En prolongement de la méditation de la semaine dernière sur l’IA et le dialogue en vue de la paix, voici celle sur la prière pour la paix dans le contexte de la guerre en Palestine et pas seulement. Le podcast suivant sera consacré à la question de la paix au travers la relation avec l’invisible. 

 

Le 17 janvier dernier était célébrée dans l’Église catholique en Pologne, une journée consacrée au Judaïsme sur le thème “Shalom, Paix-Don de Dieu”. Les célébrations centrales ont eu lieu à Radom, une ville située entre Varsovie et Cracovie. La ville et ses habitants méritent une présentation circonstanciée sur l’arrière-plan de la Pologne et de son histoire. C’est une ville de 81.000 habitants en 1939, dont 25.000 juifs pour l’ensemble de la population juive estimée à plus de 3 millions dans le pays, donc 10% de la population de 32 millions et qui est estimée à 24 millions en 1947, composée en quasi-totalité de polonais, pour un tiers de la population non polonaise dans la Pologne de 1939. 

 

L’égalité juridique octroyée à la population juive en 1814 a permis une croissance de la communauté et sa place bénéfique pour l’économie du pays. Les idéologies ambiantes soutenues et cristallisées, y compris dans la hiérarchie catholique, à maintenir un sentiment antisémite qui se développe et s’intensifie au XXème siècle, comme partout en Europe, mais probablement, proportionnellement au nombre de la population juive et ce que l’on “leur reprochait” dans chaque pays.

Durant la deuxième guerre mondiale, les alertes, dès le début de la solution finale envisagée à l’été 1941, lancées par des agents du Gouvernement polonais en exil (à Londres, le seul gouvernement en exil de l’Europe annexée) Witol Pilecki et Jan Karski n’ont jamais reçu un écho favorable, ni à Londres ni à Washington en estimant les rapports exagérés comme moyen de faire valoir les intérêts du Gouvernement polonais. 

 

Le pogrom du village de Radzilow dans la région nord (Bialystok) commis par la population polonaise incitée par l’administration locale, y compris le curé de la paroisse, avec un soutien actif des Nazis qui de nouveau occupent cette partie de la Pologne en 1941, ou encore celle de Jedwabne dans la même région, est une tâche parmi d’autres sur les consciences et mémoires. Même le plus grand nombre des justes pour la nation juive de Yad Vashem étant des Polonais (proportionnellement donc avec la population ?), ce fait n’efface pas le ressentiment général qui nourrit la mémoire douloureuse des comportements d’hostilité ethniques attisés par les mouvements populistes si néfastes pour la survie d’un peuple (juif). 

 

C’est dans ce contexte actuel, que des initiatives sont prises de part et d’autre pour que la lumière soit faite sur les faits, sans pour autant laisser parler les émotions. Même si elles sont encore (et toujours) vives, et on comprend aisément pourquoi. Il est plus facile de guérir la mémoire douloureuse d’une famille qui n’a pas de relais extérieur, que de guérir la mémoire (est-ce possible ?) de tout un peuple dont la particularité le stigmatise d’un regard suspicieux à bien des égards (culturel, religieux, économique, politique etc), peuple qui se fait massacrer depuis toujours et dans quelles proportions. 

 

Selon le désir des organisateurs de la journée du 17 janvier, toutes les paroisses du pays sont invitées à organiser une liturgie spéciale, adaptée au thème. Ces Journées consacrées au judaïsme ont été créées à l’initiative des évêques polonais en 1997 dans le but de faire redécouvrir aux catholiques le lien qui les unit au judaïsme et ainsi approfondir le mystère de leur foi. La journée consacrée au judaïsme est aussi célébrée localement en Italie et en Autriche.

 

Le choix du jour, chaque année toujours à la même date, 17 janvier, est symbolique, c’est le jour qui précède le début de la Semaine de Prière pour l’Unité des chrétiens (18-25 janvier) célébrée dans toute l’Église catholique (surtout là, où l’on “n’oublie pas” de le faire). Il est à noter aussi qu’au milieu de la semaine de prière pour l’unité de chrétiens, à l’initiative du pape François, le 21 janvier est proclamée “journée de la Parole de Dieu”. Les organisateurs se sont alignés sur le thème proposé pour les journées des prières pour l’Unité des chrétiens qui s’appuie sur le passage de l’Évangile selon saint Luc 10, 25-37, dont ils ont extrait ce passage : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu… et ton prochain comme toi-même » Luc 10, 27. 

