Parti de France depuis presque 10 ans, rares sont pour moi les occasions de suivre l’actualité française depuis Hong Kong. Comme rares avaient été les occasions de suivre l’actualité polonaise en France.

 

C’est aussi une question de choix, pas seulement d’accès plus ou moins facile à la source d’informations. Mais c’est aussi une question de choix que de privilégier l’intégration locale la plus profonde possible. 

 

Si celle de la France s’est faite par l’apprentissage de la langue du pays d’accueil, tel n’est pas le cas de Hong Kong. Ce fait relève d’une impossibilité formelle et aucunement d’un choix d’auto ostracisassions.

 

A la faveur de la pandémie et de ses effets collatéraux sur les liens entre la France et son citoyen, expatrié en Asie que je suis, je me suis laissé entraîner par un conseil donné récemment par une Française d’aller voir du côté de chez Bellamy. 

 

J’en ai vaguement entendu parler lors d’un repas aux saveurs de la gastronomie française, mais sans plus. Je suis conscient des limites de mon développement, que j’espère le plus neutre possible, sans parti pris. Mais ce qui m’intéresse dans cette présentation c’est de montrer quelques mécanismes de base du débat public. 

 

Jean-François Bellamy est un jeune prof de philo qui s’est lancé en politique. Élu au parlement européen, son avenir politique est bien engagé, comme pronostic vital d’un même adjectif pourrait l’être. Engagé, il l’est, et ceci doublement, comme citoyen et comme chrétien.

 

Le fait de venir de Versailles est un gage de profondeur qui rassure, encourage et attire. C’est ainsi pour les uns, alors que pour d’autres, c’est bien au contraire un motif de suspicion fondamentale.

 

Mais ce n’est pas de lui que je veux parler, il est juste un protagoniste dans un échange d’idées lors d’une émission de télé. Je “l’emmène” sur le plateau d’un débat via ce podcast pour voir comment dans son style propre, ce type d’émissions de télé ne semble pas avoir beaucoup à faire avec dialogue et débat d’idées. C’est plutôt d’un lynchage à la régulière qu’il est question. Mais allons aux faits.

 

J’ai écouté plus que regardé en podcast une émission de télé publique française, dont le titre générique, On n’est pas couché, est bien évocateur et de l’heure où l’émission est transmise et du degré d’implication des spectateurs qui sont supposés préférer la suivre à une heure bien tardive au lieu de faire dodo. 

 

On n’est pas couché, donne en effet aux échanges animés sous la houlette de Laurent Ruquier, un ton passionné, accrocheur.

 

Laurent est coutumier d’un style qui fait sortir le loup du bois, car certainement chez chacun de ses invités, il y a toujours anguille sous roche. Et ceci doit être aussi vrai pour n’importe qui.

 

L’émission date d’il y a deux ans, mais elle n’a rien perdu de son actualité, et l’approche des élections présidentielles prévues au printemps prochain met en relief tous les atouts et tous les travers du “débat” d’idée bien à la française.

 

Il y a deux ans on parlait déjà des élections présidentielles. La question posée est très simple : Si au deuxième tour il y a de tels candidats, est-ce que vous allez appeler à voter pour l’un d’eux ou vous allez appeler à l’abstention. La question en effet est simple puisque l’on a droit de tout savoir (cela sonne comme le titre d’une autre émission Le droit de savoir), la réponse est attendue de pied ferme.

 

En sous-entendu c’est à comprendre que vous procéderez ainsi vous-même en mettant votre bulletin. Et ainsi nous saurons pour qui vous allez voter, ce qui permettra de mieux identifier votre programme électoral et ses implications sur la vision de la société à mettre en place. Rien de mauvais en soi, savoir ce que le candidat a dans le ventre, c’est éclairer les électeurs sur le choix de candidat pour qui voter.

 

Pourtant l’homme politique a tenu bon jusqu’au bout, sans réponse directe, simple, facile à comprendre, sans ambiguïté aucune. Rien de cela, il a laissé planer le doute pas tant sur ses intentions, mais plutôt sur la nature d’alliance qu’il pourrait envisager de nouer à cette occasion.

 

Il l’a fait en se mettant à dos toute la cohorte d’invités pour finalement voter contre lui, y compris le public présent dans le studio sous le mode participatif à la démocratie directe.

