“Pas renoncer au rituel de se rendre aux urnes, mais proposer une alternative pour ceux qui ne pourraient pas s’y rendre”. Le Parisien, 11 novembre.

C’est comme si j’entendais le débat autour de la messe. Le rituel du dimanche est perturbé par bien des raisons qui font de la majorité de catholiques des abstentionnistes bien ancrés dans une telle tradition. 

Mais cela ne date pas d’aujourd’hui, dans le monde occidental, l’abstention est un droit inaliénable, c’est-à-dire fondamental. Et hormis le fait d’un constat, interdire de l’exercer en fustigeant les “fugitifs”, ce serait nier la liberté d’expression de conscience, droit fondamental de la foi chrétienne. D’où le caractère relativement “détaché” de l’obligation de la messe qui, à la faveur de l’évolution des mœurs et de la prise de conscience de la liberté chrétienne, est passée du devoir du chrétien au droit possible.

La liberté de nous abstenir, nous y tenons en Occident pour des raisons qui sont propres à cette sphère culturelle. l’Occident fut marqué par les empreintes chrétiennes, et, même maintenant, dans un monde post chrétien, garde des souvenirs de l’éveil de l’homme à sa liberté. Et y tient jalousement.

Liberté autrefois référencée sur le Dieu de Jésus-Christ et exercée dans l’Esprit qui donnait à vivre. Désormais la liberté est référencée sur l’homme lui-même qui accède à son autoconscience.

Cette autoconscience est le résultat des influences extérieures et de la manière dont celles-ci ont été intégrées. La bonne digestion pour les uns, moins bonne pour d’autres et franchement mauvaise pour certains.  

C’est de la qualité de la digestion que dépend la qualité de la conscience. En général, la bonne digestion est celle qui permet au corps de capter les aliments dont il a besoin. De quoi a-t-elle besoin, la conscience, et quand est-ce qu’elle est bonne du point de vue chrétien ?

Si l’on ne passe pas par cette case de réflexion plus ou moins consciemment, on risque de se trouver dans la situation d’une île flottante en dérive, à la merci des courants qui la font bouger au hasard des éléments de la nature et donc des événements qui constituent l’écosystème de l’homme.

Du coup on a affaire à un homme qui fait ce qu’il peut, alors qu’il pensait faire ce qu’il voulait; qui en est grisé, qui en use et en abuse, n’en faisant certes qu’à sa tête, mais qui en fait n’est plus le centre de commandes libres pour diriger ses pensées et ses actions.

Car, en attendant mieux, pour le moment, il est sous les commandes de pulsions diverses. C’est un libertin qui se souvient de la liberté de choix et qui en use, comme si le choix était fait. Or, il n’en est rien, c’est juste une conséquence des influences mal digérées. Sans que les aliments absorbés par le corps et l’esprit soient au service de la volonté propre que constitue le poste de commande, un centre de la liberté dans l’amour absolu, qui se trouve en Dieu.

Sous les influences grandissantes des pourvoyeurs des idées sur le monde sans Dieu, l’autoconscience trouve ses raisons de croire par elle-même et elle s’organise. Une nouvelle religion est alors née, une nouvelle ou plutôt une ancienne qui couvait sous la cendre des aspérités chrétiennes brûlées à coup de lance-flammes de la purification jamais totalement réussie de l’intérieur, alors qu’elle se fait souvent, comme actuellement, sous la poussée venant de l’extérieur.

Mais les abstentionnistes de la messe de dimanche ne viennent pas que de là, de cette envie farouche de l’autonomie qui libère de toutes les structures que l’on considère comme étant inutiles, trop contraignantes et finalement néfastes pour l’autréalisation. Ils viennent en grande partie aussi justement des attentes déçues qui neutralisent l’action, qui l’interdisent même et entraînent une paralysie durable. Sans avoir eu la possibilité de goûter aux délices de la joie chrétienne préalable à la décision d’y aller pour s’en nourrir et l’entretenir. Paralysie dont l’on essayait de libérer les ouailles à coup de prédications musclées et d’absolutions revigorantes. 

