L’annonce de l’élection d’un nouveau pape il y a dix jours à la chapelle Sixtine du Vatican retentit encore dans nos oreilles :

Habemus papam. Nous avons un pape. 

Et pour l’avoir on recourt à une manière bien particulière de procéder. L’élection du chef de gouvernement dans l’Eglise catholique obéit à des règles ancestrales fixées au XIV siècle. Elle se déroule au cours d’un conclave, un rassemblement des électeurs. 

Le pape tout en étant un guide spirituel est aussi chef d’état appelé le Saint Siège.  L’état de Vatican créé à la suite de la disparition des États pontificaux en 1900 signée par le pape Léon XIII, mais sous sa nouvelle forme bien symbolique re-créé  en 1929 à la suite des accords de Latran signés par Pie XI et Mussolini.   

C’est le plus petit pays du monde en superficie, 44 hectares, et en nombre d’habitants, 800 citoyens. D’ailleurs, tous les citoyens ont  au moins une double nationalité, car personne n’est native de cet étrange état. Le nouveau pape en a trois, étant déjà citoyen des États Unis, mais ayant aussi le passeport pérouvien.

L’état de Vatican (le Saint Siège) est gouverné selon le modèle de monarchie élective.

En apparence un hybride entre la monarchie élective à la polonaise au 17 et 18e siècle,  et le système américain basé sur le vote des grands électeurs. 

Le collège des électeurs du pape est composé des cardinaux qui élisent l’un des leurs. 133 cardinaux votent cette fois-ci, avec au moins 89 voix minimum requis donnant leur voix à celui qui fera ainsi l’affaire.  Rien que depuis la mort de Léon XIII en 1903 les conclaves comprenait entre 50 et 65 cardinaux électeurs dont la majorité étaient des italiens et les autres quasiment totalement des Européens, le premier Américain par exemple est présent au conclave en 1903 seulement.

Le collège commence à grossir à partir de 1963 où pour élire le pape Paul VI il y a déjà  80 cardinaux venant de 30 pays (quatre fois plus qu’en 1903). En 1978 ils sont déjà 111 et ce malgré la nouvelle loi excluant des cardinaux âgés de plus de 80 ans (15). Cette fois-ci nous assistons à une nette augmentation de la diversification géographique des cardinaux. Fidèle à son désir de voir l’Eglise d’aller à la périphérie, le pape François tenait à appeler au cardinalat des évêques venant des diocèses et ou des pays peu connus, car souvent peu de population catholique y est présente. 

Cette diversité pouvait être diversement appréciée.

Dans les milieux ecclésiastiques surtout, on craignait que le futur pape puisse être choisi parmi les cardinaux qui ne connaissent rien à la Curie romaine et ses rouages. Quelqu’un déjà initié faciliterait l’exercice de la fonction de pape. Souvent par le passé le choix des Italiens se faisait précisément à la base de ce critère-là. La connaissance des structures et de leur fonctionnement garantissait la « bonne » gouvernance. Ce qui objectivement n’est pas faux. La rupture avec cette habitude séculaire et sécuritaire opérée lors de l’élection du cardinal Karol Wojtyła signifiait l’instauration d’une nouvelle tradition. Désormais le pape est un non Italien et depuis le pape François même non européen. 

Habemus papam résulte d’une courte mais intense préparation.

La mort du pape François (Le roi est mort! Vive le roi!), le lundi de Pâques, bien qu’elle soit prévisible étant donné l’état de santé du souverain pontif, a pris de court tout le monde. Le lendemain, donc mardi, tous les cardinaux furent convoqués au Vatican dans l’attente des funérailles qui ont eu lieu vendredi et dans l’attente de conclave annoncé à partir du 7 mai. 

Comme le rapporte dans son journal Mgr Mounir évêque maronite de Batroun au Liban :

 « Les cardinaux avaient en effet multiplié leurs congrégations (douze en tout) pour prier ensemble et discuter des questions ecclésiales et de la vision de l’Église à venir ainsi que du profil du prochain pape.  

