“C’est naturel”, c’est la réponse donnée à la question : pourquoi voulez-vous vous marier à l’Église.

 

C’est aussi naturel que d’ignorer ce qu’elle est, et ce qu’elle représente jusqu’à vouloir se marier dans une église bâtiment, n’ayant pratiquement aucune idée de savoir ce que la communauté d’Église peut y faire. 

 

On ne va tout de même pas mélanger les invités avec des inconnus, qui, même si c’est public, mais à huis clos (selon la tradition, alors que selon le rituel c’est portes ouvertes) partagent l’intimité de l’événement. Sauf quand les inconnus peuvent fournir quelques services.

 

Entre la naïve ignorance et le refus tout aussi inconscient que naïf, de la responsabilité, ils sont naturellement à l’aise avec cet état d’esprit.

 

Personne ne leur a jamais appris comment sortir de l’un (la naïveté) et embrasser l’autre (la communauté). Et c’est loin d’être vrai que l’Église le réussit.

 

Dans leur adolescence, ils avaient d’autres choses à faire (bien normal !) et surtout, dès que l’on leur susurrait quelques vérités sur la vie d’adulte, ils répondaient en bons teenagers que les orientations parentales ne les concernaient pas, parce qu’elles étaient dépassées.

 

Ainsi dépassés, les parents se rangeaient alors dans leur rôle de nourriciers soucieux du développement intellectuel, au moins cela ! Dépassée, l’Église continue à administrer. 

 

Les teenagers avides du large apprennent par leur propre expérience la vie de grands, s’y exerçant surtout en position allongée, oublient de grandir debout, tout en espérant secrètement qu’ainsi, ils y parviendront tout de même. Le plus naturellement du monde.

 

Ils n’ont pas tort aux dires des spécialistes du développement humain. Ce qui n’est pas faux, mais ils verront plus tard que grandir “naturellement” n’est pas suffisant.

 

Le penchant naturel, pour être profitable à la croissance dans la liberté, a besoin d’être accompagné du regard sur. Grâce à ce regard, ils peuvent identifier des points de passage, qui chaque fois marquent le changement qualitatif dans ce qui ne leur semblait qu’être un changement quantitatif, mesuré au poids d’expériences imperceptiblement accumulées. C’est le chemin depuis l’enfance passant par l’adolescence pour entrer dans la vie adulte.   

 

Ce qui leur semblait une douce glissade sur des eaux tranquilles d’une rivière qui sillonne pour son propre bonheur de vastes plaines de l’humanité heureuse, à y regarder de près, celle-ci est entaillée de petites cascades que, sans s’en rendre compte, l’on peut facilement franchir sur un canoë kayak, un peu d’habileté physique acquise dans quelques entraînements de la vie (dans la vie) suffit.

 

Ce qui les réconfortait déjà en jeunes lecteurs des magazines pour garçons et pour filles pour ainsi devenir hommes et femmes, encore il y n’a pas bien longtemps. 

 

Les sources (et les contenus légèrement modifiés) s’étant déplacés vers les réseaux sociaux, bien plus faciles d’accès et encore plus abordables dans leur manière de se livrer, car la livraison est régulée au plus près des tendances et humeurs des internautes dont ils font partie.

 

Ils cumulent donc tout naturellement les facteurs favorisant la myopie, ils n’ont pas embarqué ni sur les canoë, ni dans leur lectures, l’instrument nécessaire pour détecter les points de changements qui les enrichissent et transforment.

 

Ils connaissent les conséquences, mais les ignorent, feignent d’ignorer, se résolvent à ne pas les voir. Il suffit de si peu pour qu’ils les voient, apprécient, acceptent et en fassent des marqueurs de vie heureuse, à deux et plus dans le futur proche, qu’ils soient lancés dans une aventure commune sans crainte ni hésitation.

 

Enfants naturels -la référence n’est pas celle du rapport à la légitimité socialement dévolue aux parents, mais celle de la trame de ce texte qui cherche à débusquer les apports modernes qui influent sur la manière de se comprendre- pour la plupart, ils ne sont pas malheureux.

 

Issus de l’amour de leurs parents, à qui n’étaient pas épargnés bien de déboires qualifiés en termes de vicissitudes de la vie, parfois jusqu’à l’éclatement du couple, ceux-ci le plus naturellement possible s’occupant de ceux-là.

 

Et quand le temps de partir vient, on se débrouille comme on peut le plus naturellement possible aussi.