Peine perdue, on le sait maintenant, depuis que l’on a compris, intégré et digéré une évidence évangélique, qui dit que le chemin jusqu’à la décision de l’action et l’action effective est long. Cette évidence concerne la manière d’agir : rien par force, tout par amour. La patience, certes, y est si souvent éprouvée, c’est toutefois le meilleur moyen, car remède, à tant de maux qui provoquent aigreurs aux goûts acides des reflux faisant mal à l’estomac et au cœur.

Et la troisième catégorie d’abstentionnistes de messe de dimanche est composée de ceux qui ne peuvent pas y accéder pour des raisons de distance et de mobilité ou immobilité contraignantes. Sont concernés tous ceux allant, étant et venant d’ailleurs. Gens de la mer et gens de voyages…, gens des armes et gens désarmés, les uns luttant pour la liberté, les autres en étant privés et luttant pour le maintien de la dignité de leur corps emprisonné, malade. Tous, luttant pour la libération qui est bien plus qu’une simple idée de liberté, dont on peut se targuer à peu de frais dans les débats de salons.

Pour eux, allant, étant et venant d’ailleurs, ceux qui y tenaient malgré l’empêchement physique (santé, travail, éloignement), le remède fut aussi cherché et presque trouvé.

Ainsi durant les siècles on a créé en France des aumôneries de l’armée, des hôpitaux, des prisons et de jeunes (collèges et de lycées). Elles assurent, aux côtés d’autres confessions chrétiennes et d’autres religions, une présence de l’Eglise catholique dans les milieux où il n’y a pas de possibilité de se déplacer pour se rendre à la messe paroissiale.  

Dernièrement, pour “les gens de voyages” qui transitent par les aéroports, il y a aussi des lieux, des espaces pour le recueillement humain et spirituel, un lieu de paix où on peut déposer ses valises chargées de vie humaine et spirituelle. 

On peut espérer que cette tendance va s’affirmer partout dans le monde, puisqu’il s’agit de veiller sur le bien-être des passagers; leur santé en terme intégral en dépend. Êtes vous déjà allé dans un endroit pareil, saviez-vous qu’il en existe? Nul n’est censé ignorer la loi, mais connaître réellement c’est mieux, comme dans le cas de vote par abstention en connaissance de conséquences à assumer.

Dans les cas du service pour les gens de voyages, comme pour les autres, la liberté de choix de venir ou ne pas venir reste totale. C’est la liberté qui s’exerce dans un contexte différent en comparaison avec le milieu social ordinaire. Le cas de gens qui voyagent pour des raisons professionnelles, familiales ou touristiques n’est pas le seul.   

il y a aussi un service rendu sur place à ceux qui sont privés de la liberté pour des raisons pénales, ou de maladie, ou encore d’appartenance à un corps de métier, y compris celui d’étudiants. 

Dans ces situations, le taux de participation à la messe dominicale grosso modo correspond au taux général. Avec, pour ce qui est des aumôneries des collèges et lycées dans les établissements privés catholiques, un phénomène très répandu de non intégration dans le tissu ordinaire paroissial. Car une fois la scolarité ainsi accompagnée du point de vue de la vie de l’Eglise comme service rendu à la vie chrétienne des élèves, une fois ceux-ci sortis de l’école ils ne s’intègrent que très peu dans la vie paroissiale. 

Le rituel qui était intégré dans la vie scolaire, n’est pas prolongé dans la suite de la vie. Ils s’y réfèrent éventuellement pour les grandes occasions qui donnent lieu au rite de passage accompagnant la vie du couple, de la famille et de la fin de vie. Mais pas plus, et pour ceux qui viennent de familles catholiques pratiquantes, plutôt moins que ceux qui ne sont pas passés par l’enseignement catholique privé.

Pour ceux qui n’y sont plus pour toutes ces raisons, on cherche toujours à savoir comment les faire revenir, mais la tâche est rude. Qui hésite aujourd’hui entre le bien-être physique et le bien-être spirituel, entre le bon mental et la vigueur théologale? Qui aujourd’hui a envie de diriger sa vie à partir de la finalité ? 

Presque personne, car déjà on ne sait plus répondre à la question de la finalité de toutes choses, en commençant par le sens de la vie humaine. 

L’objectif premier c’est les faire revenir à Dieu et à la promesse du bonheur qui y est contenue. Et cela passe par le fait de se réalimenter régulièrement à la source en présence des autres. Non, la messe de dimanche n’est pas une obligation, c’est juste une nécessité.., pour ceux qui l’ont ainsi comprise.