Concernant les questions abordées, on peut citer : la réaffirmation que « de nombreuses réformes promues par le pape François doivent être poursuivies : la lutte contre les abus sexuels, la transparence économique, la réorganisation de la Curie, la synodalité, l’engagement pour la paix et le soin de la création ». 

Quant au profil du prochain pape, on peut citer les qualités requises : « Un véritable pasteur, un guide qui sait dépasser les limites de la seule Église catholique, en promouvant le dialogue et en construisant des relations avec d’autres mondes religieux et culturels ». 

« Un pape berger, capable d’incarner le visage d’une Église samaritaine, proche des besoins et des blessures de l’humanité ». « Un guide spirituel offrant miséricorde, synodalité et espérance ». »

L’élection du nouveau pape s’accompagne toujours de la question, qui sera-t-il? Comment le savoir? Et pourtant il y a des indices. Le plus important (le seul?) est le fait que les cardinaux ont été majoritairement nommés par le pape François.  A-t-il choisi uniquement ceux qui lui convenaient, qui lui ressemblaient. À la louche, on serait tenté d’aquiescer, mais pour y répondre correctement, il faudrait procéder à une analyse bien affinée de leurs profils. 

Une chose est certaine, le pape François a élargi géographiquement la provenance de cardinaux.

70 pays représentés, du jamais vu dans l’histoire de la papauté et de l’Eglise. Cette diversité géographique et culturelle a sans doute joué en faveur de l’élection du cardinal Prévost de Chicago. 

Comment alors émergent certaines candidatures plutôt que d’autres puisque en principe il n’a pas de campagne pré électorale. Et si campagne électorale il y a,  elle se déroule de façon plutôt discrète, dans les coulisses, dans les couloirs, entre deux portes. Ce qui fait sans doute éviter des dépenses souvent faramineuses (la campagne présidentielle américaine en est un bon exemple), mais alimente les suppositions qui souvent, sans forcément se transformer en ragots, alimentent la dynamique des jeux d’approche pour se positionner ou repositionner son favori. 

Cependant en dehors des bruits de couloirs, il y a des cessions, des rassemblements des cardinaux lors desquelles chacun d’entre eux peut prendre la parole pour présenter brièvement sa vision de l’avenir de l’Eglise et de sa gouvernance. C’est une occasion de se faire connaître et de faire connaître les attentes. Et à l’auditoire d’apprécier. Ce qui s’était passé avec le cardinal Bergoglio, avant qu’il soit élu, son discours a plongé l’auditoire de l’époque dans un silence profond. Peut-être sera-t-on un jour quel effet a produit la brève présentation du cardinal Prévost, adjoint au collège de cardinaux seulement en 2023. 

Son ascension fulgurante ces dernières années (la nomination il y a peu comme préfet de la congrégation pour les nominations des évêques) a fait que pour beaucoup d’observateurs, de l’intérieur comme de l’extérieur, sa candidature était passé sous les radars, même si toutefois dans les tous derniers pronostics il faisait partie de cinq papamobiles, au côté d’un autre américain, de deux italiens et d’un francais. 

Léon XIV se veut continuateur de Léon XIII qui en 1891 s’est fait connaître comme promoteur de la doctrine sociale de l’Eglise pour mettre Dieu et la foi en lui au cœur du monde moderne de l’époque marquée par l’industrialisation et la perte de contrôle par l’Eglise du prolétariat. 

Il se trouve que je me suis trouvé à Rome le week-end entre les funérailles du pape François et le conclave.

