Au gré de mes pérégrinations européennes qui ressemblent à un parcours de santé post covidien, je me trouve entre la Pologne et la France.

 

Un bain de rappel dans les cultures de ces deux pays, le premier qui m’a vu naître et grandir, le second dans lequel depuis des décennies j’ai fait une plongée avec bonheur et émerveillement qui ne me quittent pas.

 

Naviguer entre les deux pays et leurs cultures, c’est voir l’Europe à partir de deux endroits différents. Pas besoin d’être sculpteur, architecte d’intérieur ou tout autre créateur de 3D pour savoir que l’angle sous lequel l’on observe un objet, une personne statique ou en mouvement varie suivant l’endroit où l’on se trouve. Et les conclusions ne sont pas les mêmes.

 

Ceci est à plus forte raison vrai pour la stratégie géopolitique, dans laquelle l’actualité ukrainienne fournit un exemple des plus parlant. Ce n’est pas uniquement question de gros sous, c’est aussi le résultat de l’endroit d’où l’on porte le regard sur le monde.

 

Lorsque sept nouveaux pays ont rejoint en 2004 l’union européenne, la stratégie géopolitique n’a pas été modifiée alors que l’élargissement vers l’Est a nécessité de la repenser, ce que réclamait par exemple la Pologne.

 

Une des causes de la crise ukrainienne trouve son explication dans la lenteur voire le refus (pour des raisons bien complexes qu’il serait trop long d’analyser) de le prendre en compte.

 

Aujourd’hui l’histoire qui se déroule devant nos yeux donne raison à cette nécessité qui n’a pas été prise en compte, car le point de vue fût figé sur une situation acquise à partir de laquelle on continuait à gérer l’Europe, alors que celle-ci par une telle intégration a été en mouvement.

 

Une erreur vieille comme le monde et personne n’y échappe. Si pour les individus on peut parler des micro-conséquences, on imagine ce que cela veut dire pour les institutions politiques et ou financières.

 

La guerre en Ukraine est un sujet qui prédomine dans les médias polonais et on le comprend pour des raisons liées à la menace de l’extension de la guerre dans les pays voisins dont elle fait partie.

 

La saturation de haute densité de la société polonaise par la présence de plus de deux millions de réfugiés accueillis en quelques semaines en dit long avant tout sur la capacité de toute la société civile à se mobiliser. L’accueil chez l’habitant le prouve.

 

Les motivations sont multiples, parmi celles-ci se trouvent celles générées par la peur de perdre ce que l’on a déjà. Tout comme en Occident, mais avec des primes de risque qui varient d’un endroit à l’autre, d’un pays à l’autre.

 

Le prix que l’on est prêt à payer est bien différent et comme toujours ce sont les plus pauvres rejoints par les plus farouches qui payent le plus lourd tribut.

 

Être raisonnable ne semble pas toujours la meilleure posture, l’opposition farouche du peuple ukrainien le démontre. 

 

Constater comme je l’avais fait lors d’un voyage touristique une quinzaine d’années auparavant que Kiev est une ville occidentale ne suffit pas, en tout cas pas à tout le monde, pour justifier un appui sans faille en faveur d’un héroïsme dont les Ukrainiens font montre.

 

Ce podcast n’est pas en premier lieu sur la guerre en Ukraine dont l’horreur dépasse l’imagination, l’image que l’on a dans une société moderne d’un comportement humain civilisé est vite effacée. 

 

Mais il est sur le fond de différence d’appréciation que la guerre en Ukraine fournit de façon aussi criante. Dans le débat sur les tenants et les aboutissants d’une telle différence, je n’y entre que dans la mesure où cela me permet de développer la différence d’appréciation sur un terrain bien particulier, à savoir artistique.

 

En l’espace de quelques jours j’ai vu deux documentaires sur deux chanteurs qui ont vécu à peu près à la même période.

 

L’un en Pologne, l’autre en France, la similitude de leurs itinéraires artistique frappe, la petite différence dans leur biographie d’hommes artistes en dit suffisamment sur la différence de personnalités et surtout sur la différence de terrains qui les ont vu grandir et les ont façonnés.

 

Si le nom d’artiste polonais ne dit rien au lecteur français ou francophone, son homologue hexagonal est bien connu du public français. Krzysztof Krawczyk et Claude Nougaro ont des itinéraires artistiques bien semblables.

 

Claude d’une quinzaine d’années aîné de Krzysztof (1939-2004) passera toute sa vie à sortir de l’ombre de son père Pierre qui est le bariton de l’Opéra de Toulouse, alors que sa mère est pianiste.