 

C’est alors qu’ils découvrent le monde du travail, qui n’est pas moins exigeant que celui des études, qui leur impose des cadences que l’ambition assume ou alors suscite parfois la rébellion.

 

C’est alors que l’on va se tourner vers la famille, comme le refuge qui s’offre à eux tout aussi réellement que symboliquement, où le plus naturellement du monde ils déposent leurs espoirs d’une vie heureuse.

 

Un refuge pour les besoins individuels tout aussi naturel, et nous voilà revenus au thème du mariage.

 

Qu’est-ce qu’il y a de si naturel dans le fait de se marier et de plus est à l’église ? Comment parviennent-ils à un tel constat ?

 

Dans le cadre de la préparation au mariage, dont je me régale, y compris culinairement, (merci aux fiancés qui m’accueillent chez eux après et avant d’être accueillis chez moi, plus précisément dans les locaux de l’institution que je représente), ils ont des cases à remplir pour arriver au but espéré. Et à cette occasion, ils livrent leur cheminement au regard du représentant de l’Église pour montrer, que si cela n’était pas bien clair au début, le devient à présent. Un grand effort auquel ils consentent. 

 

Et c’est alors que la chaîne d’évolution sous le mode naturel semble souffrir de quelques pressions auxquelles elle est soumise, tellement la manie de devoir tout justifier dont actuellement on use depuis peu, en Église, mais d’autant plus instamment, est devenue naturelle.

 

Apprendre ce qu’est la communauté d’Église et comment elle peut être un lieu d’épanouissement, ils ne sont pas contre, cela les éclairent, ils en remercient et sortent satisfaits ; sauf cette insistance avec laquelle on leur demande en quoi c’est naturel, on n’ose même pas de leur demander de s’intégrer dans la communauté, peine perdue d’avance et on prend pour acquise la situation tout compte fait bien naturelle.

 

Après tout c’est leur vie, d’ailleurs si sérieusement construite, à l’aide si précaire de leur famille d’origine. Et pour ceux qui surtout dans des écoles catholiques étaient mis en contact avec un tel réservoir de sens (bagage et orientation), à l’aide tout aussi éphémère que précaire de leur famille spirituelle.

 

Ils savent que dans le monde marqué par l’individualisme (ni bon ni mauvais, juste naturel) ils ne peuvent que compter sur eux-mêmes.

 

Tout en se servant du soutien tout aussi efficace que non identifiable dans aucune structure sociale concrète ; toutes les institutions sont amalgamées dans une sorte de masse sociale dont on se sert à l’envi.

 

Le soutien des institutions, celle de la famille en particulier, reste à l’horizon des solutions cherchées, même l’enrichissement du regard et du potentiel d’action que procurent les relations amicales qui souvent remplacent, et parfois ombragent celles de la famille, peut s’avérer nécessaire, la survie en dépend.

 

Quand ils se présentent pour le mariage religieux, ils ont déjà pratiquement tous une sacrée expérience de vie commune, ils viennent pour boucler l’affaire. 

 

C’est naturel, ils ont besoin d’un temps de probation mutuelle qui dans sa maturation est souvent accompagnée des réprobations dont ils sortent victorieux. Les liens sont renforcés, désormais ils savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre. Rien ne vaut une expérience grandeur nature.

 

Avec pour horizon les incertitudes sur à peu près tout, rien de rassurant n’étant ni évident, ni naturel, ils équilibrent de la sorte leur vie en constatant que malgré tout, il y a des choses naturelles. Au moins cela. Et pourtant. 

 

Ce qui semblait tout naturel, à la venue de la première difficulté, le deviendra moins ; redoutée, vue l’expérience des autres, mais pour le moment banni de l’horizon de leur vie, cette difficulté les interrogera sur les motivations et les moyens à employer pour la construction commune.

 

Et en attendant, c’est l’Église qui les interroge, et les indispose.

 

Ils savent qu’ils ne pourront jamais compter sur aucune institution politique ou religieuse, seulement obligés de composer avec leur lieu de travail, pour avoir de quoi vivre en paix.

 

Qu’est-ce que c’est difficile de leur faire comprendre que l’Église est là pour les aider, naturellement ils restent persuadés du contraire. L’aborder quand on ne peut pas faire autrement, la contourner le plus possible dans le temps ordinaire, la tenir à distance toujours.

