Chaque religion, chaque régime politique, chaque pays a ses martyrs, ces témoins de l’engagement jusqu’au don de leur vie. On est admiratif devant leur courage. Mais on ne se voit pas à leur place, pas vraiment. Ils sont très bien où ils sont.

Dans les limbes entre l’histoire qui leur appartient en propre et la mémoire qui en porte des traces. Ils sont les mêmes et bien différents, car nous n’avons jamais accès à la plénitude de leur hagiographie, celle écrite par leur propre vie, a l’encre bleu d’abord et finalement à l’encre rouge. Nous nous approprions leur histoire, celle que nous racontons.

 

Se laisser irradier par leur présence, réelle ou présumée, est bon pour notre moral. C’est bon pour notre bien-être. C’est bon pour notre mission, que nous nous adjugeons par nous-mêmes, ou que nous accueillions de l’extérieur pour vivre dans ce monde. Être en contact avec eux, c’est comme désirer se régénérer en présence de quelqu’un d’important.

Qui d’entre nous n’a pas fait l’expérience d’un tel désir. Se mettre tout près d’un invité d’honneur, d’une vedette, d’un personnage hors du commun, n’a rien de déshonorant. Mes parents gardaient presque ostensiblement leur photo avec le pape Jean-Paul II. On y voyait les mains tendues vers lui, et même celle de mon père je crois, a touché celle du pape. Dans un bain de foule, un événement qui marque à vie. 

Parfois nous envions leur célébrité. Mais la plupart du temps, nous voulons juste nous faire irradier par leur présence pour nous en nourrir. Une sorte d’accolade qui permet de renouveler les énergies positives. Tout en sachant bien distinguer entre notre vie et la leur. 

 

Cette distinction est d’autant plus nette, lorsqu’elle concerne des “véritables martyrs”.

A y réfléchir, leur itinéraire n’est pas très enviable. Au leur, nous préférons le nôtre. Et nous sommes bien là où nous sommes. Surtout si nous n’avons pas à craindre d’en faire autant un jour. Mais la vie se termine un jour et elle réclame son dû, la plupart du temps de façon naturelle. Tout comme elle réclame parfois son dû de façon accélérée par les circonstances extérieures et intérieures.

 

En attendant, les autres, soit on les admire, soit on s’en lamente. Pour les uns, ce sont des héros, pour d’autres des idiots. Le don de la vie force le respect et provoque l’admiration. L’obstination est l’expression d’un aveuglement. La générosité sous forme du don de la vie, identifiée du point de vue des uns, tranche alors avec l’intransigeance aveugle, jugée comme telle par d’autres.

Supposons qu’eux, les martyrs, témoins d’un passé – peut être pas révolu, mais dont nous ne nous sentons pas vraiment concernés- n’ont rien à faire de ce que l’on dira d’eux.

Supposons aussi que nous n’ayons rien à dire à leur sujet.

Supposons encore que leur martyr nous renseigne sur notre vie et la manière de la concevoir et la conduire. Toute cette réflexion, méditation, je la propose à l’occasion de la fête de la Résurrection, donc apparemment aussi la nôtre. Si quelque part, tel est votre cas aussi, ce podcast est pour vous.

 

La fête de la résurrection nous amène à nous poser de telles questions. Le Christ est ressuscité, notre résurrection nous est aussi promise. La plupart du temps, à la place de l’acquiescement à une telle profession de foi, nous préférons garder le silence. Qu’en sait-on? Ce n’est qu’une construction mentale, étayée par des informations puisées dans la Bible. Si malgré toutes ces interrogations, la résurrection du Christ nous est un peu familière, la nôtre l’est moins. Nous connaissons les récits bibliques qui concernent le Christ. Nous ne savons pas comment cela se présentera pour nous. C’est aussi tout à fait normal. Nous n’allons tout de même pas accélérer le cours de choses. Malgré ces murmures pour ou contre, le silence prédomine.

 

Ce silence en dit long sur notre attachement aux choses de la terre.

