“La véritable histoire de l’attaque terroriste la plus meurtrière jamais perpétrée en Norvège. Le 22 juillet 2011, 77 personnes sont tuées lorsqu’un ultranationaliste d’extrême droite fait exploser une bombe artisanale placée dans une voiture à Oslo avant de commettre une fusillade dans un camp d’été de jeunes.”

 

C’est une présentation cinématographique aux frontières du réel. Là où la fiction est presque introuvable, tellement celle-ci est nourrie des faits qui se sont produits un jour, dans un endroit précis, avec des personnes concrètes et des circonstances bien détaillées. C’est comme du cinéma, sauf que c’est la vie réelle.

 

Souvent on fait du cinéma pour permettre aux cinéphiles professionnels ou occasionnels de goûter aux charmes de la Muse qui enchante avec ses stratagèmes d’intrigues multiples, d’actions à rebondissements, procurant un cocktail d’émotions fortes garanties.

 

Faire des films à partir de faits réels, c’est bien connu, comme écrire des romans historiques, s’appuyer sur les guerres et d’autres épisodes de vie de l’humanité dans un endroit très précis où large, on sait faire.

 

Le cinéma permet une meilleure prise de conscience des enjeux de société, ceux que la société définit comme importants. Ce qui n’était perçu ni comme existant, ni important, à la faveur des certains mouvements sociaux, grâce au cinéma cela devient central. 

 

Le mode de vie relationnelle et les attitudes environnementales, sont les deux domaines particulièrement visés par l’attention du monde actuel. Quand l’air manque, c’est alors seulement que l’on se préoccupe de la respiration. C’est quand la tranquillité n’est pas assurée aux frontières, pas plus qu’à l’intérieur, que personne n’est vraiment tranquille, que l’on met tous les sens en éveil.

 

Dans les deux cas, il s’agit d’une approche écologique, la prise en compte des conditions de vie, dont deux ingrédients fondamentaux fournissent de la matière, bonne ou mauvaise, c’est à voir et à y veiller.

 

En contrepoint, la banalisation d’un mode de règlement de compte, qui est tout sauf à l’amiable, caractérise notre époque. La banalisation et non pas la présence, qui elle a toujours existée et ce n’est pas près de changer, les chiens ne font pas les chats et les humains sont capables du meilleur comme du pire. Au risque de défoncer des portes ouvertes et de se contenter des vérités de Lapalisse, je vous propose de regarder le message du film sur un angle bien particulier, celui de la responsabilité.

 

Commençons par le plus surprenant sans doute et le moins acceptable pour le réflexe humain. Avec un détour par les événements en lien avec les attentats de 2011 en Norvège. Si les attaques de Trade World Center, twin towers de New York étaient visées en 2001, c’était pour toucher un symbole, celui de la grande finance soupçonnée de gérer le monde, à sa guise. 

 

Et par conséquent de maintenir en état d’esclavage une partie de la population mondiale pour assurer à quelques-uns un avenir radieux. Et si Ben Laden a été tué 10 ans plus tard, c’est pour toucher un autre symbole. Chaque fois tout se passe selon le même mode opératoire : action, réaction, et on regarde les résultats. A ce petit jeu on n’ira pas loin, disent les uns, et, on n’a pas le choix, rétorquent sèchement les autres. L’Irak et la Syrie hier, l’Afghanistan aujourd’hui…

 

L’auteur de la tuerie d’Oslo n’avait pas d’autres choix, lui non plus. C’était presque prouvé, il n’était pas en possession de ses moyens mentaux pour agir librement, il l’avait fait sous contrainte. A l’issue de l’expertise médicale, il fut déclaré “mentalement limité”, pour employer un euphémisme qui frôle une absolution générale, faite à la hâte pour ne pas entrer dans les détails.

 

Mais c’est l’intéressé lui-même qui réclame la requalification de l’expertise. Lui ne veut pas être considéré comme un fou, lui se voir déclaré fou, c’est impossible. Il sait ce qu’il fait, il agit de façon préméditée, il prépare un attentat d’ampleur inédite, avec une efficacité époustouflante. Tout comme il se rend en toute simplicité aux forces de l’ordre dépêchées sur l’île, où gisent déjà des dizaines de corps d’adolescents.

 

Il n’est pas fou, il veut le prouver, il veut plaider coupable. La guerre mondiale et la révolution qui la soutient sont déjà en marche. L’expertise psychiatrique n’est plus là référence habituelle pour parler de la responsabilité. L’intéressé lui-même en fournit des preuves. 

