Le cours de l’histoire de notre chère humanité est tout sauf un long fleuve tranquille. Par période, quelque part dans le même monde, quand ce n’est pas en entier sur toute la planète terre, la vie plus ou moins paisible, soudainement interrompt son cours normal pour se déverser dans une course folle vers le bas.

 

Ces dernières années, on est témoin de l’avancée d’une lame de fond qui tel un tsunami lointain fait le tour du monde pour le secouer jusque dans ses entrailles.

 

Les bases mêmes, sur lesquelles on a tant bien que mal mais tout de même réussi à asseoir notre tranquillité collective, bougent et donnent des signes de faiblesse structurelle.  

 

C’est comme un pont à auvent soutenu par des câbles, qui sous pression des secousses se met à tanguer et les câbles, au point de rupture, menacent de lâcher. Et la conséquence est facile à imaginer.

 

C’est pour la vie collective. En revanche, pour ce qui est de la tranquillité individuelle, c’est bien plus complexe, mais celle-là est à gérer à l’intérieur de celle-ci.

 

Le cadre solide peut absorber des mouvements de distorsion qui apparaissent par-ci, par-là, mais lorsque le cadre lâche, c’est la débandade et sauve qui peut.

 

En début du XXIÈME siècle on pensait être en droit d’imaginer une humanité améliorée dans ses comportements, car plus consciente de sa propre valeur et en progression constante de ses acquis techniques utilisés comme outils indispensables pour améliorer le confort que certains identifient avec le bien être et d’autres ou les mêmes identifient aussi avec la fin des religions et donc la fin de l’histoire.

 

Dans cette approche purement pragmatique, l’accumulation de la mémoire devient indispensable, seulement dans les domaines purement techniques.  

 

Le reste, désormais considéré comme superflu voire dangereux car référencé sur les questions ultimes, étant efficacement car docilement, éradiqué, ne tourmente plus que des esprits qui n’ont pas encore parfaitement réussi l’accession à la modernité.

 

Non seulement, il n’en est rien, de plus il est à déplorer la régression, visible à l’image de l’inversion des rapports entre les animaux et les humains. Le modèle de référence est désormais dans l’animal, l’homme doit apprendre de son toutou de compagnie comment devenir un humain à la hauteur de ce que l’animal qui, si l’on s’occupe de lui, veut du bien à son maître.

 

Certes, on est dans le contexte des animaux de compagnie, dont on ne dira jamais assez les bienfaits générés à l’humain en quête de l’équilibre affectif, individuel ou familial. Qui n’a jamais ressenti le bienfait d’un chat qui se pose sur votre ventre.

 

Ce détour est indispensable pour ne pas donner l’impression de déprécier les animaux de compagnie, et peu importe le débat que cela engendre dans la société humaine, d’ailleurs on n’a pas besoin de se poser des questions d’ordre existentiel pour savoir ce qu’en pensent vraiment les intéressés eux-mêmes.

 

Le rapport entre le christianisme et la démocratie, qui constitue le thème principal ainsi résumé dans le titre de ce podcast, s’inscrit dans cette présentation de la société humaine actuelle ainsi esquissée.

 

Le développement que je propose est un essai, ce qui veut dire une présentation d’un certain nombre d’idées personnelles, sans aucun doute une présentation bien incomplète, même pour une esquisse, et à soumettre au débat contradictoire. 

 

Ce n’est pas une polémique que ce podcast chercherait à faire entendre, c’est juste un essai de présentation d’un thème qui semble d’actualité.

 

D’après les dernières estimations faites par des professionnels en géopolitique, actuellement nous serions gouvernés de façon démocratique seulement dans 6 % de pays. 

 

Et peu importe leur taille, cela ne pèse pas lourd sur l’échiquier du monde où se joue constamment une partie d’échecs dont les figurines sont des humains et leurs baluchons pour accoutrements.

 

L’hypothèse de travail est la suivante : l’effondrement des démocraties est corroboré par l’effondrement du christianisme. Ce n’est sans doute pas la seule raison, mais cela en fait partie. Sans s’attarder sur les autres raisons, je propose de suivre seulement la piste indiquée.

 

Ce double effondrement est somme toute bien relatif, car il est le résultat d’une comparaison avec le passé, plus ou moins glorieux pour les deux, chacun pour sa part, mais considérés comme plus forts et plus affirmés dans leur identité respective. 

