Prescription de la méditation associée à quelques exercices physiques, les ingrédients de base d’une bonne santé? 

Cela ressemble à du yoga chrétien, ce mélange de l’attention indissociablement portée à ces deux dimensions dont est composé l’être humain. Et c’est très à la mode, en lien avec une hygiène de vie qui comprend une nourriture adéquate.

La vie en bonne santé, ainsi conçue, que l’on voudrait la réduire à la partie bien charnelle avec ces effilochages psychosomatiques en coulis mélancoliques à la texture de tristesse incurable. 

Rien n’y fait, un humain y résiste et s’exprime comme il le peut.

Axel Kahn, l’ancien président de la ligue de lutte contre le cancer, est mort. 

A peu près au même moment, un prêtre, un illustre inconnu, est mort en Pologne, en célébrant la messe. 

Les deux, en soldats fidèles de l’humain pour lui-même et ou pour Dieu. Pour qui vraiment, c’est une autre histoire, ça les regarde, cela ne s’ausculte pas, cela reste dans leur intimité.

Ce qui est indéniable, c’est leur générosité, l’ouverture du cœur pour être à cris et à corps dans les combats qui étaient les leurs, bien particulier pour chacun. Mais au service d’une cause commune.

Santé au cœur d’un médecin et santé au cœur d’un prêtre. L’un soigne l’humain à partir du corps, l’autre à partir de l’âme. Tous les deux avec le même engagement et le même don de soi. 

Les deux chemins avec, du point de vue technique, des départs différents, mais nourris d’une même source, vivre une vie qui a du sens.  

Cependant, pour certains, de tels chemins ne peuvent qu’être opposés. Les deux se rejoignent dans la même réalité, celle partagée à travers une vie singulière. Certes, d’une vie complexe, vie dont la santé est le terrain de bataille pour une vie heureuse.

On semble bien loin des certains débats, stériles à la longue, qui soulevaient la vie sociale au XIX siècle en France et qui ont du mal à s’épuiser depuis, à s’évanouir définitivement. 

A la faveur des vacances sous les auspices covidiens, une staycation en bonne et due forme, je me suis plongé dans l’histoire de Mme Bovary. Question de santé intellectuelle, d’un repos attendu, d’une méditation possible sur la destinée humaine, si souvent mal en point.

L’histoire se déroule sur le fond de l’éternel débat entre la science et son progrès d’un côté, et la religion et ses “fanatiques obscurantistes”, oui vraiment obscures de l’autre. 

Flaubert a un art particulier de la mise en scène des états d’âmes en toute chose; sentiments amoureux avant tout, des convictions profondes aussi, celles qui animent les esprits et orientent les vies. 

Son propre secret réside dans la précision concise avec laquelle il parvient à rendre la scène comme si on y était. C’est l’art du cinéma que l’on connaît depuis, l’art du cinéma que de parler en images. 

Au point que Flaubert et Mme Bovary auraient pu être primés tout au moins à Cannes, l’un pour la meilleure mise en scène, l’autre pour le meilleur jeu d’acteur. Les deux pour une présentation, mieux, une véritable production au sens noble du terme, d’une réalisation de la vérité dans laquelle, tous on pourrait se reconnaître. 

Mais quel rapport à la santé? Mais si, par le biais d’une considération qui le mérite, celle sur l’environnement mental et intellectuel, et donc spirituelle pour vivre heureux.   

Mme Bovary est l’histoire palpitante d’une descente aux enfers, le panache avec lequel l’héroïne y consent n’a d’égal que l’inconscience de conséquences de ses actes. Mais que l’amour comme vibration d’émotions palpables sous l’épiderme est le but ultime. Sans doute, le besoin de se réaliser passe aussi par là.

Et la santé de l’héroïne, à tout point de vue, se dégrade au fur et à mesure qu’elle s’enfonce dans la vase du terrain marécageux de ses vastes étendues émotionnelles qui n’attendent qu’à être remuées. Finalement, contrairement aux attentes, en résulte une vie sans relief, juste avec l’horizon plat de l’ennui, que guette le regard hagard, épuisé et épuisant. 

