Aujourd’hui encore, je vous propose de méditer sur un thème qui est en lien direct avec la Covid-19.

Un thème à aborder cette fois-ci par le biais du langage. 

Le philosophe français Bernard-Henri Lévy fait une analyse intéressante du champ lexical nouveau qui apparaît avec la pandémie pour la décrire elle-même ainsi que ses effets d’une manière ou d’une autre. Précisément il s’interroge sur les mots qu’il qualifie d’ordre orwellien, que sont les oxymores impératifs. Il cite les exemples suivants:

Pour être solidaire, restez chez vous,

Pour aider votre prochain, évitez-le,

Pour être de bons citoyens, désertez la cité.

Et l’on pourrait ajouter dans le domaine religieux :

Pour être de bons chrétiens, abstenez vous de toute messe…

 

Et ceci pour le plus longtemps possible, car vous faites partie de la catégorie la moins productive de la société et plus encore, sans utilité sociale quelconque et par conséquent celle qu’il est le moins intéressant de prendre en compte dans ses besoins spécifiques. Mais ce sujet spécifique de la liberté de culte dans des circonstances de pandémie sera pour une autre fois.

La Boétie a écrit un livre de référence sur le Discours de la servitude volontaire. C’est le Bréviaire des dissidents de toutes les époques, il y explique les détails. Mais ce n’est pas mon propos non plus.

La question que je me pose est celle de ce que la pandémie révèle en direct par rapport à la liberté en générale et comment le chrétien se situe dans la vie quotidienne, sociale…. Comment la servitude volontaire est présente chez nous les chrétiens, catholiques français vivant quelque part sur cette planète terre ?

St Paul médite longuement sur la servitude au péché et sur la libération par la grâce.

C’est une sortie par le haut qui est proposée dans le christianisme, lequel se déclare farouchement solidaire de la vie de la société à la croissance de laquelle il participe par la justice dans l’amour. Le christianisme le fait de façon plus ou moins efficace et plus ou moins adroite, et, dans cet à peu près, il cherche à discerner son positionnement le plus juste possible. Comme il le croit.

Pour vivre sa foi le chrétien n’en est pas à un oxymore près, il connaît bien cette “ingénieuse alliance des mots contradictoires” comme le définit Bailly dans son dictionnaire traduisant du grec  ce terme de rhétorique. Mais pour le chrétien il n’y a rien de rhétorique là-dedans. 

Les oxymores, il les prend au pied de la lettre et il les avale tout crus, tels quels.

Mais évidemment certains oxymores lui semblent plus acceptables que d’autres. Et ceci pour des raisons purement théologiques. Ainsi se fera-t-il humble pour être reconnu grand, pauvre pour se trouver riche, il pleurera pour pouvoir rire, il se reconnaîtra faible pour constater une force agissante en lui et par lui. 

La liste de tels oxymores peut être bien longue. Et, chaque fois, le chrétien va se référer à quelqu’un de plus grand que lui qu’il considère comme bienveillant à son égard. Et cela lui suffira et peu importe la soumission à un certain nombre d’oxymores circonstanciels qu’il lui sera donné de goûter à son corps spirituel défendant, un peu, beaucoup, à la folie.

Mais il n’accepte pas cela pour s’attirer des faveurs en cherchant à faire s’éloigner de lui des foudres qu’il aurait pu, penseraient d’autres, fatalement attirer un jour, celui de mauvaise grâce. Il le fait dans l’esprit d’une force tranquille et paisible de son âme. Force qui lui est révélée pour constater que la faiblesse de l’amour est plus forte que toutes les puissances du mal.

La Covide-19 rend fou certains qui ainsi plongent dans une confusion de l’ordre des priorités à donner aux oxymores suivant leur nature qui accompagnent la pandémie. Fermer les églises, interdire le culte en rêvant de pouvoir l’obtenir ad vitam eternam sur terre.  

On n’a plus besoin d’aller en Inde pour se laisser désorienter dans le ciel confondu avec la mer de tous les possibles avant d’y être noyé pour de bon. Pour ne pas tomber de si haut, il faut avoir l’altimètre bien réglé et pour prendre de la hauteur, y compris sur des oxymores, il faut être doté d’un sens du réel bien chevillé au corps. 

Ni jouissif devant les oxymores qui peuplent son existence, ni condamné à leur dictat sisyphien, le chrétien y prend ce qui le fait grandir et laisse tomber ce qui déjà par son poids négatif  attire vers les tréfonds du très-bas, dans les bassesses des caniveaux de non-être. Cependant, il n’en est pas à une contradiction près, pétri des oxymores qui lui sont familiers à son propre sujet comme ce grand naïf ou ce petit con. Il se soigne, des dangers, il s’en éloigne, il peaufine tout cela dans une solitude qui n’est aucunement un bagne.

Objectivement, la pandémie fait parer le monde de demain d’un recul de liberté si chère non seulement aux affreux individualistes prêts à rejoindre tous les anarchistes du monde, avides de nouvelles conquêtes d’espace et de biens qui s’y lovent pour leur bonheur de consommateur libertin et finalement liberticide.

Le chrétien est interpellé au plus profond de lui-même par la capacité que la foi lui donne pour se sentir libre malgré tous les maux nécessaires. L’impératif d’existence ainsi circonstanciée se présente sous la forme d’un autre oxymore, celui de : aime et fais ce que tu veux. La loi cadre n’enferme pas la liberté, mais lui indique la direction comme l’eau qui coule du haut de la montagne et se fraie le chemin pour rejoindre la source de sa liberté que représente l’océan. 

Si la vérité est pleine de risque, combien plus l’est la liberté, liberté d’aimer comme Dieu seul sait le faire. La pandémie  reste une invitation à une telle liberté,  elle n’est aucunement un impératif oxymorphe de quelque nature que ce soit. Ni felix culpa, ni malheureuse jouissance,  c’est tout de même une sacrée circonstance qui nous réveillera nous-mêmes, ou peut être ne nous réveillera pas encore. Mais c’est comme toujours, et surtout lorsqu’il est parfois urgent de ne rien faire, festina lente pour bien faire s’invite comme l’attitude possible pour être le moins nuisible pour soi-même et pour les autres.  

Mais veiller bien tout en dormant est seulement donné à quelques guerriers bien aguerris, et pas pour bien longtemps. 

Je vous laisse avec cet oxymore quelque peu contrarié pour finir : désirer être un moribond en pleine santé, je me le souhaite et pourtant, bien que solidaire avec tant de victimes l’idée de la fin tout proche me répugne.  

Il ne me reste qu’à me confier à St Lazare et ses anges.

Et je vous laisse dans un tel clair-obscur comme moi enveloppé des langes de ma petite conscience qui me dit la grandeur de la science divine que parfois je devine. Après le temps des cerises, est venu le temps des oxymores, comme une cerise sur le gâteau de notre servitude qui aspire à la liberté soumise.

A qui et pourquoi, cela ne va pas tout de suite de soi. 

Bon dimanche!