Aujourd’hui je voudrais m’entretenir avec vous d’un phénomène sociétal,  déjà présent dans pratiquement toutes les sociétés et cultures, mais qui prend  une ampleur particulière avec de la pandémie en cours. 

Ce phénomène se caractérise par  un isolement volontaire, qui dépasse le réflexe d’un enfant qui boude. Il se rapproche un peu de la situation d’un adolescent qui s’enferme dans sa chambre pour y couver son passage de l’enfance à la vie d’adulte.  

Il s’agit d’un état permanent  d’isolement dans lequel un adulte s’y met volontairement pour une longue durée de sa vie, sinon à vie. 

Mais, même le rapprochement avec la situation de certains adolescents n’est pas satisfaisante, pour ce phénomène. 

Cela n’a rien ou presque rien à voir non plus avec un choix que certains font pour des raisons spirituelles et religieuses en devenant moines pour poursuivre un idéal de vie. Ils restent dans le monde, normalement  ils continuent à habiter le même lieu, mais y restent dedans sans sortir ou presque.

Ce phénomène est particulièrement répandu au Japon et il est décrit sous le nom de Hikikomori. Il toucherait environ un million de personnes qui  vivent dans  un tel isolement. Qu’est-ce qui les poussent à le faire ? 

Avant d’essayer de trouver la où les réponses relativement convaincantes comme explication, force est de reconnaître que pour le faire il faut pouvoir le faire. Il faut en effet disposer de moyens matériels, car s’enfermer dans sa maison, son appartement ou sa chambre est en principe synonyme de ne pas aller au travail. Donc cela suppose avoir les moyens financiers, même si l’on peut se contenter de peu ce qui est le cas de personnes qui choisissent ce mode de vie.

Ils se coupent donc volontairement de toute vie sociale, pour rester dans un petit réduit, des prisonniers volontaires sans être sous le coup d’une quelconque sanction judiciaire. Pour vivre heureux, ils décident d’eux mêmes de se mettre à l’écart.

L’analogie avec la pandémie en cours semble devoir s’arrêter là, car si nous vivons dans un confinement et pour certains sous forme  d’une quarantaine, c’est pour nous protéger du danger que l’épidémie peut représenter pour notre vie.  Ce qui veut dire en quelque sorte sauver notre peau et celle des autres. Tout cela afin de vivre heureux, mais un peu plus tard. 

C’est alors que se croise l’analogie avec les moines et les Hikikomori, car les uns et les autres justement choisissent ce mode de vie en pensant y trouver le bonheur. Alors que cet isolement, souvent limité à quelques contraintes qui ne remettent pas en cause notre existence, nous le subissons plus ou moins facilement, mais tout de même. 

Qui d’entre nous n’a pas ressenti un brin d’inquiétude lorsque les frontières se sont de plus en plus fermées et les possibilités de se déplacer de plus en plus réduites pour être suspendues sine die, à plus tard, sans date précise, hasta manana,  donc à plus tard. Cette inquiétude  de ne pas pouvoir prochainement voir ceux que l’on aime, et surtout lorsqu’un pépin de santé intervient, voir pire. 

Comment alors être présent là où on devrait être? Notre place n’est pas ici, dans ce confinement. Mais il n’y a pas  que cela pour dire que le confinement imposé est difficile. Dans un tel contexte comment envisager un rapport au bonheur, qui est lié au libre choix, car désiré, ce qui en toute évidence n’est pas le cas ici. A moins que…?

 Pour être pleinement vécue pour ce qu’elle engendre dans notre vie, cette situation qui n’était pas choisie, demande à être acceptée. Accepter librement et sans contrainte semble réservé uniquement pour l’engagement de mariage, lorsqu’on s’aime, mais pas ici . 

Et justement, si nous considérons la vie de tout le monde comme un bien commun, voire un bien dont il faut prendre soin, alors nous acceptons d’en prendre soin, comme les parents prennent soin de leur enfant et inversement. Car en fait nous sommes une même famille, la pandémie nous rappelle cette vérité, alors que d’autres désastres similaires ne parviennent pas à nous en faire prendre connaissance, tout au moins de façon aussi globale. Par exemple si le paludisme provoque la mort de 400 milles personnes chaque année, il est localisé, il est lié au climat tropical. Il ne provoque pas une mobilisation planétaire, la différence entre une épidémie et une pandémie explique beaucoup mais pas tout, mais c’est un autre sujet.

Les Hikikomori sont toujours présents dans toutes les sociétés et peu importe les raisons qui les poussent à cela. Ils sont pour nous un signe d’une vocation bien particulière au bonheur.  Mais le bonheur ne vient pas du fait d’être volontairement ou pas coupé du monde. Il vient du fait d’être relié aux monde par le lien d’amour au sens de participer à la vie de toute la famille, chacun à sa façon, mais pour le bien de tous quelque  part.

Dans la rue où j’habite, il a un monsieur qui passe toutes les nuits dehors à l’entrée d’un immeuble. Il est toujours souriant à la  façon asiatiquement légendaire, toujours propre, nous nous saluons en échangeant le sourire. Un jour j’ai appris qu’il avait choisi ce mode de vie pour des raisons spirituelles liées à sa religion. Il est un Hikikomori du dehors, de la rue, mais du dedans pas seulement de la ville, mais de nos sociétés. A sa façon nos vies communient à la sienne et s’en nourrissent.

Aujourd’hui dans l’Eglise catholique nous méditons sur l’Évangile du bon pasteur et prions pour les vocations spécifiques sacerdotales et religieuses. Tous ces hommes et ces femmes qui acceptent d’être mis à part et ce qui suppose d’être un peu à l’écart, dans un isolement spécifique, les uns au dedans des clôtures d’autres ayant le vaste monde pour maison. 

Bon dimanche, bonne semaine et à dimanche prochain.