La pandémie en cours met au défi bien des habitudes. Elle oblige à se repositionner dans la vie individuelle, scolaire, professionnelle et sociale. Elle oblige aussi à trouver une meilleure attitude dans la gestion du covid-19. Chacun individuellement pour lui-même et tout autant à l’égard des autres dont il a la responsabilité. A l’égard de tous ceux qui nous sont confiés pour les accompagner dans leur propre vie, vie destinée à leur incessante croissance en âge et surtout en sagesse, ce qui suppose orienter et protéger.

Qu’est-ce donc cette sagesse dont tout le monde semble avoir tant besoin, en tout temps et dans des situations de crises en particulier? La Bible contient des livres entiers qui y sont consacrés, Jésus lui-même, enfant grandissait en âge et en sagesse. Lui, homme en avait sûrement bien besoin vue l’immensité des défis qu’il allait devoir affronter. 

Durant sa croissance humaine, s’opérait en Jésus, de façon bien mystérieuse, un transfert, celui de la sagesse prélevée de son vivier originel qu’est sa divinité présente en lui et qui ne le quitte jamais, vers son humanité dans laquelle il est présent à part entière aussi, corps et âme. En lui divinité et humanité se côtoient sans confusion ni amoindrissement quelconque. Mais ils s’influencent réciproquement de manière tout aussi réelle que mystérieuse. Pour les détails une autre fois peut-être. 

Pour nous, les chrétiens, une opération semblable a lieu tout au long de notre existence. Une sagesse divine qui s’entremêle d’une sagesse humaine, la purifie, la renforce, l’enrichit et lui donne à s’exprimer aux dimensions universelles et éternelles.  

C’est à cette condition que nous pouvons affronter sereinement la pandémie en nous soumettant aux contraintes imposées, dont certaines sont traduites en termes de réglementations contraignantes à l’égard de la liberté de mouvement pour se déplacer et se rassembler.

Nous avons alors un sentiment d’une liberté amoindrie, voire amputée. Cela qui est à reconnaître comme difficulté du moment, est compensé par la promesse d’un futur plus facile. Dans cette attente, individuellement ou collectivement, certains s’en sortent mieux que d’autres.

C’est ainsi que l’on voit avec fortune diverse certaines décisions visant le relâchement de contraintes comme durant l’été dernier en France pour permettre aux gens de respirer le grand air de vacances. C’est ainsi que l’on a permis d’immenses rassemblements à Hong Kong pour fêter Halloween et d’autres exemples partout dans le monde ne manquent pas. 

Dans notre vie chrétienne nous sommes portés par deux pieds qui marchent ensemble, l’un après l’autre. L’un représente le pôle politique avec sa dominante économique comme source de bien-être humain présumé et l’autre le pôle religieux avec sa dominante spirituelle comme source de bien-être présumé dans la perspective de la vie éternelle. Ce qui est à César rendez le à César, ce qui est à Dieu rendez le Dieu. 

Dans la gestion de la situation virale, comme à l’époque actuelle, un troisième pôle intervient. C’est le pôle scientifique qui s’invite à la marche comme un autre pied indispensable à la vie individuelle et collective. Il s’y invite en reléguant les deux précédents au statut d’une même réalité, en les considérant comme un seul pied. 

En effet, à partir de l’endroit où il se situe, un scientifique ne voit pas que l’autre pied est dédoublé, comme si l’un se cachait derrière l’autre, mais de son point de vue ce n’est pas son problème. Rien à signaler dans ce constat technique qui rejoint la pensée scientifique. 

C’est l’un des innombrables déplacements qui s’opèrent à l’heure actuelle dans le monde où règne la protéine qui met en alerte le monde entier de façon bien propre, bien virale. L’autre déplacement est lié au fait que les scientifiques acceptent plus facilement le doute que les politiques (et les religieux sans doute aussi). Ce déplacement il me paraît important de le souligner dans la perspective des relations futures entre les différentes forces régissant la vie humaine sociale.

 

Alors que, et on n’est pas à un paradoxe près, tout au moins en France, les hommes politiques semblent s’appuyer davantage sur les experts scientifiques que sur l’administration politique. Et ceci indirectement a des conséquences sur les relations avec les religions et à l’intérieur d’elles-mêmes. 

