La gloire de mon père s’invite dans mes pénates de convalescent, rescapé d’un naufrage de santé.
Si le second est passager, le premier est presque éternel.
Presque, car mon hésitation vient du fait que je ne suis pas certain combien de temps cela pourrait durer. Je veux dire la pertinence du débat mis avec une clarté et élégance tout aussi magistrale que le livre recèle.
Sans doute tant que dure la mémoire collective, vive et muséifiée dans les archives de la Bibliothèque nationale. Je ne sais donc pas combien de temps va encore être pertinent dans la vie sociale ce débat qui de fait saupoudre le livre.
Celui d’une cohabitation à la française entre les forces lumineuses de progrès identifiées dans les Lumières, sœurs triplées mais non identiques d’Enligthment ou encore de Aufklarung d’un côté.
Et celles d’une obscurité sournoise des princes des ténèbres qui se prennent pour la lumière, mais pas pour bien longtemps, de l’autre. Et ceci en dépit d’une ou deux curiosités politiques, comme celle de savoir que la principauté d’Andorre jusqu’à 1993 était cogérée par l’évêque, et représentant du président de la République française, ou que le président de la République est toujours chanoine de saint jean de Latran.
Et pour cause, la nouvelle Babylone était déjà identifiée dans la Rome des papes, ces suppôts de Satan, que la réforme protestante, faute de pouvoir blanchir, a essayé de déboulonner.
Tout mouvement de contestation apporte avec lui son lot de débordements.
La liberté d’expression est au cœur de toute démocratie réelle, quant aux débordements qui en résultent, c’est comme on peut.
J’use donc de la mienne, sans chercher un quelconque débordement, de quelque nature que ce soit. Juste la liberté de dire ce que je ressens en lisant ce chef-d’œuvre.
Et avant de me lancer dans le vif du sujet, un petit mot sur la gloire de mon propre père, de votre père, et de Notre Père. Ils sont tous liés par Joseph, dont le fils, le grand prosateur, dépeint son père sans dire de lui-même “ni bien ni mal” (p. 7).
Et d’ailleurs de quiconque, car la grandeur de La gloire du père est dans la grandeur du fils qui est suffisamment fils pour ne pas se prendre pour un père. C’est ainsi comme le dit avec simplicité époustouflante le pape François dans Fratelli Tutti, que les frères deviennent pères.
Justement, c’est déjà l’avant-propos de Marcel qui convainc puissamment d’une honnêteté extrême de sa démarche. Je peux donc m’y fourrer avec plaisir et honnêteté, tout au moins tentée. En me sentant frère de l’un ou de l’autre, le fils de celui-ci et de celui-là…
C’est avec Jean-Marc que j’ai gravi (en voiture) pour la première fois la sainte Victoire lors d’un été bien à la provençale. Un guide de la région, un Marseillais qui n’exagère rien, surtout devant la sainte Victoire.
Marcel Pagnol n’exagère rien non plus, tout y est juste et fluide. La page de couverture donne le ton à mon propos parce que le sien.
En recevant le livre de la part des visiteurs bien intentionnés qui ne savaient pas à quel point ce livre me plaisait, je n’ai pas bien compris le dessein.
Je ne savais rien de deux bartavelles exhibées devant un curé qui les prenait en photo. Sans m’y attarder, je me suis lancé dans la lecture. Quelques pages par-ci de la journée, quelques autres par-là à un autre moment… Puis j’arrive à la page 15 et je ne crois pas mes yeux, voici ce que j’y trouve :
“Les écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l’étude de la théologie étaient remplacées par les cours d’anticléricalisme.”
C’est ainsi que s’ouvre le second chapitre du livre. Et ce n’est pas tout, car à ce constat bien objectif s’ajoute le reste. Un constat sans jugement de valeur, si toutefois on peut exposer des vérités aussi crues de façon dénuée de toute réflexion qui indique les pourquoi du comment, ce qui n’est pas sans valeur intrinsèque, mais valeur jugée comme telle.
Voici la suite
“On laissait entendre à ces gens que l’Église n’avait jamais été rien d’autre qu’un instrument d’oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c’était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau d’ignorance, tout en y chantant des fables, infernales ou paradisiaques.”
