La fascination des historiens et non seulement, pour la dynastie des Song (10-13 siècle) est à la mesure du caractère exceptionnel avec lequel cette période est gravée dans la mémoire de civilisations. Ce n’est sans doute pas le seul cas à revêtir une telle aura, mais la concentration des faits la caractérisant est unique. Après une période d’instabilité politique et de troubles provoqués par la rivalité entre différentes factions de l’Empire organisées autour des généraux avides de pouvoir car disposant déjà d’un pouvoir, celui de la force militaire, profitant de l’affaiblissement du pouvoir central et l’aggravant ; le temps était venu de repenser le modèle politique. 

 

La finesse de l’approche de représentants de la nouvelle dynastie a permis de faire émerger le pouvoir central comme le pivot de la réussite politique, sociale, économique. Avec une stabilité politique obtenue à l’intérieur grâce à l’allégeance des chefs militaires à l’Empereur qui en échange les gratifiait de privilèges pécuniaires, leur prospérité au lieu de provenir de pillages et d’impôts écrasant toute pauvreté, étant assurée par les produits du travail et grâce aux alliances judicieuses avec les voisins, le pays pouvait se développer à tout point de vue. De loin, la population la plus importante déjà dans le monde d’alors, 50 millions au début de la dynastie, 140 millions à l’arrivée des Mongols, la paix et la bonne nourriture (le repiquage du riz pouvait garantir deux récoltes par an) appuyées sur le soin du corps et l’amélioration de la santé, favorisant la démographie. Les Hans est actuellement le groupe ethnique le plus important au monde (près d’un milliard trois cents millions en Chine et ailleurs) dont le mandarin est la langue commune.

 

La prospérité du pays se mesure non seulement à l’aide des indices de production des biens, mais aussi ce qui la conditionne, les fameux concours pour devenir mandarin sont nés à cette époque pour soutenir les aspirations intellectuelles qui sont le moteur d’innovations. Et des innovations, il y en a eu en tout genre. Ils ont tout inventé, tout ce que l’occident connaissait avec quelques siècles de retard : papier, imprimerie (véhicule puissant de la propagation des savoirs) la boussole (à cette époque les chinois étaient des marins, ce qui n’est pas toujours le cas) le cadran solaire (donc astronomie) poudre (comme explosif ou arme de combat), médecine légale (on n’hésitait pas à charcuter les corps pour remonter jusqu’au mobile du crime) et bien d’autres. 

 

La paix rimait avec prospérité, mais comme toujours, seulement pour un temps, car tout système, le plus noble qu’il soit dans ces visées et le plus efficace dans la réalisation de ses objectifs, génère ses propres causes de chute et les voisins ne sont jamais très loin. Les aristocrates militaires se sont transformés en bourgeois désireux de lier la prospérité au pouvoir, les petits signes de la faiblesse du pouvoir central laissaient apparaître la divergence d’intérêts au point de devenir irréconciliable. Et la déferlante mongole a parachevé le processus. 

 

Dans le rapport à l’histoire il y a toujours ce rêve d’un paradis perdu, est-ce le reliquat d’un réflexe religieux maladroitement placé, c’est probable, mais c’est souvent par contraste pour servir d’argument à but idéologique indiquant où sont les bons et où sont les mauvais ; Marco Polo est parti à la recherche d’un tel paradis perdu, même si l’appât du gain n’était nullement à négliger ! 

 

Ce rêve qui prend corps dans certaines situations d’organisation sociale aux yeux des autres, la dynastie des Song n’est donc pas la seule; les amazones et les atlantides sont peuplées de la gentillesse naturelle, et même les fonds des mers en sont habités dans certaines cultures; la dynastie des omeyyades à Damas et Perses avec leurs jardins suspendus ou encore la domination musulmane en Espagne qui par son concept d’intégration de la différence, là aussi, tranche avec l’intransigeance de la reconquête catholique sous la férule d’Isabelle la catholique, attisent encore aujourd’hui le désir d’accéder à une telle idylle terrestre. 