 

Il est à la tête d’une organisation mondiale, d’un vaste réseau qui, tel un rouleau compresseur, avance pour étouffer, écraser, faire disparaître de la surface de la terre toute la vermine qui infecte notre vie. Un nettoyage à coup de détergents les plus puissants qu’ils soient pour parvenir au but. Celui d’un monde où tout est enfin à sa place, normal, comme il faudrait.

 

Il agit au nom de l’Ordre du Temple, c’est une organisation dont on ne trouve nulle part de traces, lors du procès juste une éventuelle connexion possible (tout aussi imaginaire) avec quelqu’un qui se reconnaît dans le même combat.

 

L’accusé obtient gain de cause, il est jugé coupable et mis en prison aussi longtemps qu’il sera jugé dangereux pour la société. 

 

Combien d’autres continuent à être dangereux pour la société sans être inquiétés, car souvent même pas identifiés. Si l’on voulait y remédier jusqu’au bout, un vaste champ des possibles s’ouvre alors devant les décideurs de telles actions, selon le principe, prendre pour ne pas être pris. Et ce serait procéder finalement seulement avec les mêmes règles que celles qui animent tous les tueurs d’Oslo.

 

Entre la traque impitoyable, tout compte fait illusoire dans son but ultime, et le laxisme coupable, la responsabilité est convoquée à la barre de témoins timides, fuyards, se défaussant. Et lorsque la pathologie bien identifiée sur le plan psychiatrique s’empare du pouvoir suprême à l’échelle d’un pays, on voit bien la suite. 

 

Aux problèmes complexes solutions simples, le messie, tant attendu pour résoudre nos problèmes, doit être abordable intellectuellement et efficace sur le champ. Dissimuler les exactions quand il le faut, les montrer pour exemple à d’autres moments. Le messie est tout en action. La technique d’allusions et de dissimulations devient l’alliée efficace d’une révolution en marche.

 

Des utopies se succèdent, mais ne changent pas de nature, celle d’un monde meilleur auquel on accède en mettant sur la touche bien d’autres. Et les trois balles envoyées ce dernier temps par courrier au pape François donnent l’ampleur de dérèglement.

 

Le dernier meurtre d’un prêtre en France à Saint-Laurent-sur-Sèvre est à sa façon un autre exemple d’une complexité du dossier ainsi que de la vie d’une société qui le gère. Laisser sous contrôle judiciaire, est-ce mettre hors de l’état de nuire ? A-t-on les moyens de faire mieux, se les donne-t-on ? 

 

Lors du procès, le meurtrier d’Oslo demande l’intervention d’un médecin, car il a mal à la main à cause d’un morceau d’os de la boîte crânienne (c’est lui qui précise) qui s’est fichue dans sa chair lors de l’opération de nettoyage qui consistait à défoncer le crâne d’une de ses victimes.

 

À part cela il va bien, il va même très bien, il sait qu’il est en train de purger sa peine pour une cause juste, qui demande des sacrifices.

 

Là aussi, on sait tout ou à peu près tout sur le processus psychologique qui conduit à un tel endurcissement émotionnel et donc mental. Dans son cas unique, c’est le degré de sophistication qui ajoute au trouble provoqué par la perplexité devant son comportement et ses décisions. C’est que finalement il fait tout pour brouiller les cartes pour savoir s’il est réellement fou et si au contraire, la géniale dissimulation de sa folie consiste à dire qu’il ne l’est pas. 

 

N’est pas fou qui voudrait l’être, la folie étant identifiée comme l’impossibilité d’user du libre arbitre, les racines de la liberté peuvent en être infectées, mais au point d’en dédouaner de toute responsabilité, car responsable coupable, ou responsable mais non coupable, avec cela on s’arrange aussi comme l’on peut.

 

Car, in fine ce qui compte, même sous les allures d’un procès le plus équitable, et la Norvège en fournit un exemple d’une rare pureté dans la recherche de la vérité tout en respectant le prévenu dans sa démarche de défense, ce qui compte c’est l’équilibre social.

 

Là encore, au risque de frôler la lapalissade, seul Dieu voit juste et rend ses jugements justes. Nous pouvons seulement nous en approcher tant soit peu, toujours le plus possible. Mais cela passe par la prière pour être connecté avec, et ceci au moyen d’un abandon de sa liberté. 

 

Un étrange rapprochement pourrait être établi avec les situations pathologiques en question. Sauf que si Dieu il y a, il ne peut qu’être bon pour tous. Et l’os à ronger est là.