J’y suis venu en pèlerin du Jubilé de l’année sainte dédiée par le désir du pape François à l’espérance, dans le cadre du pèlerinage des EDC (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, équipes que j’accompagne à Hong Kong). J’ai pu percevoir tant soit peu l’état d’esprit qui régnait dans Rome et au Vatican.  De nombreux pèlerins  et d’autres habitués à la vie ecclésiastique romaine se dégageait une attente plongée dans la confiance soutenue par la prière. Et advienne que pourra! Il y avait aussi des mouvements d’esprits, comme des vibrations qui transmettent une attente bien orientée, du style, pourvu que notre candidat soit élu, il correspond tellement à nos attentes. Et il pourra donc servir nos intérêts. Pauvres de nous! Comme si l’Esprit saint avait rien d’autre à faire que de répondre à nos attentes les plus religieusement exprimées. 

Cependant, on ne peut pas omettre une ambiguïté d’approche bien présente dans les milieux ecclésiastiques y compris à l’égard de la place de l’Esprit Saint chez l’élu. Un de mes amis habitant les États Unis partage le désir de prier pour le nouveau pape pour que celui-ci reçoive la grâce de l’Esprit saint. Ce n’est pas loin du raisonnement du fondateur de ma congrégation religieuse, saint Vincent Pallotti, qui au XIXs affirmait qu’il y avait deux sortes de papes: ceux choisis conformément à la volonté de Dieu et ceux choisis avec le consentement passif de Dieu. Vincent en prêtre du diocèse de Rome avait un sens critique de l’exercice de la papauté, au point que lors de son procès en béatification cette critique lui valait une réticence de la part de l’advocatus diaboli, mais finalement le constat de ses vertus héroïques a prévalu. 

Paradoxale est en effet la religion chrétienne dans sa version catholique.

D’un côté elle insiste sur l’autonomie de l’humain face au destin de la création qui lui est confiée, alors que de l’autre cette autonomie est étroitement surveillée par la volonté de Dieu. Il est donc tout à fait légitime d’exprimer les attentes et en même temps il est nécessaire de les faire constamment purifier par la volonté de Dieu. Ce qui se passe dans le cas du pape, pour lui-même et pour nous-même à son égard. 

D’un pape (évêque de Rome et à ce titre le responsable devant son employeur qu’est le Christ) dépendent de tant de choses. En deux mots: la conduite générale, tout en veillant sur les applications concrètes et l’attention aux personnes, plutôt que l’attention aux détails. La conduite générale est référencée sur le devoir de l’unité. La devise du pape Léon XIV donnée en latin, est la suivante: “In illo uno unum”, soit en français “En celui qui est un, soyons un”. Elle est d’inspiration augustinienne, congrégation créée au 12e siècle, à laquelle Léon XIV appartient et exprime le désir du nouveau pape à œuvrer en faveur de l’unité catholique et chrétienne, si chère à saint Augustin. Le nouveau pape comme évêque d’Hippone veut être chrétien avec nous et évêque (de Rome) pour nous. 

Sa devise le signifie bien, il veut être promoteur de la construction des ponts et pas des murs. L’attention aux personnes priment sur les « détails » économiques, politiques, idéologiques, c’est une inversion des valeurs qui y est en jeu. Cela se voit déjà dans une critique exprimée par le cardinal Provost naguère à l’égard de la nouvelle politique menée par les dirigeants des États Unis qui à cette occasion confisquent la religion chrétienne (catholique)  au profit de la préférence nationale en toute chose. 

L’attention à la personne sans acception qui est au centre du message chrétien, c’est en théorie et du point de vue de l’intérêt de ceux qui sont gouvernés. Mais ce n’est pas forcément compatible avec le point de vue de ceux qui gouvernent. C’est précisément en ceci que consiste la différence entre le pape et les autres gouvernants.

Tout le monde a besoin d’un chef, et parfois tout le monde voudrait être chef. Comment la foi en Dieu révélée dans la Bible apporte un éclairage nouveau, original? L’expérience du peuple hébreux est éclairante. 

Le peuple conduit par Moïse et ses successeurs pour habiter la terre promise,

en avait assez d’avoir pour chefs des prophètes qui n’étaient même pas de vrais rois, juste des porte-paroles d’un autre, de Dieu lui-même. 