 

En développant ce postulat d’une interdépendance entre la démocratie et le christianisme, même en considérant la corrélation de cause à effet très partielle, ce n’est pas évident à première vue de voir un tel rapport entre les deux. 

 

C’est comme dans les tests de personnalité qui font fureur sur les réseaux sociaux, suivant l’image que vous voyez en premier ou celle que vous préférez, vous êtes ceci ou vous êtes cela.

 

C’est comme si l’on devait choisir entre une certaine relation ou la nier purement et simplement. C’est comme si, dans les situations de conflits entre les parents, l’enfant devrait choisir entre l’un et l’autre.

 

Supposant qu’une telle corrélation existe, le lien entre la démocratie et le christianisme repose sur le fait que les deux sont nés dans une même période du développement de la civilisation occidentale dite moderne. Cette concomitance peut laisser supposer les influences réciproques.

 

Je n’ignore pas la démocratie athénienne, bien antérieure au christianisme, mais celui-ci a aussi ses racines dans la manière dont Moïse (Ex 18, les conseils de Jéthro) ou les rois David et Salomon gouvernent et donc gèrent la destinée du peuple juif. La théocratie est une étape pour la démocratie. 

 

Si pourtant il est facile de voir naître le christianisme sur les décombres, car aussi comme héritière de l’Empire romain, il n’est pas évident de voir la démocratie naître dans le giron du christianisme.

 

Il n’y a ni juif ni grec ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, mais tous vous êtes un en Christ. L’alignement au Christ, ainsi exprimé par saint Paul, est la mesure de choses; le baptême incorpore dans une telle égalité, laquelle devient universelle dans le projet de salut, et il n’est pas nécessaire d’être de cette famille pour être dans cette égalité. 

 

Sous le couvercle de la théocratie biblique couve la démocratie comme postulat de l’organisation de la vie sociale fondée sur une telle égalité. 

 

D’ailleurs le communisme a très bien compris cette inspiration, sans l’avouer car contre toute intervention tiers surtout divine dans ses affaires, ou alors prônant ouvertement Jésus comme le premier communiste. A chacun ses simplifications et parfois récupérations circonstancielles.

 

Le postulat chrétien d’une telle égalité est possible dans le respect envisagé à la base de la reconnaissance de la dignité humaine dont on vérifie de façon empirique un tel présupposé. 

 

Comme si le christianisme constituait un vivier paradoxalement nourrissant la démocratie, cette dernière, non mécontente d’éclore d’un tel œuf, signifie à l’autre une ingratitude que cette dernière d’ailleurs ne cherche pas, se contentant de se voir dotée des garanties de survie, y compris dans sa dynamique missionnaire d’expansion.

 

Il est certain que l’effondrement des démocraties et l’effondrement du christianisme sont imputables à leur fond commun. La liberté comme attribut humain qui le distingue de l’animal est au cœur de cette relation si souvent réciproquement contrariante créant un fossé grandissant qui les sépare de façon irrémédiable. 

 

Même si dans le christianisme la notion de liberté est bien plus profonde que celle élaborée par les philosophes des Lumières et appliquée à la stratégie politique d’un vivre ensemble. 

 

Les limites de la liberté y étant définies par la confrontation avec celle de l’autre, alors que dans le christianisme la notion de liberté est référencée sur la notion d’amour. Aime et fait ce que tu veux, engage bien plus que, ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. 

 

A la déprise d’une relation harmonieuse décrite en termes de limites à ne pas dépasser, s’ajoute la confusion d’une compréhension de ce qu’est la liberté. Dans le christianisme elle est avant tout ouverte à l’autre, mais ça coûte bien plus qu’une neutralité même bienveillante.

 

D’où très certainement une plus grande difficulté à réaliser le postulat chrétien de liberté que celui de la démocratie. Même si les deux sont facilement pris en défaut, les bavures de l’un se règlent par les traités, et celles de l’autre au confessionnal.

 

La démocratie, quitte à être liberticide, a besoin de la liberté et ne supporte aucune tutelle, sauf celle d’elle-même qu’elle comprend comme source de sa propre autorité. Cela lui donne libre cours à l’accession au statut de tyrannie de pensée et d’actions uniques, la démocratie est alors prise à son propre piège. 

 

La démocratie navigue toujours à vue, alors que le christianisme, s’il oublie sa destinée finale, risque de tomber dans le même piège. Tant de déboires faciles à constater dans toutes les branches du christianisme, les derniers exemples étant la pédophilie ou encore la position du patriarcat de Moscou face à la guerre en Ukraine, font comprendre la présence d’un tel piège. 

