Décidément le thème me colle à la peau, il prend forme d’une série de trois podcasts (pour le moment).

Après le terrorisme dans le sport, puis sur ses techniques, le temps est venu de poursuivre sur un terrain de plus en plus proche de la religion. Plus précisément sur la religion, la politique et les médias, tout ceci sous l’angle du point de vue de l’intérêt pour la religion.

 

Le mot terrorisme est sans doute trop fort pour aborder la relation entre la religion et la politique et leur place dans les médias, mais il met en lumière son côté sombre, celui de faire le lien entre la politique et la religion par l’intermédiaire de l’effroi, de l’épouvante qu’inspirent leur imbrication parfois, rapprochement souvent, créant une interdépendance de fait et suppose une soumission loyale toujours. 

 

Les feux éternels des enfers, déjà bien attisés dès cette vie sur terre, n’ont pas été inventés par une religion plus qu’une autre et ne vont pas s’éteindre par un rapprochement de la religion avec une politique ou une autre. Terreur panique peut côtoyer terreur intellectuelle (jusqu’à la terreur spirituelle, j’y reviendrai plus loin) pour donner raison à la raison et ou à la croyance qui si souvent tend à lui échapper. 

 

Dans les temps modernes, le terrorisme prend les galons d’une affaire d’état de la République française naissante. La terreur panique et la terreur intellectuelle s’unissent alors au service de la Grande terreur afin d’accoucher, à l’aide de la guillotine, de l’insécurité, comme aseptisant appliqué à l’air ambiant du salut public.  

 

Dieu terrifiant est remplacé par la douceur de l’humain en mutation pour devenir une création nouvelle, la violence qui accompagne cette mutation en est le prix consentant ou pas à payer. Cette violence fut aussi présente dans l’Église au cours de son histoire bimillénaire pour persuader “efficacement” des bienfaits à trouver dans la référence à la victime de toute violence, crucifiée pour le salut du monde. Elle est inscrite à charge dans la fondation de la République et plus largement par le regard chrétien posé sur son histoire.

 

Si les divinités en général ont désormais perdu de leur vigueur terrifiante, sauf chez quelques warriors protecteurs des temples bouddhiques et de leur paix zen, la terreur a de nouveau échappé aux instances étatiques en laissant le terrorisme entre les mains des individus qui préfèrent une “démocratie participative” d’action à mener d’en bas, souvent sans souci d’une légitimation quelconque. Mais avec des effets éclatants, au sens propre et figuré.

 

Le terrorisme a acquis le droit de cité et ne cesse d’enrichir le vocabulaire, qui tente à en rendre compte par des mots comme otage, attentat, cellules psychologiques parfois. L’arsenal linguistique est aussi flexible que l’imagination pour faire peur, quitte à tuer.

 

Et même l’anti-terrorisme acquiert sa maturité d’actions et de moyens, comme autrefois et encore de nos jours sans doute aussi, la Reforme dans l’Eglise ne cesse d’apprendre et de s’enrichir de sa propre Contre-Réforme. 

 

Tout peut être terrifiant, la dernière pandémie a ravivé nos peurs ancestrales qui alimentent aussi la peur de la croix, dont la présence dans les écoles et même dans les églises est jugée inutile, contre-productive, dangereuse ; bref, néfaste pour les enfants et autres âmes sensibles ; puisque Dieu ne fait plus peur, au plus vite, il faudrait se débarrasser de ses représentations décalées, anachroniques.

 

Et comme toujours, la politique aide à enlever tout ce qui fait peur et provoque les cauchemars, pour apprivoiser à l’aide des halloweens et de leurs semblables la peur de la mort et de son au-delà. Remplacer et/ou guérir?

 

Êtes-vous prêts à embarquer sans peur ? Juste une petite appréhension suffit. 

