La première effervescence liée à la rentrée scolaire est déjà derrière nous. Il est temps de s’y arrêter un peu et d’en faire le premier bilan. L’amorce scolaire prometteuse, pour les élèves que l’on n’a pas attendu là, remplit de joie, et les premiers signes d’une reprise scolaire plutôt fébrile pour d’autres commencent à inquiéter. Les réunions des parents ou les rencontres individuelles permettent de faire le point pour encourager ceux qui en ont besoin, et là où c’est nécessaire de corriger la trajectoire qui se dessine. Et dans tout cela, de toute part la bienveillance veille !

 

Les inscriptions au catéchisme, à l’aumônerie, et à d’autres activités proposées comme le scoutisme ou le service de l’autel, sont pratiquement closes, même si bien entendu des nouveaux arrivés sont toujours les bienvenus durant toute l’année. Il est aussi temps de s’arrêter pour regarder avec quel dispositif et dans quel état d’esprit, donc dans quelles dispositions, y participent les enfants et les jeunes, mais aussi l’encadrement, ou les parents en tant que demandeurs de service pour l’enfant.

 

C’est de ce dernier cas que je voudrais m’entretenir avec vous, peu importe si cela vous concerne directement ou indirectement ; et si purement et simplement c’est hors sujet pour vous, attendez la semaine prochaine pour un autre thème.

 

Ouverture et tolérance, il n’est pas rare que, de façon plus ou moins implicite et parfois carrément explicite, l’on justifie de la sorte l’inscription au catéchisme, à l’aumônerie etc.

 

Ces deux mots sont des clés presque magiques qui ouvrent au vrai bonheur individuel et à une bonne entente collective. C’est un désir secrètement chéri par tous, même si l’on comprend ces deux mots parfois de façon bien différente. Qui ne voudrait pas ouvrir l’enfant aux connaissances et à de nouvelles expériences d’apprentissage (musique, sport…) pour l’armer à affronter sa belle vie dans le futur.

 

La tolérance semble avoir un peu moins la côte que l’ouverture, la preuve, on trouve qu’il y a des choses intolérables dans ce monde, et l’éducation de l’enfant suppose l’intégration de telles lignes rouges à ne pas franchir sous peine de le mettre lui et d’autres en danger de vie, totalement ou en partie. Et jusqu’à trouver intolérable l’ouverture, telle que l’on l’entend.

 

La consommation du cannabis aux Pays Bas d’abord, et maintenant dans bien d’autres pays, est socialement et légalement admise, alors qu’en Indonésie, et pas seulement, cela peut coûter la vie du contrevenant et peu importe la quantité trouvée, d’où besoin de bien garder ses valises, surtout celles qui ne sont pas assez étanches, dans certaines destinations la fermeture à éclair ne semble pas vraiment conseillée.

 

Une ouverture pour les uns n’est pas tolérable pour les autres, les deux extrêmes qui contrairement au cercle vicieux ne se rejoignent jamais, indiquent l’espace dans lequel on peut naviguer à vue, la vue qui a parfaitement intégré le point de vue donné par la loi dans un pays. Nous sommes loin d’une universalité tant espérée, ce n’est pas là que l’on va la trouver, il faut la chercher ailleurs. Ni l’ouverture, ni la tolérance ne sont jamais illimitées, mais alors qui décide des frontières qui délimitent et séparent ce qui est admis, comme ouverture et tolérance, de ce qui ne l’est pas ?

 

Cela se passe exactement comme dans la stratégie géopolitique, cela se fait en douce, et souvent sans se faire prendre, parfois tout de même aux forceps. Pour une certaine idée d’ouverture et de tolérance, on s’est aussi battu et continue de le faire ; ce n’est pas certain que là, sans aller jusqu’à la brutalité des belligérants, il y ait moins de dégâts et moins de souffrances que dans les conflits armés pour déplacer les frontières géographiques et mentales.

 

Cependant, quoi de plus noble que de désirer un tel comportement (ouverture et tolérance), qui en toute évidence ne va pas de soi, sinon on n’aurait pas besoin d’y insister et en faire le leitmotive de tout programme pédagogique d’éducation qui se respecte.

 

Si le catéchisme et l’aumônerie œuvrent à l’ouverture et à la tolérance, c’est avant tout, ou en parallèle, à cause et avec l’ouverture à Dieu, ce qui en toute bonne logique conditionne l’ouverture aux autres.

 

C’est déjà un peu contrariant, car une telle priorité laisse entendre qu’une ouverture plénière à l’autre ne peut se faire qu’en la fondant en Dieu. Et si Dieu, il y en avait moins dans la ligne de mire que de l’ouverture, en effet l’ouverture peut se dérouler dans un processus pédagogique sans forcément ou pas du tout en lien avec. Ce qui est pratique dans le monde fait si souvent pression sur ce qui est annoncé au-dedans de la communauté des croyants et devient le lieu de friction, car la mésentente réciproque apparaît souvent sans souci de voir plus loin que ce que la première analyse suggère.