 

Quand ils viennent demander le mariage à l’église, ils sont loin, à des milliards d’années-lumière, de l’autre facette de leur demande, à l’image d’une pièce de monnaie, qui y est comme la face que l’on ne voit pas, car elle présente seulement la pile, à savoir que le mariage à l’église est aussi le mariage “avec l’Église” ou plus exactement avec Dieu dans l’Église, le mot alliance le prouve.

 

Une affaire à trois c’est sûrement un de trop, surtout dans cette configuration (que l’on me pardonne cette frivolité).

 

Si le premier (pile) est tout naturel, le second (face) ne l’est pas du tout, et là ils ne sont pas loin de la vérité, tellement la dimension spirituelle est d’un autre monde, ils le sentent bien, ils la redoutent et se dotent plutôt efficacement des protections pour ne pas y succomber de peur de ne pas savoir quoi en faire et à quoi cela les obligerait et où les amènerait (les emmènerait?). 

 

La rédaction du projet de couple à laquelle ils sont invités et la signature parfois semblent être faites sous contrainte, tellement la liberté de consentir à cela n’est pas à l’ordre du jour. 

 

Ou alors plus tard pour grandir avec les enfants que l’on va faire baptiser et peut-être même envoyer au catéchisme. Même signer l’engagement d’élever les enfants dans la foi chrétienne demeure dans leur esprit optionnel, (est-ce la faute à l’Église ne pas être assez précise ?). Certes, ils viendront (tous ?) demander le baptême de l’enfant, mais toujours avec cette idée indéboulonnable, plus tard il verra (car eux ont déjà tout vu), tellement la défense de la liberté individuelle est à signifier. 

 

On est d’accord, mais sauf quelques rares miracles l’enfant choisira ce qui lui sera présenté comme le plus attrayant. Notre malheur à tous est celui de ne pas maintenir la religion en odeur de sainteté. 

 

Et même le regret de ne jamais avoir le temps (ni la volonté) pour s’expliquer en profondeur, ne suffirait pas, il faut attendre que cela vienne tout seul, naturellement.

 

Cela pourtant n’enlève en rien à la beauté de cœur et de corps avec lesquelles ils se présentent à l’Église, où la confiance et la soif de vérité l’emporte sur la timide ouverture à l’égard d’un tel inconnu qu’est l’institution d’Église. Ils y sont beaux aux yeux de l’Église, comme ils sont beaux lorsqu’ils se présentent l’un à l’autre.

 

On ne peut que se réjouir :

 

-de leur présence, bien que fragile car fugace, mais bien réelle, où ils sont bien attentifs à ce qui peut les faire sortir de l’angle mort ou de l’ombre du doute ;

 

-de leur docilité avec laquelle ils se soumettent pour recevoir des bénédictions divines et celles de l’Église, peut-être les premières bien que plusieurs mystérieuses, mais plus faciles à accueillir, après tout Dieu est si loin et il serait toujours là en cas de besoin, si toutefois on pense à lui, alors que les bénédictions de l’Église sont assorties des obligations de rayonnement du couple chrétien, qui est déjà fort de la puissance procréatrice pour faire augmenter le nombre des membres de celle-ci.

 

-de leur capacité à célébrer un évènement, dont ils savent au fond d’eux-mêmes qu’il n’est pas aussi naturel que cela, les modèles de référence d’un couple heureux souvent leur manquent cruellement, et on n’est pas assez attentif à cette carence dont ils ne sont pour rien.

 

-de leur courage enfin d’aller à contre-courant, même s’ils ne peuvent pas s’imaginer qu’en dehors d’eux-mêmes, personne ne pourra les aider à, non seulement entrer dans cette logique, mais surtout d’en vivre.

 

-de leur perspicacité, grâce à laquelle ils comprennent vite que l’on ne se marie pas parce que l’on s’aime, mais on se marie pour s’aimer; résolument poussés par l’Église vers un tel avenir, là aussi ils sont obligés de reconnaître, que ce qui leur semblait si naturel, même si ceci demeure, peut être dépassé par une inversion de perspective, comme si la sablière au lieu de laisser passer les grains de sable du haut vers le bas, par un mouvement d’aspiration vers le haut, les faisait monter en défiant ainsi la loi de la gravité, si naturelle.

 

Un grand merci pour chacun de ses dizaines et dizaines de couples que j’ai la joie d’accompagner à Hong Kong sur cette terre d’expatriés, dont nous partageons les joies et les peines.

 

Sans eux je n’aurais jamais progressé dans ma vie d’homme et de prêtre pour me comprendre, et comprendre leur situation, l’apprécier et les apprécier dans leur manière de la vivre. Toujours vers l’avant!