 

Si la politique s’occupe de la vie de la cité, du pays, de quoi s’occupe alors la religion, sinon de ceux qui y habitent. Puisque l’on ne peut pas l’éradiquer, privatiser la religion, et nationaliser le peuple, cela semble raisonnable, chacun chez soi. Le principe de séparation entre l’Église et l’État repose sur cette distinction à la serpe. 

 

Cependant, le mélange semble difficilement tenable de deux côtés. Et que le “meilleur” gagne pour influencer l’autre! Les chrétiens engagés en politique sont recherchés aussi bien à l’intérieur de l’Eglise que dans la société civile; de chaque côté avec des attentes “un peu” divergentes à leur égard. 

 

Alors, où se trouve ce prétendu terrorisme ? Il est dans la collision fatale pour la religion. 

 

Durant l’été, Libération a publié plusieurs articles consacrés à la place de la politique dans l’Église catholique en France. Rassurez-vous cela n’a pas été fait de cette manière-là, ce qui serait trop vaste, pas assez précis et surtout pas suffisamment alléchant pour appâter des lecteurs. Ce qui est fait est pourtant très sérieusement fait. Le dernier article en date est du 27 août.

 

« Lors d’une manifestation de militants d’Action française à Paris, le 14 mai 2023, pour célébrer Jeanne d’Arc. (Denis Allard/Libération)

par Maxime Macé et Pierre Plottu

publié aujourd’hui (27 août 2025) à 12h44 »

 

L’article présente l’histoire des identitaires qui cherchent à se rallier à des ensembles plus vastes dans l’espoir d’obtenir le soutien de leur cause. Les identitaires en question sont des groupuscules, d’extrême droite, opportunément convertis au catholicisme.

 

“Hier païens autoproclamés, aujourd’hui cathos «tradi» : les identitaires se découvrent une ferveur religieuse. Du rejet du «christianisme oriental» à l’embrigadement sous la bannière du Sacré-Cœur, l’extrême droite française recycle la foi pour mieux nourrir son discours civilisationnel.” 

 

Un peu d’histoire pour mieux comprendre l’évolution et la situation actuelle. 

“Le retour au christianisme s’opère d’abord dans les années 1990 avec le constat de l’échec du néopaganisme, une religion complètement artificielle et folklorique, incapable de faire souche au sein de l’extrême droite française. Seuls les groupuscules inspirés par les anciens SS français comme Terre et Peuple continuent à se définir comme païens mais sont complètement marginalisés.” 

 

Une fois le rapprochement opéré, celui-ci devient :

“Signe d’une prise de confiance des identitaires au sein du mouvement traditionaliste”, comme le prouve l’initiative du leader d’Academia christiana qui “s’est permis de donner des conseils au nouveau président de la Conférence des évêques de France, monseigneur Jean-Marc Aveline, élu en avril dernier et réputé progressiste. «La génération montante n’attend pas des consignes de vote mais des repères, de la clarté, de la solidité et une belle liturgie. On rejette la tiédeur et une Église qui n’ose pas dire la vérité », l’a prévenu le militant identitaire sur une radio d’extrême droite.”

 

Le problème du terrorisme politique dans la religion est dans le fait qu’il s’exerce souvent par l’intermédiaire des médias.

Leur dénonciation, comme le font les auteurs de Libération, constitue une pièce à conviction pour une prise de conscience au sujet des interférences de la politique dans la religion. Qu’est-ce que la vérité? pourrait-on rappeler la phrase de Pilate lors du procès de Jésus. 

 

Mais, qualifier de progressiste le président de la Conférence, c’est comme équiper les navires de la bataille de Lépante d’ogives nucléaires et de drones d’attaques ciblés. L’incongruité est criante: l’anachronisme avec lequel l’on décrit les positions d’hommes d’Eglise n’est cependant pas seulement la faute de médias. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, parmi les hommes d’Église se contentent d’une telle nomenclature à leur sujet. 