 

Et jusqu’à l’exemple des peuplades aborigènes en Papouasie qui vivent d’amour et d’eau fraîche, vision propagée et immortalisée par Simone de Beauvoir pour porter la vague de la libération des mœurs exprimée par le mouvement de 68. Tous les plateaux du Larzac, les abords du Ganges et les collines de Katmandou sont marqués par de tels rêves. Il n’y a pas de mal à cela, rêver est un puissant moteur d’encouragement.

 

La fameuse pax romana autour de la nostra mare, celle qui est entre deux terres, la méditerranée, qui démarre avec pax augusta du nom de l’Empereur du premier siècle avant notre ère, était obtenue par l’arrêt des guerres internes et le stationnement des légions dans les endroits où la présence était supposée indispensable. Même le pape, le Pontif, constructeur des ponts, parmi d’innombrables titres porte celui de faiseur de la pax romana, il en est le garant en souvenir de la remarquable attitude d’un d’entre eux, Léon le Grand qui a réussi à faire changer d’avis Attila en 452, pax romana étant encore cette fois-ci assurée, mais pas pour bien longtemps.  

 

Les temps continuaient à changer et ce fut désormais à l’Église de porter donc le flambeau de l’éternelle modernité que la pax romana représentait, désormais devenue pax christiana. Urbi et orbi, cette fameuse bénédiction de la ville de Rome et du monde entier (ce qui est bien plus que nostra mare) délivrée inlassablement par le pape depuis des lustres le premier de l’an en complétant ainsi le cocktail des réjouissances composé par les feux d’artifice un peu partout dans le monde et surtout le concert de musique depuis la paisible et pacifique Vienne dirigé par von Karajan ou autres, s’inscrit dans cette symbolique de la pax romana et la transcende de la sorte. Le sort semblable est arrivé à la dynastie des Song, dont les fondations qui naguère étaient la fierté de la réussite, désormais s’affaissent pour être balayées par des voisins qui avaient les moyens de venir avec leur message de paix ainsi souhaitant du bien aux nouvellement soumis. 

 

Les Song qui voulaient vaincre le mal sous quelque forme que ce soit par la puissance intellectuelle représentée par des hommes raisonnables et ainsi heureux, n’ont pas vu que si vis pacem, para bellum, ce que leurs successeurs et leurs semblables ont toujours eu à l’esprit. Tous les traités qui garantissent la paix dont le caractère provisoire est toujours considéré comme une règle non écrite, de plus ne sont jamais égaux, on peut s’en offusquer mais on ne peut pas l’éviter. Rien qu’en Europe dans les siècles passés on se faisait des cadeaux sous formes de contributions de dommage de guerre à payer au vainqueur, par la difficulté de s’en remettre économiquement, en prime on accablait les vaincus d’une humiliation qui a du mal à passer. 

 

Quel rapport entre la paix et la justice, jusqu’où faut-il aller pour chercher la pureté originelle ou la paix s’abreuve d’une eau cristalline de tranquillité revigorant le corps et l’esprit ? Tous les wokismes croient avoir trouvé la réponse, alors que de fait ce n’est pas uniquement une réparation juste quelle qu’elle soit qui est visée dans le christianisme et sans doute pas seulement, mais la guérison de la mémoire. Or, avec la mémoire, c’est comme avec un muscle oculaire, on peut la perdre ou alors au contraire la cultiver pour la charger… d’un devoir de revanche par exemple. 

 

Tout dépend de quelle revanche il est question, si c’est celle qui permet de rebondir en dépassant la difficulté ou les difficultés, en se reconstruisant et construisant une vie intérieure marquée par la pax personalle avec en retour pour le mal subi le rayonnement d’une telle paix sur l’entourage pour favoriser la croissance d’un sentiment de bien être fondé sur des bases du bien commun à préserver ensemble. Même si la politique de l’autruche n’est qu’un pis-aller, vouloir remuer la plaie indéfiniment n’aide pas à guérir, les derniers débats sur les réparations de la seconde guerre mondiale en Pologne nourrissant des souvenirs de vainqueurs, sont d’une telle nature.

