“Ne donnez à personne sur terre le nom de père” Mt 23, 1-12.

 

Ni maître, ni autre Rabbi, nous voilà bien dans l’embarras, surtout maintenant, à l’époque où on fait les comptes de la présence des vrais guides spirituels pour les distinguer des faux.

 

Si les abus sont réels et leurs effets dévastateurs, dont on n’a pas encore mesuré toute l’ampleur, plutôt qu’à une lente guérison recherchée d’un commun accord, la fièvre médiatique s’apparente au règlement de comptes, d’un commun accord, y compris de la part de l’institution, dont les membres sont visés, règlement de comptes considéré comme normal.

 

Or, il y a une différence dans l’approche qui permet de faire la part des choses entre ce qui est dénoncé et ce qui est à guérir, comment le soigner, sinon le neutraliser. Et par ricochet, cela concerne d’autres aspects de la vie de l’Eglise dont certains sont traités dans cet essai.

Quoi qu’on fasse, la notion de paternité spirituelle en prend un coup.

Voici la visite guidée de certains aspects de cette question.

 

1.   Dans l’ambiance actuelle, on observe, la plus discutable, l’attitude qui revêt les formes d’une chasse aux sorcières. Même si on peut entendre, au sens de comprendre, la volonté de revanche qu’une telle posture véhicule n’a pas d’avenir autre que celui de règlement de comptes.

 

Mais c’est la loi de la revanche plus que d’une simple vengeance qui se manifeste mécaniquement au cours des révélations et longtemps après.

 

Après tout, murmure-t-on, c’est bien fait pour l’institution qui a trempé, pas seulement les doigts, mais les bras entiers dans les affaires d’oppression et donc d’abus, dont l’emblématique chasse aux sorcières illustre bien la source de tels sentiments.

 

La tendance actuelle va dans le sens de la purge, trop longtemps on a couvert un peu partout les faits et désormais toute l’institution est sous pression ce qui provoque la dépression chez beaucoup de ses représentants qui se sentent solidaires de l’institution sans trop savoir comment l’améliorer.

 

Comme dans cette affaire récente de joueuse de tennis abusée durant des années par son entraîneur, que les responsables du club (ou plus haut) soldaient l’affaire par un constat désarmant : au moins il y a des bons résultats.

 

C’est comme chez les Légionnaires du Christ dont le fondateur était couvert par les plus hauts dignitaires de la hiérarchie vaticane qui pour calmer les esprits inquiets sans doute trop inquiets répondaient : au moins son séminaire est plein.

 

Quel père, quel entraîneur et vers quoi ?

La chasse aux sorcières modernes touche jusqu’à l’usage de mots.

 

2.            “Que personne ne donne sur terre le nom de père” (Mt 32, 8-10).

Qu’est-ce que l’on fait alors de l’usage si fréquent d’appeler un prêtre père, lui, qui en bon célibataire n’a pas d’enfants ? L’Evangile dans cette phrase invalide purement et simplement l’usage considéré depuis toujours comme abusif, une sorte d’abus de pouvoir qui se manifeste aussi ainsi.

 

N’est-il pas usurpé ce titre et ce pouvoir, alors que ce titre ne peut revenir éventuellement qu’au père de famille pour signifier la hiérarchie chronologiquement imposée selon laquelle le fils ne peut pas être père de son père et inversement ?

 

Interdire au prêtre de porter le nom de père, tout en l’accordant au père de famille, quelle est donc cette différence entre le père géniteur et le père générateur, facilitateur des affaires de Dieu auprès des hommes ? Fait-il une concurrence déloyale au Père Éternel, le danger contre lequel alerte Jésus en bon Fils qu’il est et dont il veut faire de nous ses frères ? Y a-t-il encore une chance de sauver l’appellation père attribuée au prêtre malgré une telle mise en garde dont la clarté ne semble échapper à personne ?

 

A l’image de père biologique ou d’un tuteur qui est indemne d’accusations invalidant son statut et sa présence, le prêtre n’est père que spirituellement, c’est tout au moins ce qui est communément admis dans l’Eglise catholique.

 

Mais la parole de Jésus à l’appui, même cette interdiction ne va pas de soi.

 

Si l’on a considéré comme telle, cette paternité spirituelle, elle a été profondément entachée, endommagée et aucune réparation ne peut lui permettre de retrouver sa virginité perdue par des mésaventures déviantes.

 

Que l’homonyme père pollué par les scandales qui le chargent d’une aversion profonde, d’un dégoût qui ne perd rien de sa mauvaise odeur, de sa puanteur, soit trop difficile à entendre, c’est très facile à comprendre.

 

Accepter une telle situation c’est se mettre en posture d’un écoutant actif qui, tel un accoucheur, permettra peut-être de faire renaître celui qui en est touché à un titre ou un autre (y compris celui qui est à l’origine d’une telle déviance) un homme reconstruit, nouveau, car les effets collatéraux sont larges et profonds, cela ne concerne pas forcément et pas uniquement ceux qui sont à l’origine du scandale, mais tous les autres qui ont désormais le triste privilège d’appartenir à la caste d’intouchables, car lépreux par contamination due à une promiscuité spirituelle et institutionnelle.