 

Mettre Dieu dedans, c’est comme si on volait à l’humain, -pourtant plein de bonne volonté, et capable de ‘prouesses’-, cette belle initiative, car se considérant être suffisamment bon en lui-même au travers de l’ouverture et la tolérance comme conséquences d’un esprit libre et éclairé qui n’aurait pas besoin d’une telle référence.

 

Tant que l’on n’a pas fait l’expérience d’Abraham qui a osé s’ouvrir à Dieu -cela lui a ouvert le chemin vers lui-même (vas et deviens) – on va juger tout au moins inutile de devoir passer par la case no 1 pour accéder à la case no 2, afin de pouvoir passer de Dieu vers l’ouverture, ou parfois l’inverse, de l’ouverture aux autres (qui comprend la tolérance) vers Dieu. Tout processus pédagogique est fondé sur le réveil à l’ouverture (et à la tolérance) entre les semblables, enfants, adultes etc.

 

Ce n’est certainement pas Dieu qui va s’offusquer d’être ainsi pris de court dans le processus d’apprentissage de la vie ; la vie qui de fait n’a pas besoin de lui pour se poursuivre, mais qui un moment donné peut être mise en relation pour voir comment cela l’enrichit, la transcende, la sublime, glorifie l’ouverture à cause de Dieu. Tu feras ceci ou cela pour y grandir….

 

C’est le propre de la religion, de toute religion, que sur un tel chemin, ou l’économie du salut qui se réalise est malheureusement parfois, sinon remplacée, tout au moins accompagnée de l’économie de perspective, dont tout logiquement découle l’économie du temps. Perspective plus courte et temps plus court, l’économie des moyens pour une efficacité plus grande. Et avoir du temps pour autre chose. Même pour la petite communauté polonaise fondée au XIX siècle dans un village de la banlieue d’Istanbul la messe ne doit pas durer plus qu’une petite heure.

 

Moins on est intéressé par l’ouverture à Dieu (considérée comme douteuse tout comme son existence) plus on va insister sur la perspective purement humaine, nécessairement plus courte, mais qui satisfait pleinement ; ou plutôt on cherche à lui donner un titre de satisfaction pour se contenter de ce que l’on croit avoir comme nourriture suffisante pour une telle attente.

 

Dans les deux cas, sans ou avec Dieu, il y aura toujours tant à faire pour rendre l’ouverture et la tolérance les plus ouvertes et les plus tolérantes possibles.

 

Dans la perspective sans Dieu, est d’abord ouvert et tolérant celui ou celle qui respecte mes propres limites à moi, sur qui repose une responsabilité parfois écrasante d’élever la progéniture le mieux possible.

 

C’est alors que les inscriptions au catéchisme et à l’aumônerie s’accompagnent parfois de tels désidératas, qui sont tout aussi respectables, même si ceux-ci, se limitant à cette dimension purement humaine, ne permettent pas d’honorer la totalité de l’offre. Car l’offre est dans un package, où, comme dans les vaccins contre la grippe ou d’autres virus couronnés par la dernière pandémie, pour être vraiment efficace, a besoin des adjuvants qui renforcent le corps et qui garantissent la bonne résistance au virus ainsi inoculé.

 

Quel est-il, ce virus qui est inoculé dans l’apprentissage de l’ouverture et de la tolérance dans les cadres de l’ouverture à la foi chrétienne ? C’est celui qui fait changer de perspective pour lui garder la profondeur exclusivement humaine et cela affaiblit l’esprit, qui de lui-même tente d’échapper à une telle limitation, mais sans disposer des moyens pour se réaliser pleinement. La frustration d’un tel esprit est comme une plainte inaudible d’un être écrasé par le destin, qui a perdu tout espoir d’amélioration de sa situation, forcé de se contenter de ce qui lui est vital pour survivre.

 

Tentant est alors du côté de l’institution religieuse qui offre de tels services d’adapter l’offre à la demande. Ce que d’ailleurs font souvent les prêtres et les laïcs engagés sur la voie d’accompagnement, en limitant des propositions aux sujets qui répondent aux attentes. Même si cela s’inscrit dans une dynamique pastorale soucieuse de rejoindre les fidèles là où ils sont, en limitant par exemple la fréquence des séances et jusqu’à limitant aux moyens de communication à distance avec les parents encourt le risque de faire de propositions au rabais qui ne respectent pas les minimas nécessaires, considérés comme tels par les pourvoyeurs de la religion. Si celle-ci était utile faute de mieux dans le temps de la pandémie, pandémie qui a appris à appliquer les réunions à distance à d’autres circonstances pour gérer les affaires, ne remplace en rien le contact physique pour échanger et ainsi avancer dans la réalisation d’un projet commun. A plus forte raison pour les chrétiens.