 

Les parents artistes sont reconnus du grand public et passent leur temps surtout à gérer leurs carrières. Le syndrome de l’abandon de leur fils et ses troubles émotionnels et psychologiques en sont la conséquence.

 

Ils ne le quitteront jamais.

 

Claude Nougaro est un auteur-compositeur-interprète et poète, grand amateur de jazz, de musique latine et africaine, jouant sur la musicalité des mots, il s’applique tout au long de sa carrière à unir chanson française, poésie et rythme, résume Wikipédia

 

Krzysztof January Krawczyk (1946 – 2021) a été baryton, chanteur pop, guitariste et compositeur.

Années d’activité : 1963–2020, idem.

 

Les deux sont capables d’innover, le jazz est leur berceau artistique commun, cela leur permettra d’adopter des styles présents sur d’autres continents, sud américain et africain.

 

Ils ont un rêve américain semblable, l’un réussit un peu mieux que l’autre. Même si Krzysztof réussit à jouer à Nashville, globalement sa conquête du continent nord-américain se solde par un fiasco, il rentre bredouille, la drogue et l’alcool feront le reste. Claude est un peu plus chanceux et rentre regonflé à bloc.

 

Le mal-être profond ne quitte ni l’un ni l’autre, le grave accident de voiture avec le lot de souffrances supplémentaires dont ils sortent victorieux, leur capacité commune à se dépasser, font d’eux des hommes capables de dépassement hors du commun.

 

Pour continuer sa carrière artistique et surtout à vivre, Krzysztof retrouve une nouvelle source de forces dans la foi, sa conversion est fulgurante, définitive. Et qui ne le quittera plus jamais, ou plutôt à laquelle il s’était tant attaché, lui restant fidèle jusqu’au bout.

 

Claude, dont le père est croyant, continuera à chercher et trouver ce qu’il peut, surtout auprès des femmes dont il est éperdument amoureux, sans que cela ne dure jamais bien longtemps. 

 

Sauf pour la dernière qui selon sa propre prémonition l’enterra. Le poète qu’il est, jouant avec des mots pour parler leurs assonances, saurait-il rejoindre l’invisible qui par ses muses ne le quittera pas, tout au moins de son vivant.

 

Deux destins très semblables, gémellaires dans la lutte pour la popularité. Deux vies tout de même bien différentes surtout par le marquage culturel qui les a façonné.

 

Les deux mus par le même désir, celui d’aller voir ailleurs pour se mesurer avec les meilleurs. Difficile conquête pour les deux, même si l’un réussit un peu mieux que l’autre.  

 

Les deux se laissent rattraper par leurs origines et y restent finalement des gars de leur pays qui ne réussissent le mieux que chez eux. Leurs chansons marquent le paysage artistique de leur propre pays.

 

L’un en trouvant l’ancrage de sa vie dans la foi qui parle à certains, l’autre farouchement attaché à Toulouse et Armstrong. Les deux ont réalisé leur rêve, celui de pouvoir s’exprimer à partir de ce qu’ils ressentaient au plus profond d’eux-mêmes.

 

Ils se sont réalisés et ont permis à tant de leurs fans dont je fais partie, de pouvoir à leur tour se réaliser grâce à l’apport de chacun.

 

Il est peu probable que Claude et Krzysztof se soient rencontrés, leurs vies étaient tracées en parallèle, sans jamais se croiser.

 

Elles se croisent dans la vie de ceux qui connaissent les deux, une chance, celle de pouvoir apprécier la vie à partir de sources différentes et ô combien complémentaires, et un devoir, celui de ne pas gâcher l’occasion pour apprécier l’apport des deux.

 

La mixité de styles est relativement facile à réaliser dans le domaine artistique. L’artiste obéit à l’intuition qui le fait user de l’imagination, apparemment sans limite, pour se hisser dans les hauteurs de l’expression de son être profond.

 

La reconnaissance par le public en est la récompense et le moteur pour rester dans la course, mais la chute peut être douloureuse et elle l’est, nos deux chanteurs l’ont expérimenté, souvent à leurs propres dépens.

 

L’artisan de l’existence humaine quant à lui, pour la plupart demeurant un illustre inconnu, n’a pas toujours le moyen nécessaire pour pouvoir se démarquer non pas de ses semblables, mais de lui-même pour rester dans la course à la dignité d’enfant de Dieu.

 

Croiser les points de vue, regarder sous des angles bien différents, c’est une chance et un devoir. Même Dieu ne semble pas échapper à cette règle, lui qui descend du haut de son ciel pour rejoindre l’homme dans sa propre existence et ainsi permettre à celui-ci d’accomplir son propre destin.

 

C’est toujours l’histoire des regards croisés. Et ce qui se passe en Ukraine n’échappe pas à la règle.