Nous connaissons sans doute ce nom de localité pas loin de Jérusalem, d’ailleurs il en y a plusieurs du même nom dans la région. Ce flou historique nous permet de suivre la route symbolique des disciples dits d’Emmaüs, qui est aussi éventuellement la nôtre.

Le chemin à faire à pieds conduit par des pâturages et terrains arides, la voie est parfois accidentée, parfois relativement facile. C’est comme dans la vie de tout le monde, les Deux qui marchent avant d’être rejoints par Jésus essaient d’oublier une très profonde déception. Mais surtout ils couvent de l’amertume dans leur cœurs qui étaient remplis naguère de vin de fête qui s’est très vite transformé en poison: le vin a tourné en vinaigre. 

Dans la vie les joies et les peines se succèdent et parfois se superposent en faisant que l’une chasse plus ou moins efficacement l’autre. Sans pour autant faire oublier l’autre, surtout quand c’est la joie qui est chassée, c’est la tristesse, douleur et peine qui semblent régner en maître. Mais nous sommes appelés au bonheur et l’instinct de survie nous le rappelle à souhait. Un fait personnel, comme exemple parmi tant d’autres que chacun aurait pu fournir.

Durant la semaine passée je me suis remémoré deux dates importantes dans ma vie. La première c’est l’anniversaire de ma mère et deux jours plus tard c’est l’anniversaire de sa mort, il y a 20 ans, un soir de Pâques de l’an 2000. Mais l’anniversaire de sa naissance vient de s’enrichir d’un nouveau fait marquant qu’est la naissance il y a donc quelques jours d’un petit neveu. 

Méditer avec les disciples d’Emmaüs m’est familier et je fais l’expérience de savoir que d’ouvrir les yeux sur la puissance de la vie s’accompagne d’un effort supplémentaire chaque fois que nécessaire.  

Dans cette période de confinement un peu partout dans le monde, je pense plus particulièrement à toutes ces situations difficiles, éprouvantes même. Ces situations où la mort frappe parfois, même plus que d’ordinaire. Dans ce contexte les deuils sont difficiles à faire, car souvent les proches partent sans la possibilité de les voir pour leur dire un adieu, souvent aussi sans la possibilité de dire un dernier adieu lors des funérailles. Tous ces deuils attendront plus longtemps que d’ordinaire avant de se résorber tant soit peu et auront particulièrement besoin de quelqu’un pour les rejoindre sur la route douloureuse où les souvenirs de proches sont particulièrement difficiles à porter.

Porter le flambeau d’espérance pour les autres suppose d’abord l’avoir accueillie au plus profond de la blessure. Les Deux d’Emmaüs c’est chacun de nous, marchant sur le chemin de notre vie, souvent sans voir même le paysage. Nous sommes tellement absorbés par nos peines et parfois par nos petites joies aussi, que ce qu’il y a autour de nous, nous n’avons pas la force de pouvoir le voir. Nous le savons : si toute souffrance isole, hélas certaines joies mal placées peuvent aussi produire un effet similaire. 

Les Deux d’Emmaüs étaient profondément persuadés d’être dans la vérité, selon le principe bien connu que l’on peut paraphraser de façon suivante : ce que je ressens cela prouve que je suis dans la vérité, je ressens donc j’existe. Or, nous nous rendons compte que si écouter ses émotions c’est bien, les comprendre et accompagner c’est mieux. 

Car la question de fond est celle de savoir qui nous gouverne, nos sentiments ou notre volonté de vivre une vie bonne? Nos sentiments peuvent être agréables avec l’envie de les prolonger, désagréables avec celle de les chasser, mais justement pas toujours. Les Deux d’Emmaüs quittant la ville tête en bas n’étaient pas prêts à la relever d’aussi tôt.

Dans les deux cas l’intervention d’un tiers semble nécessaire pour y voir plus clair. Car si nous avons des solutions en nous c’est le rôle des autres de nous indiquer comment y accéder. Les Deux d’Emmaüs ont trouvé le chemin de leurs vraies vies, jusqu’à présent suspendues au porte-manteau de leur déception survenue lors du constat de la mort de leur maître. 

Désormais, ils peuvent le reconnaître aussi comme un Seigneur de vie.

Bon dimanche, bonne semaine et à la semaine prochaine.