 

La foi chrétienne, sans entrer dans le débat sur l’équilibrage social, sans le méconnaître non plus, propose une attitude de réparation symbolique, accomplie dans l’espace spirituel au moyen du pardon. Son absolutisme de vouloir tout absoudre, tout pardonner, incommode et rend difficile la guérison par réparation, ça dessert aussi la pédagogie chrétienne qui se trouve ainsi démunie devant une échappatoire ouverte de la sorte. Soigner le cœur des blessures invisibles, c’est hautement plus compliqué que soigner le corps et l’image qui en résulte. 

 

Tous les onguents curatifs ou cosmétiques peuvent améliorer l’image, mais cela ne la rend pas forcément plus nette, plus fraîche, rajeunie. Les brûlures et autres blessures tant bien que mal cicatrisées, -les gueules cassées de la première guerre mondiale en France, et pas seulement, le savaient bien-, peuvent se laisser recouvrir par le recouvrement de l’intérieur. Ce recouvrement n’est pas forcément visible de l’extérieur, mais à y regarder de plus près oui, c’est possible de le constater dans l’intimité à condition que le secret du cœur ne soit plus un tabou ni pour les concernés ni pour leur entourage, mais un mode relationnel de confiance et donc de vie à vivre et donc à respecter. 

 

Les traces de la paix sont visibles dans les nœuds des relations coupées et ainsi renouées, les annonces à la radio de mon enfance à la recherche des membres de familles séparées par la guerre s’inscrivaient sans aucun doute dans une telle recherche de paix. Cette haute considération pour la paix, aussi naturelle que dans les familles dont les membres s’aiment, incombe à la religion. Si la religion quel qu’elle soit ne favorise pas la paix, elle ne sert à rien, elle est comme une cymbale retentissante. Le non possumus (nous ne pouvons pas) de situations critiques n’est jamais le résultat d’un para bellum, il s’inscrit dans la recherche inlassable de la paix par l’intermédiaire de la recherche de la justice, si vis pacem para justitium pourrait-on paraphraser.  

 

Et que ces quelques citations tirées de la Bible apportent leur contribution à la paix et à la manière dont elle peut être envisagée. Ces citations sont accompagnées de quelques lignes de commentaires, si toutefois c’était nécessaire, pour aider la lecture.

 

“Que celui qui revêt une armure ne se glorifie pas comme celui qui la dépose” 1 Rois 20,12.  

Ce qui veut dire que le combat spirituel n’est jamais terminé.

 

“Le Seigneur est ma force et mon bouclier, en lui mon cœur… Ps 28,7 

Si l’amour du Seigneur est au cœur de la vie du croyant, la force et le bouclier de celui-ci ne peut pas être employé pour des raisons fallacieuses qui saperait toute fondation de paix.

 

“Ne te réjouis pas à mon sujet, mon ennemie ! Car si je suis tombé, je me relèverai” Michée 7,8. 

Plutôt qu’un signal pour une bravoure de vengeance, c’est une incitation à tenir dans l’adversité. 

 

“Debout donc ! à la taille la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse, et comme chaussures aux pieds l’élan pour annoncer l’Évangile de la paix. Prenez surtout le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. Recevez enfin le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu” (Ephésiens 6,16). 

Cette métaphore, très développée et très suggestive replace la recherche de la paix au travers de la vérité, et la justice est avant tout une mise en garde contre les assauts du Malin, une manière de dire que sans l’aide de la grâce divine, toute entreprise de paix si fortement menacée ne sera jamais possible.

 

Si vis pacem, para bellum prend des formes bien diverses mais similaires d’un esprit guerrier pour résoudre les conflits entre voisins, la religion doit armer ses adeptes d’un équipement de guerrier spirituel. Comme dans le djihad spirituel qui a parfois du mal à résister contre le djihad guerrier, le guerrier spirituel chrétien si souvent se laisse entraîner par la puissance humaine qui le dispose à devenir armurier de la pax romana veillant sur la bonne répartition des zones d’influence.

Les chevaliers teutoniques ou d’autres ordres militaires, de Malte ou de Jérusalem même, sont des témoins d’un tel glissement accompli non sans accord tout au moins tacite, parfois express, parfois contre le gré de responsables de l’Église, mais cela ne change rien à la configuration des conditions d’une telle paix.   

 

La paix soit avec vous!