Un des plus fameux tableaux de Raphaël est celui intitulé l’école athénienne. Il représente Platon avec la main vers le haut et Aristote avec la main vers le bas. On comprend facilement l’intention du peintre, l’un représente l’aspiration métaphysique, l’autre l’aspiration physique.

Comment comprendre le monde et s’y comprendre?

Chacun d’eux donne une partie de réponse. Le temps de confinement à HK semble toucher à sa fin (pour le moment!?), Il se traduit surtout par le fait d’être cloués au sol comme des avions, solidaires avec eux. Mais pas condamnés à l’immobilisme en baissant les deux bras bringuebalants comme chez un Pantin de Pinocchio accroché au plafond et ainsi agité par les mouvements d’air quand ils passent et secouent un peu la poussière, le seul marqueur de la vie.

Dans beaucoup de cas, bien au contraire, cela a donné lieu à un renforcement des liens familiaux et entre amis proches. Les questions métaphysiques pour les uns purement physiques pour d’autres, un temps de rapprochement avec soi-même pour tous.  

Chacun avec des moyens, ces prédispositions dont la nature est dotée et dispositions que la volonté saisit. Les uns vers les bas, les autres vers le haut, combien sont ils pour faire les deux à la fois ? Il est facile de figer leurs mouvements dans une posture iconographique qui aide à faire les classements qui rassurent.

Imaginons un homme aux deux paires de bras, comme Aristote et Platon à la fois, et qui de plus est capable d’alterner les côtés, ce qui donne un mouvement constant des bras. La peinture figée s’anime alors et dessine une rencontre du haut avec le bas et du bas vers le haut

Celui-ci se penche en descendant de son piédestal, celui-là se découvre en ôtant ses sandales. Ils communiquent l’un avec l’autre, ils communient même lorsque leur union est consommée, sans aucune trace d’un hiatus schizophrène. 

On a besoin des deux, car jamais la science la plus naturelle qu’elle soit ne conduirait l’être humain à se comprendre lui même seulement d’en bas, dedans de manière satisfaisante pour son esprit. 

Comprendre veut dire prendre avec, cum en latin. C’est d’une confrontation que vient toujours la science. Et la sagesse de la science se nourrit des faits constatés par la “physique” pour les mettre en musique dont seulement l’esprit humain semble avoir le secret sans connaître lui-même toute la partition, qui comme une symphonie toujours inachevée, s’écrit sous la conduite divine que certains identifient et d’autres devinent.

Jamais non plus une aspiration exclusivement tournée vers le ciel ne pourra donner satisfaction pour une existence la plus spirituelle et métaphysique qu’elle soit. Même elle ou plutôt elle aussi, j’allais dire comme tout le monde, a besoin de comprendre le monde naturel, pour s’avoir comment déposer la grâce et le façonner pour que la vie soit plus belle. Plus belle la vie, son existence y aspire et s’épanouit là, où elle est plantée, au bord d’un ruisseau, comme une graine dans le sol plus ou moins fertile et où elle prend racine.

 Le Psaume no 1 nous le dit comme suit “

1 Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants, Qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs, Et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs,

2 Mais qui trouve son plaisir dans la loi de l’Éternel, Et qui la médite jour et nuit!

3 Il est comme un arbre planté près d’un courant d’eau, Qui donne son fruit en sa saison, et dont le feuillage ne se flétrit point: Tout ce qu’il fait lui réussit.

4 Il n’en est pas ainsi des méchants: Ils sont comme la paille que le vent dissipe.

5 C’est pourquoi les méchants ne résistent pas au jour du jugement, Ni les pécheurs dans l’assemblée des justes;

6 Car l’Éternel connaît la voie des justes, Et la voie des pécheurs mène à la ruine.

Prendre le psaume dans son ensemble c’est ne pas édulcorer le sens profond d’une telle plantation, c’est donner de la fraîcheur à l’action. Les deux bras en circulation constante, l’un prenant le relais de l’autre pour indiquer tantôt le ciel tantôt la terre et inversement. Tout y lié, tout y est joué, pour le meilleur, toujours évitant le pire.

Certes, on pourrait toujours orienter ses aspirations, voire les étouffer par-ci pour les développer par-là. C’est d’ailleurs tout un jeu d’influences qui se fait dans l’éducation des enfants et se prolonge dans la vie. Ceci est vrai pour ce qui est des aspirations vers le bas comme pour ce qui est des aspirations vers le haut. 

