Des paroles aux actes, parfois il y a une cohérence funeste qui en résulte.
La pente savonneuse n’épargne personne parmi ceux qui s’y trouvent 😂. Pour s’y trouver, rien de plus facile que de s’y mettre et de se laisser emporter par une glissade sans retenue.
“Je vais te casser la figure”, la menace de mettre en exécution une promesse pareille prononcée dans la cour d’école, souvent devient une marque de fabrique, un code PIN qui ouvre au droit de cité à la violence chez les grands, et pour identifier le plus fort. La loi de la jungle langagière prépare et annonce le terrain pour la loi de la jungle des actions qui en résultent.
Une logique implacable qui souvent est regrettable, car dangereuse, nuisible, funeste. Cette logique ne règne pas uniquement chez ceux du bas de gamme qui vivent par habitude dans les caniveaux du langage. Elle gagne, de plus en plus, du terrain chez les messieurs tout le monde, les dames n’en sont pas épargnées.
C’est comme pour jurer, dire des gros mots, une expérience de transgression jouissive car libératoire.
C’est une émancipation à l’égard des carcans imposés aux humains que l’on a soumis aux règles de bonne conduite dans l’usage de mots. Les médias aussi ont du mal à s’en défendre. Une libération, qui accompagne tant d’autres, ouvre à tous les abus possibles.
Concernant les gros mots, dans le processus d’apprentissage de la langue française, il m’était presque naturel de ne pas sentir de barrière qui impose une telle retenue, alors qu’elle était totalement infranchissable dans l’usage de ma langue maternelle, et qui le demeure.
En usant de la langue française, il m’a fallu construire par moi-même une barrière, voire une digue pour veiller à ne pas m’en affranchir à la première occasion, provoqué par une indignation ou énervement quelconque. Et rester au niveau comparable à la valeur des expressions comme, quel con !, appliquée aux autres ou à moi-même ; même le mot de Cambronne, en principe (car il y a tout de même des exceptions) je ne m’autorise pas à le signifier que par une telle périphrase. N’étant pas sous l’influence de la culture québécoise, les mots qui originairement appartiennent au langage technique de l’art sacré déviés de leur sens premier comme tabernacle etc… ne peuvent jamais avoir pour moi la valeur d’un juron.
Lors de mon immersion estivale dans le pays de mes origines, j’ai souvent eu l’occasion d’entendre des gros mots par lesquels le locuteur qualifie la valeur morale de la mère de l’autre, ou par d’autres mots qui leur sont semblables. Jusqu’aux situations les plus fréquentes d’usage des gros mots dont la seule raison de les prononcer se limite à de simples ponctuations ; ce sont des tics de langage, comme il y a des tics gestuels chez les maniaco-dépressifs. Et dans les sous-titrages des films ou dans les articles de presse très souvent les mots, jusqu’alors soumis à la censure par les gardiens de la morale du peuple, sont laissés tels quels. C’est ainsi que j’apprends aussi la bonne orthographe de bad word.
C’est dans les spectacles satiriques et ou comiques des humoristes que la barrière de la décence est souvent franchie sans complexe.
Cela se produit non seulement en Pologne, mais aussi en France, et probablement comme un peu partout ailleurs, tout au moins dans le monde occidental. Même si mon sensibliographe français enregistre moins d’excès en la matière que le sensibliographe polonais, qui immédiatement fait que cela choque mes oreilles.
Est-ce uniquement dû au réglage de la valeur cognitive des mots qui en toute évidence diffèrent en français et en polonais ? Il me semble que non, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, il est à constater que la saveur objective des gros mots (même interdits, et surtout ?) est très semblable dans toutes les langues et que l’on les apprend le plus facilement. Cela résulte d’une expérience psychosomatique qui est commune à tous les humains marqués par la sensibilité sexuelle, à laquelle est subordonnée toute autre sensibilité : politique, esthétique etc. La libération du langage en polonais s’accompagne de bien d’autres libérations, accumulées dans le temps ; celles de meurs, en particulier alors qu‘en France cette évolution a déjà une longue histoire qui dure plus d’un demi-siècle.
Dans les médias audios officiels plus facilement en Pologne qu’en France (vidéos, chaînes de télé, théâtre et autres spectacles ; les podcasts semblent rester indemnes, à part), pour la plupart du temps on constate l’usage direct complet des mots considérés naguère comme interdits par la censure, peu importe d’où celle-ci pouvait venir. Ceci semble notamment d’usage dans les spectacles faits par des humoristes de deux pays dans le but de rendre audible la valeur négative des mots, tout en contribuant à leur banalisation.
Souvent, l’impunité qu’engendre le laxisme des régulateurs des réseaux sociaux sensibles sur certains thèmes, mais pas forcément sur la manière de s’exprimer en les traitant, amplifie celle que procure l’anonymat de l’auteur qui se croit protégé derrière son écran. Les gros mots font partie d’un conséquent arsenal, dont dispose le langage humain qui s’exprime dans toutes les langues. On y est tout à l’opposé de l’amour qui engendre l’amour, du respect qui force le respect et de la compréhension qui peut faire le reste.
Le monde sportif, tout comme le monde politique est clivé, et parfois l’un renforce l’effet négatif du clivage de l’autre. L’exploitation d’un sentiment, à la base noble, qualifié de patriotique, dont l’usage partisan, rarement anoblie les protagonistes. C’est l’inverse qui se produit. Les exemples suivants trouvés sous la main à la faveur des infos de ces derniers jours et semaines, sans aucun tri, illustrent l’ampleur du problème et alertent sur les conséquences.