Le parallèle avec la situation républicaine concernant les votes est criant d’évidence et de vérité. Le rituel consistant à se rendre aux urnes est fondé sur le principe d’une libre adhésion aux droits de la liberté d’expression. S’exprimer librement au sujet d’un candidat ou d’un autre, c’est participer à la décision commune d’engager le pays dans une direction ou une autre.

La symbolique du rituel de se rendre aux urnes (en principe un dimanche) trace le chemin de la cohésion de tout un peuple dont les membres sont solidaires du destin commun qui leur est ainsi assigné en vertu des caractéristiques propres héritées, et celles impulsées par les votes. 

Il me revient l’image d’une longue queue devant le bureau de vote à Moumbai, ouvert dans le bâtiment du séminaire diocésain. Les gens sont venus avec les habits traduisant l’appartenance à des communautés culturelles et religieuses diverses. Le caractère bigarré donnait une sensation unique d’une unité nationale exprimée, pas tant par le vote que par le fait de venir voter et accepter d’être en présence des autres, parfois si différents et pourtant ensemble.

C’est la masse grandissante de ceux qui s’en abstiennent qui est l’objet de tant d’actions de sensibilisation aussi bien chez les candidats que dans l’Eglise. Même si dans le cas de catholiques cette sollicitude est peut-être moins visible, la pression n’étant pas de même nature. Si le calendrier électoral est à court terme, celui de la pratique religieuse dominicale concerne dans ses effets le long terme, parfois tellement long que l’on ne voit bien ni les contours de la finalité, ni même son contenu principal.

C’est à leur égard que s’expriment toutes ces sollicitudes pastorales. À l’égard de tous ceux qui, tout en restant membres et de fait sont partie prenante d’une manière ou d’une autre (plus ou moins critique) du destin commun, hérité et impulsé par les pratiquants, comme dans les domaine politique par les votants, et malgré tout, aussi par eux-mêmes. Comment les inclure dans l’ensemble du processus de prises de décisions les concernant ?

Comment inclure tous les catholiques dans l’objectif de la foi chrétienne qui se réalise comme un processus de la croissance du royaume de Dieu dans les cœurs droits qui, à travers leur conscience droite, cherchent la justice de Dieu.

La majeure partie de catholiques (pour ne parler que d’eux) est vaguement attachée aux valeurs chrétiennes, comme les masses de citoyens français s’abstenant de voter sont vaguement attachés aux valeurs républicaines.

Pour les premiers est garantie surtout une bonne récompense éternelle, dont ils ne voient pas pour le moment l’intérêt à partir et pour leur vie sur terre. Pour les seconds c’est la récompense d’une vie plus digne et matériellement plus aisée qui est attendue, le bien être matériel combiné avec le bien être spirituel.

Les uns et les autres se rejoignent dans des attentes similaires exprimées à leurs égards par les pourvoyeurs. Celles d’un bien être à puiser dans un réservoir présumé de la cité de la Jérusalem céleste, ou dans le réservoir de la cité terrestre uniquement. Les premiers rejoignent les seconds dans les affaires de la terre pour marcher ensemble sur le chemin de la justice et de la paix. 

Les premiers chrétiens l’avaient compris: sans communauté la vie chrétienne est en grave danger. Le manque d’oxygène de l’air ambiant et l’insuffisance cardiaque du tonus de la foi professée ensemble sont les deux pathologies chrétiennes les plus fréquentes. Pour s’en prémunir et surtout parce qu’un besoin intérieur les y poussait : 

‘Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple, ils rompaient le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de coeur,” Actes 2:46

Les premières descriptions de ce que nous appelons la messe font état de la vie quotidienne. A la faveur du développement missionnaire, rapidement on est passé au rythme hebdomadaire pour célébrer le jour du Seigneur consacré aussi à l’enseignement donné par les apôtres.

Les citoyens français ou autres ont la chance de participer au choix démocratique du destin du pays et les chrétiens à la croissance du royaume de Dieu, dès maintenant, sur terre. Ensemble, ils prennent part au destin du pays qui se réalise au moyen des rituels comme celui d’aller voter ou d’aller à la messe le dimanche.