 

Choisir entre le bien et le mal, c’est avoir une conscience morale. La diminution de la conscience engluée dans un relativisme ambiant provoque la diminution de ce régulateur d’action.

 

On le sait, c’est cette chère liberté qui fait que l’humain est bien autre chose ou plutôt bien plus qu’un simple prédateur. Il est capable de faire du mal par pure volonté de nuire. La liberté dévoyée de la sorte est au cœur de la régression de l’humain. 

 

Les religions en général, et le christianisme pour sa part en tant que participante prépondérante à la construction du monde durant de nombreux siècles en particulier, procurent des gardes fous pour empêcher à l’humain une telle folie.

 

Mais elles ne réussissent pas toujours, elles sont aussi gangrenées de l’intérieur et non seulement sous pression extérieure pour devenir un instrument souvent redoutable d’efficacité au service de la régression.

 

Et ici la comparaison avec le monde animal ne tient pas debout, tellement l’idée même de tuer par plaisir est absente du dispositif par ailleurs redoutable de la férocité crue d’un animal à la recherche des protéines.

 

Si le christianisme comme toute religion a des systèmes de protection contre l’auto sabordage, ce système n’existe pas dans la démocratie qui peut s’autodétruire sans aucun état d’âme, sans aucun recours.

 

La dépréciation du christianisme par la grande partie des sociétés dites modernes va de pair avec l’effondrement de la démocratie.

 

Pour y remédier, l’une a besoin de l’autre, sans jamais se voiler la face sur la divergence des visées qui nonobstant peut plaider en faveur d’une collaboration commune respectueuse de l’identité propre à chacune, mais dont la divergence est non seulement source de conflits inévitables, mais fait camper sur des positions bien distinctes. 

 

Et pourtant, elles sont très liées, non seulement historiquement, mais aussi par le fond commun qui est justement celui de la liberté. D’autres modèles de vie en société sont possibles, la liberté étant remplacée par le bonheur préparé par quelques-uns pour tous, ou encore par le devoir commun de survie. 

 

Nous sommes face à tous ces possibles remis au goût du jour, c’est à chacun de savoir où se situer et pourquoi.

 

Les deux souffrent d’un double syndrome, celui de nivellement par le bas et en même temps celui de nivellement par le haut.

 

Le christianisme, étant acculé à accepter tant d’influences païennes qui s’immiscent depuis toujours dans le dispositif spirituel de son dogme, est né principalement dans cette confrontation.

 

La démocratie en comptant sur la conscience éclairée des citoyens n’arrive pas à donner aux confrontations avec des avis opposés, le gage indélébile de paix, le fait qu’elle soit née dans une telle confrontation tout au moins en partie explique peut être cela.

 

Les deux, tout en se gardant de faire institutionnaliser la différence entre les initiés et les autres (comme c’est le cas par exemple chez les Druzes qui sont à la fois une entité socio-politique et religieuse), cependant, les deux de façon différente n’échappent pas à cette emprise. 

 

On le dit beaucoup du christianisme pour son côté institutionnalisé en termes d’une hiérarchie mystérieuse, car trempant dans des dimensions spirituelles, mais vu de l’extérieur, géré de façon de bien secrète. 

 

Le célibat lié à la vocation religieuse y ajoute une couche particulière à ce côté considéré comme obscure. Et ce que le pape François dénonce sous le nom de cléricalisme ne suffirait pas pour considérer le christianisme, catholique en l’occurrence, indemne d’une telle imprégnation. 

 

On voit moins cette imprégnation dans la démocratie qui de façon très naturelle a fait valoir le principe de transparence, mais il y aurait aussi beaucoup de choses à dire, on se souvient du scandale du sang contaminé dans les années 80 et actuellement celui des Ehpads pour ne citer que ces deux faits à résonance nationale.

 

Chacun des deux à ses propres démons à combattre. Peut être après tout les mêmes, liés au dérèglement de l’esprit humain, tout en se soignant, chacun y tombe à sa façon.

 

Les deux ont besoin l’un de l’autre pour non seulement les combattre, mais surtout pour offrir conjointement à l’humanité dans son ensemble les moyens de vivre dignement dans la liberté d’aimer comme Dieu aime. 

 

Cette référence métaphysique est à prendre en compte à la discrétion de chacun.