 

Voici la citation dans son ensemble qui contient deux parties, sur les signes de salut et un exemple concret :   

Luc, Chapitre 10, vers 25-37

25 Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit pour l’éprouver : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » 

26 Il lui dit : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ? »

27 Celui-ci répondit : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » – 

28 « Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela et tu vivras. ” 

29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » 

30 Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. 

31 Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. 

32 Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. 

33 Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. 

34 Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. 

35 Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. » 

36 Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? ” 

37 Il dit : « Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui. » Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. » 

Traditionnellement, chaque année un pays et ou un mouvement particulier choisit le thème et propose le schéma de la célébration. Cette année, la préparation était confiée à l’Église du Burkina Faso en collaboration avec le mouvement “Chemin Neuf”, mouvement du fait de sa spécificité ayant à cœur les relations œcuméniques.

 

L’alignement du thème de la journée consacrée au judaïsme sur le thème de la prière pour l’unité des chrétiens est justifié par les organisateurs de façon suivante : 

 

« Il apparaît évident que chercher un autre thème que celui sur la paix aurait été une fuite devant la réalité. Notre réalité est pleine de la guerre. Dans le monde, autour de nous périssent des vies, parfois par milliers. D’autres sont pris en otages, d’autres encore en pleurant les uns et les autres. D’autres encore avec un regard hébété “contemplent” les ruines de leurs maisons ou leurs lieux de travail. Tous, nous en parlons, débattons, parfois de façon très passionnelle, parfois sans conviction de pouvoir être en mesure de faire quelque chose.

Car finalement, que pouvons-nous faire ? Quelle influence pouvons-nous exercer sur les puissants de ce monde ? Sur la surproduction des armes, sur la conviction très largement répandue, selon laquelle les conflits ne peuvent se résoudre que par la force. »

 

Le message résonne de façon universelle sans pour autant désigner concrètement deux conflits actuels majeurs, en Ukraine et en Palestine, qui s’ajoutent aux déjà existants ou qui émergent à cette occasion. Leur proximité géographique pour le premier, historique et symbolique pour le second donnent au message une gravité non dissimulable. Les capteurs installés dans certaines parties du globe terrestre, tels les sismographes, dans certains endroits enregistrent plus nettement les soubresauts de l’humanité en souffrance, en mal d’elle-même, à la recherche de son second souffle, doutant d’elle-même et de sa bonne, car paisible, apaisante destinée qu’elle cherche à accomplir. Sans pouvoir apprécier à sa juste valeur les signes du temps. Mais qui le peut, nous sommes tous handicapés de notre regard juste, pénétrant, éclairant et appelant à des actions d’une telle teneur.

 

La Pologne, avec son passé récent, marqué par l’essai de solder le passif du XX siècle avec ses voisins, tente de se retrouver face à sa propre histoire. 

 

-Régler avec l’Allemagne le passif des dédommagements de guerre et le retour de quelque 100.000 objets d’art réquisitionnés durant la seconde guerre mondiale. -Régler avec l’Ukraine le passif des massacres de plus de 200.000 polonais de Wołyń durant l’occupation allemande par la reconnaissance du mal fait. 

 

-Régler avec la Russie le passif actuel qui s’ajoute aux précédents, et qui en constante progression à l’époque actuelle, semble infiniment plus incertain que pour les deux autres. 

 

-Régler le passif avec le judaïsme, naguère une composante principale de la Pologne entre deux guerres, la moitié de juifs d’Europe vivaient en Pologne, régler en tenant compte de la capacité des Polonais à faire de la communication juste au retentissement mondial sur son attitude exacte. Un passif pour beaucoup de part et d’autre sanctuarisé dans des relations fantasmagoriques réciproques (une toute petite communauté juive en Pologne actuelle). Pour se faire, cela suppose prendre au sérieux, encore plus que dans les trois autres cas précédents, l’impact de la religion chrétienne sur le cours de l’histoire de l’humanité soutenue, car augmentée par une dimension spirituelle qu’est le christianisme, s’il se prend bien, il peut le procurer. Une des voies possibles est celle de la journée du 17 janvier consacrée à la relation avec le judaïsme.

 

Le communiqué des organisateurs se poursuit en ouvrant des pistes pour l’action concrète en faveur de la paix par cette question : 

 

« Vraiment, nous ne pouvons rien faire ? Avons-nous le droit de rester passifs ? Pouvons-nous rester des hommes et des femmes de la foi sans être ceux de la paix ? Sans doute nous sentons que non. Il reste la question, quoi et comment ? »

 

Si c’est la foi qui est interpellée en premier, c’est parce que, contrairement à sa mission, elle n’est pas le moteur principal des actions menées. Elle est si souvent emprisonnée, colonisée, gangrenée par les sentiments que les idéologies ambiantes cherchent à conceptualiser en termes de lutte en vue des solutions concrètes, jusqu’à la finale. 

 

Si nous sentons que nous pouvons faire quelque chose, c’est sans doute parce que c’est notre devoir, celui de la vérité dans l’amour. Les voies sont différentes, car pour solder le passif relationnel négatif, elles sont conditionnées par les approches divergentes du pardon. Pour les uns, Dieu peut pardonner, et il nous demande de le faire à notre tour. Pour les autres, les victimes sont les seules autorisées à pardonner. Malgré des divergences, les réponses sont à chercher dans ce même Dieu, juifs et chrétiens, ensemble nous pouvons nous poser cette même question. La suggestion du communiqué va encore plus loin : 

 

« Nous pouvons nous soumettre à sa parole que nous déchiffrons ensemble avec foi pour savoir qu’elle (la parole de Dieu) n’est pas seulement sagesse, mais aussi contient de la puissance créatrice. Elle n’annonce pas seulement la paix, mais la réalise. »

 

La foi en la puissance créatrice et donc régénératrice de la paix. Une fois partagée, elle se transforme en agent actif de la croissance de la paix. Déchiffrer ensemble, ce n’est pas forcément prier ensemble, mais cheminer ensemble vers.

 

Le communiqué se termine par cette citation du pape Benoît XVI :

 

« Je suis persuadé, dit-il, que dans cette grande aventure humaine qu’est la tentative de démêler les mystères de l’homme et de l’univers, se trouve un urgent besoin d’un constant dialogue et de collaboration entre le monde de la science et le monde de la foi, dans le but de construire une culture de respect à l’égard de la personne humaine, de sa dignité, des droits de l’homme, de l’avenir de notre famille humaine et du développement équilibré de notre planète. »

 

A Hong Kong, bien modestement, par un heureux concours de circonstances, nous avons pu nouer des contacts avec la communauté juive qui nous a accueilli pour visiter la synagogue et échanger sur nos manières respectives de vivre notre religion, notamment prier. A partir de là, puisque la rencontre ne nous a semblé suffisante, ou plutôt qu’elle fut considérée comme un point de départ, un tremplin pour rebondir sur quelque chose d’autre, nous nous sommes posé la question de savoir comment nous pouvions faire concrètement quelque chose ensemble. Pour l’instant, deux actions concrètes se profilent à l’horizon.

 

Certains membres de la communauté juive rejoignent le groupe biblique organisé par la communauté catholique, actuellement penchée sur le livre de la Genèse, en rendant ainsi très riches les échanges qu’ils nourrissent de leurs éclairages. Enfin, peut se réaliser mon vieux rêve de partager avec nos aînés la même parole de Dieu, chacun dans la perspective de sa propre tradition que la richesse d’interprétation révèle.

 

La seconde, à l’initiative des membres de la communauté juive, est celle d’organiser ensemble la collecte des jouets pour les enfants des réfugiés. Belle manière d’agir ensemble pour le bien des tiers. Deux aspects, ad intra et ad extra, symboliquement déjà rendent possible l’attention réciproque et au monde qui nous entoure.

 

Ces actions et celles à venir sont accomplies en vertu de la loi divine qui dans l’œuvre de la création sépare les éléments (les eaux du haut des eaux du bas, les lumières du jour, les lumières de la nuit etc). L’identité juive est régie en rapport avec le reste de l’humanité par la loi de séparation qui, avec un tel enracinement théologique, spirituel, a des conséquences sur le plan concret de la vie.

Celle des chrétiens est régie par la loi de l’Incarnation qui rejoint tout homme par le bas. Dans la complémentarité mutuelle, séparation par le haut, Dieu donne sa loi, et dans l’intégration par le bas, Dieu se fait homme. Ensemble, juifs et chrétiens peuvent se tourner, nous pouvons nous tourner vers les autres, sans exclure les nôtres.

 

A la semaine prochaine pour voir comment toucher l’invisible.

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Photo d’illustration : ©Edouard Monfrais / Hans Lucas (RCF Radio)