 

A la décharge des médias alors est surtout le fait qu’ils s’adressent au public de la société civile. Si ceux de l’Église consentent à une telle réduction de leur propre identité et même souvent prennent part activement à son maintien dans de telles limites, après tout, pourrait-on entendre dire les représentants de la société civile, cela les regarde! Pas faux!

 

Le terrorisme des mots est cependant précisément là, dans cette violence parfois violemment exprimée, parfois exprimée en douce, qui de plus est exercée déjà de l’intérieur de l’Église (impensable de compter sur le soutien de l’extérieur, bien au contraire!) sur l’Évangile et ses lumières, qui essayent, à tout prix, à l’instar de leur chef charismatique qu’est Jésus, d’échapper aux attractions idéologiques d’où qu’elles ne viennent.

 

De là à la distinction entre les bons progressistes et les mauvais conservateurs, il n’y a qu’un pas. Or, derrière la classification entre les bons progressistes et les mauvais voire méchants conservateurs (une autre précision adjectivale provenant d’un autre segment sémantique étant totalement exclue ou alors très suspecte, toujours avec vérification à charge) se cache une volonté d’imposer sa raison. Le terrorisme des mots (et des idées) est là.

 

Academia christiana, qui prodigue de bons conseils, est “une organisation catholique d’extrême droite fondée par un ancien de Génération identitaire après la Manif pour tous de 2013.” 

 

Comme déjà signalé, “longtemps indifférents, voire hostiles, à la foi chrétienne, les identitaires ont entamé un virage religieux où la doctrine catholique, essentiellement traditionaliste, constitue un pilier de leur conception civilisationnelle et suprémaciste du monde.”  

 

Contrairement aux attentes, la plupart des jeunes cathos de Versailles… ne se sont pas ralliés au mouvement. 

 

Cela me fait penser à ce qui s’était passé au XIX siècle dans un village de France, à Mesnil Saint-Loup, visité l’été dernier, en route à la recherche des andouillettes de Troyes.  

 

Mesnil Saint-Loup 

 

P. Emmanuel, né en 1826 en Champagne méridionale (+1902), est un curé missionnaire à la manière de Jean Vianney un demi-siècle plutôt. En 1849, après l’ordination à 23 ans, le 22 décembre, il est nommé à Mesnil Saint-Loup. Le lendemain, il chanta la messe de minuit, il y restera toute sa vie. 

 

Il fonde alors une abbaye de Bénédictins olivétains. La grâce de « La sainte espérance », le nom de l’abbaye, se répand rapidement et porte ses fruits. 

 

Lui et ses successeurs travaillent si bien que 99% de 500 villageois deviennent des catholiques fervents ; chapelets, processions, confessions, messes… Un renouveau spirituel est évident, la population redevient catholique, mieux qu’on ne pouvait l’espérer. 

 

Bien plus tard, sur ces terres surgit un certain Mgr Lefèvre et un autre, moins connu, mais pas moins typé dans sa manière d’être catholique fervent, l’abbé de Nantes. Le jardin de la propriété du petit Béthanie, où broutent actuellement les chèvres, fut le lieu des confirmations administrées par l’évêque intégriste sous l’œil des caméras ; l’événement a accueilli plus de 500 personnes venues en grande partie d’ailleurs (alors que des milliers furent annoncés), événement bien médiatisé, un scoop. 

 

Momentanément (?), le village devient le fief des intégristes. Mais il est connu aussi pour une autre raison. Les artisans connus pour leur savoir-faire sont légèrement moins chers et leurs produits sont de meilleure qualité. L’amour d’un travail bien fait pour le bien de tous a fait que le catholicisme social y a porté ses fruits. Ainsi exprimé, ce catholicisme a survécu jusqu’à l’époque actuelle. L’attachement au catholicisme traditionnel, ainsi marqué par “l’engagement social” de la sorte de l’époque, s’exprime actuellement surtout par le vote. 