La grandeur de Flaubert est là, dans cette paradoxale capacité à montrer comment vouloir être soi-même, en bonne santé, épanoui et heureux (au masculin, féminin, ou neutre, c’est toujours pareil).Et que pour y parvenir il faut passer par des zones dangereuses de la mise en danger de la santé, de la vie. Et parfois avec des conséquences irrémédiables. Le roman se présente comme une mise en garde à ne pas trop jouer avec, de peur, à coup sûr, de s’y perdre.

Mais revenons à nos deux figures principales, et tous deux, sans se connaître, mais dans ma compréhension de leur manière d’être, se livrent l’un à l’autre pour unir leurs secrets de façon féconde, de manière à en donner du fruit. C’est tout au moins ainsi que je le vois et je les fais interagir. 

Ce n’est pas parce qu’ils sont tous deux déjà morts (pour les autres, c’est après!) que j’en profite pour les unir; pour les unir, là où c’est irréconciliable, l’un croit, l’autre pas.

Mais, c’est pour souligner le fait qu’ils agissent sur le même terrain, terrain qui étrangement ressemble à un vaste hôpital de campagne. Étrangement, pas tant que ça, si l’on considère que toute vie pour se maintenir doit déployer des trésors de moyens, dont certains ressemblent à une stratégie de lutte impitoyable. Et la santé, comme le gage de prolongement de la vie, en dépend.

Apporter des soins y est un impératif, cela crève le plafond de tous les plafonnements, dont l’humain est capable pour ne pas voir le réel état de santé de lui-même et de ses semblables.

Ces deux-là ont donné beaucoup. Un de façon bien visible, connue et reconnue. L’autre, enveloppé du secret de son ministère et de son confessionnal, restant dans l’anonymat de sa vie, juste localement exposée aux regards vérifiant la qualité de sa santé, tout point de vue, et spirituellement avant tout. 

Les deux professaient leur foi en l’homme et sa fragilité, en Dieu en prime pour l’un, en attrait vers d’abord, puis en point d’interrogation, en pointillé même, jusqu’à la négation apodictique pour l’autre.

La santé était au cœur de leur vie. Le pape François, s’adressant à ceux qui, au milieu de leur vacances, l’écoutent, dans l’esprit de son encyclique sur l’écologie Laudato si, appelle à l’écologie du cœur. Pour y parvenir, constate-t-il, il faut du repos, de la contemplation et de la compassion.

Trois éléments qui composent l’écologie du cœur, et qui participent conjointement à la bonne santé individuelle et collective. Le repos permet de reconnecter avec le réel de la vie, la contemplation donne du relief au repos et le prolonge en transportant son bénéfice jusqu’à dans l’attention à l’autre.

Avec le Covid, notre santé redevient le centre de préoccupations du monde entier. Comme alerte un site spécialisé: 

“Épuisement physique et psychologique, bouleversement de nos modes de vie…les pathologies dont nous souffrons ont, elles aussi, été modifiées. 

Au point que certains types de médicaments ont vu leur consommation s’envoler (et les dangers qui y sont liés aussi).”

Axel voulait être prêtre, puis le suicide de son père provoquant un bouleversement majeur dans sa vie, il “décide” d’abandonner le projet et se consacre à soigner le corps entier, comme il l’entend.

C’est une forme de sacerdoce, j’ignore s’il y a une corrélation entre le suicide de son père et son enfoncement dans les marécages du refus de l’au-delà. La mort était bien présente dans sa vie, non seulement personnelle, car, comme il le dit lui-même, elle était sa fidèle compagne dans sa vie professionnelle. 

Comment soigner correctement, en sachant une telle proximité avec ce qu’il y a fatalement au bout de tous soins prodigués aux futurs morts? En d’autres termes, qui s’occupe de ceux qui s’occupent des autres. La santé de tous y est en jeu.

