Question :
Comment l’Église perçoit-elle les pensées impures et les fantasmes, et quels conseils donne-t-elle aux fidèles pour les gérer tout en restant en accord avec leur foi ?
Réponse :
L’Église accorde une grande importance à la pureté du cœur et de l’esprit.
Selon la doctrine, les pensées impures et les fantasmes peuvent être moralement problématiques lorsqu’ils sont volontairement entretenus et consentis, car ils s’opposent à la chasteté et à la dignité de la personne humaine.
Dans l’Évangile selon Matthieu, Jésus enseigne : « Vous avez appris qu’il a été dit : “Tu ne commettras pas d’adultère.” Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Matthieu 5, 27-28).
Cette parole souligne l’importance de la pureté intérieure et de la maîtrise des pensées.
Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle également que « la pureté du cœur exige le rejet des pensées lubriques » (cf. CEC §2520).
Cela signifie que les croyants sont appelés à lutter contre les pensées impures et les fantasmes qui éloignent de Dieu et nuisent à la vertu de la chasteté.
Toutefois, l’Église distingue la tentation du péché.
Avoir une pensée impure involontaire n’est pas en soi un péché ; c’est la manière dont on y réagit qui est déterminante. Si une personne rejette immédiatement ces pensées et cherche à garder son cœur pur, elle ne commet pas de faute. En revanche, consentir délibérément à ces pensées, les entretenir et les rechercher devient un acte moralement répréhensible.
Saint Alphonse de Liguori explique que la première impulsion d’une pensée impure n’est pas pécheresse, mais qu’elle le devient lorsqu’on y consent avec plaisir. Il conseille de détourner rapidement son esprit vers des pensées édifiantes et de prier pour obtenir la grâce de la chasteté.
Le chrétien est appelé à voir son corps et celui des autres comme un temple du Saint-Esprit, destiné à être respecté et honoré.”
Dire qu’Internet regorge de ce genre de questions et surtout de ce genre de commentaires n’est pas juste. C’est plutôt le contraire. Pas seulement sous formes de questions et de réponses données par tant de spécialistes de la chose, allant d’un coach comportemental, passant par un psychologue instruit et jusqu’à une ancienne praticienne de la luxure qui partage ses expériences. Il y a surtout des images qui parlent d’elles-mêmes.
Leurs conseils et témoignages semblent tous viser le bien être que personne normalement constitué ne peut nier. La recherche d’accomplissement de soi n’est pas le privilège des chanceux qui ont les moyens d’y parvenir. Le désir d’être heureux est le moteur principal de toute existence et il passe par la socialisation. La pensée et l’imaginaire précèdent toute action visant l’accomplissement. Les pensées impures et les fantasmes en font partie.
Les Romains, une fois entrés en contact avec les civilisations d’Asie, ont constaté à quel point la douceur de la vie pratiquée dans tant d’endroits d’Asie, bénéficiant des périodes de paix et d’abondance matérielle, était au cœur des préoccupations des peuples d’Asie. Ils craignaient que cela ne ramollisse la vigueur de leurs soldats tentés par une vie facile, alors qu’eux n’ont jamais été en paix, sinon uniquement par la suite de guerres. Les autres sans doute aussi, mais ils avaient l’avantage civilisationnel qui se communiquait, dès que possible, par les routes de la soie dans lesquels coulaient les marchandises, souvent de grand luxe dont les riches s’emparaient pour couvrir leurs corps des vêtements doux, agréables à porter et à regarder, d’autant plus que les formes se laissaient deviner sans que l’imaginaire ait à travailler. C’est ainsi que le marché du luxe pouvait atteindre à certaines époques jusqu’à un tiers du budget de l’Empire.
Face à cela, il fallait réagir avant qu’il ne soit trop tard. Sauver l’Empire en déclin, c’est sans se faire d’illusion sur l’issue fatale. Mais retarder sa déconfiture inexorable due à la pression des plaques tectoniques politiques habituelles constituées des alliances faites et défaites et surtout des razzias faites par les hordes nomades surgissant de l’Asie centrale, des steppes et de la Caucase était de la plus haute importance. Tout petit pas fait dans cette direction rassurait et momentanément faisait oublier le danger final.
Comme le remarque Peter Frankopan dans son ouvrage consacré aux routes de la soie.
“Aux yeux de certains conservateurs, un article en particulier mobilise l’indignation : la soie de la Chine. Le volume croissant de cette matière en Méditerranée concernait les réactionnaires. Sénèque, par exemple, était horrifié par la vogue de ce mince tissu flottant -on pouvait à peine qualifier la soie de vêtement puisqu’elle ne cachait ni les courbes ni la pudeur des dames romaines. Le fondement même du lien matrimonial était menacé, puisque les hommes se rendaient compte qu’ils pouvaient voir par transparence sous ce léger tissu, moulant le corps féminin et laissant peu de choses à imaginer.
