitudes profondes par lesquelles on peut, voire on doit décrire leurs porteurs en y trouvant une meilleure compréhension de l’identité personnelle. A commencer par celle de Dieu lui-même.

Dire que les deux sont d’essence divine, de naissance et de contenu, constitue la base de notre raisonnement. Quel rapport entre la physique et la métaphysique ? Une analogie qui frappe l’imaginaire, ou un subterfuge pour finalement conduire un raisonnement déconnecté du réel, sans un solide rapport avec les faits constatables ?

Dans le domaine de la physique, on cherche à identifier le plus petit élément composant la matière, qui serait distinct de la lumière. On le cherche à l’aide de l’accélération des particules. 

“En 1979, était obtenue la première preuve convaincante de l’existence des gluons, les cousins des photons responsables des forces nucléaires fortes liant les quarks dans les protons et les neutrons. Aujourd’hui, en 2021, le Cern et le Fermilab annoncent qu’ils ont enfin une preuve solide de l’existence de particules faites uniquement de gluons.”

Dans la métaphysique on cherche à identifier la présence divine avec ses caractéristiques propres que sont entre autres, sa justice et sa miséricorde.

Par analogie donc, en nous appuyant sur de telles données physiques est-il possible de conduire un raisonnement parallèle dans le domaine métaphysique? Le raisonnement métaphysique, lui aussi supposé être connecté sur le réel de sa “matière”. Tel est le pari dans le pari de ce podcast.

Les gluons sont des cousins de photons… l’énergie stockée et libérée dans la matière qui est à la frontière avec la lumière. N’étant pas spécialiste, espérant ne pas faire de contresens, j’utilise cette proximité entre la matière et l’énergie qui la contient pour faire une analogie entre la justice et la miséricorde. 

Si la justice est l’expression de la loi qui s’applique à tous avec une matérialité en termes de jugements proférés, elle peut libérer une puissance qui est en elle que l’on appelle donc la miséricorde. 

Après la physique, selon l’ordre chez Aristote, vient la métaphysique. De l’observation à l’œil nu ou assisté par les loupes en tout genre, passons donc à l’observation par les yeux de la foi.

La physique quantique est à la physique moléculaire ce qu’est la miséricorde à la justice. Une analogie en hélice comparative à l’intérieur de ces deux domaines. Un pari risqué que celui de vouloir réussir à déployer un raisonnement théologiquement fondé sur une telle analogie.

Justice et miséricorde, les deux séparément sont bien connues de tout le temps de la foi révélée, telle qu’elle est consignée par les témoignages dont attestent les écritures. Au Dieu vengeur, car jaloux d’un amour exclusif, on pouvait parfois percevoir se succéder l’image d’un Dieu plein de compassion et de miséricorde.

Parmi tant d’autres endroits, le psaume 94 l’atteste sans hésitation:

10 « Quarante ans leur génération m’a déçu, +

et j’ai dit : Ce peuple a le coeur égaré,

il n’a pas connu mes chemins.

11 Dans ma colère, j’en ai fait le serment :

Jamais ils n’entreront dans mon repos. »

Le déluge, la destruction de la tour de Babel entre d’autres histoires plus ou moins facilement et profondément marquent l’imaginaire. Ces images peuplent l’ensemble de l’histoire du peuple d’Israël. Elles sont aussi très présentes dans la civilisation occidentale fortement influencée par les récits bibliques. Et même dans l’humanité toute entière qui l’accueille parfois. 

Si la justice divine est refusée, que deviendrait alors sa miséricorde. On aurait eu tendance à penser qu’on serait plus facilement accueilli, en passant de l’un à l’autre en image fondue.

Or il n’en est rien, ou alors on se contenterait du second, en détriment du premier. La miséricorde sans justice semble plus facilement acceptable qu’en lien avec la justice.

C’est Jean Paul II qui donne la clé, en constatant que la miséricorde est le déploiement final de Dieu de justice. Jean-Paul Il s’en est rapprochée d’une telle vision constatant dans son encyclique Dives in Misericordia que la miséricorde est l’épanouissement de la justice, la fine fleur, le fruit de la justice. 

Car seul Dieu peut être totalement juste, et que la miséricorde qui en résulte, peut se manifester sans amoindrissement quelconque ni altération de la justice, mais la justice peut s’épanouir dans la miséricorde.

Et tout ce raisonnement se fonde sur la Bible, comme toujours. C’est la loi du pardon dont fait montre Jésus tant de fois et on se souvient de la fameuse phrase qu’il prononce à l’adresse des accusateurs de la femme: “Celui qui est sans péché, qu’il lui jette la première pierre”. 

Saint Paul en est très conscient déjà, et dans l’épître de saint Jacques 2,3 nous trouvons ce constat pour le moins étonnant. Mais qui résume ce rapport entre la justice et la miséricorde : “la miséricorde se moque du jugement”.

Se moquer est un anthropomorphisme pour décrire que la miséricorde désormais n’en tient pas compte. Car, comme le bon larron à qui le promesse d’une vie fut offerte in extremis, tous ceux qui bénéficient de la miséricorde, sont libérés de la justice qui, sans la miséricorde, serait toujours en défaveur de l’homme. On peut contester un tel constat, mais on ne peut pas ne pas voir l’ouverture à la vie qui passe par là. 

Bonne fête de la Miséricorde qui a besoin de la reconnaissance de la justice pour pouvoir agir efficacement. Il n’y a pas de miséricorde pour un cœur endurci. La miséricorde exprime la tendresse divine qui ainsi veut parler à la tendresse humaine. 

Attendris devant un tel constat, n’hésitons pas à nous ouvrir à une telle réalité d’amour. Amour qui se présente sous forme d’un pardon inconditionnel, pardon juste. A une seule condition toutefois. Qui est celle de vouloir l’accueillir. 

L’essentiel c’est tendre les bras sans retenue ou fausse pudeur vers la miséricorde. Sans nous soucier de savoir comment la divine justice opère.