Ils voulaient avoir un roi, comme tous les autres peuples. 

C’est alors que le prophète Yotam leur raconte une histoire imaginaire (livre des Juges 9,7-20, cf 1 Samuel 8.)

Les arbres s’étaient mis en route pour choisir un roi. L’olivier, le figuier, la vigne, chacun à son tour refuse.

Le buisson d’épines accepte. Humblement, si toutefois la demande est honnête. 

C’est d’un buisson d’épines qu’était sorti le feu lors de la manifestation de Dieu à Moïse. 

Un buisson ardent de feu qui ne consumait par les épines. Jésus va recevoir la couronne d’épines sur sa tête qui brûlera son corps, mais ne pourra pas consumer son amour qui restera toujours brûlant. La mort dans la tête, mais l’amour toujours dans le cœur. 

Dieu qui s’est manifesté à Moïse est un Dieu de compassion, celui qui entend les cris des malheureux. Et qui cherche à conduire le peuple composé de ceux qui entendent ce cri et qui agissent en conséquence.

Le roi qui conduira ce peuple de promesse et d’espérance dont nous chrétiens nous faisons partie, est un Agneau. Il est l’Agneau pascal, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, celui qui donne sa vie pour ses brebis. Tout en étant  pasteur,  il est en même temps l’agneau pascal qui offre sa vie.

Étant à Rome dimanche dernier, j’ai été logé dans la maison générale de la congrégation (pallottins).

Dans la salle à manger il y avait un gâteau sous forme d’un agneau pascal, une tradition bien catholique. Mais ce gâteau restait intact, il n’était pas entamé, mon envie d’y prendre part s’est arrêtée là. Dans ce gâteau resté intact, je voyais un symbole du gouvernement du pape en attente d’un nouveau. Le pape une fois élu, ce qui est arrivé quelques jours plus tard, va petit à petit s’identifier avec cet Agneau pascal. 

Le pape, (comme tout évêque, prêtre chacun pour sa part),  vient d’être appelé à gouverner, mais comment va-t-il le faire? Si on se méfie de Dieu, d’autant plus facilement, on se méfie des hommes. Et si sa voix n’était pas une bonne voix, si elle conduisait sur une mauvaise voie? Même si l’on croit à la puissance de l’Esprit saint, tout de même, à priori on a raison de se méfier. 

Vous avez raison de vous poser des questions parce que tous ces pasteurs qui agissent au nom de l’autre, de l’Agneau et pasteur, ne sont que des pauvres serviteurs. Mais, malgré leur imperfection, ils sont indispensables pour que la foi puisse s’épanouir dans la meilleure direction. Celle de l’amour de Dieu qui accueillie et qui pardonne, et qui offre la paix intérieure pour aimer en vérité. C’est ce que nous cherchons tous. 

Une fois élu, très ému, les larmes aux yeux, le nouveau pape a exprimé le désir de voir 

« Église missionnaire, une Église qui construit des ponts, qui dialogue, toujours ouverte à l’accueil (…). Nous voulons être une Église synodale, une Église qui marche, une Église qui cherche toujours la paix, qui cherche toujours la charité, qui cherche toujours à être proche, surtout de ceux qui souffrent. (…) ».

Les prières des fidèles pour le nouveau pape expriment le désir que Dieu le garde dans son amour et le rende capable de gouverner en Agneau qui donne sa vie pour ses brebis. Pour pouvoir le faire, il doit se dépouiller de lui-même pour être “à la merci” de la volonté de Dieu. 

Être croyant, c’est  prendre le chemin qui conduit à une telle liberté d’aimer.

Dans sa première conférence de presse devant six milles journalistes, le pape Léon à déclaré : 

« Nous devons dire non à la guerre des mots, à la guerre des images, et repousser le paradigme de la guerre » 

Le mot paix résonne!