Je suis dans la troisième étape, un troisième F.
Après le fanatisme et le fatalisme, le temps est venu d’avancer avec fierté.
Où se cache-t-elle et qu’exprime-t-elle ? Et qu’est-ce qu’en dit la foi chrétienne ?
C’est un sujet tout aussi délicat que les deux précédents, mais qui semble plus simple à traiter. En apparence seulement. Si l’on appréhende le fataliste avec circonspection, tout y succombant faute de mieux ; si l’on se refuse à être compté parmi les fanatiques, tout en se découvrant d’être parfois dans une telle posture ; la relation que nous entretenons avec la fierté est encore plus ambigüe.
Il nous en faut, car elle constitue un des matériaux de base de notre identité quel que soit notre relation au fatalisme voire au fanatisme. La fierté transcende toutes les distinctions par classe sociale, d’appartenance idéologique ou religieuse.
Elle impulse et traverse les consciences. Elle nourrit les sentiments de façon passagère ou durable. Elle habite la vie humaine tapie au fond de l’être et gonflée parfois comme un ventre fécondé d’une nouvelle vie, parfois comme un ballon vide car plein d’orgueil prêt à exploser.
La fierté est présente dans tous les excès qu’un être humain peut connaître. Elle est aussi présente dans un bilan paisible d’une construction laborieuse. Elle est présente dans des projets qui émanent du fond de l’être qui en effet se découvre fier d’exister et d’agir.
Elle est inséparable de la volonté de vivre. Si cette volonté est quelque peu affaiblie, elle soutient vaillamment l’estime de soi. La fierté bien placée soutient l’estime de soi, ensemble elles travaillent en faveur de la volonté d’agir pour le bien des autres.
Si d’aventure la fierté et l’estime de soi, de mauvaise grâce, brillent par leur absence, elles cèdent alors la place à la dépréciation de soi. Ce qui peut entraîner une dépression plongeant l’être humain dans un coma existentiel, profond ou pas, mais portant gravement atteinte à l’intégrité de soi.
Par les encouragements, la fierté sert de moteur pour la croissance. Par l’excitation intéressée, elle sert les intérêts des autres, parfois des intérêts guerriers de domination qui passent par la destruction.
La fierté, grâce à sa sensibilité accrue qui la caractérise par nature, détecte les atteintes contre sa raison d’être. Elle est reliée directement au cerveau reptilien. Elle détecte la qualité vitale de la source, où elle puise la sève de sa puissance incontestable. Puissance que personne n’a à contester d’aucune manière. Au risque de se voir remballer sans ménagement. Ce qui m’est arrivé lors d’un voyage et voici comment.
Ce fut au cours d’un voyage touristique, à caractère de découvertes d’autres peuples, cultures et religions. Heureux de pouvoir le faire, je me suis trouvé très chaleureusement accueilli par des hôtes d’un pays où j’ai mis les pieds pour la première fois. Avant de venir ce pays encombrait mon imaginaire à partir des éléments fournis par la grande distribution des médias du prêt à porter de nos connaissances du monde.
Tout en confiance avec mes hôtes, au cours d’un échange amical et instructif à la fois, j’ai émis alors une remarque partageant ma surprise de voir le pays “mieux” par rapport à ce que je pouvais l’imaginer.
La réponse à mon observation faite au sujet de ma surprise positive de voir le pays dans une relative modernité, fut nette : celui qui exprime une telle surprise se blâme lui-même. Une fierté nationale s’était exprimée avec une netteté de la superbe qui ne souffre aucune contestation. Fierté blessée, fierté aiguisée, fierté tranchante. J’en ai ravalé la mienne en lui demandant de ne pas être si audacieuse voire désinvolte la prochaine fois.
Chaque être humain passe par là avec plus ou moins d’intensité. Cette fierté est relative à l’image de soi. Elle est constitutive de notre identité profonde, dans ce que celle-ci a de plus précis pour nous permettre d’exister.