St Paul dans ce fameux texte que l’on appelle l’hymne à l’amour (1 Co 13) indique une voie supérieure. 

1 Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit.

2 Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien.

3 Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

4 La charité est patiente, elle est pleine de bonté; la charité n’est point envieuse; la charité ne se vante point, elle ne s’enfle point d’orgueil,

5 elle ne fait rien de malhonnête, elle ne cherche point son intérêt, elle ne s’irrite point, elle ne soupçonne point le mal,

6 elle ne se réjouit point de l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité;

7 elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout.

8 La charité ne périt jamais. Les prophéties prendront fin, les langues cesseront, la connaissance disparaîtra.

9 Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie,

10 mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra.

11 Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant.

12 Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu.

13 Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance, la charité; mais la plus grande de ces choses, c’est la charité.

Décidément, st Paul est côté Platon en pointant le doigt vers le ciel, source de l’Amour pur qui endure tout, y compris les difficultés.  

Comment parvenir à une telle perfection d’inspiration divine? N’est-elle pas une idéalisation inatteignable d’une exigence que tout esprit humain éveillé au dépassement de soi spontanément fait naître en lui? Une telle aspiration reléguée au rang d’une douce rêverie que les esprits physiques avisés laissent au rêveur le soin de s’y déployer et finalement se “planter”.

Pour avoir éprouvé tant de difficultés sur le chemin vers elle, si nombreux sommes-nous à considérer que plutôt que de nous obstiner à y persévérer mieux vaut nous tourner vers des valeurs plus sûres. D’où notre lente, mais inexorable descente vers le bas pour y trouver du bonheur en compagnie d’Aristote et les aspirations qu’il représente.

Aussi fatigante que soit la position de la tête tournée vers le haut, ce n’est tout de même pas pareil que de voir la tête haute remplie de superbe pour regarder de haut les autres. Paul appelle à une humilité que seulement le regard perspicace spirituel peut percevoir. 

Et du bonheur, vrai, simple à cultiver dans le jardin du foyer familial à la portée de la main et du corps, à la maison et dans le potager il y en a. A quoi bon nous triturer l’esprit comme un hassidim névrosé qui cherche le ciel dans la Tora et sans y parvenir le cherche dans les cabales pour peu que l’Éternel ne s’y cache ayant égaré quelques signaux faibles, ces traces de son passage d’autrefois et conservées dans les alvéoles d’un alphabet que l’intelligence humaine doit déchiffrer.

Non, c’est un jardin potager et ou à fleurs et d’autres plantes à senteurs qui réconcilie bien efficacement le présent avec le passé perdu, car émietté, fragmenté, oublié dans les méandres de la mémoire qui joue de mauvais tours, mais là, enfin! nous y voilà retrouvés avec nous-mêmes.

Réconciliation pas seulement langagière, elle est au cœur de la foi dont le porteur sait qu’il n’a jamais droit de perdre pieds sur terre. Il l’expérimente à même le sol de sa vie, à cœur ouvert à Dieu et à lui-même. Comme st Paul dans l’élan de son maître et tant d’autres avant et après, le croyant sait à quel point l’aspiration vers le haut, ne l’a jamais dispensé de cultiver le jardin du bonheur à la terrienne, c’est même la condition pour parvenir vers le haut. 

Comment alors comprendre le commandement d’amour vécu par le Christ dans sa chair dans ses joie (et dans ses peines) quotidiennes de sa vie familiale professionnelle et amicale. Avant de se révéler pleinement Dieu, il a été pleinement homme pour montrer avec une main l’importance d’être d’ici bas et avec l’autre l’évidence de se tourner vers là-haut. 

Les deux figures emblématiques de notre culture générale, Platon et Aristote peuplent notre imaginaire et planent sur nos désirs de vivre bien dès maintenant et peut être pour toujours. Et si nous éprouvons de la gêne, c’est que nos deux mouvements de bras ne sont pas encore totalement coordonnés, tellement “la tête” qui les commande n’a pas encore trouvé la réponse claire à la contradiction enregistrée et signalée. 

Pas de panique, c’est l’oeuvre de toute une vie que de chercher comment être à la fois dans notre potager et dans le jardin d’Éden.