Être attaché à notre terre, personne, même le pape, n’a le droit de nous en faire des reproches. C’est notre droit. Et c’est tout à fait légitime. C’est aussi notre horizon que nous envisageons plus ou moins sereinement, quand le temps viendra. En attendant, nous nous préoccupons de ce qui nous est le plus proche. Nous avons une mission sur terre, celle d’être vivant au côté des autres vivants. Jusqu’à la mort. Faire autrement, en s’en séparant volontairement, en les supprimant ou en nous supprimant, faisant disparaître ce qui nous gêne, cela n’est pas chretien.

 

Le temps viendra où, d’une manière ou d’une autre, nous serons appelés à être des témoins de la foi en la résurrection. Martyrium, en grec veut dire témoignage. Et il y a mille façons de témoigner. Tous les mausolées en sont pleins, mais tous les locateurs n’y sont pas au titre du don de leur vie par le martyre signé en rouge.

 

Je suis en train d’écrire ce texte tout en écoutant la musique du film Les Choristes. Si vous avez l’occasion, regardez avec vos enfants ou seul ce film très touchant. C’est un plaidoyer en faveur d’une résurrection, celle des enfants en échec scolaire et abandonnés, dont enfin quelqu’un s’occupe comme ils attendent, comme ils le méritent. Et si j’écoute Les Choristes, c’est parce qu’il y a quelques semaines, j’ai participé à une soirée très artistique. Les amateurs et les professionnels se sont succédés, avec le même succès: tonnerre d’applaudissements. 

Et la vedette de la soirée était la fondatrice de l’association Maya Népal, notre doyenne Nicole.

L’association s’occupe des enfants “défavorisés”. C’est un euphémisme, des enfants pauvres, très pauvres. Des enfants qui n’ont rien pour rêver afin de faire ressusciter leur vie. Vie vers laquelle ils se sentent appelés. Et là, ça devient possible. Evidemment, ils travaillent dur pour réussir à l’école, et pour certains jusqu’à l’université. Le jeu vaut la chandelle. Ils connaissent le prix de leurs efforts, car ils savent à quoi ils veulent échapper, ils connaissent déjà le monde dont ils rêvent. Le monde qu’ils rêvent est tellement différent de celui qu’ils connaissaient dans leur enfance.

 

Le concert était marqué par des reprises des grands classiques de chansons et de mélodies des films. Dont les choristes. Choristes qui ont fait du chemin: Trois kilomètres à pied, ça use les souliers. Mais aussi Il est né le divine Enfant, sans oublier le Kyrie. Et lorsque Maréchal, nous voilà, s’invite aussi, l’instituteur commente : c’est un peu démodé! Je ne sais pas si en écoutant ces chants religieux, certains ne se disent que c’est aussi tout au moins un peu démodé! Pourquoi?

Parce que depuis que je repère, scrute et analyse les évocations de l’Eglise et de tout ce qui a attrait à la foi chrétienne (en la résurrection in fine) dans les médias dits neutres, il y a toujours une pointe négative (un sujet d’un podcast sans doute). Alors que dans ce film, pas de commentaire. C’est passé tel quel. Est-ce acceptable? Apparemment oui, tout autant que l’intégration de l’élève qui ne savait pas chanter: Pépito, tu es assistant du chef de chœur. Chacun a sa place, mais place.

 

Avant sa touche finale, la résurrection peut revêtir des formes bien diverses. Formes qui accompagnent le développement humain dans toutes ses dimensions, jusqu’au ciel. Choristes, Maya Népal, Home of Love, PSE (Pour le Sourire d’un Enfant) ou tant d’autres sont de ces ateliers, où on apprend à susciter une étincelle qui embrasera le cœur et le corps. S’émouvoir c’est bien, agir c’est mieux. Croire en la résurrection c’est bien, mais agir en faveur de son apparition dans notre vie et autour de nous, c’est mieux. Ressusciter et faire ressusciter dans la vraie vie.

 

Il y en a qui agissent de leur plein gré, mus par une étincelle de compassion qui habite leur cœur et qui éclaire leur intérieur, et cela se voit de l’extérieur. Alors que d’autres sont forcés par les circonstances, d’abord en traînant les pieds, puis finalement s’y mettant. Et certains ne s’arrêtent pas tant qu’ils n’ont vraiment pas trouvé ce qu’ils cherchent. Chacun a son rythme, chacun dans son domaine propre. Tous poussés par l’expérience de la mort pour chercher des signes de la vie. Dès maintenant, et pour certains, pour toujours.