Je suis fier d’exister, je suis fier de faire quelque chose de bon dans ma vie. Je suis fier d’avoir fait quelque chose de positif pour moi et ou pour les autres. Et une telle fierté nourrit le désir de vouloir se projeter dans un futur, futur à une forte densité de ma présence.
La Fierté pêle-mêle prend sous ses ailes tout ce qui est nécessaire à notre identité de se dire comme quelqu’un d’agissant. La fierté du vivant qui est et qui fait, qui produit des effets, qui transforme le porteur lui-même et son entourage.
Petit, je suis fier de toi, dit le paternel à son fiston et cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Cette déclaration, à valeur de récompense et d’encouragement, servira de repère dans la vie du fils. C’est ainsi qu’on devient homme. C’est dans une telle source que naissent les capacités à se dépasser pour continuer à être. La fierté met toujours en mouvement, ne condamne jamais à la stagnation ou délitement.
Cette non-stagnation est présente même dans le cas de la fierté tirée de ses origines dont la généalogie peut remonter haut et loin, surtout dans les situations de déclassement social. Pour la ressentir, il ne reste qu’à faire activer la source de la mémoire de la famille et de sa si longue et belle tradition. Elle fonctionne différemment dans le cas inverse, lorsque l’ascenseur social a bien fonctionné, donc du bas vers le haut.
Dans le premier cas, la fierté est activée surtout par les intéressés qui ainsi s’accrochent aux branches de leur “descente” sociale pour éviter la chute trop brutale de l’estime de soi. C’est une manière de chercher de l’estime de soi que peut fournir l’arbre généalogique avec ses nobles marqueurs qui font chaud au cœur.
Cette manière de s’appuyer sur le passé montre la recherche de ressources dont on a besoin pour le présent. Une sorte de paradis perdu auquel on s’accroche et auquel on lie le destin. Cela stabilise le présent et encourage l’avenir.
Certes, la fierté y convoque le passé, d’autant plus que l’avenir tel que l’on se l’imagine n’est pas assuré autrement que par le recours à de tels étayages. La fierté y est convoquée surtout par les intéressés ou leur entourage immédiat avec lequel ceux-ci fonctionnent au diapason, dans la convergence pour les intérêts communs.
Dans le second cas, celui de l’ascension sociale, la fierté est aussi exploitée conjointement comme ressource pour fabriquer une nouvelle image de marque. Mais elle est plus dépendante de la conjoncture sociopolitique en fonction de laquelle on se permet de l’exhiber ou pas. Alors que la manifestation de celle due aux nobles marqueurs, est surtout liée à la qualité du lien par la confiance et reste du domaine de l’intime partagé.
Fierté des enfants pauvres qui s’exprime dans le fait de pouvoir endosser l’uniforme de la réussite future. Celle qui leur permettra d’être justement fiers d’obtenir un diplôme, et celui-ci en poche exercer un métier de rêve. Sortir par le haut.
Ni tous les nobles, ni tous les pauvres ne sont pas reclassés. Tous ceux qui sont en situation de stabilité sociale depuis des siècles ont appris à conserver le sentiment de fierté et d’y appartenir. Ou alors à le chercher, à le générer et lui permettre de se manifester autour de quelques idées simples à mettre en place pour y réussir.
L’ambiguïté de la fierté réside dans sa proximité vitale avec son contraire. Si pas fier, la honte alors. Et c’est plus fort que l’on y pense au premier abord.
Certes on peut imaginer un fanatique qui sommeille de façon inoffensive dans un être inconsistant et mou, et fier (mollement) de l’être. On peut tout autant sinon davantage concevoir l’existence d’un fataliste bien employé à se nourrir d’une sève de la soumission et fier (fièrement) de l’être. L’un plane et l’autre crâne.
La fierté renvoie à un fond, où tout se décide et où rien n’est clair ou définitif. Mais, où tout est en devenir, en croissance de l’identité du porteur. Si l’on peut être fataliste de bon aloi, si l’on a du mal à s’imaginer un fanatique qui respire la bonté, il est impossible d’être fier de bonnes et de mauvaises choses à la fois.