 

Mais pas celui auquel on aurait pensé. Contrairement aux autres villages du canton et même plus loin, les habitants de Mesnil Saint-Loup ne votent pas pour RN, mais pour la droite plus modérée. Est-ce le résultat d’un enracinement chrétien plus fort qu’ailleurs, dont reste encore quelques traces sous cette forme par exemple, ce n’est pas à exclure. 

 

C’est en effet au XIX siècle que l’Église Catholique a abordé de façon théologiquement systématisée (Enseignement social de l’Église) la relation au monde par le biais social, ce qui constitue un prolongement du travail fourni par les moines du Moyen-Âge œuvrant en faveur de l’amélioration de la vie, pas seulement dans les monastères, mais aussi autour. 

 

La collision avec la politique est surtout visible sur le terrain idéologique.

Si les œuvres de charité prodiguées par l’entremise de l’Église peuvent être acceptées, (faute de mieux pour le moment!), est inacceptable une interférence quelconque de la part de l’Église sur la gestion politique de la Nation. La manif pour tous en 2013 a montré sa force par son affluence massive, et ses limites par les effets escomptés mais non réalisés, surtout à long terme.

 

Si dans les années 68 en France, l’idéologie politique de gauche imprégnait fortement la vie et les structures d’Église, 50 ans plus tard, par un mouvement de balancier, nous nous trouvons face à une situation d’influence de la part de l’idéologie politique de droite. L’annonce de la création d’un journal pour contrecarrer l’empire médiatique d’extrême droite (Bolloré) par deux journalistes affichés comme des cathos de gauche, est un signe timide et peut-être désespéré d’un besoin de trouver de l’équilibre dans le débat public sur le terrain religieux.

 

Où est donc le terrorisme?

 

Il est dans l’opinion communément partagée que pour être un bon catholique, il faut être un bon patriote. Pour être un bon patriote, il faut s’allier à des mouvements identitaires qui ne désirent que sauver la France. J’ai des amis prêtres qui sont issus de la franche royaliste et qui aspirent à retrouver les structures d’antan pour respirer la foi et le bonheur d’être croyant, ce qui ne les empêchent pas d’être de bons serviteurs de l’Évangile auprès de tous. 

 

Le terrorisme le plus efficace est celui qui échappe aux radars, celui qui fait son chemin en douce. Une évolution plutôt qu’une révolution. Et pour y faire face, n’est pas armé qui veut. 

 

La tuerie de Minneapolis de ces derniers jours a fait découvrir un autre visage au terrorisme qui vise à ôter des vies. Les enfants d’une école catholique rassemblés dans la chapelle pour prier sont pris pour cible ; des morts, des blessés, beaucoup de souffrances inconsolables… La motivation ? Un désordre psychologique profond sur le fond de déception à l’égard des religions, et à l’égard de ce Christ en croix en particulier, “qui n’a pas assumé ce que nous les humains devons assumer” (parole du meurtrier). 

 

Maladie psychique sur le fond spirituel n’est pas la plus facile à aborder. Terrorisé de la sorte, le terroriste en paroles et surtout en actes finit par se rendre victime de lui-même. Pour que l’on finisse avec ce qui est inévitable. “Je sais que c’est mal, mais je ne peux pas m’arrêter” et, en rallumant les feux de l’enfer pour les autres, il va aller au bout de sa propre vie. Ce ne sont plus les films ou le Crucifié qui vont hanter les nuits des enfants, ce sont les faits réels, comme à Kiev, à Gaza, au Sahel etc.

 

La forte conscience de ce qui est vrai, sans connecter la vérité à l’amour, conduit au désespoir. 

 

Or, la connexion est possible, on la trouve chez ce Crucifié-là. Otages, attentats, troubles de conscience, déconnexion du réel, absence de transcendance, le chapelet de la misère humaine composé des grains du mal ne cessent de s’allonger. Sans l’espoir de stopper le mouvement de vérité, sans amour. 