 

Le meurtrier d’Oslo soutenait être connecté à un vaste réseau. L’imaginaire d’un solitaire peut suffire pour bloquer la connexion réelle avec l’extérieur. Le croyant, s’il ne vérifie pas dans la Parole de Dieu partagée en communauté d’Église les présupposés de ses sentiments qui le poussent à des conclusions radicales, lui aussi risque de se couper de la réalité.

 

La mythologie politique a toujours besoin d’un messie, le mystère, l’occultisme, les légendes, le sang et la terre, le troisième Reich s’est construit sur de telles bases. Une race supérieure aux autres, une racine retrouvée, et avec la complémentarité entre les idées et la manière de les communiquer. 

 

Comme autrefois, “Allemagne, réveille-toi !”, des voix s’élèvent pour un tel sursaut, pour une prise de conscience et la découverte de la responsabilité partagée. Là où l’on ne pourra plus se défausser sur un voisin jugé mieux loti d’un tel attribut de liberté que l’on a du mal à s’attribuer à soi-même. 

 

Or la liberté, et donc la responsabilité, n’est pas une question d’ajouts circonstanciels pour embellir notre demeure. C’est constitutif de notre nature, ou alors nous ne sommes pas des humains. Car si profondément dénaturés, jusqu’à en perdre la moindre trace, difficile à croire et les sciences peinent à statuer en toute sérénité.

 

La violence semble le seul moyen pour parvenir au réveil, un peu, et surtout à la révolution. Le pouvoir quasi divin, c’est ce que les autres vous collent à la peau et surtout à votre cœur, et vous voilà ainsi investi d’un plein pouvoir. Dont personne ne pourra vous délier, sauf la mort, mais la mort est une fatalité que l’on souhaite d’abord à d’autres…

 

Le 11 septembre 2001, j’étais en train de préparer le cours en ecclésiologie, théologie de l’Église. Cours qui traitait entre autres de la place du messie juif qui était venu de son ciel pour améliorer de façon décisive la vie sur terre. Le rapport à la mort et à la vie via le sacrifice est la base de tout messianisme. 

 

La révolution par un cœur qui est converti à l’amour universel, ou la révolution par la force physique pour la fierté de quelques-uns, habillé d’un manteau de bienfaisance à l’humanité tout entière, l’alternative n’est pas compatible.  

 

La théorie de liebens raum, d’espace vital, à l’extérieur des frontières d’un humain, d’un pays, parce qu’un tel espace déjà conçu dans le cœur. Comme carburant la haine d’un côté, l’amour de l’autre, une force de frappe contre une frappante faiblesse.

 

Le tueur d’Oslo a signé dans le sang le début d’un acte funeste, acté planté dans de telles légendes et leur corollaires. Le sang du Christ dans lequel on trempe à chaque messe est un médicament pour tuer tout germe de haine et de douçâtre naïveté aussi. Pour savoir comment d’un échec tirer de la force.

 

Le 22 juillet résonne en moi de façon forte, d’abord parce que c’est la fête de Marie Madeleine, l’emblème d’une conversion par amour. Et c’est la fête patronale de l’église paroissiale de mon enfance. C’est aussi la fête nationale de la Pologne, en souvenir du placardage du manifeste d’un futur gouvernement porté sur la vague de l’armée rouge.

 

Le jour férié en plein milieu des vacances ne dit rien à un enfant. La fête à l’église faisait atténuer fortement le vacarme médiatique autour de la fête nationale, peu audible aussi du fait qu’il n’y avait pas de télé à la maison, la radio n’attire plus comme avant et la presse locale n’agit pas en direct, une mise à distance critique s’établit naturellement.

 

La fête patronale de ma paroisse natale est désormais fixée au 22 août, alors que la fête nationale l’est au 3 mai, anniversaire de la proclamation fin XVIII siècle de la première constitution de la Pologne moderne, d’inspiration bien française. Tout ceci me semble déjà bien loin de l’époque actuelle où l’excès d’information avec des sources multiples et au contenu souvent contradictoire, interroge la liberté du lecteur.

 

La responsabilité vient avec l’accès à l’information, faut-il encore savoir distinguer entre le vrai et le faux. Et en faire un bon usage, en homme, en femme responsable, en enfant de Dieu qui grandit à la stature du Christ, germes du royaume de Dieu sont là. Et cela vaut la folie de la croix.

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Photo d’illustration : David triomphant, d’après Jules-Elie Delaunay, 1874, Musée des Beaux-Arts, Nantes/Wikipedia