Tout gouvernement est entouré des spécialistes qui sont des conseillers, des experts, des spécialistes d’un domaine particulier, et les scientifiques pur jus ont aussi leur place. Mais avec la pandémie, c’est une catégorie d’entre eux, les scientifiques pur jus, qui est convoquée à la barre de la vérité à statuer, et au politique d’en définir le contour d’action. 

Le pôle politique et le pôle scientifique sont ces deux pieds sur lesquels monde actuel semble trouver un certain équilibre, certes instable, mais qui permet d’avancer vers une solution de crise, voire même vers un avenir meilleur; c’est selon la perspective à court ou moyen terme et dans la posture optimiste ou pas.

Ce sont deux pieds sur lesquels semble depuis déjà bien longtemps marcher le monde, et la pandémie en a seulement accéléré le processus. Dans la période de covid le pôle politique change du point d’appui de son jumeau bipède habituel de la dimension spirituelle représentée par les religions. Le véritable changement est là, dans le fait de déclarer comme obligatoire la vérité scientifique et à l’occasion en s’éloignant de plus en plus de l’autre pied représenté par le pôle spirituel, à qui on donnera probablement de la valeur seulement dans l’expression artistique. 

Mais les religions ne sont pas les seules à se sentir, non pas délaissées, mais éventuellement très fortement contrariées dans la manière habituelle de fonctionner. Tous les secteurs de la vie en sont souvent durement touchés.

Les conseillers scientifiques exposent la situation de la façon la plus précise, mais avec aussi des approximations. Leurs analyses contradictoires sont un casse-tête pour les décideurs politiques. Bienheureuse la voix unique qui ne souffre aucune critique, son efficacité est assurée dans la marche vers la solution du problème. 

C’est l’incertitude qui ralentit la marche. C’est au politique d’en prendre acte et répétons-le de décider, choisissant l’application la moins contraignante et la plus bénéfique. Le tâtonnement des hommes politiques dans la gestion de la pandémie de la première phase cède peu à peu place à une attitude davantage assurée dans les vagues suivantes.

Les scientifiques reconnaissent cette faiblesse qu’est leur manque d’unanimité, tâtonnant, hésitant, proposant des solutions sans être sûr de leur justesse tant que leur capital d’informations ne soit constitué pour établir quelques certitudes. Et ils confessent leur impuissance. 

Tellement grande est l’attente du monde entier qu’elle pèse lourd sur leurs épaules. Ils font ce qu’ils peuvent, incités, émoussés, exploités, manipulés, poussés en avant, attendus comme messie, la seringue pleine de germe du vaccin salutaire à la main.

On les charge du destins du monde entier, ce qu’ils ne peuvent pas assumer seuls, on voit en eux ce messie individuel ou collectif qui sera gratifié d’un prix Nobel à la prochaine saison scandinave. 

Un autre déplacement, très douloureux celui-là, qui est à souligner, est celui qui touche à l’économie. L’économie trinque en cédant de la place à la science sanitaire, l’état d’urgence oblige, même si la santé économique fait partie de la santé des corps. Mais cette urgence concernant la santé économique est étalée dans le temps, ce qui lui fait perdre son caractère de nécessité vitale perçue comme tel dans l’immédiat en temps normal.

Comment le pôle politique peut-il garder son autonomie de décision? En vertu de sa responsabilité démissionnerait-il en s’appuyant trop sur les avis purement scientifiques. C’est la critique qui est adressée à certains gouvernements (tous?) par des observateurs libres (comment sont-ils libres?). Ceux-ci notent qu’en France par exemple l’administration d’État est contournée. On n’en tient pas compte dans les prises de décisions, autrement dit c’est le centralisme trop fort qui est dénoncé. 

Appliquant cette réflexion à l’Eglise catholique et son fonctionnement, on peut se demander si ce n’est presque pas l’inverse qui se produit. A savoir après avoir transmis les décisions du gouvernement en matière de restrictions sans le traduire aux situations propres à la vie des communautés. Il ne s’agit pas seulement de l’ouverture des églises, mais aussi de la possibilité de dire la messe en présence limitée de fidèles. 