Pour Sénèque, la soie n’est rien d’autre qu’un synonyme d’exotisme et d’érotisme. La femme portant de la soie ne pouvait honnêtement nier qu’elle ne fut pas dénudée. D’autres étaient d’un même avis car on multiplia les efforts, y compris législatifs en vue de son interdiction pour les hommes. Certains étaient radicaux : il était dégradant, convenaient deux importants citoyens, que les Romains jugeaient acceptable de s’afficher en vêtements de soie orientaux. “ p.37/8 in Peter Frankopan, Les routes de la soie, Bruxelles 2017.
On peut avoir de légers sourires en lisant de tels descriptions, et si ce n’est pas le christianisme qui a initié une telle retenue, il l’a sans doute renforcée et surtout conceptualisée. Sénèque insiste sur la pudeur, le christianisme aussi, même si c’est à cause des effets communément redoutés car nuisibles à l’ordre social qu’entraîne la dissolution de la moralité, Rome et Vatican ne vont pas dans le même sens pour les mêmes raisons. Au raisonnement antique qui préside à l’organisation de toutes les sociétés depuis les plus archaïques au sens chronologique du terme, le christianisme apporte une couche supplémentaire. Il ouvre même une nouvelle dimension qui n’a pas été envisagée, sauf par les philosophes grecs ou penseurs spirituels d’Asie (Bouddha etc…), mais pas explorée de cette façon-là.
Celle de la raison spirituelle trouvée dans l’amour divin pour justifier une retenue corporelle. La figure de la Vierge Marie a joué un rôle prépondérant dans cette conceptualisation et continue toujours à exercer une fascination sur des jeunes chrétiens et pas uniquement.
Actuellement, les réactions contre l’omniprésence d’images jugées dégradantes pour le corps, surtout féminin, ne proviennent pas que des religions qui pour des raisons propres à chacune s’y opposent. Elles proviennent aussi de l’Occident moderne, qui, une fois libéré du carcan imposé par tant de politiques puritaines religieusement incitées, sinon du moins approuvées, cherche à se libérer d’un nouveau politiquement correct. Si par exemple, les révélations sur le fonctionnement des maisons de correction pour les jeunes filles et femmes considérées comme dépravées en Irlande prouvent amplement un lien malsain entre la religion et la politique, les tendances actuelles parmi les jeunes américains d’afficher leur désir de rester pur avant le mariage prouvent à leur tour un besoin d’approcher un idéal qui échappe totalement à la modernité ambiante.
Le christianisme dans sa visée très stricte, à la libéralité, oppose la retenue voire l’abstinence. La régulation des instincts qui meuvent les corps naturellement sexués relève du devoir de l’État moderne aussi. Alors que de tout temps la religion y appose sa signature plus ou moins visible.
Revenons à la question initiale :
“Comment l’Église perçoit-elle les pensées impures et les fantasmes, et quels conseils donne-t-elle aux fidèles pour les gérer tout en restant en accord avec leur foi ?”
La question est posée à l’autorité religieuse en attente d’une réponse simple, facile à comprendre, et tant qu’à faire, tout aussi facile à appliquer. Dans cette question on demande à l’Eglise de se positionner en termes de perception.
L’étymologie du verbe percevoir indique un chemin entre l’impression et la certitude. Le caractère imprécis induit par le terme perception lui confère une fonction d’inachevé. Percevoir c’est déjà sortir des limbes de la prescience propre à l’intuition pour se mettre en chemin vers une certitude. Mais la perception contient déjà en germe des certitudes.
Le verbe percevoir et le substantif perception sont communément employés dans le domaine fiscal, alors qu’en philosophie on va l’employer en substantif, surtout pour désigner la connaissance.
Donc on interroge l’Église sur ses connaissances dans ce domaine. Et ses connaissances résultent d’un long chemin qui, au travers les siècles, a accumulé des alluvions de toutes sortes.
Selon Le Robert, “Percevoir a commencé par exprimer l’action de remarquer” pour “se réserver une valeur intellectuelle de comprendre, se rendre compte de… Chez les auteurs chrétiens, il désigne le fait de recevoir l’Esprit saint ou de recevoir le corps du Christ…. Le sens intellectuel, plus tardif (1611) et concernant l’acte par lequel le sujet prend connaissance des objets qui ont fait impression sur ses sens, est un troisième [après remarquer et connaître] emprunt au latin philosophique, d’où vient l’expression de “ce que l’esprit perçoit” (1746)
C’est sur ce présupposé de perception de la part de l’Église qu’est fondée la théologie morale chrétienne avec son fleuron catholique à l’occidentale. Elle a construit tout un dispositif conceptuel pour répondre aux menaces par des certitudes. Ainsi le péché s’oppose à la grâce, le pur à l’impur, les bonnes actions aux mauvaises… Couper ces certitudes de leur fondement purement spirituel entraîne à laïciser la morale qui, ainsi libérée, car sans référence transcendantale garantie par la religion, échappe à tout référentiel stable et vogue sur l’océan des possibles.