Le “Non, je ne regrette rien” d’Édith Piaf s’inscrit aussi dans cette distinction tranchante, car tout y est subordonné à l’amour qui remet à zéro le compteur de bonnes et de mauvaises choses, ou plutôt comme dans ce cas précis les place du côté des bonnes uniquement.
Certes le paternel peut être fier de son fiston en voyant sa progéniture progresser dans l’apprentissage des arts plus ou moins martiaux d’un apprenti malfrat.
Comment manier les armes de dissuasion, comment esquiver les estocades de répression, c’est un art à maîtriser pour devenir capable d’un plantage du poignard dans le cœur, de façon certaine, car jugée à la régulière. C’est aussi possible, tous les systèmes mafieux avec leurs omertas fondent leur réussite sur la fierté légitimée de l’intérieur et donc considérée dans leur périmètre comme licite. Et qui tacet consentire videtur. Sous une avalanche de soumission tacite, une telle fierté, si mal orientée car si mal placée, génère dictature de la pensée puis d’action.
Dans le christianisme il est aussi question de fierté. Deux occurrences parmi tant d’autres. Une trouvée chez saint Paul qui constate la fierté qu’il tire de la croix du Christ et de ses conséquences, comme chemin de Bonne nouvelle pour accéder au Royaume de Dieu. Une autre trouvée dans le rite de baptême, qui rejoint la première, où après la profession de foi, la monition du célébrant fait état de fierté au sujet de la proclamation de la foi “que nous sommes fiers de proclamer”.
Pour développer cette dernière partie et avant conclure (bien provisoirement, comme toujours), je laisse la parole trouvée sur un site chrétien.
“Je suis fier de … et je n’en ai point honte.
Cette affirmation de l’apôtre Paul « Car je suis fier de l’Évangile, c’est la puissance de Dieu par laquelle il sauve tous ceux qui croient. » (Rm 1.16) nous interpelle et nous oblige à nous questionner : De quoi suis-je fier ? De quoi sommes-nous fiers ?
Il y a la fierté orgueilleuse qui se rend gloire, se vante pour ses propres capacités et réalisations. C’est une fierté qui se démarque, fait des catégories de niveaux, qui ne souhaite pas que d’autres partagent la même condition. L’orgueil est un vilain défaut.
Il y a, par contre, la fierté reconnaissante et joyeuse, débordante …, d’être bénéficiaire de quelque chose d’extraordinaire, de formidable, et dont j’ai envie de parler à tout le monde, en mettant en avant les qualités de ce que j’ai reçu et l’auteur du don.
La fierté de l’apôtre Paul réside dans l’Évangile, puissance de Dieu.
Et sa fierté nous questionne :
« Es-tu fier de l’Évangile ? Fier de connaître Dieu ? » De la même manière qu’il a interpellé Timothée, jeune serviteur de Dieu envoyé en mission auprès de l’Église d’Éphèse : « N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur et n’aie pas honte de moi qui suis en prison pour lui. » (2 Tm 1.8)
Ne m’arrive-t-il pas trop souvent de mettre ma vie chrétienne au placard, d’avoir honte de ma foi, d’être hésitant à témoigner ?
Pourquoi ?
Nous voulons nous laisser exhorter par la suite du verset pour raviver les motifs de notre fierté d’être bénéficiaires et dépositaires de l’Évangile.”
La fierté cachée peut frôler le fatalisme, la fierté exhibée peut fricoter avec le fanatisme. Le chrétien ne fait pas le fier, il est fier de l’Évangile. Il est fier de l’annonce du royaume de Dieu rendu visible par les croix du Christ plantées partout dans le monde. Fiers des croix visibles sur les murs de nos maisons qui, en signe de la fraternité divinement inspirée, font penser à toutes les croix réelles vécues dans la chair de tant de souffrances indicibles. Prier et agir, la fierté chrétienne est une fierté identifiée d’action et donc de témoignage. C’est avec une fierté humble, profonde et joyeuse, que nous recevons, comme chaque année, le signe de la vie ce Mercredi de Cendres. Memento mori, crois à l’Évangile.
Fièrement vôtre.