Et la position actuelle de l’Eglise catholique en France est conforme à ce tâtonnement des scientifiques et des politiques. Elle qui recourt au bras juridique pour clamer l’assouplissement des règles pour ses rassemblements, ce dont on ne sait s’il faut se réjouir ou pas. Tellement grand est le risque d’en perdre plus que d’en gagner.

L’application de la règle interdisant les rassemblements religieux varie d’un pays à l’autre. Et c’est indépendamment du nombre de cas enregistrés, car étant semblerait-il davantage liée à des raisons politiques et donc économiques, plutôt que strictement sanitaires. C’est aussi vrai pour la communication des cas des closters provoqués par les rassemblements à caractère religieux, dont le nombre est finalement peu significatif par rapport à d’autres sources de contamination, mais dont on a dans certains médias souligné un peu trop gaiement l’ampleur.   

Le pôle politique marchant de pair avec le pôle scientifique risque de faire que le pays ainsi gouverné marche comme un moineau, à cloche pied, en sautillant d’un même pas, les deux pieds ensemble. Il serait dommage d’oublier que l’on a pas le droit de transformer un pays et encore moins le monde entier à l’aide de l’autre pied en moineau qui sautille, car c’est au risque de faire tousser l’histoire de l’humanité entière. Il y a sûrement mieux que cela pour développer un espace de liberté propre à la vie spirituelle, qui tout en se soumettant aux règles du vivre ensemble respire de sa propre vie pour être d’autant mieux présente à tous. Mais cela dépend essentiellement des responsables religieux. 

Ceci est tout aussi vrai pour toute religion que l’Eglise qui doit exercer son autorité, pas comme un simple maillon dans la chaîne de transmission des décisions prises par les politiques, mais de façon adaptée à sa nature. Les églises ouvertes oui, la célébration des sacrements oui, car on ne peut pas interdire au médecin de venir s’occuper de la santé de ces patients et au besoin de les soigner. Les précautions sont indispensables, elles sont à la mesure des risques connus, mais n’évacuent pas d’un revers de main la responsabilité du lien. 

Des solutions sont à trouver, surtout à l’intérieur des religions et des communautés concrètes. La déshumanisation grâce à la stérilisation sanitaire, si l’on n’y prend pas garde, le chemin peut être pris dans cette direction là, et ceci pour bien longtemps. C’est de l’intérieur des communautés que cette attention se travaille, le pôle politique aidant ou pas, et aucun recours juridique n’est satisfaisant, s’il n’est pas accompagné d’un effort substantiel pour maintenir déjà à l’intérieur des communautés religieuses le niveau de l’humanisation à la hauteur de l’espérance divine.

Mais pour voir la vraie particularité d’une religion et son engagement en faveur de l’humanisation, faut-il encore voir la différence entre une structure religieuse d’une communauté par rapport à la structure de la société dans son ensemble en termes d’un peuple ou d’une nation.

Si la gestion globale est du ressort de la politique, la gestion particulière revient aux responsables religieux. C’en est ainsi dans les sociétés occidentales où le christianisme a pris souche et à partir d’où il s’est disséminé partout dans le monde. Ici on a appris, non sans douleur, comment se comprendre dans la relation mutuelle désirée par l’Eglise sous le mode de dialogue. Là, c’est avec une fortune variable que le christianisme tend à se rendre présent, car utile pour quelque chose d’ici bas, agissant au nom de l’au-delà.

La gestion du covid-19 démontre que les religions sont bien alignées sur les décisions politiques. Ce qui semble traîner parfois, c’est la traduction bien pastorale des règles et de l’obéissance à leur égard en termes de la vie pastorale concrète des communautés et des fidèles.

Mais c’est aussi variable suivant les pays et les situations socio-politiques d’un côté, et les attitudes adoptées par les responsables en fonction de la marge de manœuvre et de leur conscience chrétienne de ce qu’est l’Eglise et comment gérer sa présence dans une situation donnée, de l’autre.

Si la compétence du pôle politique à gérer la maison commune est incontestable, la compétence propre du religieux en bonne, car vitale, intelligence avec le pôle politique s’exerce à l’intérieur des communautés pour le bien spirituel de ses membres. La pandémie nous laisse entrevoir des pans entiers de la réalité de l’Eglise qui sont encore laissés en friche dans ses relations avec le pôle politique toujours à réajuster et avec le monde scientifique carrément à inventer !