La perception reste du domaine subjectif et n’engage que le bénéficiaire d’une telle capacité à être en contact avec le monde des idées et de leur place dans la vie sociale. La certitude aussi, mais seulement dans la mesure où elle n’interfère pas sur les certitudes des autres. Comment alors comprendre la place des certitudes communément partagées ? Sont-elles le résultat d’une décision consensuelle, ou imposée par la force ?
On sait très bien comment ça marche, force d’abord, consensus (qui à ce stade n’en ait pas un) ensuite. Et pour que le consensus soit réel, on travaille pour obtenir sa libre adhésion. Entendons-nous sur l’adjectif, libre, il n’a qu’une valeur relative délimitée par les frontières imposées par les influences extérieures. Si cela n’était pas le cas, il n’y aurait jamais eu des différences d’appréciation de soi et des autres.
Cette appréciation est au cœur de la théologie morale chrétienne, tout comme au cœur de toute la réglementation en matière de mœurs. Qui peut se targuer d’une meilleure appréciation, plus fine, plus juste, plus ceci ou cela ? Les présupposés avancés pour justifier les certitudes que l’on en fait découler pré-déterminent la réponse. Restons modeste !
J’aperçois des hommes comme des arbres qui marchent, dit à Jésus l’homme en train d’être guéri de sa cécité, (Marc 7). Le trouble de la vision est déjà mieux que pas du tout. Ce trouble n’est pas gênant dans la mesure où il n’est qu’une étape vers une vision claire. Ce qui arrive à l’homme qui de la perception, nécessairement vague, va bientôt passer à la certitude.
Ce détour philosophique et biblique sert à apprécier de plus près le terme de perception à l’endroit bien précis, là où la perception se transforme en certitude. Car comment avancer si l’on n’a pas la certitude d’avoir bien saisi cela. Ça, c’est surtout pour rassurer l’auteur de ce podcast lui-même. Et c’est pour dire que nous avançons dans la vie avec des certitudes surtout pour nous rassurer.
Et ceux qui ne sont pas rassurés, rarement, presque jamais, car leurs certitudes sont siphonnées par le fond émotionnel poreux, pire, troué, jamais calfeutré, ils n’ont qu’à chercher de l’aide qu’ils trouveront facilement auprès des gens qui ont des certitudes. Et qui vont les entraîner dans l’orbite des leurs. Mais pas certain que la perception des bénéficiaires de telle largesse sera une bonne chose pour leur vie. Nous fantasmons tout autant sur le plan moral que sur le plan philosophique. Nos perceptions se transforment très vite, trop vite en certitudes dont on devient des cerbères de la chasse gardée pour nous rassurer.
L’Eglise en toute sa largesse de pourvoyeuse de sens et de conseils n’a pas dit que des bêtises. Elle a aussi et surtout introduit le doute dans les certitudes du monde et introduit des certitudes dans les doutes du monde. C’est aussi exactement ce que le monde lui fait comprendre à son tour. Lumière du Christ avant les Lumières de Voltaire et Rousseau, s’amuser à désigner avec certitude la vraie lumière et de savoir identifier la lumière noire semble d’un autre âge, mais malheureusement c’est de tout âge.
Alors impur et fantasme, ils ne sont pas seulement présents dans les regards concupiscents pour satisfaire les pulsions. Ils sont aussi présents dans les jugements hâtifs, chargés d’indignations voluptueuses, proférés à l’encontre des coupables désignés, tout en portant secours à l’impureté fantasmagorique qui se cache derrière les cheminements intellectuels et/ou spirituels inaboutis. C’est ainsi que la chasteté si décriée, ridiculisée, est totalement méconnue sous prétexte d’être difficilement atteignable. A lire le moraliste éminent du XVIII siècle, Alphonse Liguori, on peut légèrement sourire de ses recommandations.
On peut aussi les prendre au sérieux surtout dans la perspective d’un chemin spirituel qui, lui, ne se moque pas, comme le juge inique de la veuve et du pauvre, mais cherche à s’entourer des circonstances qui l’aideront à ne pas succomber à la tentation. Ce n’est pas le compteur à zéro qui compte, mais la remise des dettes contractées à l’Amour pour avancer vers plus de regard pur. Si le christianisme a connu une si rapide expansion numérique et géographique sur ses routes de la soie, c’est parce que l’attitude respectueuse des corps et de l’existence humaine adoptée entre les membres résonnait comme un appel à la libération.
Le vrai amour est là.
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Photo : Philippe de Champaigne – “Le Christ au Jardin des Oliviers”©2025 Responde