Axel passait sa vie dans la générosité très intensément vécue. Intensément il était, comme il le dit lui-même, mort ou vivant, mais intensément heureux. A-t-il vécu si intensément ce bonheur, alors que désormais, il n’y avait plus de place pour celui d’après?

La santé du moment, la santé pour le moment, la santé tant qu’elle est là. Pour le reste, la dignité d’y faire face doit suffire, comme un samouraï, demeurant stoïquement insensible à cette autre douleur, celle qui irradie de l’appel à rejoindre un plus grand que soi. 

La bonne santé de son corps étant référencée à la bonne hygiène de sa vie, sans pour autant pouvoir éviter, les inconvénients comme celui d’une maladie et ce qu’elle entraîne, tôt ou tard. Comme pour tout le monde.

La mort du loup d’Alfred Vigny avec ce constat : “Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse”, sera le compagnon ultime d’un homme épris de vie. Vie qu’il avait à vivre dans ses dernières semaines le plus intensément possible, car désormais, plus que jamais, chaque minute compte. 

Après la mort, est-ce qu’il y a quelque chose, demande la journaliste lors de son dernière apparition médiatique. Une sorte d’enterrement en présence du corps vivant du prochainement futur mort. 

Rien, répond-il avec insistance, sauf, ajoutant, le souvenir que vous aurez de moi. Elle s’en souviendra sans doute toute sa vie, elle dont la santé se nourrira de ses paroles.

Lui, combatif, presque cabré dans sa conviction, il emporte avec lui cette affirmation qui lui était si chère, et qui réconforte sans aucun doute beaucoup. Un problème d’épistémologie, comme disent les spécialistes du langage. 

Car une affirmation pareille n’a rien de scientifique, c’est une conviction profonde, un résultat d’une acquisition d’une propriété personnelle, et question de s’y identifier, au point de ne pas voir une basique transgression langagière. Et il y a des transgressions qui, comme ailleurs, sont plus graves que d’autres. Est c’en est une. 

Nobody is perfect, c’est bien connu, non pour être indulgent, mais pour être lucide. Car qui peut faire une affirmation pareille, qui peut en décider de la sorte, qui a le droit de fermer une pareille porte. 

L’autre est mort dans l’anonymat médiatique, les deux sont des sentinelles de la lutte contre le temps qui passe pour ouvrir vers ce qui les dépasse. Tous deux sont plongés dans le silence, surtout le nôtre, car pour ce qui est du leur, cela les regarde, ou plus exactement c’est leur commune désormais affaire.

Tous deux ont accompli presque le même sacerdoce. L’un mort sur l’autel de l’espoir humain auquel l’autre ne pouvait que consentir. 

Alors que celui-ci luttait pour la santé intégrale à partir de la puissance de la vie révélée. Celui-là ne ménageait pas ses efforts en faveur de la lutte contre les cancers à partir des lois de la nature, qui, comme une sacrée marâtre, nous joue tant de détours, qu’il ne cessait de découvrir et dompter. 

Tous deux ont accompli presque le même sacerdoce. Raisonnablement et de façon humaine, pour l’un, alors que pour l’autre, déraisonnablement et de façon spirituellement incarnée. 

Chez les deux, tout se passe de tout négoce avec la médiocrité des puissances de la mort qui depuis l’apparition des vivants germe et emporte la bataille à l’échelle d’une vie sur terre. Est-ce un terme, mais est-ce le moment de conclure ou est-ce le temps, le temps d’en accoucher à terme?

Le maintien de la santé s’accompagne d’un apprentissage de la maîtrise de soi, de la mise à distance, d’une relative sous-traction de soi-même, celle qui permet de tirer l’existence au-delà de ce que lui impose la seule santé défaillante. 

Pour l’un en repoussant les frontières d’une vie humaine, mais bien acceptable, pour l’autre, s’y logeant sans difficulté aucune, allant jusqu’à prétendre rompre totalement les amarres d’une vie d’ici-bas pour retrouver l’autre vie.

Et si la vraie santé était à ce prix-là? La santé au cœur!