 

C’est la perspective divine qui permet de maintenir le cap et si besoin corriger le tir, mais celle-ci pour être opérationnelle et efficace, a besoin de tenir compte des contingences matérielles et mentales.

 

Si pour les premières, les choses sont plutôt claires, c’est moins évident pour les contingences mentales, qui intègrent surtout la marge de manœuvre socialement bien délimitée et qui varie d’une personne à l’autre.

 

Sinon, c’est un manque d’ouverture que de ne pas en tenir compte, ce qui est d’ailleurs vrai en partie, et en partie seulement.

 

Dans chaque pays et dans les mêmes pays aux différentes époques, l’investissement en temps (combien de fois dans l’année les enfants peuvent venir au caté ou à l’aumônerie, à la messe etc.) n’est pas envisageable de la même façon.

 

Trois ans de catéchuménat d’adultes pour préparer le baptême, à la confirmation… tous les samedis de l’année scolaire à Londres n’est absolument pas pensable ailleurs. Pourtant ce sont presque les mêmes personnes (la spécificité de chaque communauté dépend de la sélection professionnelle pour certains profils, plutôt que d’autres) qui en expatriés sont dans des communautés marquées par une telle si grande différence d’approches. Bien entendu, la résistance à accepter des conditions extrêmes varie selon les personnes et les lieux.

 

Aux barrières mentales socialement imposées, dans certains endroits avec plus de force qu’ailleurs, et auxquelles on se soumet plus facilement lorsqu’elles sont moins contraignantes, se heurtent la faisabilité qui détermine la notion d’ouverture, déjà à l’égard du programme proposé en général et surtout dans certaines matières sensibles comme l’histoire ou méthodes pédagogiques.

 

Les valeurs chrétiennes et la foi sont des alliés très proches, qui théoriquement ne peuvent se passer l’un de l’autre, comme l’eau de la rivière, puisque d’une même essence, est proche de sa source.

 

Le premier motif des parents ou des futurs parents en matière d’éducation chrétienne est d’initier aux valeurs humaines (respect, bonté…), valeurs communément partagées par l’humanité entière.

 

À chaque fois que ce motif est renouvelé, cela crée une frustration grandissante chez les récipiendaires d’un label de la religion chrétienne et de son utilité.

 

Et ce n’est, ni venant de nulle part, ni innocent. La frustration, que de tels énoncés produisent chez les représentants officiels et chez tous les défenseurs de la doctrine, demande à être auscultée de près pour comprendre où se trouve le point névralgique d’un tel malaise. Dans un corps, en principe, ce sont des ligaments qui souffrent et pas les os, donc, le malaise est signe d’une inflammation qui se produit dans la jonction entre les deux os, qu’on appelle non sans raison des articulations.

 

Plus facile à tracer, le conditionnement historique renseigne à dessein sur l’alliance entre le besoin social dans l’éducation et ce que le vivier symbolique -la religion chrétienne en l’occurrence- peut offrir et s’y adonner à cœur joie, et à corps perdu parfois.

 

Avec les effets que l’on connaît, dont le caractère mitigé ne tient pas tant à la carence d’une dose réellement chrétienne dans la proposition éducative, qu’à la carence qui la conditionne, celle qui provient d’un mauvais alliage, d’une confusion entre les enjeux purement spirituels et sociétaux.

 

Il ne suffisait pas d’avertir et être averti au sujet des fausses routes, (les messes quotidiennes imposées dans les internats catholiques ressemblant plutôt à des exercices punitifs par l’ennui et le dégoût qu’à une initiation véritable à la vie chrétienne) ou directement introduire des nouvelles manières de faire, considérées comme plus conformes avec la foi chrétienne (Don Bosco et les écoles salésiennes parmi tant d’autres).

 

Et cette ambiguïté encore aujourd’hui grève lourdement l’image de l’Eglise catholique (pour nous limiter à cela), sa praxis pastorale en matière d’éducation en est affectée. 

 

Les tentatives souvent timides, pour y remédier, sont le signe que personne ne semble croire à l’efficacité et au bien-fondé des actions pédagogiques entreprises timidement, sans conviction, mais en vue d’une bonne éducation.

 

Pouvoir accompagner l’éducation verbale et comportementale dans le foyer familial par une action sociale plutôt que par une expérience spirituelle partagée dans les petits groupes (l’initiation à la prière et la méditation jusqu’à la louange et l’adoration) ou lors de grands rassemblements (Frat, JMJ…) permet d’enraciner dans le tissu humain de bons réflexes de la vie en société conditionnée par l’ouverture à Dieu.

 

La difficulté d’une ouverture véritable à Dieu vient d’un mélange, rarement démêlé entre ce qui est de la foi chrétienne en tant que telle et de ce que celle-ci peut faire dans la société et réciproquement ce que la société attend d’elle. Un écheveau pareil, peut-il être vraiment défait ? Il semble tout aussi naturel qu’une touffe de cheveux sur la tête d’une métisse (suis-je sorti du champ régi par le langage politiquement correct, contre quoi s’insurge mon âme d’apprenti poète qui a besoin de tout ce qu’il trouve pour s’exprimer). La tentative qu’ambitionne ce propos ne vise que la possibilité qui s’offre ainsi à l’auteur de partager quelques intuitions à ce sujet, dont celle de l’ouverture.

 

La première et la fondamentale, est celle qui porte sur la meilleure identification des valeurs, d’abord dans leur vivier naturel qu’est l’humanité, puis dans le christianisme en particulier, pour voir l’originalité de ce dernier et son apport à la vie sociale des croyants et par eux à l’égard des autres.

 

Qui ne voudrait pas une éducation au respect et à la bonté ? Tout du moins pour les siens, et en dernier recours pour soi-même. Et toute la différence entre les valeurs humaines et chrétiennes est là, elle est dans cette limitation qui, détachée des amarres constituées par les références religieuses, nécessairement, entraîne vers ce glissement.

 

Pour le commun des mortels, les valeurs universelles, pour diriger la vie d’une façon qui force l’admiration, sont une possibilité, souvent appliquée avec le meilleur de soi.

 

Pour le chrétien, c’est une obligation douce mais ferme, car empreinte d’un amour divin, dont le croyant seul a le secret, ce qui ne rassure pas les autres qui y fleurent une supercherie, alors que ceux qui en sont bénéficiaires, ne se posent pas de telles questions, ils acceptent d’être accueillis tels qu’ils sont par qui que ce soit, pourvu que cela se fasse dans le respect de ce qu’ils sont.

 

Et la présentation la plus objective d’un tel secret, qui n’est qu’un secret d’amour vécu et à partager, tourne vite à la confrontation, où la colonne énumérant les déceptions est infiniment plus chargée (par les autres, mais aussi par les chrétiens eux-mêmes) que celle des avantages qui découlent de la foi.

 

Évolution sociale oblige, vue de l’extérieur, le christianisme n’a plus d’utilité éducative, vue de l’intérieur, il est réduit à une fonction d’auxiliaire, pas du tout ou peu utile dans l’éducation humaine.

 

Non seulement les motifs sont inversés, mais l’humain a pris le dessus sur le spirituel au point de l’écraser et l’éradiquer. De la part de l’humain c’est une vengeance douce, mais non moins réelle sur les siècles d’hégémonie du spirituel. On assiste donc à une inversion du cours d’influences, cours de l’histoire. Non pas que cela n’avait pas eu lieu dans le passé, mais à l’époque, l’Église disposait de moyens bien plus efficaces pour imposer une telle hégémonie.

 

Comme toujours, à plus forte raison actuellement, le terrain de l’accueil des valeurs humaines par la foi chrétienne est plein de cailloux, ce qui empêche de les bien cultiver.

 

La foi chrétienne n’est pas à l’origine de ces valeurs, mais par certaines focalisations, liées à l’usure de ses canaux d’irrigation, elle participe à l’apparition de tels cailloux que de son côté, la vie humaine produit constamment.

 

Les valeurs chrétiennes sont celles qui sont accueillies comme telles dans leur singularité, et à ce titre elles séparent, mettent à part. Croire en la résurrection précédée d’un passage par la Croix nécessairement sépare.

 

Qui voudrait vivre séparément de l’ensemble de l’humanité, les modes expriment ce désir de s’identifier à ce qui est le plus en vue, la modernité n’est pas un qualificatif poussiéreux. La poussière n’a pas le temps de s’y déposer, il y a des opportunités nouvelles qui chassent toute poussière d’ancienneté ; les Chinois le savent bien, ils semblent savoir tenir en bon équilibre les deux paradigmes, celui de la continuité et celui de la rupture, de la nouveauté.

 

Ils savent aussi que sans cela, sans un tel équilibre, ne serait-ce que quelques bribes de souvenirs communs tombées du ciel qui n’a jamais oublié le passé, aucune modernité n’est viable.

 

L’éducation est pour cela. 

 

Les chrétiens sont interrogés par l’omniprésence des valeurs humaines dans l’éducation chrétienne des enfants. Et ils y mettent de la consistance purement chrétienne qui donnent des contours à l’ouverture et à la tolérance, que seul le secret d’un cœur animé par le désir d’aimer comme Dieu aime peut contenir et parfois révéler.

(Photo d’illustration : ©Loïs Akasha)