 

 

3.            En effets collatéraux, les autres prêtres sont touchés dans leur identité et la remise en cause du titre père, tout en les dépouillant d’un statut qui leur garantissait une place assez clairement définie auprès de leurs ouailles, désormais les oblige à se regarder dans la glace pour savoir qui sont-ils alors, sans ce couvre-chef qu’ils coiffaient si aisément naguère comme une barrette à trois ou quatre cornes.

 

Désormais sans accessoire matériel, ni sceptre de paternité, ils sont priés de descendre de leur piédestal qui, statutairement justifié, théologiquement argumenté, faisait corps avec eux, au point qu’il est difficile de voir la différence entre les deux. Le corps debout en le prolongement des pieds qui les soulevait et ainsi leur donnait l’allure de divas longilignes qui, par les jambes qui d’une hauteur déjà bien élevée vont jusqu’à la terre (!). Tout en étant solidaires des autres terriens, cette allure leur donnant non seulement une hauteur de vue supérieure à celles des autres, mais aussi et surtout la superbe signée par l’origine d’un autre monde dont ils avaient perdu le code d’accès au réel terrien.

 

 

4.            Interpréter les écrits de la Bible, à plus forte raison ceux transmis comme étant des paroles même de Jésus, c’est risquer d’être soit trop rigoureux soit trop large, voire laxiste. C’est sous la poussée de la société civile qui, telle une plaque tectonique, heurte celle de la religion catholique et de sa manière d’être présente dans la société. Les sismographes les détectent, les spécialistes analysent, les responsables prennent des décisions pour établir un plan de protection des vulnérables et de leurs biens.

 

Sous pression des événements et des tendances qui les charrient, la tentation fondamentaliste de l’interprétation de telles paroles est compréhensible. Ce qui l’est moins c’est la facilité avec laquelle on y concède dans le giron de l’Eglise.

 

Pour preuve, la communication qui a suivi de peu la publication du rapport Sauvé, la Siace, faite par le président de la Conférence des Évêques de France (CEF) exprimant le désir d’interdire aux prêtres de se laisser appeler père, tout en étant d’accord sur la nécessité d’une vérification de son usage, interroge le bien-fondé d’une telle interdiction.

 

Même si l’on comprend, tout au plus en partie, les raisons théologiques d’une telle remise au point, ce qui interroge c’est le contexte et la manière, dont cette mise au point se fait, et comment se donne-t-elle à voir et à comprendre aux yeux de ceux de l’intérieur, surtout concernés directement, et aux yeux de ceux de l’extérieur, qui semblent avoir le vent en poupe, souvent avec la complicité des premiers.

 

Si certains de ceux de l’extérieur sont ravis que la chose soit réglée au plus vite, au plus clair de la lune qui parfois leur sert d’éclairage, au plus fort prix à payer, une fois pour toute, cela présage d’autres mises au point qui ressembleront sans doute plus à une mise au pas plutôt qu’à une rectification en profondeur. Mais ceci n’est pas le problème de la société, cela concerne l’Eglise et ses responsables.

 

 

5.            Ouvrir toute une réflexion fondée bibliquement, accompagnée théologiquement et mise en place pastoralement; la synodalité peut y être d’un secours et gage d’intégrité dans la démarche, si toutefois l’on est capable de mettre tout à plat pour faire apparaître la paternité spirituelle qui ne suspends pas la fraternité dans laquelle une telle paternité s’enracine et au contraire la spécifie, comme une graine qui tout en se distinguant de la glèbe reste fondamentalement solidaire de son humus qui l’a vu naître et la porte et donne raison d’être, tous les deux ne faisant qu’un.

 

Mais plus surprenant est le fait que certains exégètes portés par la vague y consentent, alors que par ailleurs ils sont indemnes de soupçon fondamentaliste, ce que leurs travaux prouvent. Or, la, il y a une exception, mais nobody’s perfect et les troubles de vision sont toujours possibles y compris chez ceux dont la perspicacité a habitué à ne pas se méfier d’une telle défaillance.

6.            Il est nécessaire de regarder de près le sens du mot et le dépolluer d’une telle nocivité. Pour cela on a besoin d’écouter l’Évangile dans son ensemble pour savoir comment il respire et qu’est-ce qu’il nourrit.

 

Aller jusqu’à rejeter l’usage, c’est précipiter des réponses simples car simplistes dans le gouffre fondamentaliste nourri d’un nominalisme sectaire.

 

La liberté d’expression au sens plénier est alors ligotée par de telles tendances.

 

S’arrêter uniquement sur le sens littéral, assorti d’une exclusivité d’usage telle qu’elle est exprimée par Jésus lui-même, c’est ne pas prendre en compte le caractère croisé de l’interprétation entre les différentes approches d’une même thématique, approche polyédrique si chère au pape François.

 

L’exemple ou Jésus lui-même est directement concerné jette une lumière indispensable sur la complexité et son enracinement dans les profondeurs sémantiques, auxquelles ouvre la contextualité à laquelle il est nécessaire de recourir.