Que cela était ainsi (aussi), c’est sans doute vrai, comme toujours, en partie. Mais “rien d’autre que” sonne mieux, car cela permet de résoudre le problème, une fois pour toutes. Sauf que le problème n’est toujours pas résolu et le noir bandeau de l’ignorance recouvre des yeux de tant et tant, et peut importe où ils se trouvent.
Pour les gens d’Église, y compris les ouailles, le bandeau d’ignorance est sur les yeux tant que la lumière de la véritable conversion, au sens le plus spécifique du terme pour le christianisme, n’a pas commencée à rendre le bandeau de moins en moins opaque, avant de le déchirer totalement en enlevant ce qui encore pouvait rester de collé sur les yeux et autour jusqu’à dans le cerveau.
Pour les autres, je ne sais pas trop comment ils se débrouillent pour se libérer de leur bandeau, certainement nombreux sont ceux qui y parviennent en toute honnêteté digne d’un Pagnol, père ou fils, et surtout fils.
Quant à d’autres, est plus grande l’urgence avec laquelle il nous faut prier pour leur conversion du cœur et du regard. Pour ce qui est de la foi, c’est une autre histoire, nous croyons que Dieu n’en dispose qu’à sa guise. Donc motus.
Mais continuons à ausculter ce magnifique passage qui parle de la mauvaise foi des curés prouvée par le latin, cette langue mystérieuse, “qui avait pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques”.
J’entends une profonde et sans doute sincère indignation de nos amis traditionalistes très attachés à cette manière de célébrer.
L’Église comme instrument de l’oppression, donc de l’injustice sociale, sans doute il y a du vrai là-dedans aussi. La gabelle ecclésiastique s’élevant jusqu’à 10 % et de très nombreux bien terriens appartenant à l’institution, cela fait en effet beaucoup sur la surface de l’Hexagone.
Au siècle suivant, les Missions Étrangères de Paris en Thaïlande se sont départies de tous les biens dont les avait gratifiés la monarchie en remerciement pour des loyaux services de la structuration moderne du pays. Et pour pouvoir le faire, mais une fois le gros fait, à quoi bon s’encombrer d’une telle fortune dont la gestion demande du professionnalisme et d’utilité que les bons pères ne pouvaient concevoir dans le cadre de leur mission.
La conclusion de l’auteur (autre) de La gloire de mon père est sans appel :
“… Les cours d’histoire étaient élégamment truqués dans le sens de la vérité républicaine”.
Mais Marcel est tout aussi lucide sur nous tous.
“Je n’en fais pas grief à la République : tous les manuels d’histoire du monde n’ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements” Je confirme, et ceci s’applique aussi à certains pans (pends) de l’histoire ecclésiastique.
“Les normaliens frais émoulus étaient donc persuadés que la grande Révolution avait été une époque idyllique, l’âge d’or de la générosité et de la fraternité poussée jusqu’à la tendresse, en somme une explosion de bonté”
Puis tout naturellement Pagnol se demande de savoir comment “on avait pu leur exposer-sans attirer leur attention-que ces anges laïques, après vingt mille assassinats suivis de vol, s’étaient entre guillotinés eux-mêmes”.
Alors que cependant le curé de l’enfance de Marcel “fort intelligent et d’une charité que rien ne rebutait, considérait la Sainte Inquisition comme une sorte de conseil de famille.”
Le passage se termine par un constat que l’on ne peut qu’approuver en toute bonne logique
“Telle est la faiblesse de notre raison, elle ne sert le plus souvent qu’à justifier nos croyances”.
Chacun avec son propre examen de conscience.
A la fin du livre on retrouve le curé en vrai, celui de la rencontre avec Joseph et son fils Marcel.
Ce n’est pas la caccabis rufa, mais caccabis saxatilis, c’est-à-dire la perdrix de roches, que l’on appelle aussi la perdrix grecque, et en Provence, la bartavelle. Joseph curieux qu’il est, interroge le curé sur l’origine du mot. Bartavello signifie une serrure grossière, “l’oiseau serait ainsi nommé à cause de son cri, paraît-il, un peu grinçant”.
“Excusez-moi, ma cruche est pleine, et la cloche m’appelle.
Il souleva fort poliment sa barrette, mon père souleva sa casquette. M. le curé prit sa cruche et s’en alla.”
Et moi j’en ai rempli la mienne avec des mots que je ne connaissais pas et les fait jouer dans une scène que voici…