 

La plus véhémente s’est trouvée sa collègue de profession, une philosophe comme lui. Son ton agressif ne laissait aucun doute sur ces intentions bénies par le meneur en chef du débat qui tournait au procès en sorcellerie. Il s’agissait de démolir le candidat de droite nécessairement conservatrice, faut-il le souligner au risque de tomber dans le travers linguistique pléonastique. 

 

Jean-François Bellamy est un candidat qui cumule pas mal d’handicaps : un catholique de Versailles avec son passé de boy scout, tout ceci ne plaide pas en faveur d’un quelconque traitement de faveur. S’il n’avait pas été un représentant du peuple, son passé boy scout et son présent catho n’aurait intéressé personne. Mais là c’est autre chose.

 

Bien au contraire, cela incite au traitement à charge. Un paria du plateau, gladiateur certes valeureux, car bien préparé au combat, hélas perdu d’avance, les pouces vers le bas du public avide de sang ne peut que réconforter la production. 

 

La journaliste, qui venait de publier un livre sur la politique en France d’un ton plus modéré, emboîte le pas à sa devancière. Et, le pompon vient de la part d’un autre invité qui traite l’homme politique d’apprenti en politique.  

 

Le député européen se voit recevoir des conseils paternalistes d’un vieux routier du monde des médias. Mon petit, croyez-moi, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre, ou quelque chose dans ce style sonne comme un avertissement à ne pas vouloir traverser certains murs invisibles pour le commun des mortels érigés entre différents groupes humains.

 

Certes, la politique s’apprend comme faire une démonstration logique d’un problème ou de sa solution, comme on le fait en pratiquant la philosophie, comme d’autres sont aidés par leur formation de juriste aide. Mais faire de la politique c’est avant tout se compromettre dans les jeux d’influences, de soutien et de combats d’adversaires. Car des adversaires, il y en aura toujours, or du soutien pas toujours, l’extrême vigilance est constamment de vigueur. 

 

Je n’ai rien contre la critique directe qui fait grandir les protagonistes, selon le principe asiatique chinois actuel, win-win, gagnant-gagnant. Mais il y a une légère différence, pour insister sur la légèreté, entre une telle critique constructive et un abus d’autorité.

 

Un invité rempli d’une sagesse empruntée d’un calme acquis dans les entraînements de méditation très profonde pour ne faire apparaître aucune émotion, a en effet jugé bon de donner quelques conseils à un apprenti en politique. Certes l’apprenti en question était à mi-parcours de la vie de l’autre. Mais sa maîtrise, malgré son jeune âge, pouvait surprendre.

 

Si je relève cela, ce n’est pas pour défendre le vaillant homme politique qui se soumet aux règles médiatiques pour passer au peigne fin son discours et surtout savoir ce qu’il pense.

 

Objectivement son raisonnement est plutôt bien construit, exercer le métier de prof de philo aide sans aucun doute. Et s’il a tenu bon sans céder à la pression est-ce sans doute de l’obstination calculée. C’est sans doute pour éviter un piège, celui de le cataloguer et permettre à ses adversaires d’exprimer leur désaccord, car ils étaient apparemment présents majoritairement dans le studio.

 

Mais en tenant bon, il n’a pas pu éviter d’être catalogué en tant qu’au mieux un crypto conservateur, au moins pire, passant pour un homme à qui il manque la vertu de sincérité.

 

Et c’est en effet de la sincérité qu’il était question dans l’émission. Dire clairement pour qui on se prononce, quel est le programme électoral du parti que l’on représente où tout au moins soutient et comment on s’y situe. Pas de mal à cela jusqu’à un certain point.

 

Car si l’on sait que par analogie avec l’expérience scientifique les conditions de l’expérience ont une incidence sur les résultats, dans les enquêtes sociologiques ou ailleurs, c’est pareil. En politique aussi, et c’est probablement de cela qu’il s’agissait dans cet échange qui tournait au bras de fer. Comme à la chasse aux sorcières. Le tribunal populaire aux yeux de ses supporters a ceci de positif, surtout quand il est unanime et expéditif.

 

Mais, ceci est tout compte fait secondaire, comparé à l’autre sujet qui était débattu, celui sur le rapport entre la technique et la nature. Rapport décliné en termes d’intervention médicale pour non seulement soigner, mais pour augmenter l’homme. Nous sommes dans le débat éthique et sa régulation politique.

 

L’homme augmenté, cette notion recouvre toutes les actions visant à augmenter les capacités humaines dans tous les domaines. Surtout celles qui permettront aux bénéficiaires de jouir d’une autorité et d’une effective suprématie sur les autres.

 

C’est ce danger que dénonce l’ancien boy scout de Versailles. C’est cette menace que sa collègue philosophe considère comme exagérée. Elle, qui fait confiance aux instances de régulations qui ne peuvent que mener à bien leur travail en étant d’accord avec la majorité d’opinion. Impressionne alors sa foi inébranlable en le sens de l’auto-conscience du peuple, de ce qu’il veut pour lui-même. Lui, le peuple pur dans ses intentions et dans ses réalisations, innocent sujet de son autodétermination.

 

Elle reproche au versaillais de sanctuariser la notion de l’homme à cause de sa destinée divine, tout en sanctuarisant le collectif à cause de sa destinée humaine. On est toujours dans la sacralisation, reste à savoir si le sacré est vraiment visé et comment y parvenir.

 

Son calme zen tout à coup l’auréole de façon à prouver par le langage de son corps que je perçois sur l’écran, que la vérité est en marche. La sienne, celle qu’elle représente et pour laquelle elle s’engage.

 

La ligne du front dans la guerre de tranchées est bien profonde et le drapeau blanc sorti pour la circonstance n’a d’autre fonction semble-t-il que d’intimider l’autre devant un geste tout aussi inattendu que destructeur.

 

En ayant peur des avancées techniques de la science, vous êtes toujours en retard, constate comme pour appuyer sa devancière simplement, mais sèchement la journaliste. Comme pour le pacs etc., ajoute-t-elle. Puis la collègue philosophe attaque en dénonçant une attitude rétrograde de sanctuarisation de l’homme, ce qui est synonyme de frein imposé à la science et le progrès qui en résulte.

 

Et la pointe de l’argumentation se trouve dans la popularité, la majeure partie de français veulent avancer dans cette direction. Et le système de régulation est suffisamment bien conçu pour bien fonctionner.

 

La boucle est bouclée, les protagonistes semblent avoir deux visions des choses qui s’excluent l’une l’autre. Elles s’excluent automatiquement et sans doute depuis toujours, depuis que les sciences sont synonymes d’accession à la modernité, au progrès qui la caractérise et au bonheur à l’intérieur qui en résulte.

 

Évidemment, il est important d’intégrer la science, évidemment la régularisation à la majorité consensuelle n’est pas si mauvaise en soi pour gérer la vie de tout un peuple. Évidemment, les débats d’idées peuvent, voire doivent, avoir lieu.

 

Évidemment, le conservatisme chrétien en général et catholique en particulier n’est qu’une expression à l’usage politique d’une idéologie excluante. Si d’aventure l’on devait les intégrer dans le processus de modernisation, car des ressources chez eux il y a aussi, ce serait selon les critères de représentants de cette modernité.  

 

Sinon qu’est-ce que l’on ferait avec tous ces cathos qui ne pensent pas comme nous. La machine à exclure a toujours bien fonctionné, et elle est seulement soumise à certaines pressions contradictoires quand la direction change. 

 

Ce qui apparaissait nettement, c’est l’incapacité foncière à s’entendre sur les présupposés fondamentaux. Et peu importe où on met le curseur, la question n’est pas innocente, quelle est la nature, la vision de l’homme, sa destinée et les moyens pour y parvenir…

 

L’émission se termine et l’invité quitte le plateau en saluant chacun de ses contradicteurs avec le même professionnalisme et respect affiché. En passant devant le vieux sage, il reçoit, me semble-t-il, un signe de sincère encouragement de la part de celui-ci, entremêlé d’une pointe presque gênée d’admiration.

 

L’émission est terminée, mais pas ses effets sous forme de jeux d’influences pour que la démocratie soit comme l’on s’imagine.

Le chrétien n’est pas d’abord citoyen de ce monde, mais y est totalement solidaire et y prend part, sans la prendre à la légère. 

Sans y perdre son âme non plus.