 

Au risque de courir le risque de contresens, ou sens tronqué. Paul et Jean (celui des épîtres) n’hésitent pas à s’adresser aux communautés ou aux croyants singuliers en leur donnant le titre d’enfants et Paul ira jusqu’à dire qu’il a engendré dans la foi son futur jeune collaborateur Timothée (1 Tim 1,2), ou d’Onésime, cet esclave au sujet duquel il écrit à Filemon, qu’il présente comme « mon enfant, que j’ai engendré dans les chaînes » (Phm 1, 10). N’est-ce pas ici un exemple de paternité?

 

Porter un regard croisé sur les écrits de la Bible, c’est nul doute moins efficace, car moins reposant sur la compréhension immédiate, dont l’efficacité est facile à constater.

 

Se reposer sur un laborieux effort auquel on consent par nécessité (l’amour de la vérité passe par là) pour sonder les tréfonds avec leurs ténébreux gouffres d’interprétation incertaine n’est ni confortable, ni prometteur d’aboutissement (rapide) aux résultats clairs.

 

 

7.            Un article de Aleteia donne des éclairages indispensables pour comprendre les enracinements bibliques de la paternité divine spirituelle et donc celle du prêtre. (article ICI)

 

En voici de larges extraits pour compléter :

 

“Appeler les prêtres « père » peut surprendre quand il est écrit dans l’Évangile : « Ne donnez à personne le nom de père » (Mt 23, 9). Cela signifie simplement que «toute paternité vient de Dieu » (Eph 3, 15) et qu’il ne faut pas suivre les gourous auto-proclamés.

 

Devant une affirmation aussi radicale — « Ne donnez à personne le nom de père » — il faut se rappeler d’abord un principe simple : un verset de l’Écriture ne doit jamais être isolé. Il faut l’entendre comme une note dans la polyphonie de la Révélation. Toutes les hérésies sont toujours nées d’un verset de l’Écriture.

 

Il ne s’agit pas seulement de replacer une phrase dans son contexte immédiat : c’est le problème des déclarations politiques, dont sont extraites les « petites phrases ». Plus profondément, il s’agit de la Révélation qui ne peut s’exprimer en un quelconque slogan. Même la phrase la plus condensée — « Dieu est amour » — n’a pas de sens, ou risque d’être prise à contresens, si elle n’est lue sur l’arrière-fond du Mystère pascal, Jésus mort et ressuscité pour nous.”

 

Pour résumer et prolonger.

Si, sous la poussée des événements extérieurs, il est urgent de clarifier le titre de père donné au prêtre, il faut se poser la question de savoir en quoi une telle appellation permet de faire ressortir la paternité spirituelle des fils qui ensemble s’adressent à Notre Père, qui deviennent à leur tour des pères (comme tout père a été un fils d’abord) pères spirituels. Avec leur corps pour autant ou heureusement.

 

Qu’en font-ils? Les traînent-t-il comme un accessoire inséparable mais pas vraiment utile, ou dans lequel la paternité spirituelle est incarnée. travail de toute une vie sans doute, et encore à condition de le faire dans l’Esprit qui permet de crier Abba, pour que le père spirituel n’oublie pas qu’il est toujours fils.

 

Appeler le prêtre père est un héritage de la vie monastique, un indice suffisant pour osculter à nouveau la notion de paternité spirituelle qui est autre chose que de diriger une communauté à l’image d’une communauté monastique, d’une paternité spirituelle au paternalisme rassurant mais souvent éclairant sur les conditions réelles d’une telle organisation, il n’y a qu’un pas.

 

Dans cette perspective, revoir la chaîne sémantique dans la hiérarchie ecclesiastique peut s’avérer nécessaire, ou de plus on constate une rupture entre le pape (très saint) Père et prêtre, et l’évêque que l’on continue d’appeler Monseigneur, ce qui lui permet d’échapper à l’emprise du présent et se réfugier dans les méandres d’une seigneurie moyenâgeuse, pas forcément à son corps défendant, mais sûrement faute de mieux.

 

En cumulant le statut identitaire chretien (frère) et le statut fonctionnel (père), le prêtre aura toujours à gérer cette double dynamique qui l’anime et qui le met sous pression des forces certes alliées, mais souvent divergentes ce qui ne favorise pas le repos avant d’y voir plus en détails.

 

Les premiers chrétiens s’appelaient frères et cela ne les a pas empêché de distribuer les responsabilités dont certaines revêtent le caractère de paternité. Les frères prêcheurs et les frères de la Dame Pauvreté sont aussi dans la paternité spirituelle. Plusieurs réformes qui traversent l’Eglise sont marquées par la recherche de fraternité au détriment de la hiérarchie fonctionnelle, tout au moins l’interrogeant.

 

On a pas besoin de le savoir de leur part pour percevoir la nécessité de chercher le juste regard sous éclairage croisé de l’Evangile, regard parfois impulsé par les circonstances extérieures comme à présent pour le père.

 

Que le père reste père et tout ira bien !