D’abord des exemples sur le terrain du sport ou l’identification nationale n’entre pas en ligne de compte.
Nous nous trouvons sur le terrain du tennis que j’ai l’habitude de suivre comme fan. Je me réfère à l’interview de Katie Boulter qui révèle l’ampleur des abus jusqu’aux menaces de mort qui lui sont adressées en ligne. Ces menaces sont proférées aussi à l’égard de sa famille. L’interview accordée en 2025, à la BBC, par la joueuse britannique, dont rend compte l’agence Reuters, pointe le désarroi des joueurs ainsi exposés. On le sait pour d’autres sports aussi et ce depuis bien longtemps, qui très souvent sont à l’origine d’excès de langage pour ne rester que sur le registre d’euphémisme, sont les parieurs déçus des performances de leurs poulains qui ne courent pas comme ils l’espèrent.
L’interview met aussi en lumière la responsabilité des joueurs eux-mêmes qui, d’après la Women’s tennis Association (WTA et la Fédération internationale de tennis), sont responsables de 40% des abus détectés.
“J’espère que tu auras un cancer”, “Des bougies et un cercueil pour toute ta famille” et “Va au diable, j’ai perdu l’argent que ma mère m’a envoyé”.
“Je me demande qui est la personne qui a envoyé ces messages”, a déclaré Boulter en regardant le message “J’espère que tu auras un cancer”.
“Je ne pense pas que ce soit quelque chose que je dirais à mon pire ennemi. C’est une chose horrible, horrible à dire à qui que ce soit. C’est horrible.”
L’étude de la WTA et de l’ITF, poursuit Reuters, qui a surveillé 1,6 million de messages et de commentaires l’année dernière à l’aide de l’intelligence artificielle Threat Matrix, demande à l’industrie du jeu de s’attaquer plus efficacement aux personnes responsables de ces abus.
Katie Boulter s’est ouverte sur le niveau d’abus en ligne qu’elle a reçu.
“On ne sait pas vraiment si cette personne se trouve sur le site. On ne sait pas non plus si elle se trouve à proximité, si elle sait où l’on habite ou quoi que ce soit d’autre.”
La WTA a déclaré que 458 joueuses avaient été la cible d’insultes ou de menaces directes l’année dernière et que des mesures avaient été prises contre les cas les plus graves et les plus prolifiques, dont 15 comptes transmis aux forces de l’ordre.
Dans les sports individuels tout ceci est regrettable, dangereux, mais certainement évitable grâce à une régulation coercive accompagnée d’une éducation coordonnée entre différents acteurs de la société. Mais cela se corse avec les sports collectifs. Le match de foot d’août dernier entre un club polonais et un club israélien a fait des vagues dans les médias et mêmes les voies diplomatiques se sont activées, car les intérêts politiques sont affectés.
Bousculades, invectives, sur le fond d’une banderole déroulée par les supporteurs de l’équipe d’Israël lors du match qui a eu lieu à Haifa : “Murders since 1939”. L’équipe de Rakow Częstochowa a gagné 2:0, mais on ne parle pas de cela. Même l’ambassade d’Israël en Pologne a réagi.
Comme l’informe le portal polonais du Sport.tv, “Murders since 1939” contient une allusion à la seconde guerre mondiale et à l’holocauste perpétré par les Allemands, pas les Polonais. De plus, les supporters Israéliens se sont permis des gestes obscènes et le drapeau polonais a été insulté.
L’ambassade d’Israël a immédiatement réagi sur X, condamnant un comportement ignoble de certains supporteurs du club Maccabi Haïfa. “Jamais !”, on a le droit de dire et faire des choses pareilles d’où qu’elles ne viennent. Et même le président polonais fraichement institué s’était exprimé en parlant de la bêtise que rien ne justifie. On peut s’interroger sur la nécessité d’une telle déclaration par l’autorité suprême du pays, car si pour des incidents similaires on active les lignes rouges de communication, ne risque-t-on pas de banaliser des faits hautement plus graves et plus importants pour le pays.
Mais la réaction du chef d’État polonais, n’est pas une exception dans le monde de twitter et d’autres canaux de communications que les gouvernants, rattrapés par le principe de la démocratie directe qui s’exprime au moins ainsi, font comme tout le monde, une proximité qui feigne une fausse intimité avec les gouvernés. Comme ailleurs pour les sujets semblables ou pas, dans son ensemble ce remous témoigne du caractère sensible de l’incident, un parmi tant d’autres.
Tous les pays génèrent des hooligans, le mot anglais signifie l’origine du phénomène ainsi décrit, mais le pays n’a pas le monopole sur les faits similaires qui se produisent partout sur la terre.
Et la religion dans tout cela?
Je trouve un bout de réponse dans le livre de Pierre Loti Ramuntcho.
La nécessité de la pénitence s’est imposée à Gracieuse, la fiancée de Ramuntcho qui disait de très très gros mots, qui a même blasphémé. Elle l’a amené à l’église pour qu’il lise les litanies de Sainte Face « qui ont été composées comme chacun sait, pour être dites en punition par les blasphémateurs repentants ». Et voici dans quel contexte :
« La veille, Ramuntcho, étant en colère, avait juré très vilainement : une kyrielle tout à fait inimaginable de mots, où les sacrements et les plus saintes choses se trouvaient mêlés aux cornes du diable et à autres vilenies plus affreuses encore. » p.84/5.
Bonne fin d’été à nous tous.
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Photo Katie Boulter : Dan Istitene / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP