Avec “La Bibliothèque”, l’écrivain et dessinateur hongkongais Chihoi nous emmène dans un univers parsemé de pièges, où le lecteur peut disparaître à jamais, victime de petits fonctionnaires imbus de leurs pouvoirs.

A la recherche d’un ouvrage rare recommandé par sa grand-mère, le lecteur mis en scène par Chihoi affronte un bibliothécaire suspicieux sur l’origine du livre et la profession de ses grands-parents avant d’aller à la recherche d’une petite clé qui ouvre les portes d’une “collection spéciale”, fermée depuis des années, où il est interdit d’emprunter des livres.

Il s’engage alors dans une sorte de labyrinthe tapissé de livres dont des lecteurs, dans un grand silence, arrachent et déchirent des pages, qui jonchent le sol dans un grand désordre, tout refusant de répondre à ses questions.

Les profondeurs de la bibliothèque ressemblent à un monde kafkaïen. Au bout d’un tunnel, une oubliette : une salle jonchée de squelettes, où le lecteur découvre, entre deux squelettes assis sur un canapé, le livre qu’il recherchait, intitulé Tales of the Lost City. Il ouvre alors le livre et s’assoit entre les squelettes. Les mains sur les yeux, il se met à pleurer…

Fin connaisseur de la culture hongkongaise, Chihoi a écrit ces pages au long des années 2000. Il semble qu’il ait eu quelques prémonitions de ce qui allait se passer à Hong Kong : les trois libraires et éditeurs kidnappés par des agents chinois pour avoir publié et vendu des ouvrages qui déplaisaient aux leaders communistes ; puis, très récemment, les auteurs de livres d’enfants arrêtés par la police pour publication d’ouvrages séditieux.

“Chihoi, nous dit son éditeur, Christian Gasser, est le poète du quotidien, des petites choses, des petits gestes, des silences. Il est aussi le poète de l’invisible, qui évoque l’esprit d’un être mort ou d’un amour disparu sans que cela nous surprenne. Chihoi raconte des histoires sur l’amour de la vie, sur la mort et les cœurs brisés avec une finesse qui rend réels fantômes et esprits. Elles sont tristes certes, mais Chihoi est un poète, il ne cherche pas à nous déprimer et jamais il ne sombre dans la mélancolie facile.”

C’est un beau portrait du bédéiste, dont les mots sont rares mais le dessin en noir et blanc d’une grande finesse et précision. Grand amateur de littérature et aussi promoteur pour un large public de la culture hongkongaise, il a avec un autre bédéiste, Hongkee, dans une œuvre intitulée en français Détournements (chez Atrabile), créé une étonnante adaptation d’une quinzaine d’auteurs contemporains de la littérature hongkongaise en bande dessinée, agrémentée d’essais sur l’histoire de la BD dans la tradition chinoise.

L’ouvrage comporte cinq autres histoires portant pour trois d’entre elles sur le sujet du livre, accompagnées d’une préface du traducteur du chinois en français, Voitachewski, et d’une postface de Chihoi intitulée “Une bibliothèque chez soi”. Il y évoque ses recherches, dans toutes les vieilles librairies chinoises des capitales internationales, de vieux ouvrages chinois sur Hong Kong désormais introuvables dans la cité elle-même car elle n’a pas su conserver les archives de sa propre culture.

 

La Bibliothèque, de Chihoi, 116 pages, éditions Atrabile. Disponible, notamment, à la Librairie Parenthèses de Hong Kong.

  

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  • Gérard Henry parcoure Hong Kong en tous sens depuis plus de 30 ans et en connaît l’histoire et les recoins cachés. Entre montagnes et mer un blog illustré de dessins où le paysage, l’humain, le végétal, l’anecdotique, le politique et le social se côtoient sans hiérarchie pour dessiner le portrait de Hong Kong, cité très vivante adossée à de petites montagnes sur le rivage de la Mer de Chine de Sud.

 

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