 

Le courage d’opinion ne suffit pas pour stopper le terrorisme. Faut-il encore de la lucidité à laquelle la foi peut ouvrir. Être lucide par amour, est-ce possible? Je ne suis pas certain de l’avoir moi-même en quantité suffisante pour m’en défendre, pour demeurer lucide; je ne sais pas trop comment c’est pour vous. Et encore moins par amour.

 

Nombreuses sont les idéologies qui président à nos vies et qui colonisent la foi, notre manière de croire. Souvent, nous confondons la dureté de nos convictions avec la profondeur de la foi chrétienne. Et on sait très bien qui dans cette confrontation est gagnant. La mort aux faibles, gloire aux lucides de leurs forces qui leur font honneur. L’ombre de Nietzsche et de son Ubermensch fort et vainqueur plane sur tout cela.

 

Nous sommes sous l’effet de telles tendances contradictoires. Force de la faiblesse contre la faiblesse de la force. Nous voulons y être sans peur. Soyons sans peur, mais lucides du fait que juste une légère appréhension d’envisager la purification possible nous est nécessaire. 

 

Avec le désir de goûter quelque chose de bon dans la vie, par exemple les andouillettes de Troyes.  FIN

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Sources :

Au commencement était le rejet. Héritière du fascisme et du nazisme français de la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite française se reconstitue en partie autour de la Nouvelle Droite et du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) au début des années 1970. Ce sont les prémices du courant identitaire. Comme l’explique à Libé l’historien spécialiste de cette mouvance Stéphane François, ses penseurs, Alain de Benoist en tête, commencent par opérer un rejet massif du christianisme. «Pour eux, il s’agit d’une religion orientale, le rapport est très compliqué. L’apport juif hérisse les plus antisémites de la bande. Ils lui reprochent d’avoir acculturé et détruit la civilisation européenne», souligne le chercheur. Il ajoute : «Dans les années 80, un article d’Éléments [revue intello de la Nouvelle droite, ndlr] liste parmi les sectes présentes en France l’Eglise catholique.» En opposition, les militants du Grèce lui préfèrent un néopaganisme qui introduit l’idée d’une religion «ethnique» réservée aux blancs. Une commission «tradition» est même créée au sein du mouvement avec la charge de célébrer différentes grandes fêtes «païennes» à l’occasion des solstices ou des mariages. «Le but est de créer une religion pour les Européens», explique Stéphane François.

A partir des années 1980, les effectifs de la Nouvelle Droite se renouvellent et on voit y apparaître des personnalités marquées par un intérêt pour deux grandes religions, le christianisme et l’islam. On assiste alors à plusieurs conversions à l’orthodoxie, vue comme un courant chrétien «pagano-christianiste». «Le protestantisme est vu comme le mal absolu. Pierre Vial, figure importante de la Nouvelle Droite, les considère comme les “nouveaux Hébreux”», explique Stéphane François. Cette ouverture à des personnalités se revendiquant chrétiennes permet d’opérer des rapprochements entre la Nouvelle Droite et des prêtres catholiques comme l’abbé Guillaume de Tanoüarn alors membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), une organisation intégriste rejetée par l’Eglise de Rome et qui entretient des liens profonds avec l’extrême droite.

Échec d’un néopaganisme trop «folklorique»

 

Des drapeaux fleurdelisés frappés d’un Sacré-Cœur flottent au vent, des dizaines de jeunes gens viennent s’agenouiller devant un calvaire et faire le signe de croix avant de s’éclipser. La plupart sont des jeunes hommes, les cheveux coupés bien court et portant un tee-shirt floqué du logo d’un des nombreux groupuscules identitaires français. La scène, impensable il y a quelques années, se déroule en août 2024 lors d’une université d’été d’Academia christiana, une organisation catholique d’extrême droite fondée par un ancien de Génération identitaire après la Manif pour tous de 2013. Longtemps indifférents, voire hostiles, à la foi chrétienne, les identitaires ont entamé un virage religieux où la doctrine catholique, essentiellement traditionaliste, constitue un pilier de leur conception civilisationnelle et suprémaciste du monde.

Au commencement était le rejet. Héritière du fascisme et du nazisme français de la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite française se reconstitue en partie autour de la Nouvelle Droite et du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) au début des années 1970. Ce sont les prémices du courant identitaire. Comme l’explique à Libé l’historien spécialiste de cette mouvance Stéphane François, ses penseurs, Alain de Benoist en tête, commencent par opérer un rejet massif du christianisme. «Pour eux, il s’agit d’une religion orientale, le rapport est très compliqué. L’apport juif hérisse les plus antisémites de la bande. Ils lui reprochent d’avoir acculturé et détruit la civilisation européenne», souligne le chercheur. Il ajoute : «Dans les années 80, un article d’Éléments [revue intello de la Nouvelle droite, ndlr] liste parmi les sectes présentes en France l’Eglise catholique.» En opposition, les militants du Grece lui préfèrent un néopaganisme qui introduit l’idée d’une religion «ethnique» réservée aux blancs. Une commission «tradition» est même créée au sein du mouvement avec la charge de célébrer différentes grandes fêtes «païennes» à l’occasion des solstices ou des mariages. «Le but est de créer une religion pour les Européens», explique Stéphane François.

A partir des années 1980, les effectifs de la Nouvelle Droite se renouvellent et on voit y apparaître des personnalités marquées par un intérêt pour deux grandes religions, le christianisme et l’islam. On assiste alors à plusieurs conversions à l’orthodoxie, vue comme un courant chrétien «pagano-christianiste». «Le protestantisme est vu comme le mal absolu. Pierre Vial, figure importante de la Nouvelle Droite, les considère comme les “nouveaux Hébreux”», explique Stéphane François. Cette ouverture à des personnalités se revendiquant chrétiennes permet d’opérer des rapprochements entre la Nouvelle Droite et des prêtres catholiques comme l’abbé Guillaume de Tanoüarn alors membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), une organisation intégriste rejetée par l’Eglise de Rome et qui entretient des liens profonds avec l’extrême droite.

Échec d’un néopaganisme trop «folklorique»

Le retour au christianisme s’opère d’abord dans les années 1990 avec le constat de l’échec du néopaganisme, une religion complètement artificielle et folklorique, incapable de faire souche au sein de l’extrême droite française. Seuls les groupuscules inspirés par les anciens SS français comme Terre et Peuple continuent à se définir comme païens mais sont complètement marginalisés. «Les attentats du 11 septembre 2001 provoquent un choc chez les identitaires», poursuit Stéphane François. Il est désormais nécessaire de proposer un modèle religieux à opposer à l’islam dans leurs esprits. Celui qui s’impose et est parfaitement identifiable dans l’espace public eu égard aux nombreuses cathédrales, églises, chapelles et calvaires à travers la France est évidemment le catholicisme. Le Bloc identitaire opère à l’époque le grand bouleversement de l’extrême droite française, qui met alors en œuvre son glissement de l’antisémitisme traditionnel vers l’islamophobie.

«Dès les années 2000, la revue éditée par le Bloc identitaire contient des discours de réconciliation avec les catholiques», explique Marion Jacquet-Vaillant, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-Panthéon-Assas et autrice d’une thèse sur le mouvement identitaire. «C’est leur seul point de divergence avec le Grece.» La chercheuse souligne avant tout l’aspect stratégique de ce positionnement, les militants identitaires étant peu nombreux au sein de l’extrême droite française à cette période, ils ne peuvent se permettre le luxe de querelles religieuses alors qu’ils s’entendent sur la lutte contre l’immigration et la soi-disant islamisation de la France. «On a du mal à s’en rappeler mais cette division était un point de forte friction dans un milieu très restreint en nombre de militants», rappelle Marion Jacquet-Vaillant. Dans un contexte où les Identitaires redoutent le «grand remplacement islamique» (cette fausse théorie d’une substitution de population en Europe), le fait de se présenter comme catholique permet de proposer un récit religieux à opposer.

La Manif pour tous en 2013 va finir de rassembler les Identitaires autour de la foi, bien que la mouvance soit déjà revenue au catholicisme depuis une dizaine d’années. Pour le chercheur Stéphane François, leur implication dans le mouvement anti-loi Taubira se révèle essentiellement stratégique. «C’est aussi une bonne façon d’aller recruter chez les Versaillais et les catholiques traditionalistes, des gens qui ont des moyens et du réseau», explique-t-il. «Reste qu’ils n’ont pas tant recruté que ça. Beaucoup des jeunes recrues issues de la Manif pour tous sont vite repartis», pondère Marion Jacquet-Vaillant. «Ce n’est certes pas un événement anodin pour l’extrême droite et la droite française, mais pour les identitaires, il n’est pas plus signifiant que l’irruption d’Eric Zemmour en politique ou la dissolution de Génération identitaire.»

«Foyer de résistance au projet républicain»

«Lors de mes rencontres pour ma thèse, j’ai croisé des militants identitaires qui venaient de familles pas du tout catholiques, qui se sont convertis et faisaient montre d’une vraie pratique de la foi. Cela devient constitutif de leur identité personnelle et de leur identité politique», raconte la chercheuse. Ainsi, les solstices païens sont remplacés par les feux de la Saint-Jean comme c’est notamment le cas au Mouvement chouan de Jean-Eudes Gannat, une organisation qui regroupe des groupuscules identitaires de l’ouest de la France. La dernière édition en date, qui devait se dérouler le 14 juin à Châteaubriant (Loire-Atlantique), avait été interdite par la préfecture. Elle s’était finalement déroulée sur un terrain privé. Jean-Eudes Gannat estime par ailleurs que la «tradition catholique» est «un foyer de résistance à l’idéologie ambiante et au projet républicain».

Car les identitaires professent une vision traditionaliste de la foi chrétienne éloignée de l’Eglise moderne qu’ils conspuent, mais sans jamais verser dans l’intégrisme des mouvements d’extrême droite nationale-catholique comme Civitas (dissous en octobre 2023 pour des propos antisémites). Ils sont nombreux à participer désormais aux pèlerinages de Chartres cette marche au départ de Paris, qui rallie la cité du sacre d’Henri IV, rassemble chaque année des milliers d’aficionados de la messe en latin. En 2023, ils ont pu y écouter le sermon d’un de leurs prêtres préférés, l’abbé Matthieu Raffray y fustiger «leurs ennemis», listés ainsi : «Les communistes, les francs-maçons, les mondialistes, les wokistes, les libéraux, les progressistes, les sans Dieu et ceux qui adorent de faux dieux, les hérétiques et les schismatiques, les socialistes, de droite comme de gauche.» Curieux prélat qui s’affiche aussi en train de tirer au fusil de chasse que sur les chaînes YouTube des influenceurs d’extrême droite et qui revendique un credo pas très chrétien : «Bagarre, bagarre, prière.» L’homme n‘est pourtant pas l’un de ces parias de l’Eglise que sont les prêtres de la FSSPX. Il officie à l’Institut du Bon Pasteur, bastion «tradi», et enseigne la philosophie à l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin de Rome. «Toutefois, il n’a aucun lien avec l’Eglise de France», souligne Marion Jacquet-Vaillant, «il dispose d’une liberté de parole à laquelle ne peuvent pas prétendre d’autres prélats».

Signe d’une prise de confiance des identitaires au sein du mouvement traditionaliste, le leader d’Academia christiana s’est permis de donner des conseils au nouveau président de la Conférence des évêques de France, monseigneur Jean-Marc Aveline, élu en avril dernier et réputé progressiste. «La génération montante n’attend pas des consignes de vote mais des repères, de la clarté, de la solidité et une belle liturgie. On rejette la tiédeur et une Eglise qui n’ose pas dire la vérité», l’a prévenu le militant identitaire sur une radio d’extrême droite.