 

Accueillir la résurrection c’est un chemin, c’est un pèlerinage qui se déroule au long de la vie.

C’est une Odyssée qui part d’un point et revient au même point. Mais différemment, sinon le voyage ne s’appellera pas une Odyssée, mais on parlera de piétinement sur place, de tourner en rond. On vient de Dieu et on retourne à Dieu, la résurrection aidant. Mais en attendant, on est dans un exil de nous-mêmes. On nous a appris que la meilleure façon de se retrouver, c’est d’aller dans les profondeurs de soi-même. A cette occasion, on nous a aussi appris que cela suffit, car tout y est, la communion avec les autres et même avec Dieu. 

 

Certes, même si cela s’accompagne d’un chemin intérieur et aussi extérieur comme le djihad intérieur et extérieur. Le djihad extérieur peut être empreint d’actions violentes à l’égard des autres, la formation de l’Europe chrétienne dans certaines phases s’est faite au gré de telles violences. En général, en politique tout comme dans la religion, nous avons plutôt peur du vide. Il faut occuper les no man’s land de nos espaces extérieurs et intérieurs. Parfois les remplir jusqu’à rembourrer des faucons et d’autres rapaces pour les occuper et ainsi nous sentir protégés.

 

Le tombeau du Ressuscité est vide. Ce vide nous incommode, nous dérange, contrarie. Pour ceux qui y ont mis le nez, ce vide est plein de sens. Ils l’ont trouvé en relisant leur passé et en reliant des éléments les uns avec les autres. Un passé ainsi relié est rempli, pour constater à son sujet : Ça prend sens. La vie prend sens. Soudainement pour les uns, lentement pour les autres (Thomas qui ne voulait pas croire avant de vérifier par lui-même). Tout le monde prend part au positionnement à l’égard de cette question lancinante: est-il vraiment ressuscité?

A chacun sa réponse, plus ou moins provisoire.

En attendant, cherchons ensemble avec les enfants ou tout seul les œufs de pâques. Les œufs en chocolat, les œufs peints selon la tradition orthodoxe, et aussi catholique. Les œufs contiennent des poussins cherchant à éclore en brisant la coquille. Coquille qui leur était utile, tant qu’ils n’avaient pas encore atteint le premier degré de maturité. Celle qui consiste à apprendre à voler de leurs propres ailes. Symbole de la renaissance cyclique, de saison en saison, de génération en génération, d’espoir en espérance et d’espérance pour la VIE.

 

Cette nouvelle vie, inlassablement, revient avec chaque printemps. Même pour ceux de l’autre hémisphère qui, comme je m’imaginais enfant, marchent à l’envers, et pour qui la pâque chrétienne se situe dans un décor automnal. Pour eux, c’est un peu plus long pour accéder à la profondeur de la foi en la résurrection. Chez nous la résurrection est assimilée à une régénérescence cyclique de la nature. A moins que, à cause du rapprochement entre l’automne et la maturité, leur chemin ne soit, au contraire, finalement plus facile pour accéder à la résurrection.

 

Ceux de l’autre hémisphère représentent de façon métaphorique nous tous, souvent, parfois. Quand l’automne d’une vie arrive, la résurrection devient de plus en plus proche à célébrer dans son propre corps. Quand le deuil arrive dans cette période, la fête garde toujours une empreinte des stigmates, pas seulement ceux de Jésus ressuscité, mais aussi de ceux qui sont en deuil. Quand une quelconque blessure est associée à cet événement, rien a faire, c’est plus exigeant de faire fi de la résurrection de l’Autre et de la nôtre. Au lieu de se sentir accueilli, on se sent, sinon rejeté, tout au moins retenu par de tels stigmates qui empêchent l’accueil de l’idée et le moment venu, celui de la réalité de la résurrection.

 

La foi en la résurrection se révèle plus difficile pour certains, plus facile pour d’autres. Pour tous, elle se manifeste sous forme d’une vérification ultime, celle de la pâque personnelle. A laquelle personne n’échappe.

 

Pour terminer voici les équations qui résument ce podcast.

 

mort oui+la résurrection non= Néant (pour toujours)?

mort non+resurrection non=Mort (dès le vivant)

mort oui+la résurrection oui=VIE (dès le vivant).

 

Équations auxquelles personne n’échappe.