 

Du RN aux groupuscules violents, Libé passe au crible l’extrême droite 

L’extrême droite tue. La chose a longtemps tenu de l’évidence statistique, avant que par une inversion orwellienne du sens des mots et de la vérité, les antifascistes ne soient présentés comme les vrais fascistes, les antiracistes comme les vrais racistes, et des partis républicains comme les véritables dangers pour la République. A l’aide d’un empire médiatique entièrement tendu vers ce seul but, l’extrême droite et la droite extrême saturent désormais le débat public de leurs obsessions, leurs raisonnements et leurs cibles, déshumanisant toujours plus les populations désignées comme indésirables – l’immigration qui ne serait pas «une chance», selon les mots du ministre de l’Intérieur ; les «OQTF» qu’il faudrait déporter à Saint-Pierre-et-Miquelon selon Laurent Wauquiez, chef de file de la droite à l’Assemblée ; «les banlieues», désignées en bloc comme responsables des dégradations du week-end…

Dans ce climat, le racisme prospère et devient une opinion parmi d’autres. Début mai, des néonazis n’ont-ils pas défilé dans les rues de Paris, au rythme des tambours des Jeunesses hitlériennes, recouverts de runes et de tatouages néonazis, avant de lever le bras en hommage à l’un de leurs morts ? En février, un local antifasciste n’a-t-il pas été attaqué par un groupe de nervis violents au son de «Paris est nazi» ? Comme désinhibés, certains franchissent le pas. C’est le cas de Christophe B., principal suspect d’un attentat dans le Var qui a fait un mort et un blessé samedi. Dans son manifeste, il désigne les «bicots» comme ses ennemis, et le Rassemblement national comme le parti à porter au pouvoir. Si Marine Le Pen comme Jordan Bardella ont condamné l’acte, il est difficile pour eux de nier l’évidence : c’est dans les rangs de leurs sympathisants, avant tout, que se recrutent les candidats au passage à l’acte raciste.

Nicolas Massol, journaliste chargé du suivi de l’extrême droite au service Politique de Libération

 

Scellé sur la porte de l’habitation de Hichem Miraoui, victime de Christophe B., à Puget-sur-Argens, le 3 juin 2025. (Laurent Carre/Libération)

«Votez bien la prochaine fois» : le manifeste raciste de Christophe B., suspect de l’attaque terroriste de Puget-sur-Argens

Un véritable manifeste terroriste, «allégeance» comprise. Une vidéo d’un peu moins d’une minute trente, postée par le principal suspect de l’attentat dans le Var, sans ambiguïté : «Arrêtez de vous faire enculer par ces putains de bâtards de bicots de mes deux. Tous ces bicots de mes deux. Là je vais sortir je vais faire un petit carton déjà.» Dans d’autres vidéos, retrouvées par Libé, Christophe B. mentionne explicitement le Rassemblement national, appelle «les Français» à commettre d’autres attentats et à «vote[r] bien»…

Lire l’article sur liberation.fr

 

Marine Le Pen à Nouméa, le 28 mai. (Delphine Mayeur/AFP)

Mare aux droitards

«Vous êtes en train de nous donner des leçons !» A Nouméa, Marine Le Pen se met à dos les loyalistes les plus radicaux

Des sifflets et des huées : le plan de Marine Le Pen pour la Nouvelle-Calédonie ne fait pas que des heureux dans le camp des loyalistes, ceux qui s’opposent à la décolonisation de l’île, soutiens traditionnels du FN devenu RN. Le prix à payer pour tenter de passer pour une modérée.

Lire l’article sur liberation.fr

Du RN aux groupuscules violents, Libé passe au crible l’extrême droite

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